jeudi 1er mars 2018, par
Edito
D’un côté une offensive d’ensemble, de l’autre des ripostes séparées, d’un côté un plan de lutte et de l’autre des actions isolées, d’un côté une unité gouvernement-MEDEF-patronat et de l’autre une absence d’organisation de l’unité ouvrière, d’un côté des exigences des capitalistes très claires et de l’autre une absence de programme et de perspectives, d’un côté une action offensive et de l’autre même pas de vraies actions défensives, un recul social programmé qui avance tous les jours et une prétendue réaction par journées d’action et promenades dans les rues, tel est le bilan de l’affrontement tel qu’il se déroule pour le moment.
Désorientation, désorganisation, perte de confiance, absence de programme, absence de coordination, absence d’action unie sont entièrement dans le camp des travailleurs, prétendument représentés par les directions syndicales ou par la gauche de la gauche, aussi pro-capitalistes et réformistes les uns que les autres, ayant déjà cautionné tous les reculs précédents et n’ayant aucune proposition réelle permettant de faire reculer nos adversaires…
Pourquoi en est-on arrivés là, si on ne pose pas la question, on ne risque pas de la résoudre !
Et même si la réponse fait mal, si elle remet en cause notre passivité sociale, politique, militante et organisationnelle actuelle, il faut la poser, c’est même vital !
La réaction bourgeoise a gagné quelques batailles, mais elle n’a pas encore vaincu pour l’essentiel. L’avenir n’est pas encore handicapé. La classe ouvrière est désarçonnée mais pas battue, pas cassée, pas démolie. La bourgeoisie le sait et elle ne se permet d’avancer avec audace que parce qu’elle mise sur l’incapacité des organisations réformistes se réclamant des travailleurs de développer une perspective hardie de contre-offensive.
En liant les organisations réformistes à l’Etat bourgeois, depuis de longues années, la classe possédante les a fait participer à l’organisation de tous les reculs sociaux, qu’ils ont accompagnés, discutés, négociés, amendés à la marge mais soutenus sur le fond. Ils continuent à négocier toutes les attaques, à participer à la machine dressée contre nous, dans notre dos, tout en manifestant contre en façade. Tous les reculs sociaux, ils y ont participé, ils y ont mis la main, ils ont été membre des commissions qui les ont négocié et ils continuent de le faire, qu’il s’agisse de casser la SNCF, ses usagers et ses cheminots, l’hôpital public, ses patients et ses agents, etc. Ils cogèrent, codirigent, participent aux rapports, y mettent la main, parfois même leur voix, proposent des choses à nos adversaires, demandent à être entendus par eux et pas par nous. Ils ne demandent pas leur avis aux travailleurs. Ils ne les réunissent pas. Ils se gardent de se mettre sous le contrôle de la classe ouvrière. Les assemblées interprofessionnelles, qui étaient de tradition en 1995, ils n’en convoquent plus et le plus souvent ils ne convoquent même pas des assemblées locales. Ils prennent les décisions dans un syndicat ou en intersyndicale, comme si cela suffisait à exprimer l’opinion de la classe ouvrière sur les revendications, sur les modes d’action, sur le point de vue à propos de la situation. Jamais ils ne soumettent aux travailleurs leur action, jamais ils ne se subordonnent à la direction ouvrière qu’ils ne veulent surtout pas mettre en place, organiser, préparer, proposer, faire avancer…
Le bilan est là : défaite sur défaite, démoralisation sur démoralisation, désorganisation, isolement des luttes, augmentation du discrédit des actions, division des travailleurs…
Jamais ces prétendus dirigeants des salariés ne proposent aux travailleurs d’étendre une lutte, de prendre contact avec l’entreprise voisine, jamais ils ne cherchent à donner aux travailleurs voix au chapitre dans les décisions, dans les actions, dans l’organisation.
Si bien que le niveau d’organisation des travailleurs eux-mêmes est au plus bas, même si les appareils syndicaux, eux, sont organisés, prennent la parole en notre place, décident à notre place, négocient à notre place, nous enlèvent tout pouvoir de décision et d’organisation.
C’est cela qui permet à la classe possédante d’être aussi sure d’elle et d’attaquer tous azimuts.
Et, de fait, le gouvernement s’autorise en même temps à attaquer la SNCF comme service public d’Etat, l’embauche, les conditions de travail et le statut des cheminots ainsi que leur retraite. Il s’autorise à attaquer en même temps l’hôpital public, présenté comme un modèle à réformer entièrement. Il s’autorise à attaquer aussi les salariés du secteur privé, modifiant la législation du travail au service exclusif des patrons. Il se permet en même temps de remettre en question la démocratie bourgeoise, de plus en plus policière. Il attaque en même temps les chômeurs, menacés dans leurs faibles allocations. Il attaque les migrants et sans papiers par de nouvelles lois qui remettent en cause le droit à l’accueil.
Il n’est pas besoin de souligner combien l’attaque est générale mais surtout combien la défense est parcellisée, découpée, morcelée, consciemment et systématiquement. Un seul exemple : les cheminots sont appelés à manifester le même jour que les fonctionnaires mais séparément !!!
