vendredi 1er février 2019, par
édito
Nous avons tous beaucoup appris du mouvement des gilets jaunes et nous avons encore beaucoup à en apprendre. Et d’abord pour une raison de fond : dès que des masses de gens se mettent à faire eux-mêmes de la politique tous les jours, les idées avancent à grands pas et tant que seules des petites minorités réfléchissent, même avec les meilleures intentions du monde, elles peuvent tout à fait penser en cercle fermé, sans trouver vraiment d’issue et sans que cela embraye sur quelque chose de réel…
Bien sûr, les premiers qui y ont appris quelque chose, ce sont ceux qui ont participé tous les jours aux blocages des ronds-points depuis le début du mouvement et qui y discutaient ensemble tous les jours, mais aussi ceux qui participent aux assemblées ou comités divers, et aussi le reste de la population travailleuse, de la jeunesse, des retraités, des femmes, etc., ceux qui n’y ont pas ou peu participé et l’ont suivi de près ou de loin. Car tous ont appris sur bien des plans et d’abord appris que leur propre intervention, leurs propres décisions, leurs propres formes d’organisation et d’action étaient au centre de la lutte.
Ils ont appris qu’ils pouvaient se faire entendre sans avoir besoin d’aucun appui dans les forces étatiques ou politiciennes, sans aucun compromis, sans aucune négociation avec le pouvoir, sans aucune aide d’une institution de la société en place. Ils ont appris que la défense radicale de leurs points de vue n’était compatible avec aucune compromission avec le pouvoir et ses institutions et que celles-ci étaient entièrement mobilisées contre eux, contre les pauvres, contre les démunis, contre les exploités.
La première des choses qu’a démontré le mouvement, c’est l’efficacité de la lutte quand elle n’est pas dirigée par les appareils institutionnels politiques et syndicaux qui en ont monopolisé jusqu’à présent la direction et l’encadrement et depuis des décennies. Cependant, ce n’est pas la première de ses leçons que nous examinerons car nous devons commencer par ce que le mouvement des gilets jaunes nous a révélé non sur nous-mêmes, sur les forces et faiblesses des classes exploitées, mais sur nos exploiteurs et leurs gouvernants…
Nous ne devons pas oublier, en effet, que ce sont eux, ces classes possédantes et leur insatiable rapacité, leur férocité devrait-on dire, qui nous ont amenés à descendre dans les rues, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse soleil, que ce sont eux qui nous ont amenés à nous unir par-delà nos diversités, différentes origines sociologiques, régionales, professionnelles, politiques, idéologiques et bien d’autres encore. Et c’est encore eux qui nous ont amenés à ne plus craindre leurs violences !!!
Notre mouvement est d’abord le produit de leurs attaques qui nous sont apparues brutalement inacceptables de manière collective, aux quatre coins du pays, jusqu’aux régions lointaines, des villes aux villages, des actifs aux retraités, jeunes et vieux, hommes et femmes, etc.
Non seulement ce sont leurs décisions antisociales violentes, comme celle de taxer l’essence ou de réduire les retraites, qui nous ont fait sortir de notre habituel silence social et politique (la plupart d’entre nous n’avait jamais fait de politique ni de syndicalisme), mais ce sont aussi toutes leurs décisions d’aider sans cesse la fraction la plus riche de la population, le moins d’un pourcent, les milliardaires, les banquiers et les patrons des trusts.
Un point sur lequel tous les gilets jaunes sont bien d’accord (et c’est rare qu’ils soient tous d’accord !) : le gouvernement ne sert qu’une infime minorité de très très riches et c’est insupportable. Et ce qui est également insupportable : cette minorité ne cesse de s’enrichir quand les pauvres non seulement s’appauvrissent mais ne peuvent plus vivre décemment.
Ce n’est pas exactement le mouvement des gilets jaunes qui l’a révélé mais, par contre, il a révélé qu’au sein de cet ordre capitaliste parvenu à ce stade, un véritable gouffre entre riches et pauvres, il y avait un grand nombre d’exploités et d’opprimés prêts à se mobiliser pour combattre cet ordre injuste et c’est le contraire de ce que l’on nous disait puisque le mensonge de base de la société actuelle en France, c’est qu’elle a été choisie démocratiquement par la population elle-même, aussi bien son Etat, ses lois, son ordre politique et social…
Vous me direz, rien de neuf sous le soleil : les pauvres n’aiment pas les riches et leur en veulent ! Pas du tout, dans un pays riche, capitaliste avancé, dominant le monde, faisant partie des plus impérialistes du monde, la population n’a généralement pas du tout conscience que l’ordre établi soit contraire à l’intérêt de l’immense majorité de la population et ne serve qu’une infime minorité de profiteurs !
