Histoire des grèves de cheminots en France et dans le monde
12 juin 2017, 07:35
A la SNCF, ce n’est pas 1995 qui a marqué l’apparition (ou le retour) à des pratiques d’auto-organisation de la lutte. Neuf ans plus tôt, les trois semaines de grève de décembre 1986-janvier 1987 avaient permis d’imposer une rupture nette avec un système où la grève était devenue depuis longtemps l’affaire des syndicats, voire même des seules fédérations syndicales dès lors qu’on parlait de mouvement national.
La grève de 1986/1987 se situe dans une période de forte tension sociale : mouvement lycéen et étudiant contre la loi Devaquet, assassinat de Malik Oussekine par la police, grève des agents commerciaux de la SNCF puis grève des agents de conduite, qui se transforment rapidement en grève inter-catégorielle sur l’ensemble de l’entreprise. De sa préparation à sa conclusion, ce mouvement est placé sous la responsabilité des assemblées générales de grévistes ; c’est un acquis important qui se retrouvera « naturellement » lors du démarrage de la grève 1995, avec une différence de taille : en 1986, si les collectifs CFDT-cheminots sont souvent à l’initiative du mouvement, les militants et militantes CGT combattent la grève dans ses premiers jours puis s’y insèrent de manière fort maladroite vis-à-vis des assemblées générales ; en 1995, du côté de la CGT la leçon a été retenue.
Cette pratique des assemblées générales est bien sûr essentielle. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une A.G. de grévistes. Ce n’est pas une réunion d’information organisée par les syndicats, c’est bien un moment où chacun et chacune doit pouvoir se sentir suffisamment à l’aise pour parler, pour proposer, pour critiquer, pour décider. En 86/87 comme en 95, la quasi-totalité des A.G. au sein de la SNCF se font sur la base du collectif de travail : le dépôt, l’atelier, la gare, le chantier de ventes ou de manœuvre lorsqu’il s’agit de gros établissements. C’est à cette échelle qu’on a réellement des A.G. Il ne s’agit pas de « meetings » où les porte-paroles des syndicats, fussent-ils des représentants ou représentantes locaux, donnent les nouvelles, appellent à reconduire le mouvement ou à l’arrêter, avant que la démocratie se limite à lever la main pour approuver ce qui vient d’être dit.
C’est cette pratique de véritables assemblées générales où chaque gréviste peut aisément trouver sa place qui permet une appropriation de la grève par les grévistes ; d’où les multiples initiatives autogérées, parfois formalisées sous forme de « commissions » : pour la revue de presse quotidienne, pour les repas, pour les propositions d’actions, pour les liens avec les autres A.G., etc. C’est de là que se feront « naturellement » les occupations de locaux durant le temps de la grève : il s’agit alors de se réapproprier collectivement les lieux de la grève, qui sont aussi ceux qui correspondent au champ de l’A.G., au cadre connu car fréquenté quotidiennement depuis des années. C’est ainsi qu’en novembre-décembre 1995, à la SNCF, beaucoup de directions locales ont été, soit expulsées, soit mises de côté, durant tout le mouvement ; des endroits stratégiques (commande du personnel roulant, postes d’aiguillage, guichets, etc.) ont été occupés dès les premiers jours de la grève. Tout ça s’organise à partir du collectif de travail, devenu collectif de grève ! Ca me parait important d’insister sur ce point : depuis 1986 et 1995, il n’est plus question pour les organisations syndicales appelant à la grève de combattre, du moins ouvertement, l’existence des Assemblées Générales ; mais trop souvent elles se transforment en caricature d’A.G. de grévistes, d’A.G. de travailleurs et de travailleuses décidant et coordonnant leur lutte.
Quelle que soit l’organisation politique à laquelle ils et elles se réfèrent, celles et ceux qui considèrent que la classe ouvrière n’est pas en capacité de définir et mener politique et luttes autonomes, ne supportent pas les vraies A.G., représentatives, démocratiques, décisionnelles. A contrario, l’animation autogestionnaire des luttes consiste à organiser cette démocratie ouvrière, à la défendre : la pratique de l’Assemblée Générale quotidienne en est une des bases. Elle ne résout pas tout, d’autres points méritent une attention particulière, notamment la coordination du mouvement à l’échelle nationale, les liens interprofessionnels localement, etc.
Une des nouveautés de 95 est la généralisation des liens directs entre salarié-es de secteurs différents : piquets de grève communs, délégations réciproques dans les A.G., départs communs pour les manifestations, étaient devenus pratiques courantes entre cheminot-es, postier-es, enseignant-es, étudiant-es…
Je ne sais pas si on peut parler d’auto-organisation à ce propos, mais la réussite de 1995 chez les cheminots et les cheminotes, le rejet massif du recul de l’âge de la retraite, se sont aussi appuyés sur le fait que nous avions su faire vivre une tradition inscrite dans la culture ouvrière cheminote : celle du rejet des collègues ne partant pas à l’âge « normal » de départ en retraite (50 ans pour les agents de conduite, 55 ans pour les autres). Cette responsabilisation individuelle dans la défense des acquis et la lutte contre le chômage des jeunes a été un élément déterminant d’une défense collective.
