vendredi 17 octobre 2014, par
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Le dictateur du Tchad et son maître impérialiste
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Au Tchad, plus de 1 000 employés du secteur pétrolier entrent en grève à partir du 9 mars 2014 pour appuyer une augmentation des salaires. Car les promesses de leurs employeurs après une première grève en janvier ne se sont pas encore concrétisées pour le millier d’employés concernés.
Le 19 janvier dernier les 1 500 employés des entreprises pétrolières du bassin de Bongor et de la région de Logone se sont mis en grève parce que leurs patrons s’opposaient à la mise en place des cellules syndicales et à l’ouverture des négociations salariales. Après une intervention des autorités, les grévistes ont suspendu leur grève contre la promesse de leurs patrons de satisfaire leurs revendications. Seulement, un mois après la suspension de la grève, les cellules syndicales ont été installées, mais la question des salaires n’a plus été évoquée. D’où la décision des employés tchadiens de se remettre en grève. « Nous sommes encore repartis à la table des négociations, et là, les gens nous ont fait une proposition de 2 % sur notre salaire, affirme l’un des responsables du syndicat des travailleurs tchadiens au sein des entreprises chinoises. Or nous, on a demandé 200 %. Par rapport à ce qu’on a demandé, leur proposition c’est une injure à notre égard. Et on ne peut pas accepter. Quand on quitte Ndjamena pour le chantier, c’est 400 kilomètres. Et là, les gens nous donnent 3 000 francs pour ces trajets. Et c’est avec ça qu’on doit payer le taxi de chez nous jusqu’au bureau, et puis prendre la route pour le chantier. Et avec 3 000 francs ça ne peut pas marcher ».
La grève affecte le forage des puits de pétrole, sur plusieurs chantiers dans le bassin de Bongor et du Logon.
Les patrons chinois sont partis dire au commandant de la gendarmerie de la place pour venir renvoyer les employés de la base et ont tiré 4 balles sur les manifestants et arrêté quatre4 de nos délégués parce que nous réclamons notre droit !!!
Si la production pétrolière et les avances financières de la communauté internationale (et notamment le don récent de 10,2 millions de dollars de la Banque Mondiale ainsi que 122,4 millions de dollars accordés par le FMI), fondées sur les perspectives de rentrées d’argent par l’or noir, donnent l’image d’un pays très prospère, en très bonne santé, les autres mesures de la prospérité dans la population disent exactement le contraire. Comme par exemple la santé.
Selon un dernier rapport de l’OMS, le Tchad est le pays au monde le plus frappé par la mortalité maternelle (OMD n°5) derrière des contrées aussi peu prospères que la Somalie ou la République Centrafricaine. En effet, au pays de Toumaï, une femme de plus de quinze ans a 1 chance sur 18 de décéder de suites de sa grossesse contre 1 chance sur 3 300 en Europe. Depuis 2000, si des pays comme le Rwanda ou l’Erythrée ont réussi à faire diminuer de près de 75 % la mortalité des mères, ce chiffre n’a fait que tragiquement augmenter dans notre pays, malgré les rodomontades du gouvernement qui prétend faire de la santé une priorité nationale.
Et le bilan n’est pas moins alarmant en ce qui concerne les autres secteurs de la santé. La mortalité infantile (OMD n°4) atteint des sommets, avec 93 décès avant l’âge de cinq ans pour 1000 naissances, ce qui fait du Tchad le sixième plus mauvais élève planétaire. Le taux de prévalence du VIH (OMD n°6), situé à 3,1 %, est clairement sous-évalué tout en étant bien supérieur à la moyenne des autres pays du Sahel. Quant à l’espérance de vie, c’est carrément la curée. Elle atteint difficilement les 50 ans (50,7 en 2012) tandis que des pays comme le Niger peuvent se targuer d’une espérance de vie de 58 ans, la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne étant de 56 ans. Sur le long terme, il est intéressant de comparer l’évolution de l’espérance de vie au Tchad avec celle de ses voisins depuis la prise du pouvoir d’Idriss Deby en 1990. A cette époque, elle était de 46,35 ans contre à peine 43,95 au Niger. En conséquence, sur la période courant de 1990 à nos jours, alors que le nigérien moyen a gagné quatorze ans de présence terrestre supplémentaire et le malien huit, le tchadien, malgré la richesse de son sous-sol, n’en a gagné poussivement que quatre et s’en va toujours aussi jeune rejoindre ses ancêtres.
Plus encore, des maladies telles que la tuberculose ou la rougeole, que l’on croyait éradiquées ou sous contrôle, font leur réapparition. Au moins 34 000 cas de rougeole ont été détectés depuis début 2014 sur le sol tchadien et la tuberculose regagne sensiblement du terrain. Une explication à cela : selon l’UNICEF, 33 % des enfants ne seraient pas vaccinés contre ces maladies, particulièrement virulentes chez les plus jeunes. Et ce chiffre n’est que le premier d’une longue litanie qui nous amène, sans partialité aucune, à constater la criante inaction gouvernementale en matière de politiques publiques de santé. Ici, un tableau explicatif comparant la situation du Tchad avec d’autres pays frontaliers parlera sans doute beaucoup mieux qu’un long paragraphe explicatif.
Force est de constater que sur tous les plans, le Tchad se situe en dernière ou en avant-dernière position, d’assez largement d’ailleurs. Plus grave encore, de 2002 à 2014, la part des dépenses de santé dans l’économie nationale est passée de 8,01 % à 2,81% (61 à 41 dollars par habitants), ce qui met en lumière une désaffection de régime d’Idriss Deby pour l’une des cinq grandes priorités humaines qu’énonçait le panafricaniste Barthélemy Boganda, à savoir nourrir, vêtir, guérir, instruire et loger. Plus concrètement, il suffit de s’arrêter sur l’exemple de l’hôpital de la mère et de l’enfant de Ndjamena (surnommé caustiquement par les ndjamenois l’hôpital de la mère OU de l’enfant), inauguré en grand pompe par Idriss Deby, où malgré des bâtiments flambants neufs, les patients s’entassent à cinq ou six par chambre, faute de matériel médical et de personnel. Parallèlement, l’hôpital de Doba, dans le sud du pays, n’est toujours pas opérationnel. Cette région est pourtant l’épicentre de l’exploitation pétrolifère et les 5 % de royalties qui lui sont reversés auraient normalement du assurer la bonne marche de ce centre de santé.
Le Tchad compte parmi les pays les plus pauvres et les moins avancés du monde. Il affichait un revenu national brut par habitant de 740 dollars en 2012. Entre 2003 et 2011, il a réussi à réduire de 55 à 47 % le taux national de pauvreté, mais, sous l’effet de la croissance démographique, le nombre total de Tchadiens pauvres a augmenté de 15 %. On peut constater que plusieurs milliers de gens ont perdu leurs emplois (STT, SONASUT, Coton Tchad….) que les démunis du pays sont livrés à eux-mêmes…
Depuis 2010, l’économie tchadienne a connu un rebond, en moyenne une croissance du Pib non pétrolier réel de plus de huit pour cent par an. En 2013, le taux de croissance a atteint 3,9 pour cent. Mais cette croissance ne profite pas à tout le monde, loin de là… L’argent du pétrole a permis le renforcement rapide de l’armée tchadienne depuis 2003, sans que la rente ne profite à la population, même si des infrastructures sortent de terre. Selon International Crisis Group en 2009, « les ressources pétrolières sont devenues pour le pouvoir tchadien une source de renforcement militaire, de clientélisme et de cooptation politiques. Cette situation contribue à verrouiller davantage l’espace politique national et à maintenir le pays dans un blocage persistant qui radicalise des antagonismes entre le pouvoir et ses opposants. » Le pétro-Etat est 184e sur 186 au classement de l’indice de développement humain du PNUD. Le gouvernement tchadien a annoncé le triplement de sa production pétrolière en 2015, ce qui le placerait au niveau du Congo-Brazzavile.
Jamais dans l’histoire récente du Tchad, les tchadiens n’ont connu autant de misère, autant du rejet d’un régime en place avec tant de haine et de mépris. Le régime de Deby est entrain de clochardiser le peuple tchadien. Avec un pseudo démocratie en libérant la parole sur mesure, Deby a confisqué le reste : les éléments essentiels d’une vie quotidienne : l’eau, l’électricité, les aliments de base, le logement, l’éducation, la santé, etc.
Et les Tchadiens de milieu populaire, dans leur immense majorité, végètent dans la misère absolue ; Jamais l’écart entre les miséreux et les nantis n’a été aussi grand !
Idriss Déby a été applaudi à Bamako aux côtés du président français Hollande le 19 septembre 2013, les deux se présentant en sauveurs du peuple malien contre le terrorisme. Il se présente désormais comme un rempart et un acteur incontournable face au terrorisme islamique ou comme sous-traitant potentiel d’opérations militaires ou de maintien de la paix. Ainsi, le dictateur tchadien sort très renforcé de la guerre au Mali. Il a obtenu le 18 octobre pour le Tchad un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour l’exécutif français, la lutte contre le ‘djihadisme’ au Sahel est passée par l’alliance de l’armée française avec les troupes d’un chef d’Etat qui est pourtant l’un des pires dictateurs d’Afrique.
L’actualité de 2013 marquée par l’influence française dans le sahel semble masquer la réalité tragique du régime tchadien. La ‘réhabilitation’ d’un dictateur à ce point reconnu nécessite une occultation des différents aspects de l’histoire et de la politique du Tchad : les guerres civiles, les massacres et crimes de l’armée tchadienne, le sous-développement, le détournement de la rente pétrolière, les élections fraudées, la répression des démocrates, de la presse, et de la société civile.
Depuis 1990, les rébellions se sont succédées au Tchad, de la même manière qu’avant l’arrivée d’Idriss Déby. Il est lui-même un chef rebelle qui a mieux réussi que les autres. Son règne entoure le démarrage de la production pétrolière. La production de pétrole nécessite pour les sociétés pétrolières une stabilité des régimes politiques, parce que la production se prévoit sur plusieurs décennies. Les rébellions se sont créées, au départ en réaction à la prise de pouvoir, ensuite, en réaction aux massacres précédents, au caractère ethnique de l’armée, puis à l’accaparement des recettes pétrolières par la famille présidentielle et, de plus en plus, à l’impossibilité d’alternance politique.
Les dirigeants français en s’alliant avec les soldats tchadiens pour le Mali, ont soigneusement évité de parler de la raison pour laquelle cette armée était si forte. L’armée tchadienne a profité de l’augmentation des recettes pétrolières : le budget de l’État est passé de 390 milliards de F CFA en 2002 à 1500 milliards en 2012 (de 595 millions à 2,3 milliards d’Euros). Le CCFD-Terres solidaires a donné quelques chiffres (qui demanderaient une vérification) sur les achats d’armes : « les dépenses militaires sont passées de 35,4 milliards (50 millions d’Euros) à 275,7 milliards de F CFA (420 millions d’Euros) » entre 2004 et 2008, pour se maintenir à 154,5 milliards de F CFA en 2010 (240 millions d’Euros). Dans le contrat avec la Banque mondiale pour le financement de l’oléoduc Tchad-Cameroun, le Tchad s’engageait à conserver 10 % des revenus dans un « fonds pour les générations futures » et que sur le reste, « 80 % devaient être consacrés à des secteurs prioritaires pour le développement, 5 % à la région de Doba et pas plus de 15 % au budget de l’Etat » : ce contrat n’a pas été respecté et une grande partie des sommes ont permis d’acheter des armes, même si cela s’est amélioré à partir de 2009. Le 19 juin 2013, l’ONG Watchlist spécialisée dans les enfants-soldats demandait l’exclusion des troupes tchadiennes des forces de l’ONU au Mali « tant que le Tchad, cité sur la ‘liste d’infamie’, n’aura pas finalisé son plan d’action relatif aux enfants dans les conflits armés ». Il est probable que sous la pression internationale, Idriss Déby puisse régler ce problème.
Pendant 23 ans de dictature, des rébellions tchadiennes ont continué à se créer. La bataille de février 2008 a failli chasser Déby, et il n’a dû sa survie qu’à l’intervention française. La démocratie permettrait d’aller vers une paix durable grâce à la légitimité des urnes et à un meilleur partage des richesses. En attendant, Idriss Déby continue de s’imposer par la force en jouant du soutien français.
L’armée française a depuis 1990 été aux premières loges pour observer les crimes d’Idriss Déby et pour le protéger. En février 1998, à Sahr dans le Sud du Tchad, après l’enlèvement de 4 français par Mahamout Nahor, des massacres ont été commis sur ordre de Déby avec des soldats français à proximité. Concernant l’assassinat en février 2008 du leader de l’opposition démocratique Ibni Oumar Mahamat Saleh, l’enquête de la juge d’instruction française Emmanuelle Ducos permettra peut-être de connaître les témoignages des deux conseillers français présents et en particulier celui du colonel Gadoullet. L’armée française a maintenu sa collaboration alors que les crimes s’accumulaient, cautionnant ainsi l’impunité, et contribuant ainsi à une banalisation des crimes contre l’humanité. Cette collaboration a aidé Déby à rester au pouvoir, jusqu’aux deux interventions françaises pour le sauver en 2006 et 2008. Par ailleurs, et de façon positive, pour pallier les défaillances de l’Etat tchadien, l’armée française joue un rôle humanitaire et social, grâce à l’hôpital militaire Epervier, ou en intervenant en cas d’incendies ou de catastrophes naturelles.
Les jeunes filles de ménage tout juste arrivées de leurs villages sont repérables à leurs vêtements élimés, leur coiffure mal soignée et leur air effarouché devant les voitures qui vont et viennent dans les rues de la capitale N’djamena.
Les adolescentes des campagnes reculées du Tchad sont de plus en plus nombreuses à quitter leurs villages pour la capitale N’djamena où elles deviennent filles de ménage. Cette forme d’exploitation de la main d’œuvre infantile passe inaperçue puisqu’elle a lieu au domicile de particuliers.
"Elles ont entre 8 et 15 ans et perçoivent des salaires de misère", explique Félicien Ntakiyimana, chargé de la protection de l’enfant au Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) au Tchad.
Aux premières lueurs du jour, et par groupe de 10 ou de 20 filles, les jeunes domestiques arpentent les artères principales de N’djamena, les avenues Charles de Gaulle et Mobutu. Elles se rendent chez leur employeur dont le domicile est bien souvent à une dizaine de kilomètres de leur lieu d’habitation.
Ces jeunes filles, les Tchadiens les appellent "bey" ; une déformation du terme "boy" employé à l’époque coloniale pour désigner un employé de maison.
Dans ce grand pays désertique d’Afrique centrale qui compte plus de huit millions d’habitants, ces jeunes filles qui arrivent de leur campagne à la recherche d’un emploi sont généralement âgées de 12 à 15 ans et représentent des proies faciles pour d’impitoyables employeurs.
"Les conditions de travail sont très dures. Elles travaillent toute la journée et sont souvent maltraitées", ajoute Ntakiyimana.
Ces conditions de travail qui s’apparentent à une forme d’esclavage ont plusieurs fois été critiquées par des organisations comme l’UNICEF et l’organisation internationale du travail (OIT).
