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Editorial 17-01-2010 - Les grandes puissances s’inquiètent pour Haïti !!!

23 janvier 2010, 13:28

80% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté de deux dollars par jour dont 54% dans un état de pauvreté extrême avec moins d’un dollar par jour, 65% de chômage… découverte par Christophe Colomb en 1492 et sous domination espagnole jusqu’en 1697 qui verra l’éradication de tous les indiens qui en étaient originaires, l’île d’Hispaniola où Haïti devient la première République noire en 1804 en administrant une déculottée historique à un Bonaparte voulant rétablir l’esclavage aboli à la Révolution Française, pour laver l’affront cuisant, se verra infligée à son tour un siècle de blocus de la part de toutes les grandes puissances dites « occidentales ». Le Calvaire de ce peuple qui dérange les grandes « civilisations » s’étant construites sur le dogme de la hiérarchie des êtres au sein d’une espèce dont la science et ses récentes découvertes sur le génome humain nous dit aujourd’hui qu’elle est une et indivisible, par le phantasme pervers de la « race », n’en est pourtant qu’au début de son Calvaire. Haïti passe en effet sous une occupation militaire américaine de 1915 à 1934 combattue farouchement par des révoltes paysannes. Le pays laissé alors exsangue est propice à l’installation de la dictature de François Duvalier de 1957 à 1986 puis à celle de son fils. L’ex prêtre Jean Bertrand Aristide est élu en 1990 lors de la première élection libre mais est renversé par un coup d’Etat militaire et ne redeviendra président qu’en 2001 après un scrutin boycotté par ses opposants. En 2004 il doit démissionner sous la pression de la France, des USA et du Canada. Et depuis les casques bleus qui occupaient l’île tentaient d’ « instaurer la démocratie » comme il est de bon ton de le dire dans les rédactions des « grandes démocraties » par un gouvernement de transition.

Et avec cela ma p’tite dame vous nous rajouterez des ouragans qui déferlent d’avril à juin et d’octobre à novembre, dont l’un des plus meurtriers, Jeanne, a ravagé le pays en 2004 laissant derrière lui quelques 1 160 morts, 1 250 disparus, 170 000 personnes manquant de nourriture et d’eau, et des plantations de bananiers avec lesquelles le pays tire une partie de son économie complètement ravagées. C’est te dire si le séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter de ce 12 janvier, qu’Elisabeth Byrs, porte-parole à Genève du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU nomme comme « la pire que les Nations Unies avaient dû vivre jusqu’ici » est vraiment le « couronnement » ultime d’une longue série de malheurs. Le palais présidentiel s’est effondré sur lui-même et des ministres sont morts. La mission de l’ONU s’est écroulée comme un château de cartes, et il en va de même pour tous les bâtiments administratifs, ainsi que les hôtels, ou les postes de police… Les télécommunications sont H.S. A la date du 11 janvier 75 000 morts ont déjà été inhumés selon le gouvernement haïtien. Still counting… il pourrait y en avoir jusqu’à 200 000 d’après le lieutenant Général Ken Keen, commandant des forces américaines sur place. A cela il faut ajouter les 250 000 blessés dont nombreux sont ceux qui ne verront pas arriver les secours et 1 million de sans-abri sans eau potable, nourriture, ni électricité. Dans un chaos total où comme c’est une règle « naturelle », seuls les plus valides et les plus forts survivent.

Dans le monde, la seconde même après la fin du séisme, c’est l’effervescence. Toutes les rédactions s’activent pour piquer de petits coups de becs des petits lambeaux de news, secondes après secondes, sur le corps d’Haïti. Quelques heures à peine après la catastrophe les hélicoptères tournoient déjà dans le ciel à la recherche d’images bien sanglantes à montrer aux éditions du 13 heures et du 20 heures. Ici des petites filles que l’on extirpe des entrailles de l’Enfer, là une vieille dame… les médias comme les prédateurs sont attirés par l’odeur du sang. Non content d’avoir dépecé le peuple d’Haïti de ses richesses, les « occidentaux » par l’intermédiaire de leurs grandes chaînes de média, vont pousser l’horreur jusqu’à lui voler sa dignité en grappillant ci et là des images de ses morts. Ne t’es-tu jamais demandé, ô plancton téléspectateur, pourquoi on montre plus facilement les morts du Rwanda ou d’Haïti que du World Trade Center ou du tremblement de terre en Italie ? L’être humain pour nos « grands » médias aurait-il droit à plus de dignité seulement en fonction de la couleur de sa peau ? Et ne t’es-tu jamais demandé quelle pouvait être la douleur de nos concitoyens originaires d’Haiti découvrant en direct, en même temps que des milliards sur la planète, le visage mort d’une mère, d’un père, d’un frère, une sœur, un fille, un fils, un ami d’enfance, une voisine…