Les EPHAD luttent séparément de l’hôpital public ou de la psychiatrie ou encore des personnels psycho-sociaux et on en passe des divisions. A La Poste, c’est carrément poste par poste, ville par ville que les actions sont organisées alors que l’offensive contre les postiers est générale. Lors des journées d’action communes, rien n’est fait pour que les travailleurs en retirent une véritable union, une convergence ouvrière, une organisation et des liens durables, d’entreprise à entreprise, de profession à profession, de secteur à secteur, avec les chômeurs, avec les sans papiers, avec les précaires, avec les migrants. Pas de liaison privé/public ! Pas de liaison actifs/chômeurs ! Rien pour faire avancer la conscience commune et la confiance dans une perspective face à la société capitaliste, dont la crise systémique latente n’est même pas un sujet de discussion pour les réformistes, leur présupposé indiscutable étant la pérennité du système d’exploitation !!! Jamais aucun lien n’est établi entre les attaques antisociales que nous subissons et les attaques antidémocratiques, aucun lien avec les guerres menées aux quatre coins du monde par le même gouvernement. Aucun lien avec les agressions de plus en plus violentes contre les migrants, issus de peuples d’abord victimes des guerres et bombardements de nos gouvernants. Aucun lien avec la dérive de plus en plus à l’extrême droite des politiques gouvernementales. Aucun lien surtout avec la crise historique d’un système qui, au moment où même où il annonce être entré à nouveau dans une phase de prospérité, voit ses bourses chuter au point d’annuler les bénéfices d’une année entière !!
Ce à quoi nous appellent ces réformistes, politiques comme syndicaux, quelles que soient leurs boutiques et leurs particularités, c’est bel et bien de lutter les yeux bandés, divisés et désorganisés !
Aucun bilan des luttes passées n’est dressé ! Aucune discussion sur la manière de lutter ne se déroule avant une lutte. Aucune préparation d’une lutte n’est entamée. Aucune liaison interprofessionnelle n’est tentée !
Eh bien ! c’est avec tout cela qu’il nous faut rompre si nous voulons nous faire craindre des possédants et des gouvernants, nous faire entendre de notre propre classe et de nos alliés potentiels dans la population, et marquer l’opinion ! Ce n’est pas en défilant, même nombreux, derrière « nos » bureaucrates syndicaux, car ce ne sont pas les nôtres. Les dirigeants syndicaux, de tous bords, sont plus proches des gouvernants et du patronat qui les financent, que de nous qu’ils ne voient quasiment jamais, auxquels ils ôtent la parole de la bouche quand ils interviennent dans les média. Bien sûr, nous ne sommes pas des adversaires des militants syndicalistes du rang mais encore faut-il que ceux-ci respectent réellement la démocratie ouvrière, se fassent élire par les assemblées pour diriger et ne se contentent pas d’être nommés par la bureaucratie ! Encore faut-il qu’ils n’agissent pas comme les délégués de personnels de l’hôpital public qui continuaient à négocier inutilement avec le patron Hirsch quand les manifestants exigeaient qu’ils arrêtent de négocier car la prétendue réforme n’était pas négociable !
Pour nous faire craindre de nos adversaires et ennemis, il faut nous faire respecter de ceux qui prétendent nous représenter. Cela ne sera pas le cas tant que nous ne nous organiserons pas par nous-mêmes, en cassant toutes les divisions : CDI/CDD, prestataires et salariés du trust, actifs et chômeurs, avec ou sans papiers, salariés et retraités, etc.
Il est affligeant de voir encore des mobilisations séparées des retraités, d’autres séparées des cheminots, ou encore des mobilisations séparées contre une loi s’attaquant aux salariés du privé, ou encore des mobilisations séparées par région, par site, par trust, contre telle fermeture sans liaison avec les autres entreprises qui ferment ou avec les entreprises voisines.
Une classe ouvrière divisée, désorganisée, promenée à droite et à gauche, dans des actions elles-mêmes divisées et désorganisées, menées par des « directions » qui ne veulent surtout pas diriger un véritable soulèvement en masse de la classe des salariés, des directions d’une classe dont elles ont même honte de prononcer le nom : le prolétariat !!! Et qui ne veulent surtout pas donner une perspective à cette lutte car cette perspective mettrait nécessairement en cause le système d’exploitation lui-même, le sacro-saint droit de quelques propriétaires sur les entreprises et les capitaux, ainsi que sur le pouvoir d’Etat. Voilà ce que sont ces pseudo-directions qui veulent conserver le monopole sur les luttes sociales ! Alors, les membres de ces syndicats et de ces organisations politiques réformistes, y compris gauche de la gauche et extrême gauche opportuniste, doivent eux-mêmes remettre en question les vieilles méthodes périmées qui ont montré toute leur inefficacité !
Ce qu’il nous faut, c’est l’organisation en masse, sans aucun respect des barrières corporatistes ! Ce qu’il nous faut c’est des collectifs démocratiquement de coordination et d’initiative interprofessionnels, discutant de tout, décidant de tout, élus et révocables, préparant les luttes, préparant les revendications, diffusant les projets, les mettant partout en discutant, organisant les liaisons inter-entreprises !
Ce qu’il nous faut c’est : une classe en lutte ! Rompons avec des années de passivité politique et sociale des prolétaires et l’avenir est devant nous !
Ne nous interdisons pas de nous réunir sur les lieux de travail et d’habitation et personne ne pourra nous l’interdire !
Ne nous interdisons pas de prendre nous-mêmes les décisions sur nos luttes, nos revendications et nos moyens d’action et personne ne pourra nous l’interdire !
Ne nous limitons pas aux frontières de notre entreprise, de notre secteur d’activité, de notre corporation et personne ne pourra plus nous y enfermer !
Organisons-nous par-delà des divisions sociales, politiques, des boutiques syndicales et politiques et nous agirons en tant que classe, comme prolétaires, c’est seulement ainsi que nous retrouverons la confiance en nous-mêmes et en notre avenir et que nous ferons perdre leur confiance aux nos ennemis patronaux et gouvernementaux.
Croyez-le ou pas, les classes possédantes ne craignent cela par-dessus tout : un prolétariat qui s’organise lui-même pour préparer son avenir, sans attendre que personne ne le fasse à sa place, sans remettre son propre sort entre les mains de quelconques sauveurs !!!