mardi 31 mai 2016, par
Edito
Hollande et Valls fustigent Martinez, qui réplique, et on nous présente de tous côtés (média, hommes politiques, syndicats) la situation sociale en France comme celle d’un bras de fer entre la direction des syndicats, et en particulier de la CGT, d’un côté et le gouvernement de l’autre. Au point d’oublier presque qu’en réalité il y a les travailleurs et les jeunes, ainsi que les milieux populaires et de l’autre la classe capitaliste et son gouvernement « de gauche » !
Certains parlent même d’affrontement entre deux personnes : Martinez et Valls, comme si on devait seulement choisir entre eux. La réalité est tout autre : c’est un combat de classe qui se déroule et dans celui-ci l’opposition frontale entre les gouvernants et les directions syndicales est loin d’être évident. Les syndicats les moins « radicaux » comme la CFDT font carrément partie du gouvernement et ceux qui passent pour plutôt d’opposition à la politique sociale du gouvernement, comme la CGT et FO, viennent de voir deux de leurs anciens dirigeants nommés par Hollande à des postes de hauts fonctionnaires, respectivement un poste de dirigeant de l’Agence contre illettrisme et d’Inspection des Affaires sociales.
Curieuses ces hautes nominations pour des dirigeants syndicaux qui ne joueraient qu’un rôle d’adversaires du gouvernement de gauche, d’autant que les syndicats ont tous contribué ouvertement et publiquement à faire élire Hollande, même s’ils disent ne pas aimer la politique de Valls. D’autant plus curieux que Martinez est le successeur de Lepaon, nommé par celui-ci et connu comme son second et en accord avec son orientation réformiste et collaborationniste. D’autant plus curieux que cette orientation de Lepaon l’avait amené à signer le rapport d’Etat pour les Conseil Economique Social et Environnementale chargé d’organiser la privatisation de la SNCF.
Martinez, comme l’intersyndicale qui appelle aux journées d’action a suivi les jeunes et les travailleurs en passant d’une demande de modification du texte début mars à un retrait complet du texte. Cela ne l’empêche pas aujourd’hui de déclarer, dans un coup de fil avec Valls, qu’il lui suffirait d’une suspension de décision de la part du gouvernement pour appeler à suspendre le mouvement social ! Et ce « leader syndical » étudie avec Valls « les solutions pour arrêter les blocages et les manifestations » !!! Le voilà celui qui est présenté le leader qui radicalise la lutte sociale en France !!!
Il y a donc une contradiction entre ces faits et l’apparence que l’on voudrait nous donner des événements et des luttes actuelles en France, apparence selon laquelle la direction de la CGT pousserait à radicaliser la lutte, mènerait un combat jusqu’auboutiste
La réalité est toute autre qu’un affrontement entre deux dirigeants, Valls et Martinez, ou entre deux organisations, CGT et PS par exemple, et la population en prend conscience puisqu’un sondage affirme qu’une majorité admet qu’il y a en réalité une lutte de classe dans lequel le gouvernement est du côté de la classe capitaliste.
Reste à savoir de quel côté, dans quelle classe sociale, sont vraiment les directions syndicales, elles qui se présentent comme mobilisées pour faire reculer le gouvernement et prêtes à « aller jusqu’au bout ».
Quel est le bout que les dirigeants syndicaux ne comptent pas dépasser, telle est effectivement la question. Est-ce que le bout n’est pas justement la limite où ils se dévoilent comme de faux dirigeants de la classe ouvrière et l’autre limite où ils risquent de nuire aux intérêts fondamentaux de la classe capitaliste.
Bien sûr, si on prend les discours de Martinez au mot, on peut croire qu’il appelle l’ensemble de la classe ouvrière à la lutte, qu’il lance successivement les salariés du transport, de l’énergie, des routiers, des pétroliers, de la chimie, du nucléaire, puis lancera d’autres secteurs, qu’il ne reculera pas, qu’il se donnera, et donnera ainsi à la classe ouvrière, les moyens de généraliser progressivement la lutte et de faire ainsi reculer le gouvernement et le patronat.
Mais il en va autrement quand on y regarde de plus près.
Appeler toute la classe ouvrière à lutter ensemble, où et quand la CGT l’aurait-elle réellement fait ? Pas une fois au cours de ces neuf journées d’action déjà programmées ! Il n’y a jamais été question de mettre en liaison les différents secteurs en lutte. Il n’y a jamais été question d’assemblées interprofessionnelles contrairement à la grève de 1995 ou aux luttes des cheminots ou des infirmières avec les coordinations. L’appel à la grève pour l’ensemble de la classe ouvrière de Martinez est une posture médiatique qui ne se retrouve pas du tout dans les appels syndicaux dans les entreprises, dans le secteur privé ou public. Pas d’appel à rejoindre le mouvement de grève reconductible de l’Automobile à La Poste ou à l’hôpital public ! Pas d’appel à voter la grève dans les services publics ni dans le secteur privé. Le prétendu bras de fer n’est là que pour donner une image combative à Martinez ou à l’intersyndicale mais pas à construire réellement un rapport de forces capable de faire reculer nos adversaires.