Et déjà les télés du monde entier nous montrent la course pitoyable des secours. On te montre les images d’Haïtiens en liesse après le sauvetage de femmes ou d’enfants restés coincés sous les décombres alors que le restant de la population se meurt à petits feux de manque de soins, de faim et de soif. A quel pays sauvera le plus de victimes. Une sorte de jeux Olympiques de la misère, d’Eurovision de l’outrage où les américains se démarquent après un débarquement hollywoodien digne des plus grands Oliver Stone. Devant des français ne manquant pas une occasion de poser un cocorico et qui sont surtout inquiets par le sort de leurs ressortissants et dont les peurs des familles en attente d’adoption de petits Haïtiens vont bientôt rapidement faire pleurer dans leurs chaumières les ménagères de 25 à 55 ans. On montre les boys qu’on critique pour prendre les choses en main et qui font jalouser nos politiques. Politiques se bousculant au portillon pour y aller de sa petite phrase concourant pour savoir à qui au mieux porterait seul toute la misère d’Haïti dans ses yeux et ainsi s’assurer le maximum de temps d’antennes, de « temps de cerveaux » comme disait le patron d’une grande chaine. Des politiques de l’UMP et du PS qui aujourd’hui s’interrogent à l’Assemblée Nationale sur LCP s’il ne faudrait pas, au fond, mettre le régime « sous tutelle ». Interrogations que viennent « légitimer » (sic !) des images d’Haïtiens réclamant la domination américaine ou française ? Un Clinton qui se prend pour Kouchner et va distribuer des sacs de riz à la population, et surtout la très grande générosité des français et de leurs artistes qui courent pour donner pour Haïti déclarée grandes cause nationale par de grandes marques de lessives… à cerveaux.

Toute cette pitié dégoulinante qui est versée à Madame et Monsieur Bidochon depuis 10 jours à chaque heure de repas oublie quelque peu de lui dire la Vérité, dont Jean Grenier disait : « je n’ai jamais pu faire coïncider ce que je croyais être la vérité avec ce qui m’aidait à vivre ». Car la Vérité, sur Haïti, pour peu qu’on la recherche, pour peu qu’on aille la fouiller ailleurs que sur le corps encore chaud des cadavres, il est vrai, n’est pas très vendable pour nos grands médias. Mais le courage d’un journaliste ou d’un politique ne devrait-il pas être avant tout, comme l’écrivait Jaurès, « de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques » ?

Car la vérité d’Haïti est bien ailleurs, à commencer par son Histoire. L’Histoire glorieuse de la première république noire. La vérité c’est que les grandes puissances qui aujourd’hui larmoient à son chevet des larmes de crocodile cathodique a colonisé ce pays et l’a laissé mourir à petit feu sans jamais s’en préoccuper et cela depuis des décennies. Trop honteuse d’y voir dans ses yeux le regard effronté d’un Toussaint Louverture encore vibrant, véritable révolutionnaire baigné de l’esprit des Lumières et qui a la tête d’une poignée d’esclaves à tenu tête et vaincu les armées d’un petit caporal qui faisait alors trembler l’Europe.

La vérité, encore une fois, c’est que non content d’avoir volé au peuple d’Haïti ses richesses, sa culture, nous nous acharnons à essayer de lui voler son âme en poussant l’indécence jusqu’à aller filmer les corps, les scènes de pillages, le chaos…pour te faire comprendre à toi bien confortablement assis dans ton salon, que « ces noirs », vois-tu, on aura beau leur apporter la religion et la civilisation, ils se comporteront toujours comme des bêtes. Et te faire oublier que pendant les restrictions durant la seconde guerre mondiale, les mêmes scènes de pillages et d’adultes arrachant la nourriture de la bouche des enfants se déroulaient jusque dans Paris même. Parce que voilà, c’est peut-être pas beau, mais c’est l’instinct de survie et c’est comme ça ! Et que nul ne sait ce que toi et moi ferions si nous étions à la même place, là-bas, au milieu des décombres et des morts, sans nourriture ni eau depuis des jours, à sentir la vie quitter lentement ton corps… La vérité c’est aussi qu’on veut te faire oublier par un jeu d’images aux sous entendus douteux la précarité qui sonne aujourd’hui à la porte de près de 10 millions de français.

La Vérité, si l’on veut être juste, c’est que le dernier séisme à Haïti remonte au XVIIIème siècle et qu’ainsi n’étant pas du tout préparé à cette éventualité, n’importe quel pays au monde, n’importe quelle démocratie, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, qui verrait en l’espace de quelques secondes jusqu’à la quasi-totalité de ses infrastructures, ses administrations, ou ses télécommunications effondrées serait plongé dans les mêmes limbes.

La vérité froide et cynique c’est que ce téléthon post-séisme, cette ignoble course au « secourisme » permet surtout aux grandes industries de se positionner pour obtenir des parts de marchés pour la reconstruction en faisant financer l’opération marketing du secourisme par les téléspectateurs dont on monnaye la sensibilité. Et que ce séisme va permettre encore un peu plus aux grandes puissances de coloniser économiquement Haïti. Alors que cela ne devrait pas être aux organisations privées mais aux gouvernements, à l’UE, à l’ONU d’apporter l’ensemble de l’aide internationale, solidaire, et sans alourdir la dette déjà démesurée d’un pays dont on a déjà refusé l’annulation en 2003.

La question, enfin, est de se demander combien de temps encore nos politiciens et nos médias croient-ils pouvoir encore nous mépriser à un tel point qu’ils se permettent aujourd’hui de monnayer notre humanité ? Eteignons pour un temps nos postes de télévisions. Cessons de lire nos « grands » journaux. Et réfléchissons sur ce qu’est le pire fléau qu’ai eu à affronter Haïti depuis son indépendance. Fermons les yeux, et entendons ces mots d’Alphonse de Lamartine lorsqu’il écrivait sur Toussaint Louverture en 1850 : « Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute ! » N’est-ce pas un peu dans l’image de ces corps haïtiens que l’on expose à la cupidité du monde, de notre sensibilité que l’on souille, de notre générosité que l’on viole, de notre humanité que l’on pille ? N’est-ce pas là, dans ses scènes de chaos mise en pâture à l’indécence féroce de ce monde cupide, de notre âme à nous aussi qui s’envole ?

agora vox

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