L’OIT reconnaît que près d’un tiers des 48 millions d’enfants âgés de moins de 14 ans et vivant en Afrique sub-saharienne sont utilisés comme main d’œuvre.
Le 10 0ctobre 2003, le Tchad lançait la production de son pétrole. Dix ans après, si l’on en croit Christian Lenoble, le Directeur général de TOTCO(Tchad Oil Transportation Co.) et de COTCO(Cameroon Oil transportation Co.), les champs pétroliers du Sud auraient produit plus de 500 millions de barils qui ont généré plus de 10,2 milliards de dollars US soit environ 5 000 milliards de FCFA. La région productrice, grâce au 5% qu’on lui verse, aurait engrangé autour de 81 milliards de FCFA.
Le budget de l’Etat tchadien a aussi prix l’ascenseur passant du simple au double. Le pétrole devrait en fait sortir le Tchad du sous-développement. A la fin des années 90 et au début des années 2000, la société civile s’est opposée a cette exploitation parce qu’elle estimait qu’il n’y a pas suffisamment des garanties pour la bonne gestion de ses revenus et qu’il n’y avait pas aussi suffisamment des mesures prises pour protéger l’environnement. Dix ans après, ces hérauts de la société civile semblent malheureusement avoir raison contre leurs détracteurs. Au milieu des années 2000, le Tchad a été classé en tête du hit parade des pays les plus corrompus par Transparency International. Quelques années plus tard, ce sont les fonds pour les générations futures qui ont été supprimés, hypothéquant ainsi l’avenir des enfants de ce Tchad qui est appelé à jouer un rôle moteur dans la sous-région dans les prochaines années.
Comble de l’ubuesque : le Tchad, pays pétrolier depuis 2004, produisant plus de 120 000 barils/jour, connaît actuellement une des plus graves crises énergétiques de son Histoire. L’épicentre de l’épineux problème se situe dans notre capitale, Ndjamena, où depuis que quelques jours, le litre d’essence se négocie aux tarifs faramineux de 1500 à 2000 Francs CFA le litre (2,25 à 3 euros). La situation est d’autant plus dramatique que la pénurie est survenue en pleine fête du Tabaski (Aïd-al-Adha) et a empêché les tchadiens de respecter la tradition en allant visiter leur famille. Cette hausse brutale du coût de l’essence est à ajouter à la cherté exponentielle de la vie (7 % d’inflation l’année dernière), où même les produits de première nécessité deviennent inaccessibles à des habitants pour lesquels les salaires n’augmentent pas.
Ce prix exorbitant de l’essence est à mettre en comparaison avec le coût du carburant dans d’autres pays africains producteurs de pétrole. Au Gabon, il demeure relativement stable, oscillant entre 430 et 480 Francs CFA, de 3 à 4 fois moins cher. Au Congo, il fluctue entre 540 et 595 Francs CFA pour le super et 400 à 475 Francs pour le gasoil. Prenons maintenant un pays non-pétrolier tel que le Togo : le coût du super est de 655 Francs, bien loin de l’inflation que connaît actuellement notre nation. Pourtant, lorsque la raffinerie de Djermaya a été inaugurée en 2011, les autorités et au premier rang desquels Deby avaient promis un prix de l’essence inférieur à 500 Francs CFA. Trois ans plus tard, le constat est accablant. La raffinerie a fermé à plusieurs reprises et n’a jamais été capable de fournir la quantité suffisante de pétrole transformé pour atteindre un tel niveau de prix. Mais il y a plus grave : cette augmentation subite est à mettre sur le compte de proches de pouvoir, et notamment d’Haoua Daoussa Deby, DGA de la raffinerie. Ceux-ci stockent des citernes d’essence, afin de créer artificiellement une augmentation des prix en jouant sur les lois de l’offre et de la demande. Ils font également commerce de certaines citernes avec la Centrafrique, où la demande est encore plus forte et les prix plus élevés. On assiste donc à une véritable prédation des biens de première nécessité par des personnes gravitant autour du chef de l’Etat, sur le même modèle que celui qui a prévalu lorsque le frère de Deby, Daoussa, a sciemment coulé la Compagnie sucrière pour importer son propre sucre du Soudan, à des tarifs beaucoup moins compétitifs.
Depuis un certain temps, des grèves et diverses manifestations hostiles au gouvernement, aussi bien dans le secteur public que celui du privé, se multiplient dans le pays. En voici quelques exemples :
Le 14 mars dernier, le syndicat national des Médecins tchadiens a appelé à observer une grève de deux jours pour protester contre l’assassinat crapuleux, à Ndjaména, en plein jour, d’un médecin, par des criminels qui se sont emparés de sa moto. Des dirigeants de ce syndicat qui ont été reçus par le Premier ministre, ont exigé que justice soit rendue.
Le 19 mai, ce sont les avocats qui sont entrés en grève pour protester contre les poursuites à l’encontre des confrères et un huissier, accusés à tort, d’escroquerie dans le cadre d’un conflit social.
Récemment, une centaine de réfugiés tchadiens refoulés de la Centrafrique, mal accueillis, ont occupé pendant quelques heures, une radio de la capitale pour manifester leur mécontentement et témoigner de leurs conditions déplorables dans des camps.
Mais la grève qui a fait tache d’huile est celle des travailleurs du secteur pétrolier : le 9 mars, plus d’un millier d’employés des entreprises du pétrole de Bongor et de Moundou (au sud du Tchad) sont de nouveau entrés en grève pour réclamer cette fois, essentiellement, une augmentation de salaire qui leur a été promise lors des négociations passées. Un délégué du syndicat des travailleurs au sein des entreprises chinoises explique : « Nous sommes encore repartis à la table des négociations, et là, les gens nous ont fait une proposition de 2 % sur notre salaire. Or nous, on a demandé 200 %. Par rapport à ce qu’on a demandé, leur proposition c’est une injure à notre égard. Et on ne peut pas accepter. Quand on quitte Ndjamena pour le chantier, c’est 400 kilomètres. Et là, les gens nous donnent 3 000 francs pour ces trajets. Et c’est avec ça qu’on doit payer le taxi de chez nous jusqu’au bureau, et puis prendre la route pour le chantier. Et avec 3 000 francs ça ne peut pas marcher ».
Rappelons que les travailleurs de ce secteur pétrolier avaient décidé en janvier 2013 d’élire leurs délégués pour leur permettre de mener légalement leurs luttes. Mais la direction avait refusé de reconnaître leurs représentants. Ils s’étaient mis en grève de trois jours reconductibles, pour la reconnaissance des délégués, mais aussi l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, la revalorisation des salaires de 200% et le départ de certains directeurs hostiles à la mise en place d’un syndicat.
Au troisième jour de grève, la direction avait accepté de négocier ; elle avait reconnu les représentants des travailleurs et promis d’augmenter les salaires. Mais jusqu’à présent, elle n’a rien fait. Alors le 9 mai dernier, les travailleurs sont repartis en grève.
Ce sont les conditions de vie difficiles qui poussent les travailleurs à manifester pour des augmentations de salaires. Les prix des produits de base tels que le mil, le riz, la viande ou le poisson sur les marchés continuent de grimper alors que les salaires ne suivent pas. Le smig porté par décret présidentiel en de 30.000 franc CFA à 60.000 CFA n’est pas appliqué dans les faits. Si les travailleurs et les petites gens vivent dans la misère, ce n’est pas le cas d’une petite couche de parasites privilégiés qui, grâce aux détournements des retombées des revenus pétroliers, vivent dans un luxe insolent. Un nouveau quartier de ces « nouveaux riches » est construit de toutes pièces au nord de la capitale. Dans ce quartier l’électricité et l’eau potable ne manquent pas, jour comme nuit, alors que dans les anciens et nouveaux quartiers populaires, le courant et l’eau potable manquent ou n’existent pas.
Les travailleurs ne baissent pas les bras ; ils continuent de se battre pour les augmentations des salaires et l’amélioration de leurs conditions de vie. Mais les patrons et les dirigeants politiques à leur service refusent de les satisfaire. Peut-être qu’il faudrait un coup de colère du monde du travail et des catégories sociales déshéritées, leur faire peur, pour les obliger à satisfaire leurs revendications légitimes.
Ils revendiquent entre autre l’obtention du terrain de Toukra promis par l’Etat et et le deblocage du fond de formation de formateur. Les enseignants chercheurs de la section SYNEC de l’université de N’Djamena decident d’observer, lundi 13 octobre 2014, une grève sèche et illimitée afin d’obtenir satisfaction de leur revendication. Ils revendiquent entre autre l’obtention du terrain de Toukra promis par l’Etat et et le deblocage du fond de formation de formateur.
Pour accueillir la kyrielle de dictateurs au sommet de l’Union Africaine (U.A.) à Ndjamena, les autorités tchadiennes ont fait construire dans un quartier populaire, des centres de conférences, des hôtels de luxe, etc. Pour que ce bâtiment ne côtoie pas la misère alentour, cette corniche de Ndjaména a été vidée de ses occupants pauvres. Leurs maisons en terre battue ont été rasées au bulldozer, sans indemnisation. Des terrains ainsi libérés tout autour de ce futur « centre de conférences » ont été aussitôt attribués, par décret présidentiel, à d’autres personnes. Parmi ces heureux propriétaires se trouvent des barons du gouvernement, des élus et surtout des membres de la famille de Deby et ceux de son clan.
Déguerpir des Tchadiens pauvres pour céder leurs terrains à des Tchadiens riches, c’est injuste ! Mais c’est la triste vérité de la politique favorable aux privilégiés, aux dirigeants.
Ce « déguerpissement » rappelle, il y a environ un an et demi, une autre méthode utilisée par le pouvoir en place pour exproprier des pauvres de leurs habitations. Récemment, à Ndjaména ont été tracées des rues goudronnées, sans caniveaux, sans électricité, dans plusieurs quartiers populaires. Par la suite il a été décidé que toutes les habitations situées au bord de ces voies soient en dur. Un délai a été défini. Mais les pauvres gens qui n’ont pu se conformer à ce diktat, étaient obligés de vendre leur maison voire leur concession, à vil prix. A force de vouloir jouer à ce jeu, le gouvernement risque un jour de déclencher une grosse colère de la part des masses populaires qui lui feront ravaler ses mesures impopulaires et son arrogance.
Depuis un certain temps, des rumeurs ont circulé selon lesquelles l’on trouvait de l’or à fleur de terre dans les régions désertiques du Tibesti, à l’extrême nord du Tchad, du Niger sur le plateau du Djado et le long de la frontière entre les deux pays. C’est la ruée vers l’or : des milliers de personnes, d’anciens rebelles laissés-pour-compte, des « combattants » de la garde présidentielle de Deby qui désertent avec armes et véhicules 4x4 de service et surtout des jeunes sans travail, en particulier de Ndjaména, se sont rués vers ces trois zones. Parmi ces chercheurs d’or, se glissent des Nigériens, des Nigérians, des Soudanais et des Libyens. Certains orpailleurs utilisent des détecteurs de métaux pour la prospection. Le gouvernement nigérien estime entre 27.000 et 30.000 le nombre d’orpailleurs opérant sur son territoire.
Très vite la tension est montée parmi les orpailleurs, des conflits d’intérêts éclatent. Le 13 août dernier, des affrontements sanglants entre orpailleurs ont eu lieu au nord du Tchad : 30 morts et plusieurs blessés. Le dictateur Deby qui craint que ces affrontements ne se retournent contre lui et son régime, et ne remettent en cause son autorité dans cette zone, s’est rendu précipitamment à Faya-Largeau, capitale régionale du Borkou, pour rencontrer les notables, chefs de tribus et chefs religieux, annulant son voyage en France où il devait assister à la commémoration du débarquement en Provence. Deby a d’abord ordonné aux autorités locales d’interdire aux orpailleurs l’accès dans les différents sites de prospection ; ensuite sous prétexte de « pratique illégale d’orpaillage », de « détention d’armes et d’engins interdits », il a envoyé une unité d’élites de sa protection massacrer les orpailleurs. Il y a eu des morts ; les survivants sont dépossédés de leur matériel de prospection, leurs moyens de communications et leur or et argent, et sommés de quitter les lieux. Selon les autorités, 500 chercheurs d’or ont été arrêtés et jetés en prison à Koro Toro (région du Borkou), en plein désert. Parmi eux se trouvent 179 Soudanais qui seraient libérés et expulsés vers le Soudan.
Contre les opposants et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec sa politique ou qui la critiquent, Deby a toujours utilisé la manière forte pour les éliminer ou les faire taire. La répression contre les orpailleurs en est une nouvelle illustration.
Au Niger, les dirigeants ont choisi une autre voie pour régler le problème des orpailleurs. Dès septembre, tous les chercheurs d’or pourront exercer librement, sur tout le territoire, à condition de s’acquitter d’une carte d’exploitation qui coûte 2.000 francs CFA, valable un an. Ceux qui ont un peu plus de moyens pourront même exploiter une parcelle de terrain, pour 20.000 CFA par an. Au Tchad, un tel dispositif n’est pas encore envisagé. C’est la force qui prime. Mais même si cela y était instauré, ça ne ferait que favoriser ceux qui auront les moyens de s’acquitter d’une telle redevance, au détriment de ceux qui ne possèdent presque rien.
Décidément l’argent du pétrole qu’il vole lui tourne la tête. Le dictateur Deby vient d’acheter à la Russie des Mig-29 (leur nombre et le coût sont tenus secrets) pour son armée déjà suréquipée. Le prix d’achat des Mig, décidé après de laborieuses négociations entre les représentants des États, tournerait autour de 30 millions de dollars l’unité. Si Deby en a commandé une dizaine par exemple, cela ferait une sacrée somme d’argent de l’État gaspillée alors qu’elle pourrait servir à améliorer les conditions de vie des travailleurs de ce pays. Récemment il a répondu aux ouvriers du site pétrolier de Moundou et Doba (sud du pays) en grève pour des augmentations de salaires qu’il n’y avait pas d’argent dans les caisses de l’État pour satisfaire leurs revendications. Sous le même prétexte, il a refusé de prendre en compte les revendications des travailleurs de la Fonction publique qui réclamaient, eux aussi, des augmentations de salaires. Alors où a-t-il trouvé l’argent pour payer cash ces avions de combat ? Depuis son arrivée au pouvoir en 1994, grâce au soutien actif du gouvernement français, l’aide militaire de cette ancienne puissance coloniale lui suffisait pour massacrer les rebelles qui tentaient de renverser son pouvoir dictatorial. En 2008 par exemple, des rebelles étaient aux portes de Ndjaména. Mais grâce à l’intervention des hélicoptères de combat de la France, les assaillants avaient été vaincus.
Alors pourquoi a-t-il acheté des avions ? Peut-être qu’il veut un peu montrer son « indépendance » vis-à-vis de l’ex-puissance coloniale. Avec les Mig-29, il n’aura pas besoin de quémander l’aide des avions de combat des troupes françaises, aide qui peut être parfois refusée. Peut-être aussi qu’il veut se montrer comme un puissant acteur sous-régional sur le plan militaire, à cause de ses interventions au Mali et en Centrafrique. Mais l’achat des Mig lui permet surtout de toucher des rétrocommissions importantes sans trop attirer sur lui des regards indiscrets.