L’image de la société a en fait profondément changé en quelques semaines et même en quelques jours, aussi bien l’image du monde capitaliste, l’image de l’Etat capitaliste et même l’image que les exploités ont d’eux-mêmes, et cela c’est déjà une révolution dans les consciences !
L’image que la population a de l’Etat, disons-nous, eh bien oui ! Nous étions dans une société où la majorité croyait que les forces de l’Etat sont là pour servir le peuple, eh bien ce n’est plus aussi vrai. Qui croit aujourd’hui que les services des impôts servent le peuple, qui croient que l’Etat est là pour faire marcher les services publics afin que la population en bénéficie, qui croit que les forces de l’ordre sont là pour la sécurité des braves gens, et autres balivernes ?!!!
Tous ceux qui ont manifesté ces derniers mois sont persuadés que les forces de l’ordre défendent l’ordre de la minorité de riches contre la révolte des pauvres, et c’est le cas aussi des lycéens, des étudiants, des retraités et des salariés qui ont manifesté et ont été réprimés. Eux, on ne peut plus leur raconter que les forces de l’ordre nous sauvent. Ils ont les images du matraquage, du gazage, des charges, des violences, des tirs à bout portant et au visage, avec des engins agressifs, des armes lourdes, des grenades, des balles, avec des victimes nombreuses, qui vont garder de lourds séquelles, avec des joues, des bras, des pieds, des mains, des yeux arrachés, abimés, etc. Ils ont vu des manifestants pacifiques violemment agressés par la police. Ils ont vu des manifestants pacifiques se faire arrêter. Ils ne croient plus que l’Etat est « au service des citoyens » !!! Ils ont vu que la législation, les armes, les méthodes soi-disant antiterroristes sont là pour servir contre la révolte sociale ! C’est une leçon qu’ils ne sont pas prêts d’oublier !
Et ce n’est pas un point secondaire pour les luttes que nous allons devoir mener face à l’effondrement du système capitaliste qui ne cesse de soutenir les grands financiers mais dont les crises ne servent plus à relancer l’économie.
C’est un point très important que les opprimés et les exploités se soient retrouvés ensemble dans la rue, dans les manifestations, dans les blocages, dans les ronds-points et dans les réunions.
C’est un point très important que les femmes soient en tête !
C’est un point très important que les chômeurs et les retraités soient ensemble avec les actifs !
C’est un point très important que les plus paupérisés des petits artisans, commerçants, paysans, routiers ou pêcheurs soient ensemble avec les salariés !
C’est un point très important que les salariés du public soient enfin ensemble avec ceux du privé !
C’est encore un point fondamental que l’on trouve encore dans cette lutte les gens du voyage, dans certains cas des jeunes de banlieues, dans d’autres des personnes handicapées, dans d’autres encore des camionneurs, des VTC, des ambulanciers, des femmes élevant seules des enfants, des personnes qui sont en sous-emploi ou sont salariés avec de très bas salaires et des emplois précaires. Car ce qui importe, ce qui constitue la base même de leur mobilisation commune, c’est qu’ils soient ainsi regroupés parce qu’ils sont les plus démunis, parce qu’ils ne parviennent plus à vivre correctement, parce qu’ils n’acceptent pas qu’on leur réponde que le service public ne peut leur répondre, que leurs aides sont supprimées, que leurs impôts et taxes leur bouffent leurs petits revenus, leurs petites économies. C’est en tant qu’exploités et opprimés qu’ils s’unissent contre leurs exploiteurs et oppresseurs. Et cela, c’est totalement nouveau dans un pays comme la France !
Le fait que ce soient ces catégories méprisées par les classes dirigeantes, ceux qu’on a nommé les « sans-dents », les « fainéants » qui tiennent pendant des mois le manche de la poêle, qui soient à la une de l’actualité, qui parlent pour eux-mêmes et par eux-mêmes, sans se laisser représenter par personne, sans se mettre sous la dépendance de personne, et surtout d’aucune force institutionnelle de la société, ni derrière un parti, ni derrière un syndicat, même si certains gilets jaunes peuvent avoir des tendances politiques ou syndicales, sans compter sur d’autres institutions comme des élus locaux, des municipalités et autres médiateurs divers.
Du coup, nous sommes là dans l’auto-organisation des prolétaires et c’est un acte premier d’une révolution sociale ! C’est une leçon nouvelle de la lutte des gilets jaunes : la révolution sociale redevient d’actualité dans les pays riches du monde capitaliste. Bien sûr, ce n’est possible que du fait de l’effondrement du capitalisme. En France, cela n’avait plus été le cas depuis 1871 et 1936 !!!