Dès le 9 mars quand les jeunes appelaient à la grève, que 71% de l’opinion disait soutenir les syndicats et que SNCF et RATP étaient par hasard appelés à faire grève le même jour pour des raisons apparemment différentes. Mais la loi El Khomri qui attaque le code du travail n’est en rien séparée des attaques contre les services publics de transport ou le service public hospitalier ou La Poste ou d’autres attaques contre les retraites, la sécu, les aides sociales et on en passe…
Dès le 9 mars, quand la SNCF était appelée à la grève par la CGT, ce n’était pas contre la loi El Khomri, ce n’était même pas pour s’opposer à la privatisation du rail, considérée comme acquise par ce syndicat puisqu’elle participe à des négociations sur les horaires des travailleurs du rail, privé et public, dont elle conteste le contenu mais pas le principe. Et depuis, les syndicats qui ont appelé les cheminots à faire grève, y compris à la fois contre El Khomri et la réforme du rail ne contestent pas du tout la partie privatisation de cette réforme. Ils n’en parlent même plus. Le voilà le radicalisme prétendu des dirigeants syndicaux !!! Il fut un temps où on aurait cru impensable que les centrales syndicales s’inclinent devant la privatisation des chemins de fer !!! Elles affirment qu’on n’y peut plus rien puisqu’il a été adopté par l’Etat mais disent exactement le contraire pour la loi El Khomri, affirmant qu’on peut faire annuler une loi mal votée ! Une fois de plus un double discours qui cache très mal que ces directions syndicales trahissent la lutte qu’elles prétendent mener de manière radicale.
Martinez peut bien se montrer aux média en train de jeter un pneu à brûler aux côtés des pétroliers grévistes, cela ne signifie pas qu’il propose autre chose que le faux radicalisme des blocages de l’essence. La force des travailleurs n’est pas le mythe de la grève générale et des bras croisés qui bloquent l’économie. La vraie force des travailleurs, c’est d’être capables de s’unir et de s’organiser collectivement, en comité de travailleurs, fédérés en coordination, discutant ensemble dans des assemblées interprofessionnelles. C’est cette force-là que refusait Bernard Thibaut lors du mouvement des retraites de 2010 et c’est cette force-là dont Martinez n’est nullement le leader dans le mouvement actuel.
Il affirme en même temps : "Quand on se bat, on peut gagner, et on ira jusqu’au retrait de la loi Travail !" ou encore "Les cheminots remettent ça la semaine prochaine. Mais il faut généraliser à la métallurgie, au commerce. Il faut que le gouvernement sache qu’on ne lâchera rien."
Martinez romperait-il avec le syndicalisme de collaboration ? Pas du tout ! « On veut commencer à discuter », réaffirme Philippe Martinez, patron de la CGT.
Le bout que ne dépasse pas Martinez, ce sont les journées d’action successives : « Pour la première fois, nous appelons à trois dates de grève, dans une échéance très resserrée. Ce qui off re la possibilité aux salariés en grève mardi de continuer leur action jusqu’au jeudi. » a dit Martinez.
Or, dans ces journées successives qui ont été la clef de la défaite du mouvement des retraites de 2010, déjà agrémentées à l’époque par des blocages pétroliers, le fait d’arrêter puis de repartir caractérise les lâchers de vapeur des directions syndicales qui ne mènent qu’à épuiser le mouvement et non à le lancer…
Lors de son dernier congrès, la direction de la CGT a refusé de valider un appel à la "grève générale reconductible" que réclamaient certains de ses adhérents.
"Cela ne peut pas être une confédération nationale qui appuie sur un bouton pour mettre en grève des salariés", prévient Jean-Claude Mailly, le patron de Force Ouvrière, dans un entretien publié sur le site de Paris-Match.
Eh oui, des directions syndicales dignes de ce nom auraient commencé par proposer à la classe ouvrière de se réunir dans toutes les entreprises dès le 9 mars pour décider elles-mêmes de leurs modes d’action et d’organisation. Mais les centrales syndicales ne sont nullement de telles directions de la classe ouvrière. Elles participent en fait au fonctionnement de l’Etat bourgeois et en recueillent les fonds publics de rémunération de leur rôle de conservation sociale. Il n’y a donc aucun regret à avoir de constater que les directions syndicales jouent un rôle bourgeois. Elles ne peuvent pas trahir leur classe, qui est la classe capitaliste. C’est aux travailleurs de tirer la leçon et d’entraîner les militants syndicalistes de base dans des organisations indépendantes de nos adversaires, des comités de grève et des coordinations éluées et révocables qui assument la totalité des décisions de nos luttes. C’est seulement ainsi que nous, travailleurs, pouvons agir dans le sens de nos intérêts de classe, intérêts qui sont diamétralement opposés à ceux de la classe capitaliste, opposition radicale qui n’est nullement négociable et moins que jamais depuis l’effondrement historique du capitalisme mondial de 2007-2008 !
Pour gagner dans cette lutte de classe, nous devons nous faire confiance à nous-mêmes, travailleurs, et à personne d’autre ! Des directions bureaucratiques, collaborationnistes et réformistes, ON VAUT MIEUX QUE CA !!!