Nos dirigeants ont mille manières de détourner l’argent des caisses de l’État pour leurs intérêts personnels. Que les masses laborieuses croulent dans la misère, ce n’est pas leur problème.
Le président tchadien Idriss Déby a été mis en garde au sujet du projet de loi homophobe actuellement examiné par le Parlement : son adoption constituerait une violation flagrante des obligations incombant au Tchad en termes de droits humains. Dans une lettre ouverte publiée début octobre, le secrétaire général d’Amnesty International, Salil Shetty, appelle le président à abandonner ce projet de loi qui exposerait les personnes « déclarées coupables » de relations homosexuelles à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 20 ans et à de lourdes amendes.
« Si ce projet de loi homophobe est adopté, le président Idriss Déby bafouera de manière flagrante les obligations régionales et internationales relatives aux droits humains. Il privera les citoyens de leur droit à la vie privée, institutionnalisera la discrimination et permettra la stigmatisation et le harcèlement de ceux qui sont ou sont considérés comme homosexuels – quel que soit leur comportement sexuel, » a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
« Le président Idriss Déby doit intervenir sans délai et bloquer ce projet de loi, afin de ne pas exposer des personnes à des risques accrus de violences et d’atteintes aux droits humains en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelle ou présumée, et pour qu’elles puissent au contraire vivre dans l’égalité, dans la dignité et sans peur. »
Le Code pénal approuvé en septembre par le gouvernement tchadien prévoit la criminalisation des rapports entre personnes de même sexe. Il prévoit des peines allant de 15 à 20 années d’emprisonnement, et des amendes allant de 50 000 à 500 000 francs CFA (soit d’environ 100 à 1 000 euros). Il doit désormais être examiné et peut-être adopté par le Parlement.
Amnesty International considère ce projet comme une régression considérable au regard des droits humains au Tchad. Il constitue une violation des obligations régionales et internationales du pays. Selon la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à laquelle le Tchad est partie, toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur et de sexe, et toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.
Par ailleurs, ce texte fait preuve d’un irrespect total envers une résolution historique adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2014, qui condamne les actes de violence, la discrimination et les autres atteintes aux droits humains dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
Deux leaders syndicaux tchadiens ont été arrêtés vendredi soir et samedi sans que l’on en connaisse les motifs, a appris l’AFP de source syndicale samedi, alors que les travailleurs du secteur public revendiquent des augmentations de salaire et observent une "grève perlée". "Hier soir des policiers en civil sont venus au domicile de Barka Michel (cadre de la Conféderation libre des travailleurs tchadiens, CLTT) pour lui dire que le ministre de l’Intérieur avait besoin de lui. Il est parti avec eux depuis hier soir et depuis nous sommes sans nouvelles", a affirmé à l’AFP le porte-parole de la Conféderation de syndicat des travailleurs tchadiens (CSTT) André Kodjimadingar. M. Kodjimadingar a précisé que "Mangaral Nadjiyama (président des anciens employés de la Tchad Cameroun Constructor, TCC) a été arrêté ce matin et se trouve au commissariat de police". Selon un proche de M. Mangaral, les ex-employés de la TCC préparaient "une marche pacifique pour revendiquer leurs droits". Il n’a pas été possible de connaître les motifs de ces arrestations. Vendredi, les travailleurs du secteur public, en grève depuis le 25 octobre ont suspendu leur action pour poursuivre les négociations tout en menaçant de cesser le travail à nouveau mercredi. "Nous suspendons la grève à partir de ce vendredi pour la reprendre dès mercredi prochain", avait annoncé Brahim Ben Seid le secrétaire général de la CLTT auquel appartient Michel Barka, ajoutant que "les travailleurs sont disposés à maintenir le dialogue avec le gouvernement". Le secrétaire général de l’Union des syndicats du Tchad (UST) François Djondang avait indiqué que les syndicats avaient opté "pour cette forme de grève dite perlée pour laisser le champ libre aux négociations" en soulignant que le président Idriss Deby Itno leur avait proposé une augmentation de "20% seulement, au lieu de 100% comme nous demandons". "Nous comprenons la situation des travailleurs. Mais nous sommes à pied d’oeuvre pour satisfaire à leurs revendications", avait déclaré le 25 octobre un responsable du ministère de la Fonction publique Toïna Tondjibaye, demandant aux travailleurs de suspendre leur grève, afin de laisser le temps au gouvernement.
Les syndicats de salariés tchadiens d’un consortium chinois d’exploration pétrolière opérant dans le sud du Tchad ont appelé dimanche à une grève reconductible pour obtenir des augmentations de salaires, a-t-on appris de source syndicale. Nous avons remis depuis l’année dernière notre cahier de doléances au directeur général de la société pour réclamer une augmentation de salaire, mais il est resté sans suite, a indiqué à l’AFP Lagmet Harge, responsable syndical au sein du consortium formé par les sociétés Great Wall Drelling Corporation et China National Logging Corporation. Nous avons exigé 200% d’augmentation mais la société nous propose seulement 2%, alors que nous ne bénéficions d’aucun autre avantage, même pas les primes de risques. Nous avons refusé cette proposition, a-t-il dit, ajoutant : nous avons alors entamé aujourd’hui (dimanche) une grève de trois jours renouvelable jusqu’à la satisfaction de notre revendication.
Les responsables de la société ont écrit des lettres de menace contre ceux de nos collègues qui refusent de reprendre le travail. Mais nous ne céderons pas face à cette menace, a-t-il affirmé. Les deux sociétés chinoises, qui emploient environ 1.500 Tchadiens, font de la prospection dans le bassin de Bongor, au sud-ouest de N’djamena.
Les autorités tchadiennes ont déjà été en conflit avec des compagnies chinoises exploitant du pétrole dans leur pays. En août 2013, le gouvernement de N’djamena avait ainsi suspendu les activités de la filiale tchadienne de la compagnie pétrolière publique chinoise (CNPCIC) pour violations flagrantes des normes environnementales dans ses forages d’exploration de brut dans le sud du pays.
Le Tchad a commencé à exploiter ses gisements pétroliers en 2003. Selon des sources officielles, la production était de l’ordre de 120.000 barils/jour en 2011.
Les revenus pétroliers lui ont permis de moderniser son armée, de se doter d’un meilleur réseau routier et de construire de nombreux bâtiments publics. Mais certains membres de la société civile demandent au régime d’employer davantage cette manne pour l’amélioration des conditions de vie de la population.
L’Union des syndicats du Tchad (UST) entame lundi une septième semaine de grève dans le secteur public et parapublic pour revendiquer l’application d’un protocole d’accord, paraphé en novembre 2011 avec le gouvernement et qui porte sur l’augmentation des salaires, menaçant de radicaliser le mouvement si le gouvernement ne revient pas sur sa décision de ne pas payer aux grévistes le salaire du mois d’août.
Jeudi dernier, face à la presse, le ministre tchadien des Finances et du Budget, Christian Georges Diguimbaye, a annoncé que les salaires du mois d’août seront versés seulement aux agents de l’Etat non-grévistes. "L’UST doit prendre ses responsabilités et s’acquitter de la rémunération de ceux des agents qui ont respecté son mot d’ordre de grève", a-t-il précisé. Début août, il avait déjà ordonné la suspension, pendant quelques jours, du paiement des salaires du mois de juillet.
Le secrétaire général adjoint de l’UST, Adjia Djondang François, a affirmé que le ministre Diguimbaye "n’a pas l’autorité de couper le salaire".
Au cours de leur dernière assemblée générale, tenue le week-end dernier, les salariés ont protesté bruyamment contre la décision ministérielle. "Si le salaire n’est pas versé à tous les travailleurs jusqu’au 8 septembre, le 9 nous entamerons une grève sèche et illimitée dans tous les services qui, jusque-là, observent le service minimum y compris dans les hôpitaux", ont-ils décidé.
"Le gouvernement pense qu’en refusant de payer le salaire, les grévistes seront obligés de reprendre le travail. Cette situation n’est pas la première puisque les travailleurs ont eu déjà à faire face à une telle situation dans le passé où ils ont eu à passer des mois sans salaire et ils n’en sont pas morts", rappelle le secrétaire général de l’UST.
Dès les premières heures de leur mouvement, de nombreux communiqués de soutien au mouvement des travailleurs sont enregistrés quotidiennement dans les médias nationaux, émanant des partis politiques, associations de la société civile et particuliers. Le secteur privé a même observé, la semaine dernière, une journée de grève pour soutenir le public et le parapublic.
C’est de la récupération politique, estime le gouvernement, face à ces soutiens incessants au mouvement des travailleurs. Samedi dernier, le Secrétaire général à la présidence de la République, Adoum Younousmi, l’a rappelé aux leaders syndicaux.
"L’UST est composée d’une multitude d’organisations affiliées qui, en leur sein, ont des milliers de militants et d’adhérents. Quel est le parti politique qui pourrait venir manipuler tout ce beau monde où chacun a son obédience politique ? ", s’interroge Adjia Djondang François, qui dit ne pas comprendre "les velléités" du gouvernement.
L’affaire remonte au 21 janvier 2011 lorsque le président Déby Itno relève, par décret, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) et le Salaire minimum agricole garanti (SMAG) à 60. 000 F CFA.
Ces nouveaux SMIG et SMAG devraient être déroulés sur tous les salaires de toutes les catégories socioprofessionnelles au niveau national. Ainsi, le gouvernement met sur pied deux commissions chargées d’étudier la question distinctement au niveau du secteur privé et du secteur public.
La grille du privé est validée par le Haut comité de travail et de sécurité et consignée dans le décret n°1111 du 18 octobre 2011 ; celle du secteur public a été validée par le Comité consultatif de la fonction publique au cours de sa réunion du 18 octobre 2011 et envoyée au gouvernement.
La nouvelle grille comprend trois éléments : les pas d’avancement d’un échelon à un autre, les indices qui doivent être majorés de 300 points et la valeur du point d’indice qui passe de 115 à 160.
Mais le décret de promulgation de la nouvelle grille du secteur public tarde à voir le jour. L’UST est obligée d’appeler ses militants à observer une grève pour réclamer son approbation. Le mouvement dure plusieurs semaines.
Après deux implications du chef de l’Etat, le gouvernement décide de fractionner les 300 points d’indice sur trois ans : 60 points en 2012, 120 points en 2013, et 120 autres points en 2014.
L’Etat fait face à de nombreuses difficultés financières et ne peut pas payer, en une seule fois, la masse salariale due aux 300 points, explique le Premier ministre, Emmanuel Nadingar. L’UST accepte la proposition gouvernementale et un protocole d’accord est signé le 11 novembre 2011 à cet effet.
Au sein de la centrale syndicale, l’on soutient aujurd’hui que la grève, qui a été déclenchée le 17 juillet 2012, est intervenue par la faute du gouvernement.
"C’est à cause de son refus de respecter ses engagements contenus dans le protocole d’accord, ainsi que la non application du décret 1111, que l’UST est allée en grève pour contraindre le gouvernement à revenir à la raison", explique Adjia Djondang François.
Le gouvernement estime que le niveau actuel d’application du protocole d’accord est "acceptable" et que "l’UST ne doit bloquer le fonctionnement des structures de l’Etat par une grève qui ne justifie pas".
"Les salaires prendront, d’ici au 31 décembre 2012, plus de 80% des recettes hors pétrole (dont le Tchad est producteur et exportateur depuis 2003, Ndlr), soit 283,2 milliards F CFA inscrits au budget 2012. Or dans ce pays, nous devons faire face à des besoins et demandes sociales dans les domaines de la santé, de la sécurité alimentaire, de l’éducation, de l’emploi et des infrastructures routières", a déclaré le Premier ministre tchadien, Emmanuel Nadingar, à la cinquième semaine du mouvement.
L’Union des syndicats du Tchad (UST) a déclenché, à partir de ce lundi, une nouvelle grève d’une semaine dans le secteur public et parapublic pour revendiquer l’application d’un protocole d’accord signé en novembre dernier et dont le gouvernement fait une lecture très différente.
"Nous n’avons pour le moment rien obtenu de la part du gouvernement concernant nos revendications", déclare Adjia Djondang François, secrétaire général de l’UST. Après la grève de trois jours observée la semaine dernière, les membres de la plus grande centrale syndicale du Tchad ont multiplié les rencontres avec des responsables gouvernementaux ( dont le Premier ministre Emmanuel Nadingar), mais toutes ont accouché d’une souris. Réunis en assemblée générale samedi à la Bourse du travail, ils ont durci le ton et décidé d’une nouvelle grève d’une semaine, renouvelable automatiquement si le gouvernement ne satisfait pas leurs revendications.
En novembre 2011, après trois semaines de grève, le président Déby Itno a accepté de signer la nouvelle grille salariale des fonctionnaires. Il a ensuite promulgué un décret qui approuve et rend exécutoire les grilles salariales consécutives au relèvement du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) et du Salaire Minimum Agricole Garanti (SMAG) dans le secteur privé. Selon le protocole d’accord de novembre 2011, sur les 300 points que les fonctionnaires ont exigé sur leurs indices salariaux, le gouvernement leur concèdera 60 points dès l’année 2012. Les 240 points restants seront répartis sur les deux années suivantes, compte tenu de l’amélioration de la situation financière de l’Etat.
Mais au lieu de recevoir 60 points comme cela est dit, certains fonctionnaires se retrouvent depuis janvier 2012 (date d’entrée en vigueur du protocole d’accord) avec des salaires moindres que ceux qu’ils percevaient avant et avec 1.000 F CFA ou 2.000 F CFA d’augmentation. "Ce n’est vraiment pas les termes du protocole d’accord", déplore Adjia Djondang François.
Pour Hassan Sylla Bakari, ministre de la Communication et porte- parole du gouvernement, l’application de la grille salariale convenue avec les partenaires sociaux aura une incidence financière de 12,5 milliards F CFA : 2,5 milliards F CFA en 2012 ( soit les 20% des 300 points) ; 5 milliards F CFA en 2013 (40% des 300 points) et 5 milliards F CFA en 2014 (40% restants des 300 points).
Se basant sur le principe universel de reversement selon lequel les fonctionnaires sont reversés de l’ancienne grille à la nouvelle à un indice égal ou à des taux immédiatement supérieurs, le porte-parole du gouvernement tchadien affirme que le fonctionnaire de l’indice le plus bas bénéficiera de 60 points d’indice, alors que ce n’est pas systématique pour celui qui le suit.
"C’est partant de ce principe que la grille a été appliquée. Il ne s’agit nullement d’ajouter de façon linéaire 60 points d’indice aux salaires de tous les fonctionnaires", explique-t-il. Car une application linéaire de la grille induirait, selon lui, une incidence financière globale de 36 milliards F CFA sur les trois ans.
"Toutefois, dans sa volonté de préserver la paix sociale, le gouvernement a décidé de faire des ajustements pour que les agents de l’Etat qui n’ont pas vu leurs salaires évoluer au cours du premier semestre de l’année 2012, puissent bénéficier d’un léger aménagement en dépit du principe de reversement universel", affirme Hassan Sylla Bakari. "Ce léger aménagement", c’est au total 850 millions F CFA.