Une autre leçon de ce mouvement, c’est non seulement que les plus démunis s’unissent pour revendiquer sur le terrain économique mais que c’est d’autant plus efficace qu’ils le font aussi sur le terrain politique, d’autant plus efficace qu’ils refusent les stratégies réformistes, qu’ils refusent de négocier, qu’ils ne se contentent pas de quelques revendications matérielles mais qu’ils veulent tout, qu’ils menacent la domination des classes possédantes, ce que les appareils réformistes, politiques et syndicaux se refusaient absolument à faire et s’y refusent encore.
Ce que les révoltés ou révolutionnaires des gilets jaunes ont appris, c’est que, du moment qu’ils ne se laissent plus faire passivement, ils suscitent la haine violente des classes possédantes et de leurs défenseurs ! Une haine causée par la peur !!!
Mais ils ont aussi appris qu’ils peuvent susciter, entre eux, une grand solidarité, un grand plaisir de se retrouver, de se parler, de se réunir, de débattre, de construire leur propre démocratie, une grande fraternité, ce qui n’empêche pas aussi des débats durs et profonds, avec des divisions réelles, et des confrontations sérieuses.
Personne n’a connu, dans ce pays, de telles expériences depuis de longues années. Personne n’a, du coup, tiré de telles leçons. Les événements sont en train de dévoiler bien des tromperies. L’évolution du système capitaliste contraint à des révisions déchirantes ceux qui croyaient en sa pérennité, et même en son éternité. L’évolution de la lutte des classes ramène dans l’actualité l’auto-organisation des prolétaires, l’insurrection, la révolution sociale. Et elle dévoile aussi le caractère profondément réactionnaire, contre-révolutionnaire, de l’Etat dit démocratique qui n’est que l’Etat du 1% de profiteurs et de bandits de haut vol. Les illusions dans les institutions et corps intermédiaires, soi-disant entre le Travail et le Capital, et qui montrent aujourd’hui qu’elles ne servent que ce dernier.
Se démasquent en même les lois, les élections bourgeoises, les élections professionnelles et tous les appareils réformistes, car tous se révèlent des ennemis violents, radicalement opposés à l’auto-organisation des exploités et des opprimés.
Se démasquent encore les médias qui se mettent à hurler violemment et à mentir de manière virulente pour satisfaire leurs maîtres, les milliardaires !
Tant que les plus démunis n’intervenaient pas par eux-mêmes, ne s’exprimaient pas eux-mêmes, ne défendaient pas leurs propres revendications, ne se donnaient pas par eux-mêmes des objectifs, des programmes, toutes les tromperies étaient possibles. Nombre d’entre elles courent encore et trompent des salariés, des retraités ou des chômeurs, mais ceux qui sont dans l’action, ceux qui s’organisent, ceux qui discutent entre eux sont en train de développer une conscience nouvelle, riche de perspectives.
Bien sûr, l’une des leçons, c’est que la démocratie des ronds-points et des assemblées de gilets jaunes, cela n’a rien de simple. Les tentatives de récupération, de tromperie, de détournement, de manipulation abondent. Les divergences ne peuvent pas être réglées en deux temps, trois mouvements. Mais le mouvement des gilets jaunes est dynamique et tous ses participants affirment : « nous ne connaissons pas les réponses mais nous allons réfléchir, nous allons discuter, nous allons apprendre ».
Bien sûr, rien n’est réglé, les gouvernants continuent de gouverner au service des milliardaires, leurs forces de répression accroissent même la violence de leurs attaques, les lois s’aggravent, la misère s’accroît avec la hausse des prix et la baisse des aides sociales et la chute des services publics, les milliardaires s’enrichissent sur notre dos. Les appareils bureaucratiques des partis et des syndicats réformistes, avec la cautions des gauches de la gauche et des extrêmes gauches officielles, continuent de prétendre commander à la classe ouvrière. Ils se refusent toujours à laisser les salariés s’organiser en comités de gilets jaunes et dirigent toujours bureaucratiquement ceux qui les suivent. Cependant, nous avons lancé une nouvelle perspective et un autre avenir est possible !
Dès lors que les prolétaires se réunissent, discutent et appliquent ce qu’ils ont décidé, on ne peut pas dire que la lutte sera facile mais on peut dire qu’un autre avenir est possible que les horreurs de misère, de souffrances et de répressions que nous préparent les classes possédantes. Et, ne serait-ce que pour cela, la leçon principale du mouvement des gilets jaunes qui s’est propagée dans le monde est « l’avenir appartient aux opprimés » !!!