A la SNCF, ce n’est pas 1995 qui a marqué l’apparition (ou le retour) à des pratiques d’auto-organisation de la lutte. Neuf ans plus tôt, les trois semaines de grève de décembre 1986-janvier 1987 avaient permis d’imposer une rupture nette avec un système où la grève était devenue depuis longtemps l’affaire des syndicats, voire même des seules fédérations syndicales dès lors qu’on parlait de mouvement national.
La grève de 1986/1987 se situe dans une période de forte tension sociale : mouvement lycéen et étudiant contre la loi Devaquet, assassinat de Malik Oussekine par la police, grève des agents commerciaux de la SNCF puis grève des agents de conduite, qui se transforment rapidement en grève inter-catégorielle sur l’ensemble de l’entreprise. De sa préparation à sa conclusion, ce mouvement est placé sous la responsabilité des assemblées générales de grévistes ; c’est un acquis important qui se retrouvera « naturellement » lors du démarrage de la grève 1995, avec une différence de taille : en 1986, si les collectifs CFDT-cheminots sont souvent à l’initiative du mouvement, les militants et militantes CGT combattent la grève dans ses premiers jours puis s’y insèrent de manière fort maladroite vis-à-vis des assemblées générales ; en 1995, du côté de la CGT la leçon a été retenue.
Cette pratique des assemblées générales est bien sûr essentielle. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une A.G. de grévistes. Ce n’est pas une réunion d’information organisée par les syndicats, c’est bien un moment où chacun et chacune doit pouvoir se sentir suffisamment à l’aise pour parler, pour proposer, pour critiquer, pour décider. En 86/87 comme en 95, la quasi-totalité des A.G. au sein de la SNCF se font sur la base du collectif de travail : le dépôt, l’atelier, la gare, le chantier de ventes ou de manœuvre lorsqu’il s’agit de gros établissements. C’est à cette échelle qu’on a réellement des A.G. Il ne s’agit pas de « meetings » où les porte-paroles des syndicats, fussent-ils des représentants ou représentantes locaux, donnent les nouvelles, appellent à reconduire le mouvement ou à l’arrêter, avant que la démocratie se limite à lever la main pour approuver ce qui vient d’être dit.
C’est cette pratique de véritables assemblées générales où chaque gréviste peut aisément trouver sa place qui permet une appropriation de la grève par les grévistes ; d’où les multiples initiatives autogérées, parfois formalisées sous forme de « commissions » : pour la revue de presse quotidienne, pour les repas, pour les propositions d’actions, pour les liens avec les autres A.G., etc. C’est de là que se feront « naturellement » les occupations de locaux durant le temps de la grève : il s’agit alors de se réapproprier collectivement les lieux de la grève, qui sont aussi ceux qui correspondent au champ de l’A.G., au cadre connu car fréquenté quotidiennement depuis des années. C’est ainsi qu’en novembre-décembre 1995, à la SNCF, beaucoup de directions locales ont été, soit expulsées, soit mises de côté, durant tout le mouvement ; des endroits stratégiques (commande du personnel roulant, postes d’aiguillage, guichets, etc.) ont été occupés dès les premiers jours de la grève. Tout ça s’organise à partir du collectif de travail, devenu collectif de grève ! Ca me parait important d’insister sur ce point : depuis 1986 et 1995, il n’est plus question pour les organisations syndicales appelant à la grève de combattre, du moins ouvertement, l’existence des Assemblées Générales ; mais trop souvent elles se transforment en caricature d’A.G. de grévistes, d’A.G. de travailleurs et de travailleuses décidant et coordonnant leur lutte.
Quelle que soit l’organisation politique à laquelle ils et elles se réfèrent, celles et ceux qui considèrent que la classe ouvrière n’est pas en capacité de définir et mener politique et luttes autonomes, ne supportent pas les vraies A.G., représentatives, démocratiques, décisionnelles. A contrario, l’animation autogestionnaire des luttes consiste à organiser cette démocratie ouvrière, à la défendre : la pratique de l’Assemblée Générale quotidienne en est une des bases. Elle ne résout pas tout, d’autres points méritent une attention particulière, notamment la coordination du mouvement à l’échelle nationale, les liens interprofessionnels localement, etc.
Une des nouveautés de 95 est la généralisation des liens directs entre salarié-es de secteurs différents : piquets de grève communs, délégations réciproques dans les A.G., départs communs pour les manifestations, étaient devenus pratiques courantes entre cheminot-es, postier-es, enseignant-es, étudiant-es…
Je ne sais pas si on peut parler d’auto-organisation à ce propos, mais la réussite de 1995 chez les cheminots et les cheminotes, le rejet massif du recul de l’âge de la retraite, se sont aussi appuyés sur le fait que nous avions su faire vivre une tradition inscrite dans la culture ouvrière cheminote : celle du rejet des collègues ne partant pas à l’âge « normal » de départ en retraite (50 ans pour les agents de conduite, 55 ans pour les autres). Cette responsabilisation individuelle dans la défense des acquis et la lutte contre le chômage des jeunes a été un élément déterminant d’une défense collective.