Par ailleurs, le porte-parole du gouvernement précise qu’en ce qui concerne le passage de la valeur du point d’indice de 115 à 150, aucune allusion n’a été faite dans le protocole d’accord, et c’est pour cette raison que ce point doit faire l’objet de négociations futures. Il rappelle que le gouvernement reste ouvert au dialogue et aux échanges avec ses partenaires sociaux. Il invite, enfin, "tous les agents de la Fonction publique à reprendre normalement leurs activités d’autant plus que le dialogue se poursuit pour trouver une solution aux questions posées par l’Union des syndicats du Tchad".
"Nous n’avons rien à négocier avec le gouvernement puisque tout a été déjà négocié ; le décret 1249 et le protocole d’accord sont là et il faut seulement aller à leur application", répond Adjia Djondang François.
Pour le leader syndical, il n’est pas question surseoir à la grève pour pouvoir entamer des discussions. "Les négociations peuvent être tenues ou poursuivies pendant le délai de la grève. Si la semaine (de la grève, Ndlr) passe et que rien n’est fait, la semaine qui suivra sera alors une grève beaucoup plus dure, c’est- à-dire sans service minimum", prévient-il.
Pendant les trois jours de grève de la semaine dernière, les personnels réduits qui assuraient le service minimum dans les hôpitaux et centres de santé de la capitale et des villes de province ont été débordés par les malades. Les transports en commun, tenus par des particuliers, n’ont pas été touchés par la grève. Dans les écoles, c’est le désert naturel, enseignants et élèves sont déjà en vacances. "Il n’y a que les décrétés ( fonctionnaires nommés à des postes par décret, Ndlr) qui vont au bureau, de peur de perdre leur place. Mais partout où nous avons circulé, à part les banques dont la situation salariale des employés a été arrangée in extrémis par un arrêté, les bureaux du public, quand bien même ouverts, n’ont pas été fonctionnels", ont affirmé de nombreux grévistes à l’assemblée générale de samedi.
Le secrétaire général de l’UST appelle "ses camarades à une mobilisation forte". Selon lui, sa centrale a le soutien du Collectif des associations de défense des droits de l’Homme, de la Convention de défense des droits humains, de la Confédération syndicale internationale (basée à Bruxelles) et de sa section Afrique à Lomé, au Togo.
La Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), qui a signé avec l’UST en 1992 un protocole d’accord pour la promotion et la protection des droits sociaux et économiques, soutient également la grève des syndicats. "Les travailleurs perçoivent des salaires qui ne leur permettent pas de faire face à leurs besoins, tant la vie devient outrageusement chère. Ensuite, nous faisons face à des mesures impopulaires et injustes que le gouvernement actuel, dopé par de gros revenus que génère le pétrole, exerce sur la population en lui tournant complètement le dos", dénonce son président, Massalbaye Ténébaye.
Ces mesures sont les déguerpissements, les expropriations pour cause d’utilité publique, l’interdiction des activités sur les fleuves (transport, pêche et blanchisserie), le port des casques pour les motocyclistes, sans oublier l’insécurité.
Unies devant cette "situation intenable", l’UST et la LTDH entendent mobiliser d’autres forces pour "contraindre le gouvernement à revenir à de bonnes pratiques". "En tant qu’observateurs et respectueux de la loi, pas comme le gouvernement, les actions que nous mènerons avec l’UST et les autres organisations de la société civile, se feront dans la légalité, de manière démocratique et pacifique", précise Massalbaye Ténébaye. Dans les rangs des travailleurs, l’on se félicite de tous ces soutiens affichés ou potentiels, mais l’on reste lucide. "Nous entrons dans une période très difficile de soudure et il faut absolument que nous arrivions à faire face à cette situation", prévient Adjia Djondang François.
Au Tchad, la période de soudure est la période de l’année comprise entre juin et septembre, synonyme de pluies et d’austérité. Elle coïncide, cette année, avec le ramadan qu’observent depuis vendredi les fidèles musulmans qui représentent plus de la moitié de la population estimée à 11 millions d’habitants.
"Le collectif budgétaire n’est pas encore bouclé et nous pensons qu’il pourra valablement prendre en compte les revendications des travailleurs si volonté politique d’y arriver est là de la part du gouvernement", conclut Adjia Djondang François. L’Assemblée Nationale, qui doit voter un collectif budgétaire ( si le gouvernement y voit la nécessité), est en vacances jusqu’au 5 octobre.
En grève, les fonctionnaires tchadiens appellent le secteur privé à manifester à leurs côtés.
La grève des travailleurs du secteur public tchadien se poursuit. Ils réclament l’application des augmentations de salaires signées dans un accord avec le gouvernement à la fin de l’année 2011. Cinq semaines de grève n’ont pas fait bouger les lignes. Du coup, les travailleurs du public appellent leurs collègues du privé à rejoindre le mouvement en signe de solidarité.
La semaine a commencé comme les autres. Dans les hôpitaux, c’est le service minimum. On arrive à se faire soigner si l’on sait être patient. Dans les autres services de l’administration comme la Fonction publique, les Affaires étrangères ou encore la Justice, beaucoup de fonctionnaires se présentent pour éviter d’être pointés grévistes. Mais en réalité, ils ne travaillent pas.
Jeudi 16 août, le Premier ministre Emmanuel Nadingar a rencontré les responsables de l’Union des syndicats du Tchad (UST), pour essayer de les persuader de suspendre la grève. « Vos revendications sont légitimes mais seulement l’Etat n’a pas les moyens de les satisfaire tout de suite », leur a-t-il expliqué. En gros, rien de nouveau...
Côté syndicats, on envisage de rendre plus visibles les actions, en demandant au secteur privé de faire une grève au nom de la solidarité des travailleurs. C’est ce qu’explique François Djondang, secrétaire général de l’UST : « L’assemblée a appelé les camarades du secteur privé à un élan de solidarité syndicale, pour qu’avec leur action, le mouvement que nous avons entamé il y a cinq semaines soit beaucoup plus ressenti et puisse amener le gouvernement à revoir sa position figée. »
Les concertations sont en cours entre syndicats du public et du privé pour déterminer la date de cette grève de solidarité qui sera fixée au cours de l’assemblée générale des travailleurs le samedi 25 août.
Les travailleurs étaient venus nombreux à la Bourse du travail, ce samedi matin 8 septembre, obligeant la police à dévier la circulation. L’objectif de la réunion était de décider d’une grève sèche à partir de lundi parce que les salaires du mois d’août n’ont pas été versés.
Au Tchad, les leaders religieux jouent les médiateurs. Ils ont proposé leurs bons offices pour mettre fin à la crise sociale qui oppose les travailleurs du secteur public et les autorités. Les fonctionnaires sont en grève depuis plus d’un mois et demi pour obtenir l’application d’un accord d’augmentation de salaire. Ils s’apprêtaient d’ailleurs à déclencher ce qu’ils appellent une grève sèche, c’est-à-dire sans aucun service, pour la semaine prochaine, en réaction aux menaces du ministre des Finances de ne pas payer les salaires aux grévistes. Ils ont cependant repoussé d’une semaine cette décision après l’entrée en lice de ces leaders religieux.
Les travailleurs étaient venus nombreux à la Bourse du travail, ce samedi matin 8 septembre, obligeant la police à dévier la circulation. L’objectif de la réunion était de décider d’une grève sèche à partir de lundi parce que les salaires du mois d’août n’ont pas été versés. Seulement à quelques heures de la réunion, l’archevêque de Ndjamena, le président du Conseil supérieur des affaires islamiques et le secrétaire général de l’Entente des Eglises et missions évangéliques au Tchad ont convié les responsables de l’Union des syndicats du Tchad à une rencontre pour leur dire ceci : « Les sept semaines de grève et les différentes déclarations nous ont conduits à une situation de tension extrême. La moindre étincelle risque de provoquer des troubles graves. C’est pourquoi nous vous demandons de suspendre la grève pour faire baisser la tension et nous permettre de nous rapprocher des autorités en vue d’une médiation. »
Réponse des syndicats : « Nous allons consulter l’assemblée générale avant de vous répondre. »
Les travailleurs n’ont finalement pas accepté de suspendre le mot d’ordre de grève. En revanche, ils repoussent d’une semaine l’échéance de la grève sèche. Pendant ce temps, la grève est maintenue avec un service minimum assuré.
Nous citons ici deux articles plus anciens (2009 et 2010) à lire également :
Le lundi 8 février dernier, l’UST, l’Union des Syndicats du Tchad, a appelé à un arrêt de travail dans les secteurs publics pour protester contre la dégradation constante des conditions de vie du monde du travail et des couches populaires. Quoiqu’elle n’ait été annoncée que comme un avertissement au gouvernement et limitée par ailleurs à un seul jour, cette grève a connu un franc succès : les principaux secteurs publics n’ont pas ouvert ou ont fonctionné au ralenti ce jour-là.
Dans le climat de morosité politique actuel, caractérisé notamment par le face à face stérile entre, d’un côté, le dictateur Déby et, de l’autre, ses anciens compagnons ou sous-fifres devenus dirigeants de l’opposition parlementaire ou armée, par son objectif, à savoir le refus de voir les conditions de vie des masses populaires se dégrader continuellement, cette grève était non seulement juste mais constituait également un événement politique et social d’une importance majeure. En effet, contrairement à ce qui se fait habituellement, ce que l’UST a mis en avant ce jour-là, ce n’étaient pas les revendications de telle ou telle corporation défendant légitimement ses propres intérêts, mais un problème fondamental, beaucoup plus important et plus profond : celui de la cherté de la vie, dont souffre notamment la majorité opprimée et pauvre du pays.
Mais, paradoxalement, alors que, quelques jours auparavant, au mois de janvier, la nomination d’un Timan Erdimi à la tête de la coalition de l’opposition armée avait fait couler tant d’encre et de salive et suscité plusieurs commentaires, pour la plupart étonnamment élogieux et dithyrambiques, cette grève a été totalement passée sous silence. Malgré la crise sociale actuelle et ses conséquences désastreuses sur la vie de millions de gens, personne n’a daigné saisir la portée politique réelle de cet événement et en parler de façon solidaire. Même ceux qui prétendent combattre la dictature de Déby n’ont pas pris la moindre initiative dans ce sens ! C’est à croire que l’irruption des travailleurs sur la scène politique et sociale n’est pas quelque chose d’important pour nos opposants et leurs comparses, notamment les animateurs du village numérique tchadien où foisonnent tant de charlatans qui, à longueur d’articles, nous abreuvent d’élucubrations, de délires, de chimères et autres propos dont la principale caractéristique est d’être loin, très loin des préoccupations essentielles des masses opprimées !
Alors, à chacun sa solidarité et vive la grève organisée par l’UST !
En effet, dans le contexte politique et social actuel, les travailleurs ont toutes les raisons du monde de ne pas accepter les conditions de vie qui leur sont imposées ! Depuis des décennies, alors que ce sont eux qui créent les richesses, ils ne reçoivent qu’un salaire de misère dont, souvent, dépend la vie de plus d’une dizaine de personnes. Même avec un revenu, ils n’arrivent pas à faire face à leurs différents problèmes et ceux de leurs familles : alimentation, logement, éducation, santé, culture, habillement, loisirs et autres. Ils vivent dans la misère, les maladies, sont écrasés de dettes, malgré, souvent, l’apport de leurs femmes, leurs enfants, leurs frères ou sœurs, obligés de faire de petits boulots pour subvenir aux différents besoins familiaux.
Ces dernières années, cette situation s’est dangereusement détériorée au fur et à mesure que le système capitaliste s’enlise dans ses propres contradictions. Les différentes crises de l’économie capitaliste qui, en 1994, ont entraîné la dévaluation du franc cfa, diminuant ainsi de moitié le pouvoir d’achat des masses laborieuses, ont eu aussi pour effet un formidable renchérissement de pratiquement tous les produits de première nécessité : le riz, le maïs, le mil, la viande, le poisson, mais aussi les médicaments, les fournitures scolaires, le transport, le loyer, les matériaux de construction, les engrais, etc, ont vu leurs prix augmenter vertigineusement, voire, pour certains, doubler ou même tripler.
Mais le pouvoir d’achat des travailleurs n’a pas connu la même hausse que celle de l’inflation. Bien au contraire ! Pendant des années, sous l’instigation du Fonds Monétaire International, les salaires ont été bloqués et, dans certains cas, diminués. L’Etat a également massivement licencié dans la fonction publique. Il s’est aussi progressivement désengagé des principaux services essentiels pour la vie des masses laborieuses, tels que l’Education, la Santé, l’Electricité, l’Eau, les Travaux Publics, la Poste, la Télécommunication, etc : il en a laissé certains à l’abandon et privatisé d’autres. Parallèlement à cela, pour le patronat, il a, par contre, concocté un code de travail fort avantageux lui permettant non seulement de bénéficier d’énormes dégrèvements fiscaux, de licencier à sa guise, mais aussi d’imposer des bas salaires, la précarité et des difficiles conditions de travail à la classe ouvrière.
C’est toute cette politique, favorisant les intérêts des plus riches au détriment de ceux des plus démunis, qui est à l’origine des difficultés énormes et multiples rencontrées de nos jours par les masses laborieuses dans leur existence quotidienne. Alors que le pays n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui, grâce à l’argent du pétrole notamment, les conditions de vie des pauvres sont, paradoxalement, des plus désastreuses : dans les villes comme dans les campagnes, même avec un salaire, bien de familles ont du mal à manger deux fois par jour ; rares sont celles qui ont accès au confort élémentaire, à l’eau potable, à l’électricité, aux soins, à des conditions d’études ou de logement dignes de notre époque, tandis qu’en même temps les moyens colossaux dont dispose l’Etat servent à enrichir les marchands d’armes et autres engins de mort pour protéger la dictature ou, par le biais des détournements des fonds publics, à engraisser une coterie, une minorité de parasites, politiciens corrompus et hommes d’affaires liés par différents bouts au pouvoir, qui s’empiffrent et se vautrent dans un luxe insolent.
Ce qui est à l’origine de la cherté de la vie, ce n’est donc ni un manque de moyens de l’Etat, ni une quelconque raréfaction des produits de première nécessité. Le pays est de loin plus riche qu’avant comme l’illustrent les nombreux signes extérieurs de richesses – belles voitures, somptueuses villas, train de vie - qu’exhibe la bourgeoisie tchadienne. Sur les marchés, il y aussi plus de riz, plus de mil, plus de viande et autres denrées indispensables à la vie qu’autrefois. Par contre, ce qui a changé, c’est tout simplement le fait que ces produits sont aujourd’hui hors de portée des bourses des travailleurs et des couches populaires à cause de la mauvaise répartition des richesses, conséquence du fonctionnement normal du capitalisme qui veut que, forts du soutien de l’Etat à leur service, les riches soient de plus en plus riches et que les pauvres s’enfoncent de plus en plus dans la misère, suivant la dialectique de l’accumulation à un pôle et la paupérisation à un autre.
