Accueil > ... > Forum 25089

Quand la petite bourgeoisie a cessé de croire à son avenir et à son rôle historique propre

15 juillet 2014, 07:31

Les deux leaders du fascisme sont des représentants de la petite bourgeoisie, qui, dans l’époque présente, est incapable d’apporter soit des idées originales, soit une conception créatrice. Hitler et Mussolini ont pratiquement plagié et imité chaque chose et chacun. Mussolini emprunta aux bolchéviks et à Gabriele d’Annunzio, et trouva son inspiration dans le camp de la grande industrie. Hitler imita les bolchéviks et Mussolini. Ainsi les leaders de la petite bourgeoisie, dépendants des magnats du capitalisme, sont de typiques personnages de second ordre - comme la petite bourgeoisie elle-même, considérée d’en haut ou d’en bas, assume invariablement un rôle secondaire dans la lutte des classes.

La dictature de la petite bourgeoisie était encore possible à la fin du XVIII° siècle. Mais même alors elle ne put se maintenir longtemps. Robespierre fut vite précipité dans l’abîme.

La vaine agitation pathétique de Kérensky n’était pas due entièrement à son impuissance personnelle ; même un homme aussi habile et entreprenant que Paltchinsky se montra également sans ressource. Kérensky n’était que le représentant le plus caractéristique de cette impuissance sociale. Si les bolchéviks ne s’étaient pas emparés du pouvoir, le monde aurait connu un mot russe pour fascisme cinq ans avant la marche sur Rome. Pourquoi la Russie n’a pu s’isoler de la réaction qui a balayé l’Europe d’après-guerre pendant les années vingt, c’est un sujet que l’auteur a discuté ailleurs. Il suffira de noter ici que la coïncidence de dates telles que la formation du premier ministère fasciste, avec Mussolini le 30 octobre 1922 en Italie, le coup d’Etat de Primo de Rivera en Espagne le 13 septembre 1923, la condamnation de la Déclaration des quarante-six bolchéviks par l’assemblée plénière du Comité central et de la Commission centrale de contrôle du 15 octobre 1923, n’est pas fortuite. [De tels signes des temps méritent la plus sérieuse considération.]

Cependant, dans le cadre des possibilités historiques, Mussolini a fait preuve de grande initiative, d’habileté à duper, de ténacité et de compréhension. Il était dans la tradition de la longue série des improvisateurs italiens. Le don de l’improvisation appartient au caractère même de la nation. Souple et immodérément ambitieux, il brisa sa carrière socialiste dans sa quête avide du succès. Sa colère contre le parti devint sa force motrice. Il créait et détruisait à mesure des constructions théoriques. Il était la personnification même de l’égotisme cynique et de la poltronnerie dissimulée derrière le camouflage de ses fanfaronnades. Chez Hitler, ce qu’on remarque d’abord, ce sont des traits de monomanie et de messianisme. Les blessures d’amour-propre jouèrent un rôle énorme dans son développement. C’était un petit bourgeois déclassé qui refusait d’être un ouvrier. Les ouvriers normaux acceptent leur condition comme une chose normale. Mais Hitler était un raté prétentieux, affligé de troubles mentaux. C’est par l’exécration des Juifs et des social-démocrates qu’il se hisse au pouvoir. Il était désespérément résolu à s’élever. Il fabriqua au fur et à mesure, pour lui-même, une « théorie » pleine de contradictions et de réserves mentales - une mixture d’ambitions impériales allemandes et de rêveries rancunières d’un petit bourgeois déclassé. Si nous essayions de trouver un parallèle historique pour Staline, il nous faudrait rejeter non seulement Cromwell, Robespierre, Napoléon et Lénine, mais même Mussolini et Hitler. Nous nous approcherions davantage d’une compréhension de Staline en évoquant Mustapha Kémal pacha, ou, peut-être, Porfirio Diaz.

Léon Trotsky dans "Kinto au pouvoir"

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.