Aussi les travailleurs qui, à leur manière, ont protesté le 8 février dernier contre cette politique du gouvernement ont–ils eu bien raison de le faire ! Ils ont eu raison de clairement signifier au dictateur Déby et à ses larbins de ministres qu’ils ne pourraient continuer à subir sans réagir les conséquences désastreuses de leur politique sur la vie de millions d’opprimés et d’exclus du pays ! Ils ont eu mille fois raison d’exprimer à ceux qui dirigent leur refus de faire les frais de la crise du capitalisme, ce système dont ces derniers sont les serviteurs et les profiteurs !
Cependant, il ne suffirait évidemment pas d’une journée de grève, même générale et réussie, pour faire plier le dictateur Déby et le patronat, pour les obliger à prendre en considération les aspirations des travailleurs et de l’ensemble des opprimés victimes de la cherté de la vie ! Le pouvoir a d’ailleurs accusé l’avertissement que lui avait lancé l’UST avec beaucoup de mépris : interrogé, le 31 mars dernier, sur la question de la cherté de la vie, Youssouf Saleh, le premier serviteur du dictateur, s’est juste contenté de dire que les bas salaires avaient été augmentés l’année dernière, balayant ainsi, d’un revers dédaigneux de la main, les revendications des travailleurs, comme si la grève du 8 février n’avait justement pas signifié que ces mesures-là sont insuffisantes face à la gravité de la situation. Par conséquent, la journée du 8 février, qui n’a été qu’un avertissement, ne devrait pas rester sans suite.
Mais, pour que les luttes futures soient efficaces et de taille à imposer au dictateur Déby les revendications essentielles et vitales des populations opprimées, il faudrait que les travailleurs tirent les leçons des expériences passées. En effet, depuis la chute du régime sanguinaire d’Hissein Habré et la prise du pouvoir par son ancien chef d’état-major pour continuer la même politique dictatoriale sous de nouvelles formes, nombreuses sont les grèves qui ont éclaté dans le pays. Certaines ont duré des mois, d’autres, des semaines ou des jours. Toutes étaient justes et légitimes. Les travailleurs avaient bien raison de les faire. Pour la plupart, ces grèves ont fait reculer la dictature sur tel ou tel point ou lui en ont imposé d’autres. Elles ont surtout servi de terrains de bataille où se sont formés de véritables militants syndicalistes, combatifs, riches de nombreuses expériences, qui pourront être utiles demain si les masses laborieuses se mettent en branle et cherchent une issue à leur situation.
Cependant, même si ces grèves ont été ponctuées de victoires ici et là, globalement elles n’ont pas fondamentalement changé les conditions de vie des travailleurs. Elles n’ont pas non plus fait mal au pouvoir et aux tenants de l’ordre établi, plus à cause de la stratégie utilisée par les différentes centrales syndicales que par manque de détermination ou d’abnégation de la part des travailleurs en lutte.
En effet, quelles qu’aient été leur légitimité et leur dureté, ces grèves avaient toutes la particularité d’être isolées, éclatées. Elles engageaient une fois les travailleurs de l‘Education, une autre, ceux de la Santé, une troisième, ceux du Transport, sans chercher à entraîner les autres secteurs ou les salariés du privé, ni à offrir une perspective d’ensemble du monde du travail au-delà des chapelles syndicales. Celles-ci n’ont jamais organisé une riposte collective de l’ensemble de la classe ouvrière face aux attaques du pouvoir et du patronat. C’est pourquoi, malgré la combativité des travailleurs, ces luttes n’ont abouti qu’à des miettes qui n’ont pas coûté cher à l’Etat et aux couches privilégiées et, de ce fait, n’ont pas non plus résolu quelques-uns des problèmes fondamentaux des masses opprimées.
Cette stratégie de grèves isolées conviendrait peut-être à certains dirigeants syndicaux parce qu’elle flatterait leur orgueil en leur donnant l’illusion d’être des gens importants, considérés comme des interlocuteurs du gouvernement et du patronat, invités à s’asseoir autour d’une table pour négocier avec ceux-ci. Mais les travailleurs et l’ensemble des masses laborieuses n’y gagnent rien ! Aussi, dans l’avenir, si l’on veut voir satisfaites les exigences de vie, les revendications des travailleurs et des couches populaires, faudrait-il sortir de cette stratégie fondée sur la logique d’une grève dans un secteur donné suivie d’une négociation avec les tenants du pouvoir. Même dans les pays riche, comme en France, par exemple, cette politique-là a failli depuis longtemps : elle ne sert qu’à accompagner la colère des travailleurs, à la canaliser, pour des résultats souvent insignifiants, voire à l’endiguer, à l’empêcher d’aller plus loin que le cadre fixé par les organisations syndicales, quitte, parfois, à s’opposer à la volonté des travailleurs en lutte et, ainsi, à trahir ces derniers !
Comme tous les réactionnaires de la planète, Déby et son gouvernement ne comprennent que le langage de la force. Ils ne changeront de politique et ne tiendront compte des revendications populaires que forcés et contraints. Or le rapport des forces entre eux et le monde du travail ne peut pas être changé par des négociations secteur par secteur, entreprise par entreprise. Pour changer la donne, il faudrait une mobilisation générale de toute la classe ouvrière. Par conséquent, si le succès de la grève du 8 février et les actions de protestation contre la vie chère qui avaient précédé celle-ci sont l’expression d’une situation générale de ras le bol, de colère populaire, qui ne demande qu’à exploser, la seule perspective, capable de faire plier la dictature et l’amener à satisfaire les revendications populaires, à respecter le droit à la vie des masses opprimées, est celle d’un mouvement d’ensemble, d’une mobilisation générale de tous les travailleurs du pays, du public et du privé, qui unifierait les salariés de l’Education Nationale et ceux de la SONASUT, ceux de la Santé et ceux de la Coton Tchad, ceux de l’Energie et ceux du Transport, ceux des Banques et ceux du Bâtiment, ceux de la Poste et Télécommunication et ceux du Commerce, ceux du Pétrole et des Mines et ceux de l’Information et de l’Audiovisuel, ceux des Assurances et ceux de la Culture, mais aussi les actifs et les chômeurs, les précaires et les retraités, les licenciés, etc, dans une riposte collective contre la politique du pouvoir, car, quels que soient les secteurs d’activité, la catégorie et le statut des uns des autres, tous les travailleurs ont les mêmes intérêts et les mêmes ennemis, en l’occurrence, l’Etat, au-dessus duquel trône Déby, et le patronat !
Cette mobilisation générale de la classe ouvrière aurait intérêt à se transformer en un vaste et profond « tous ensemble » en s’ouvrant à d’autres catégories de la population qui, à un niveau ou à un autre, souffrent des mêmes problèmes que les travailleurs : aux associations des femmes, des jeunes, des étudiants, des élèves, des consommateurs, de défense de droits de l’homme, des journalistes, aux associations culturelles, à celles des artisans, des petits commerçants, des paysans pauvres et d’autres. A part le MPS et ses alliés, bien sûr, mais aussi les autres partis qui font allégeance à la dictature, comme ceux du CNDP dont les dirigeants sont au gouvernement, les organisations ou les militants politiques qui le désireraient pourraient aussi participer à cette mobilisation, à condition, toutefois, qu’ils se mettent au service des luttes et des revendications des masses laborieuses et non qu’ils en prennent la tête : c’est aux travailleurs et les autres couches opprimées de diriger eux-mêmes leurs combats en choisissant et contrôlant leurs propres représentants. Ils ne doivent se mettre à la remorque de personne, en tout cas, pas derrière des politiciens bourgeois et opportunistes qui, à la moindre occasion, les trahiront !
Toute cette mobilisation devrait s’organiser autour d’une plate-forme revendicative, une sorte de plan d’urgence, d’intérêt public. Chaque syndicat, chaque association, chaque organisation participant à la riposte collective proposerait ses propres revendications. Celles-ci devraient être regroupées et discutées par l’ensemble des parties prenantes dans le but de dresser une plate-forme de revendications, qui comprendraient les exigences essentielles des masses laborieuses face à la cherté de la vie, dont les plus importantes, pouvant fédérer tout le monde, seraient, par exemple :
une augmentation conséquente des salaires, tant du privé que du public, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions de retraite, des bourses
l’interdiction des licenciements, dans le public comme dans le privé
l’embauche de tous les contractuels et les précaires, dans le public comme dans le privé, et un emploi pour tous
une embauche massive dans les secteurs publics essentiels, l’Education, la Santé, notamment, mais aussi le Bâtiment, les Travaux Publics, en fonction des besoins des masses opprimées et de leurs enfants
un revenu minimum pour tous ceux qui ne bénéficient d’aucun emploi et d’aucune allocation, notamment les femmes et les mères isolées
un fonds de soutien aux personnes âgées ne bénéficiant d’aucune retraite
une baisse importante des prix des produits et des articles de première nécessité, mais aussi de l’eau, de l’électricité, du pétrole, de l’essence, du gaz
une baisse importante des prix du transport, des impôts, des loyers
la gratuité effective de l’éducation et des soins dans le public
la construction de logements sociaux
la défense et la jouissance des droits démocratiques élémentaires, de réunion, d’expression, d’organisation, de manifestation, sans aucune menace ou entrave de la part du pouvoir, etc…
La liste des revendications qu’on pourrait considérer comme prioritaires ne saurait, évidemment, être exhaustive. Elle devrait aussi prendre en considération d’autres problèmes spécifiques que rencontre telle ou telle catégorie sociale ou profession, comme les cultivateurs, les pêcheurs et autres secteurs d’activité. Afin qu’il soit le socle solide de la mobilisation générale des travailleurs et de l’ensemble des opprimés qui souffrent de la crise du capitalisme, le plan d’urgence d’intérêt public devrait être l’expression des attentes communes et essentielles de ces derniers, mais aussi celle des aspirations réelles et particulières de certains d’entre eux. Il devrait en somme être le reflet de toutes les revendications vitales des masses opprimées, en passant en revue tous les problèmes fondamentaux que ces dernières rencontrent, sans oublier les autres aspects de la vie sociale et économique marquée par des injustices, des abus, des arrestations arbitraires, des assassinats, le pillage des fonds publics, la corruption, des humiliations de toutes sortes, des ignominies policières et administratives, qui sont devenus des mœurs courantes depuis bientôt vingt ans que le pays se trouve placé sous la férule de la dictature du MPS.
Pour donner une suite efficace à la grève du 8 février dernier, c’est, par conséquent, de cette perspective-là qu’il conviendrait de discuter, dès maintenant, dans les usines, les entreprises, mais aussi dans les bureaux, les écoles, les lycées, les universités, les chantiers, les ateliers, les gares, les marchés, les quartiers, les villages, etc, dans le but clairement affiché de préparer, dans les jours et les mois à venir, une grève générale en vue de défendre le droit à la vie des populations pauvres étranglées par la crise du capitalisme. Les discussions devraient s’accompagner de la tenue d’assemblées générales décidant des revendications des uns et des autres, mais aussi de la création de comités de liaisons entre travailleurs du public et du privé, entre une entreprise d’un secteur donné et une autre spécialisée dans une activité différente, entre organisations syndicales et celles des femmes, des jeunes, des chômeurs ou de défense des droits de l’homme, afin d’aboutir à une coordination tant locale que nationale des luttes.
C’est cette stratégie et ce type d’organisation, fondés tous les deux sur une profonde mobilisation populaire, qui, au bout de quarante quatre jours de grève générale, ont permis aux travailleurs et aux opprimés guadeloupéens d’imposer leurs revendications à Sarkozy et au patronat local, en leur faisant avaler au passage leur morgue à l’égard des masses pauvres ! C’est un syndicat, l’UGTG, l’Union Générale des Travailleurs Guadeloupéens, qui a été à l’origine de la mobilisation populaire dirigée par le LKP (Lyanna Kont Pwofitasyon ou Collectif contre l’exploitation), regroupement de pratiquement tous les syndicats de l’île, de partis politiques et d’associations diverses.
Aussi serait-il juste de s’inspirer de cette expérience qui vient de prouver une fois de plus que seule la lutte paie ! Un syndicat comme l’UST, qui a acquis un crédit certain au sein des travailleurs grâce aux différentes luttes qu’il a menées depuis l’instauration de la dictature de Déby, pourrait, lui aussi, jouer un rôle analogue, s’il en avait l’ambition : prendre l’initiative d’une telle perspective, la proposer aux autres syndicats et organisations, préparer méthodiquement et collectivement avec eux la riposte des masses opprimées face à la politique du pouvoir sous la forme d’une grève générale qui s’implanterait et s’installerait de façon durable, avec la ferme détermination de faire vaincre les revendications populaires.
Certes, la question de la cherté de la vie est le problème majeur de l’heure, qu’il faut résoudre coûte que coûte par une mobilisation générale des masses opprimées. Mais la nécessité d’une telle perspective va bien loin au-delà des enjeux du moment. Dans le contexte actuel caractérisé par les hostilités militaires qui viennent d’éclater entre le dictateur Déby et les bandes armées de l’UFR, une telle mobilisation se justifie aussi par et pour d’autres considérations qui sont les seules à garantir les intérêts de l’avenir.
En effet, nul ne peut dire, pour le moment, quel sera l’aboutissement du bras de fer actuel entre Déby et son opposition armée. On ne peut qu’émettre des hypothèses. Vu la tournure qu’ont prise les événements, il est possible que, bénéficiant du soutien décisif et classique de l’impérialisme français, le dictateur se maintienne encore au pouvoir pour un certain temps. Mais, bien que l’offensive de l’UFR soit endiguée pour l’instant, rien ne dit que tout soit déjà joué, en tout cas, pas de façon définitive. Malgré les apparences, la situation pourrait encore évoluer, d’autant plus facilement que, pour l’essentiel, les potentialités de l’opposition armée, tant en hommes qu’en matériel, sont, semble-t-il, intactes. Par conséquent, si, dans les prochains affrontements déjà programmés par l’UFR, il s’avère que l’armée de Déby n’est en réalité qu’un tigre en papier, le rapport des forces pourra brutalement basculer et changer en faveur des troupes rebelles. Dans ce cas, les dirigeants français, qui ne craignent personne dans ce conflit, pourraient soit jouer la neutralité et laisser les deux camps en découdre jusqu’à ce que l’un l’emporte sur l’autre avant qu’il ne soit adoubé par Paris, soit, considérant que la dictature de Déby est tellement pourrie et impopulaire qu’il serait gênant de continuer à la soutenir, décider de la lâcher et d’aider l’UFR à prendre le pouvoir, comme ils l’ont fait par le passé avec le MPS, suite à la révolte du dictateur actuel contre Hissein Habré, son ancien mentor. Il se peut aussi que, l’offensive de l’opposition armée créant l’événement, l’impérialisme français se saisisse de l’opportunité ainsi offerte et, avec la complicité des dictateurs africains qui lui sont dévoués, exige des deux camps de négocier en vue d’un compromis politique sous la forme d’un partage du pouvoir. Des voix se sont d’ailleurs élevées déjà dans ce sens, dont, notamment, celles de Bernard Kouchner, des dirigeants de l’opposition parlementaire réunie au sein du CNDP, mais aussi de certains dignitaires de l’UFR, qui réclament la tenue d’un dialogue inclusif. Voilà, grosso modo, quelques-uns des contours possibles de ce qui risque d’arriver, que seul l’avenir pourra confirmer ou pas !
Mais, quelle que soit l’issue du face à face actuel entre le satrape de N’Djaména et ses anciens sous-fifres ou compagnons de l’époque de la dictature de Habré, il est évident que les masses laborieuses n’ont rien à en attendre qui soit bon pour elles. : s’il est vrai que personne ne pourrait se plaindre de la chute du dictateur actuel, de ses politiciens, de ses hommes-lige, ou les regretter, il n’y a, en effet, aucune raison non plus de faire la moindre confiance aux dirigeants de l’UFR ! Car, les Déby, les Nouri, les Timan, les Kamougué, les Yorongar, les Lol et autres Kassiré appartiennent tous au même monde : ils se connaissent, ils ont travaillé ensemble. Rigoureusement, ils défendent les mêmes intérêts, ceux des riches, des bourgeois et privilégiés tchadiens et, au-dessus de ces derniers, ceux de l’impérialisme français. Le fait que certains sont à ta tête de la dictature et que d’autres dirigent une opposition parlementaire ou armée contre celle-ci ne doit pas faire illusion : ils n’ont cure des aspirations des masses à une vie meilleure. La seule chose qui les intéresse et les oppose aussi, c’est le pouvoir, plus précisément la nécessité de s’y maintenir ou d’y accéder, dans le but de jouir des prérogatives qu’il confère, tout en veillant sur l’ordre social actuel fondé sur l’exploitation des masses laborieuses, comme ils l’ont déjà largement démontré par le passé ou encore, pour les rivaux de Déby, tout récemment, par leur indifférence lors de la grève du 8 février organisée par l’UST.
En effet, dans un pays comme le Tchad, une grève contre la cherté de la vie ou pour de meilleurs salaires est avant toute chose un acte hautement politique parce qu’elle s’exprime directement contre l’Etat qui, en la circonstance, est le plus grand des patrons puisqu’il est le propriétaire des principaux secteurs publics, sociaux et économiques. Dans ces conditions, si nos opposants ne manifestent aucune solidarité envers les travailleurs lorsque ces derniers sont en lutte contre la dictature pour des revendications sociales relatives à la vie des masses opprimées, ce comportement n’a rien de fortuit : il s’agit plutôt d’un choix politique et social, significatif du fait que, même s’ils prétendent combattre Déby, ces gens-là ont, eux aussi, du mépris à l’égard des aspirations des masses opprimées et une peur bleue de la colère populaire, autant que le MPS, le parti de la dictature. Quoiqu’ils parlent abondamment du « peuple », qu’ils s’autoproclament même « direction » de celui-ci, au point, pour certains d’entre eux, de prendre les armes en son nom, en réalité, ils craignent tous les luttes des travailleurs et des opprimés en général. Ils ne veulent et ne voudront jamais que ce soient ces derniers qui prennent leur destin en main, dirigent eux-mêmes leurs propres combats et imposent les changements nécessaires conformes à leurs intérêts. Ils ne s’intéressent aux masses laborieuses que quand ils peuvent exploiter leur colère, leur exaspération, leur aspiration à un monde meilleur, soit en les enrôlant dans leurs bandes armées pour faire d’elles de la chair à canon, soit en les utilisant comme force de manoeuvre électorale afin, dans tous les cas, de prendre le pouvoir ou de négocier avec le satrape actuel des strapontins ministériels autour de la mangeoire gouvernementale en vue de continuer la même politique d’exploitation, d’injustice et d’inégalités .
Par ailleurs, la volonté manifeste de nos opposants de ne pas s’impliquer dans les luttes des travailleurs et des masses opprimées est aussi un message à l’adresse des couches privilégiées, au patronat local, aux riches, aux notables, à tous ceux qui tiennent à l’ordre actuel des choses : ils cherchent à rassurer ces derniers, à leur plaire. Mais, au-delà de ceux-ci, c’est surtout aux yeux des dirigeants français qu’ils veulent se faire passer pour des gens responsables, qui n’ont pas pour ambition de s’attaquer à l’ordre social en vigueur, de le transformer profondément, en s’appuyant sur la colère et les luttes de l’ensemble des opprimés, mais qui ne visent que des changements de façade sans toucher à l’essentiel, c’est-à-dire aux intérêts de l’impérialisme français et ceux des couches dirigeantes à sa solde. C’est pour cela d’ailleurs que, l’année dernière, lors de l’offensive de février, quand leurs troupes étaient au coeur de N’Djaména et aux portes de la présidence où s’était retranché Déby, alors qu’ils avaient l’opportunité, l’occasion unique, de s’adresser aux populations, de lancer un appel aux syndicats, aux militants politiques, aux diverses associations, bref aux centaines de milliers d’opprimés de la cité, afin qu’ils se mobilisent, se soulèvent, s’insurgent par le biais d’un vaste mouvement populaire qui aurait pu avoir toutes les chances d’isoler politiquement le pouvoir et peut-être même de le faire tomber, eh bien, les dirigeants l’opposition armée ne l’ont pas voulu, quoique, il convient de le souligner, certains habitants de la capitale soient spontanément descendus dans la rue pour les soutenir : ils ont préféré discuter avec les autorités françaises et négocier avec celles-ci le départ de Déby au lieu que ce soit les populations de N’Djaména et celles des autres centres urbains du pays qui le fassent ! C’était tout un symbole, fort significatif tant de la méfiance que de la peur bleue que ces gens-là éprouvent à l’égard des masses opprimées et aussi de leur politique, de ce qu’ils feront s’ils prennent le pouvoir ou y reviennent !
Le combat actuel entre le dictateur Déby et son opposition armée ou parlementaire n’est donc pas celui des travailleurs et des masses opprimées ! C’est un combat entre les enfants d’une même famille, celle des politiciens bourgeois du pays qui se disputent le pouvoir. Par conséquent, quelle qu’en soit l’issue, que, demain, certains de ces politiciens remplacent d’autres ou qu’ils s’entendent pour se partager les responsabilités à la tête de l’Etat, pour les travailleurs et l’ensemble des opprimés, rien de fondamental ne changera. Il n’y aura ni amélioration de leurs conditions de vie, ni plus de liberté qu’avant : ce sera toujours la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes abus et exactions, la même dictature, mais aussi, en plus, les guerres ethniques, fratricides, et le fossé de sang permanent, dont les masses opprimées sont et resteront les principales victimes, quelles que soient leur région, leur religion, ou leur culture !
C’est pourquoi, en se mobilisant, dès maintenant, pour défendre leur droit à la vie, en déclenchant une grève générale pour imposer leurs propres revendications, les masses laborieuses exprimeront en même temps leur défiance vis-à-vis du dictateur, bien sûr, mais aussi de ses opposants, quels qu’ils soient. Par leur mobilisation, elles contribueront ainsi à affaiblir sérieusement la dictature, mais elles signifieront également aux politiciens de l’opposition qu’elles ne leur font pas confiance non plus. Ce sera leur façon à elles de dire aux uns et aux autres qu’elles n’attendent rien d’eux, qu’elles ont marre des souffrances qu’ils leur font endurer des années durant ; elles ont marre d’être prises en otages par leurs bandes armées, aussi bien celles dites officielles, gouvernementales, que les autres ; elles ont marre de voir leurs enfants, leurs frères, leurs sœurs, leurs époux, leurs filles se sacrifier, mourir inutilement derrière des politiciens de leur engeance, des aventuriers et autres charlatans, en mal de gloriole, qui exploitent la colère et l’aspiration des opprimés à un monde meilleur uniquement pour leur réussite personnelle ! Mieux, en s’emparant de la perspective du « tous ensemble » et en la transformant en une réalité vivante et organisée, en une vaste et profonde mobilisation populaire de taille à faire reculer la dictature et le patronat, les masses laborieuses signifieront à Déby et ses opposants, toutes tendances confondues, que, quelle que soit l’issue du bras de fer actuel entre eux, dorénavant, elles ne laisseront personne décider de leur sort à leur place : puisqu’elles n’ont pas d’autre choix que de se battre pour la moindre amélioration de leurs conditions de vie, eh bien, elles se battront, mais ce sera pour elles-mêmes ; elles se prendront elles-mêmes en charge et imposeront, par leurs propres luttes, les changements qu’elles jugent nécessaires, dignes de leurs attentes et aspirations, tant sur le plan démocratique que social.
Voilà pourquoi, en même temps que la question de la mobilisation générale pour riposter collectivement contre la politique de Déby, il est nécessaire que soit posée et discutée également celle de la nécessité d’un parti révolutionnaire prolétarien. Oui, plus que jamais, il est vital que les travailleurs profitent des circonstances actuelles pour intervenir dans les événements afin de défendre collectivement leur droit à la vie et celui de l’ensemble des masses opprimées, mais aussi pour planter leur propre drapeau politique, pour se doter d’une organisation qui soit la leur, indépendante tant de celles qui sont au pouvoir que de celles de l’opposition ! Quelles que soient leur ethnie, leur région, leur religion, il est d’une nécessité vitale qu’ils s’unissent politiquement pour défendre leurs intérêts collectifs et imposer leur droit à la vie ! Indépendamment de leur origine culturelle, les travailleurs constituent une classe à part, parce qu’ils subissent la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, la même dictature. Par-delà leurs diversités ethniques ou religieuses, ils ont donc les mêmes intérêts, des intérêts diamétralement opposés à ceux des bourgeois et privilégiés du pays, dont ceux de leur propre région et confession qui vivent eux aussi sur leur dos et de leur sang, comme des parasites. Aussi devraient-ils s’unir, se battre ensemble pour eux-mêmes, se défendre collectivement, ne faire confiance qu’en leurs propres combats et offrir ainsi une perspective à l’ensemble des opprimés, en les rassemblant sur la bases de leurs intérêts spécifiques, en les regroupant et les aidant à combattre tout préjugé, toute division entre eux, sous prétexte, par exemple, que ceux-ci ne parleraient pas la même langue, que ceux-là n’auraient pas la même ethnie, la même religion, ou que ceux-ci seraient du Nord, ceux-là du Sud, etc, afin de les amener à imposer eux-mêmes les libertés nécessaires, l’amélioration de leurs conditions de vie, surtout d’en finir un jour avec l’ordre social actuel sur lequel veillent Déby et ses sous-fifres avec le soutien de l’impérialisme français !
La nécessité d’une vaste mobilisation pour préparer une riposte collective des masses laborieuses à la politique du gouvernement et celle de poser tout de suite la question de la création d’un parti révolutionnaire prolétarien ne sont pas contradictoires. Elles peuvent se discuter concomitamment, car elles se complètent, se nourrissent mutuellement, de façon dialectique : les masses laborieuses ont besoin d’une réaction collective pour mettre un coup d’arrêt aux attaques du gouvernement, à la dégradation constante de leurs conditions de vie, mais il leur faut aussi un cadre politique, un parti, qui soit le leur propre pour en finir un jour définitivement avec l’exploitation, la misère, les inégalités, les injustices, les maladies et la dictature que leur impose le capitalisme. La mobilisation contre la vie chère pourrait alors servir de creuset à la formation de cet organe politique indépendant des travailleurs et des opprimés parce que le parti révolutionnaire n’est, somme toute, rien d’autre que le regroupement, derrière le drapeau de la classes ouvrière, des femmes et des hommes qui sont décidés à se battre pour l’amélioration des conditions de vie des masses laborieuses et qui, en outre, se fixent comme ambition et objectif de changer radicalement la société en fonction des intérêts collectifs de la majorité opprimée, en arrachant le pouvoir des mains des partis et politiciens bourgeois. Si nous voulons en finir avec toutes les oppressions, quelles qu’elles soient, il ne suffirait pas d’imposer seulement les revendications populaires au dictateur Déby en faisant plier celui-ci par le biais d’une grève générale : les travailleurs devraient aussi proposer une politique à l’ensemble des opprimés face à la société capitaliste, en crise et en faillite, qui ne peut que produire l’exploitation, la misère, les maladies, les inégalités, le chômage, sur le terreau desquels poussent la dictature, mais aussi les guerres ethniques et les violences de toutes sortes dont ils sont les principales victimes.
Voici l’enjeu ! Il est de taille, certes, mais c’est le seul qui en vaille la peine ! Il s’agit de transformer radicalement la société, d’en bâtir une nouvelle, débarrassée de cette couche de parasites vivant sur le dos des masses opprimées, une société avec autant de partis, de syndicats, d’associations de tout genre qu’on voudra, qui sera fondée sur le pouvoir démocratique des masses laborieuses, avec pour moteur non pas la loi de l’argent et la concurrence entre les uns et les autres, mais la satisfaction des besoins collectifs de tous au moyen d’une mise en commun des richesses et de leur juste et solidaire répartition afin que tout le monde accède à des conditions de vie dignes de notre époque. Cette société-là, seuls les travailleurs et les autres opprimés victimes du capitalisme peuvent la bâtir, parce qu’ils en ont la force, et ont intérêt à le faire. Mais, pour cela, il faut d’abord qu’ils soient politiquement organisés.
Espérons alors que dans la situation actuelle où l’on voit s’instaurer un climat de politisation, - marqué, d’un côté, par un rejet de plus en plus fort de la dictature, mais aussi par des interrogations au sein même de l’opposition sur la volonté et les capacités de ses dirigeants à satisfaire les aspirations des masses laborieuses, de l’autre, par des grèves, des mouvements de contestation, de protestation, y compris des ménagères -, il y aura des femmes et des hommes qui émergeront pour aider les travailleurs à donner une suite collective au 8 février et à se doter d’une organisation politique indépendante qui leur soit propre, seul moyen qui puisse leur permettre de prendre la tête de tous les opprimés afin de conduire leur combat jusqu’au bout dans la perspective d’une société fondée sur la démocratie la plus large qui soit, avec pour moteur la satisfaction des besoins de tous. Pour ceux qui ne veulent pas se contenter de quelques ravalements de façade, sous la forme d’un remplacement de Déby par un autre dictateur ou d’une négociation entre celui-là et ses opposants, mais qui tiennent à ce que les choses changent réellement, que soit mis fin à l’exploitation, à la misère, au chômage, à la guerre, à la dictature, notamment pour les intellectuels, les étudiants, les élèves, révoltés, qui ne craignent pas la volonté populaire, dont l’ambition n’est pas d’être de futurs notables ou larbins au service d’un potentat, militaire ou civil, eh bien, la tâche, c’est d’aider à la construction de cette organisation qui fait cruellement défaut aujourd’hui, au moins d’en bâtir la conscience, d’en jeter les germes : c’est l’unique garantie vers un avenir socialement meilleur et démocratique parce que, pour leur émancipation de toutes les oppressions, la seule arme que l’histoire ait offerte aux travailleurs et aux opprimés, c’est celle de leur propre parti.
Lors de son récent voyage au Soudan, les 8 et 9 février derniers, Idriss Déby a lancé un appel aux dirigeants de l’opposition armée : il les a invités « à rentrer au pays ». Pour être crédible, il s’est même engagé « à leur assurer toutes les garanties de sécurité pour leur permettre de se réinsérer honorablement dans la vie publique et civique ».
Il n’en a pas fallu plus pour que l’UFR, la coalition armée de l’opposition, saisisse l’opportunité qui lui avait été ainsi offerte pour proposer la perspective d’uns solution négociée de la crise actuelle : d’abord, le 10 février, par le truchement d’un communiqué publié par sa représentation en Europe, elle a affirmé « sa disponibilité pour trouver une solution pacifique de la crise tchadienne, à travers un dialogue national, incluant tous les acteurs concernés, avec l’aide de la communauté internationale » ; ensuite, le 23 du même mois, par le biais d’un autre communiqué rendu public, cette fois-ce, par son porte-parole, elle a réitéré son « appel pour une rencontre de réconciliation, qui ouvre la voie à un dialogue inclusif (…) ».
Cette prise de position de l’opposition armée n’est ni inédite ni surprenante. En effet, comme elle l’a fait remarquer elle-même dans ses communiqués, quoiqu’elle ait réuni d’énormes moyens militaires, tant en hommes qu’en matériel, malgré les apparences, celle-ci n’a jamais été hostile à l’idée de trouver une solution négociée de la crise politique actuelle par le biais d’un cadre de discussions élargi. Loin s’en faut ! A en croire les déclarations de certains de ses principaux dirigeants, paradoxalement, il semblerait même que les offensives qu’elle lance de temps en temps contre le pouvoir de Déby n’aient pas pour objectif de faire tomber la dictature, mais seulement d’obliger celle-ci à accepter la perspective d’une solution négociée de la crise. Cependant, l’UFR n’est pas la seule organisation à réclamer « un débat national » pour résoudre la crise actuelle.
En effet, face à l’impasse sanglante dans laquelle la dictature de Déby a entraîné le pays et aux affrontements militaires qui en ont découlé comme une conséquence logique, depuis des années, nombreuses sont les voix qui se lèvent régulièrement pour demander la tenue d’une rencontre baptisée pour la circonstance « dialogue inclusif » : celle-ci, selon elles, devrait comprendre les principaux acteurs de la crise, c’est-à-dire le pouvoir, les différentes composantes de son opposition, mais aussi les syndicats, les diverses associations, les ONG, les chefs religieux et traditionnels, etc, qu’on regroupe généralement sous le vocable de « société civile ».
Réunie au sein de la CPDC, la Coordination de Partis Politiques Pour la Défense de la Constitution, l’opposition parlementaire aussi, dont l’objectif, dès le début, y compris à l’époque d’Ibni Oumar Mahamat saleh, est de ne pas affronter la dictature, de quelque manière que ce soit, milite naturellement pour ce débat, comme l’UFR. Alors que l’essentiel de ses dirigeants ont rallié le pouvoir, y occupent d’importants postes ministériels, officiellement, elle réclame néanmoins la tenue d’un dialogue inclusif.
Parallèlement aux exigences de l’opposition, tant armée que parlementaire, et accompagnant celles-ci, d’autres initiatives ont été prises également, ici et là, pour favoriser la tenue de ce débat. Des organisations ont même vu le jour à cet effet. C’est le cas, notamment, du CAPRN, Comité de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation, et de la CIDI, Commission Indépendante Pour le Dialogue Inclusif. Selon ses animateurs, celle-ci, par exemple, se fixe comme objectif « de rassembler les Tchadiens pour arriver à un dialogue politique susceptible d’ouvrir les voies vers une paix définitive au Tchad ».
Depuis les derniers affrontements militaires entre les troupes de N’Djaména et celles de l’UFR, au mois de mai de l’année passée, de nombreuses personnes sont également intervenues sur le net pour réclamer la tenue d’un dialogue inclusif, non seulement pour instaurer la paix dans le pays, mais aussi, selon elles, pour organiser des élections libres, mettre fin à la dictature, à la misère et jeter les bases d’un véritable développement. Peu de temps avant la fin de l’année écoulée, sous la plume d’Enoch Djondang, la rédaction du site Tchadnouveau a aussi publié un dossier sur cette question, qui abonde dans le même sens : celui-ci tente de démontrer que le dialogue inclusif demeure une nécessité politique incontournable pour sortir de la crise actuelle ; mais, souligne-t-il, avec regret du reste, ce sont le pouvoir et certains politiciens de l’opposition parlementaire qui n’en veulent pas pour des raisons partisanes et égoïstes. L’une des plus récentes réactions en date, exigeant également ce débat, est la lettre écrite par Félix Ngoussou, parue dans Tchadforum et adressée à Déby, à la suite du dernier voyage de celui-ci à Sarh. Entre autres choses, l’auteur de la missive reproche à l’ancien chef d’état major d’Hissein Habré de ne pas prendre en considération « la demande incessante d’une importante couche de la société pour le forum national » qu’il qualifie de « meilleur moyen de réconciliation nationale qu’une sélection partielle des opposants ».
Pour l’instant, fort du soutien de l’impérialisme français et de l’avantage qu’il a ainsi par rapport à ses opposants, sur le terrain militaire notamment, seul, en effet, le dictateur Déby semble indifférent aux sirènes de ce dialogue. Fidèle à la ligne de conduite qui a toujours été la sienne, il préfère privilégier les ralliements individuels à sa dictature, comme il l’a fait l’année passée avec Haballah Soubiane et d’autres.
Cependant, malgré les apparences, en réalité, les chances d’un dialogue inclusif dépendent moins des humeurs d’un Déby qui donne l’impression d’en faire à sa tête et d’en imposer à tout le monde que des choix de l’impérialisme français, le principal maître du jeu. Pour l’heure, les autorités françaises soutiennent le dynaste de N’Djaména : c’est un valet qui a fait ses preuves dans le maintien de l’ordre nécessaire à la bonne marche des affaires, dont ont besoin les trusts, occidentaux ou autres, et les couches privilégiées locales à leur solde, alors que la coalition armée est peu sûre, peu fiable, parce qu’elle est traversée par des dissensions en son sein à cause des ambitions opposées de ses chefs.
Toutefois, cette position de la France pourrait très bien évoluer, car ce qui compte pour l’impérialisme, ce sont ses intérêts et non les liens qu’il entretient momentanément avec tel ou tel séide local. L’histoire politique du Tchad le démontre amplement. De Tombalbaye à Déby, en passant par Malloum, Habré, Goukouny, c’est toujours l’impérialisme français qui, pour la sauvegarde ses intérêts, a été à l’origine de la valse des dictateurs et de certains événements importants qui ont marqué le pays. Aussi, à la faveur du rapprochement actuel entre le Tchad et le Soudan, par exemple, rien d’étonnant que, demain, pour le maintien de l’ordre et le renforcement de la stabilité dans le pays ou même dans la région, notamment au Darfour, avec, comme corollaire, la consolidation de ses relations avec le pouvoir réactionnaire de Khartoum, l’impérialisme français décide-t-il d’exiger de Déby et ses opposants de tout genre de s’entendre autour d’un certain nombre de compromis politiques négociés, comme il l’a fait en Côte d’Ivoire contre la volonté de Laurent Gbagbo.
Cependant, le plus important n’est pas tant de savoir si un dialogue inclusif est possible dans les circonstances actuelles, mais plutôt à quoi servirait une telle perspective si jamais elle se réalisait ! Est-ce que, comme le prétendent ceux qui militent pour cela, la tenue d’un dialogue inclusif suffirait à instaurer la paix de façon définitive dans le pays ? Est-ce qu’elle mettrait fin à la dictature, aux guerres ethniques, aux violences de tout genre, mais aussi à l’exploitation, à la misère, aux maladies, dont sont victimes les masses opprimées ? En d’autres termes, le dialogue inclusif tant réclamé engagerait-il le pays dans la voie royale d’un véritable changement qui prendrait en compte les aspirations des couches populaires aux libertés essentielles et à des conditions de vie dignes de notre époque ?
Voilà les questions fondamentales que l’on est en droit de se poser face à ce débat tant réclamé entre Déby et ses opposants ! Mais, à moins que l’on ne soit un menteur fieffé, il est difficile d’y répondre de façon affirmative. Et pour cause !
En effet, depuis à peu près une trentaine d’années ou plus, l’histoire politique du Tchad est d’abord celle d’une série de guerres, fratricides et criminelles, avec pour responsables quasiment les mêmes hommes, tous à la solde de l’impérialisme français, dont les noms sont évocateurs et synonymes de conflits ethniques, de dictatures, de répressions sauvages, d’assassinats, d’emprisonnements, de tortures, de charniers, de pillages des deniers publics, de viols, etc... Un passé toujours présent, le spectre de la mort, immuable, planant de façon permanente comme une menace et pesant d’un poids décisif sur le destin des populations opprimées parce que charriant et traînant derrière lui un passif des plus monstrueux : des milliers de personnes assassinées, depuis la jacquerie paysanne de Mangalmé en 1965, surtout depuis les événements de février 79 qui allaient jeter les bases de la dictature d’Hissein Habré, d’abord, et celle actuelle d’Idriss Déby, ensuite !
Plus que sous certains cieux africains, ici aussi, les forfaitures des responsables et autres gestionnaires des pouvoirs dictatoriaux qui se succèdent les uns aux autres ont atteint des dimensions extrêmes, comme au Rwanda, au Burundi ou en RDC ! Elles ne se limitent pas à d’importants détournements de fonds publics. Elles se chiffrent à des milliers de vies humaines arrachées, à plusieurs millions de femmes, d’hommes et d’enfants pris en otages, des années durant, dans les mailles et les rets des ambitions criminelles d’une multitude de chefs de guerre et de politiciens, en mal de gloriole, qui n’hésitent pas à marcher sur des cadavres, s’il le faut, pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir, avec évidemment, dans tous les cas, l’aide de l’impérialisme français !
Or, si le dialogue inclusif, dont on parle tant comme une sorte de potion magique pouvant guérir le pays de tous ses maux, se tient, ce sont, essentiellement, ces gens-là, - le dictateur Déby, les dirigeants de son opposition, toutes tendances confondues, et d’autres individus plus ou moins insignifiants -, qui en seront les principaux acteurs et participants ! Ainsi, qu’on le veuille ou non, quel qu’en soit le caractère élargi, même avec la mise à l’écart de certains politiciens, comme Habré, par exemple, cette rencontre ne pourra pas échapper au triste sort d’être tout simplement le rendez-vous au sommet des chefs de gangs, des politiciens, des charlatans et autres aventuriers qui, depuis les années 80 notamment, ont tous, d’une façon ou d’une autre, participé, à la tête de l’Etat, au processus politique qui a conduit à l’impasse actuelle.
Dans ces conditions, que pourrait-on en attendre qui ne soit déjà connu ? Quel réel changement pourrait sortir des mains de ceux-là mêmes dont la politique et les responsabilités sont à l’origine de la situation actuelle ? Aucun ! En tout cas, rien de fondamentalement différent de ce qu’ils font aujourd’hui ou ont fait dans un passé récent ! Pour s’en convaincre, il convient d’abord de rappeler que ce type d’assises, que certains parent de toutes les vertus possibles à cause du caractère inclusif qu’il devrait avoir, selon eux, n’est pas quelque chose de nouveau dans le paysage politique du pays. Par le passé aussi des rencontres de ce genre ont eu lieu avec la bénédiction de l’impérialisme français. C’est, par exemple, dans une certaine mesure, le cas des différentes conférences de kano dans les années 80 et surtout, tout récemment, de la conférence nationale. Mais elles ont toutes échoué : elle n’ont résolu aucun des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les masses populaires, surtout ceux de la misère, de la dictature, des guerres et autres violences. L’échec de ces rencontres, qui étaient aussi inclusives à leur manière parce qu’elles regroupaient l’essentiel des acteurs politiques de l’époque, dont certains sont les mêmes chefs de guerre et autres charlatans d’aujourd’hui, montre que, en politique, une perspective ou un projet quelconque ne vaut pas par sa forme, son caractère, mais plutôt son contenu, c’est-à-dire les objectifs et les ambitions de ceux qui en sont les porteurs.
Ainsi, s’il est vrai que ralliement d’Hassaballah Soubiane, l’année passée, est fort symptomatique du fait qu’il n’y a rien de fondamental qui l’oppose à Déby et que, somme toute, il n’a fait que regagner le giron de la dictature qu’il avait loyalement servie auparavant, il n’y a pas non plus de raison d’avoir des illusions quand les politiciens de l’opposition, armée ou parlementaire, réclament également une solution négociée de la crise par le biais d’un dialogue inclusif. Entre l’un, Hassaballah Soubiane, et les autres, les dirigeants de l’UFR et de la CDPC, la divergence n’est pas de fond mais de forme : elle se situe uniquement au niveau de la manière de faire ! En revanche, ils sont tous d’accord sur la nécessité de discuter et de trouver un compromis politique avec Déby.
Cependant, s’ils font tous ce choix, politique et social, c’est essentiellement parce que le dictateur actuel est un politicien qu’ils connaissent bien, avec lequel ils avaient tous travaillé sous le pouvoir tyrannique d’Hissein Habré avant d’être ensuite ses propres sous-fifres il n’y a pas longtemps. Au-delà de la propagande des uns et des autres, du fait que certains sont à la tête de la dictature alors que d’autres prétendent combattre celle-ci, y compris par les armes, ils appartiennent au même monde que les politiciens qui sont au pouvoir, celui de la bourgeoisie et des privilégiés du pays. Rigoureusement, ils défendent tous les mêmes intérêts, ceux de l’impérialisme français et des couches sociales privilégiées locales. Ce qui, fatalement, les lie, en réalité, les uns aux autres et les condamne à s’entendre un jour ou l’autre.
Par conséquent, si, comme le réclament les dirigeants de l’UFR et de la CPDP, fort de son avantage sur le plan militaire, de façon magnanime, Déby acceptait enfin de négocier avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif, il n’y aurait rien à en attendre non plus qui soit de nature à initier un changement quelconque digne des aspirations populaires aux libertés élémentaires et à de meilleures conditions de vie. Sous le parapluie de l’impérialisme français, il serait, certes, possible que tous ces politiciens s’entendent autour d’un certain nombre de compromis, comme le partage du pouvoir ou une révision de la constitution satisfaisant les ambitions des uns et des autres. Certains dirigeants de l’opposition armée ou parlementaire pourraient alors aller à la soupe, trouver ou retrouver des responsabilités ministérielles autour de la mangeoire gouvernementale. D’autres seraient casés ailleurs, dans les différents services de l’Etat, à l’assemblée nationale, dans l’armée, dans les ambassades ou les entreprises publiques. Déby et son opposition pourraient aussi s’accorder sur un code électoral, les conditions des élections, la composition d’une commission pour organiser celles-ci, la durée d’une transition, etc…, toutes choses qui sont à mille lieues des préoccupations actuelles des couches populaires en butte à tant de difficultés pour vivre. Par contre, sans aucun risque de se tromper, on peut, d’ores et déjà, parier que, le pouvoir qui sortirait d’un tel marchandage ne serait qu’une nouvelle dictature pour les masses opprimées. Celles n’y gagneraient rien, à part, une fois de plus, des illusions suivies d’une nouvelle déception, car, parmi les principaux acteurs actuel d’un tel débat, il n’y aurait personne pour dire que ce qui préoccupe les travailleurs et les petites gens, ce n’est pas de savoir qui, entre Déby et ses opposants, est le meilleur, mais comment faire pour mettre fin à l’exploitation, à la misère, aux maladies, au chômage, aux violences de tout genre, dont la majorité pauvre du pays est victime ! Il n’y aurait surtout personne pour poser sérieusement le problème des aspirations essentielles des masses opprimées étranglées par la cherté de la vie et moins encore pour se battre afin que, non seulement celles-ci soient prises en considération, mais qu’elles soient imposées, s’il le faut, au dictateur, en obligeant celui-ci à les satisfaire ! Même pas dans les rangs de la société civile !
En effet, parmi ceux qui militent pour la tenue d’un dialogue inclusif, beaucoup croient que, si une telle perspective se réalisait, une forte présence de ce qu’on appelle « la société civile » suffirait pour imposer et réaliser les changements nécessaires. Mais ils se font de grosses illusions !
Dans les syndicats et les diverses associations, comme les organisations de défense des droits de l’homme, nombreux sont, certes, les militants de base, - ouvriers, instituteurs, professeurs, infirmiers, journalistes, étudiants, élèves, femmes, chômeurs et autres -, qui sont réellement révoltés par les conditions imposées aux masses populaires, qui veulent sincèrement en finir avec l’exploitation, la misère, les injustices et la dictature. Ils l’ont d’ailleurs prouvé plusieurs fois dans les combats multiformes, - grèves, marches, manifestations de protestation et autres -, qu’ils ont menés contre le pouvoir de Déby, exprimant ainsi l’exaspération des masses opprimées contre la politique de celui-ci, comme vient d’en faire la démonstration la grève du Syndicat des Enseignants Tchadiens qui a paralysé la quasi-totalité des établissement du pays du 15 au 22 février dernier. Mais ces luttes, qu’il convient, bien sûr, de saluer et d’encourager, ne pourraient conférer à la société civile en général des vertus particulières ni faire d’elle ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire le cadre organisé pour défendre les intérêts des couches populaires et décidé à les imposer par tous les moyens.
Plusieurs raisons concourent à expliquer cela.
En effet, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent ou ce qu’on veut nous faire croire, par exemple, le fait que les organisations et les associations qui constituent la société civile se refusent consciemment à se placer et se battre sur le terrain politique n’a en réalité rien de vertueux. C’est même un écueil, un handicap. Car, en ne voulant pas s’engager politiquement, les dirigeants de ces structures abandonnent à Déby et ses opposants le terrain primordial, celui de la politique, où se décident les choses essentielles. Aussi, indéniablement, la portée de leurs actes s’en trouve-t-elle limitée, quelles que soient, par ailleurs, la justesse et la légitimité des problèmes qu’ils posent ! Sans nul doute, dans le contexte actuel, prétendre ne pas faire de la politique ou se revendiquer de l’apolitisme n’est pas en soi une vertu parce que, quelles qu’elles soient, les préoccupations des masses populaires, tant sur le plan social que démocratique, sont d’abord des problèmes politiques, qui ne verront leur résolution que dans les luttes et les combats politiques multiformes et nécessaires que les travailleurs et les opprimés devraient mener.
Par ailleurs, la société civile n’est pas un ensemble socialement et politiquement homogène. Elle est aussi traversée par toutes les contradictions diverses qui s’affrontent au sein du pays. Par conséquent, si on peut trouver en son sein des militants, femmes et hommes, décidés à en découdre avec la dictature et la misère, on ne peut pas en dire autant pour tout le monde, notamment pour la plupart de ses dirigeants ! L’apolitisme de ces derniers est non seulement stérile, mais, en réalité, il est aussi de façade : s’ils prétendent, pour la plupart, ne pas faire de la politique, cela ne veut aucunement dire qu’ils soient neutres ou indifférents par rapport aux enjeux, aux combats, politiques et sociaux de l’heure. Comme les chefs traditionnels ou religieux, ces représentants du fatras réactionnaire local, les responsables des organisations de la société civile sont, eux aussi, liés, d’une façon ou d’une autre, aux forces politiques en présence : certains sont proches du pouvoir, en sont même les créatures ou les transfuges ; d’autres se situent dans l’opposition. Généralement, ils défendent également l’ordre social en vigueur, exactement comme les Déby, les Kamougué et autres Nouri ou Timane parce que, socialement, ils appartiennent, eux aussi, au même monde que ces politiciens, celui des « élites », des « cadres », c’est-à-dire des gens formés par l’Etat, souvent avec l’aide de l’impérialisme français, non pas pour être à l’écoute des préoccupations des masses opprimées, pour y réfléchir et leur trouver des solutions adéquates, mais pour être les gestionnaires de l’ordre social en vigueur imposé par la dictature.
C’est cela qui explique le fait que bien de ministres et autres larbins au service du pouvoir actuel viennent de la société civile ou de ce qu’on appelle « les élites » en général. Au sein même des organisations et associations qui constituent cette nébuleuses, - la société civile -, au niveau de leurs directions notamment, il ne serait pas faux de dire aussi qu’il y a de nombreux autres candidats à la mangeoire qui, tapis dans l’ombre, attendent leur heure pour offrir leur service au satrape actuel, comme d’autres l’ont fait par le passé. Même ceux, parmi eux, qui, en apparence au moins, se veulent plus radicaux, portent un regard souvent critique sur la dictature de Déby, ne se fixent pas comme objectif de détruire celle-ci, mais juste de la toiletter, d’en expurger certains aspects répugnants, mais pas plus ! Comme les politiciens du pouvoir et ceux de l’opposition, en effet, ils n’ont pas pour objectif, eux non plus, des changements profonds grâce aux luttes et à la mobilisation des opprimés : ils ne rêvent que des réformes à moindres frais qui sont loin de remettre en cause l’ordre social en vigueur et de répondre aux aspirations des masses opprimées.
C’est aussi pour cette raison que, au Tchad ou dans les autres pays africains, les responsables et les politiciens des pays riches, ceux-là mêmes dont l’impérialisme soutient les dictatures les plus abjectes du continent, y compris militairement, tiennent également tant à nos « sociétés civiles », non pas, comme le prétendent certains, parce que celles-ci seraient l’expression des aspirations populaire à plus d’égalité, de justice et de liberté, mais, fondamentalement, parce qu’elles jouent le rôle d’une soupape utile et efficace pour désamorcer la colère des opprimés, empêcher qu’elle n’explose ou qu’elle n’aille au-delà de quelques réaménagements formels, qui n’ont souvent aucun rapport avec les aspirations des masses populaires. On l’a vu tout récemment dans la crise guinéenne, avec l’acharnement d’un Bernard Kouchner qui a utilisé tous les moyens possibles pour imposer les dirigeants de la société civile ainsi que ceux des partis politiques comme principaux interlocuteurs face aux militaires afin d’éviter que le mécontentement populaire qui couvait dans le pays ne se transforme en une véritable explosion sociale, qui pourrait s’attaquer à l’ordre en vigueur !
Considérée de façon globale, surtout au niveau des buts que s’assignent ceux qui dirigent les principales structures qui la constituent, la société civile n’offre donc aucune garantie particulière quant à la défense des intérêts de l’avenir, notamment ceux des masses populaires aspirant à plus de liberté et à des conditions de vie meilleures, même si, par ailleurs, il convient, bien sûr, de soutenir et de saluer toute les initiatives de luttes diverses qui se prennent en son sein ! Par conséquent, s’il est évident qu’on ne peut pas compter sur les politiciens de l’opposition, armée ou parlementaire, pour qu’ils exigent du dictateur Déby de véritables changements prenant en compte les diverses aspirations populaires, il est illusoire également de penser que la société civile en général puisse le faire car, d’une part, les personnalités qui dirigent celle-ci ne s’en donnent pas les moyens et, d’autre part, tel n’est pas leur objectif non plus ! Ce qui s’est passé lors de la conférence nationale, par exemple, nous en donne une éloquente illustration.
En effet, avant la tenue de ces assises, tant du côté des politiciens de l’opposition que des dirigeants de la société civile, qui, à quelques exceptions près, sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui, nombreux étaient ceux qui, par démagogie ou par naïveté, avaient prétendu qu’il suffirait de la tenue de cette conférence pour que le pays s’engage dans un véritable changement. Ils avaient déclaré que, au terme des discussions, ils instaureraient la démocratie qui, selon eux, serait la condition essentielle pour jeter les bases d’un véritable développement économique. Certains d’entre eux avaient même promis de faire de la conférence nationale le cimetière où serait célébré l’enterrement de la dictature de Déby, laissant croire ainsi qu’ils imposeraient à celui-ci les changements nécessaires dont les masses opprimées avaient besoin.
Mais, dès l’ouverture de ladite conférence, ils ont vite fait de montrer leur vrai visage : alors que, conformément à leurs diverses promesses, leurs partisans rêvaient de les voir combatifs, offensifs, décidés à se battre pour faire reculer le dictateur sur tous les points et lui imposer leurs choix politiques - si tant est qu’ils en aient eu de différents -, ils se sont révélés plutôt pleutres, timorés, craintifs. Au lieu d’un combat acharné, par tous les moyens, y compris la grève, la mobilisation des partis, des syndicats, des associations et de l’ensemble de la population opprimée, dans la rue, pour imposer à Déby les changements nécessaires, tout au long de la conférence, leur principal crédo était au contraire la modération au service de la recherche d’un consensus avec la dictature.
Ainsi, au grand dam de ceux qui avaient placé leurs espoirs en eux, ces gens, qui prétendaient représenter les « forces vives », se sont mués en « âmes mortes » : ils se sont agenouillés devant Déby ; ils lui ont léché les bottes ; ils lui ont pratiquement tous offert leur service pour travailler avec lui, notamment au niveau de la primature, chacun arguant qu’il avait les meilleurs atouts pour s’entendre avec lui. Mieux, quand, repoussant de façon dédaigneuse leurs offres, le dictateur a décidé d’imposer ses choix et ses hommes, toute honte bue, ils se sont non seulement pliés à sa volonté, mais, par ailleurs, ils sont entrés massivement dans son gouvernement pour y occuper des strapontins ministériels. Finalement, ils ont, de cette façon, aidé Déby à gagner la bataille de la conférence nationale sans coup férir et, par la même occasion, lui ont offert aussi, sur un plateau d’argent, la caution politique et le label de « démocrate » dont il avait besoin afin d’abuser l’opinion et d’avoir les coudées franches pour diriger à sa guise, allant jusqu’à fouler aux pieds la constitution et autres mesures décidées par la conférence dont ils avaient dit qu’elle serait souveraine.
Le comportement des politiciens de l’opposition et des dirigeants de la société civile lors de la conférence nationale, qui ressemblait fort bien à une trahison de leurs partisans tout au moins, n’était, cependant, pas fortuit ! Leur souci d’éviter tout conflit avec le dictateur, de tout faire pour trouver un terrain d’entente avec lui, au point même de décevoir certains de leurs militants, était surtout un choix politique et social : ces gens-là tiennent eux aussi à l’ordre établi et leur principale ambition est simplement de servir ce dernier. En courtisant la dictature au lieu de la combattre vraiment, ils cherchaient aussi à plaire aux couches dirigeantes, aux plus riches, aux notables. Au-delà de ceux-ci, c’était surtout aux yeux des dirigeants des pays riches, de la France et des Etats-Unis notamment, qu’ils voulaient apparaître comme des politiciens responsables, raisonnables, respectueux de l’ordre en vigueur, autant que le camp de la dictature. Chose que les événements ultérieurs n’ont pas d’ailleurs tardé à confirmer puisque, au cours du long règne de bientôt vingt ans de Déby, la plupart des dirigeants de l’opposition politique et certaines personnalités de la société civile de l’époque ont, à un moment ou à un autre, signé des alliances avec ce dernier, sont entrés dans ses gouvernements, ont assumé d’importantes responsabilités au sein de son pouvoir et contribué ainsi à la consolidation de la dictature actuelle. Alors, qu’est-ce qui empêcherait ces mêmes gens-là ou leurs semblables de faire la même chose aujourd’hui si le pouvoir de N’Djaména décidait de discuter avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif ? Rien ! Mais absolument rien !
Par ailleurs, dans toutes les organisations politiques et les associations de la société civile, il y a, bien sûr, des militants de base qui aspirent à de véritables changements. Par conséquent, si une telle rencontre se tenait dans un avenir plus ou moins proche, il pourrait certainement, au cours de ces assises, y avoir, ici et là, quelques groupuscules, quelques âmes charitables, qui parleraient d’égalité, de justice, de démocratie ou réclameraient des solutions courageuses pour s’attaquer réellement aux différents maux dont souffrent les masses opprimées. Mais, cela ne devrait pas non plus faire illusion : leur haine contre la dictature et leur volonté d’en finir avec la misère et l’exploitation ne suffiraient pas pour imposer au dictateur et ses opposants les changements nécessaires ! Ces groupuscules ou militants isolés prêcheraient avec raison, certes, contre l’ordre actuel des choses mais inutilement, car, les politiciens qui nous dirigent et leurs opposants se moquent éperdument des aspirations populaires et plus encore des états d’âmes de ceux qui pensent qu’il suffirait d’en appeler à leur bon sens pour qu’ils changent d’avis !
Mieux que quiconque, d’expérience, le dictateur Déby et ses rivaux, notamment les autres chefs de guerre, ses anciens compagnons des FAN et de l’UNIR, savent que ce ne sont pas les idées et les intentions vaguement généreuses sur la démocratie, la justice, l’égalité, dont sont friands certains partisans de l’opposition et de la société civile, qui font marcher les choses. Formés, pour la plupart, à l’école de la dictature de Habré, pour eux, à juste titre, ce qui compte et qui décide de la marche des événements, c’est le rapport des forces qui, pour l’instant, est en leur faveur. Plus que quiconque, Idriss Déby, qui est arrivé au pouvoir par les armes, est conscient du fait que s’il est à la tête du pays, ce n’est pas parce qu’il aurait les meilleures idées, le meilleur projet politique et social ou l’adhésion massive des masses populaires, mais tout simplement parce qu’il dispose d’un rapport des forces en sa faveur : un état-major politique et militaire, symbolisé par l’administration, l’armée, la police, la gendarmerie, la justice et un parti, le MPS, qui sont à sa solde, en plus du soutien de l’impérialisme français. C’est de cela qu’il tire son pouvoir et sa logique dictatoriale ! C’est cela qui lui permet d’imposer aussi bien ses choix, sa manière de faire que les hommes dont il a besoin pour diriger et non une quelconque constitution, moins encore des idées vaguement généreuses sut tel ou tel aspect de la vie sociale et politique. Dans ces conditions, pour l’heure, dialogue inclusif ou pas, aucune loi, aucun accord, aucun compromis, rien ne pourrait empêcher que le satrape actuel et ses partisans continuent à gérer le pays comme bon leur semble, en fonction de leurs propres règles et surtout de leurs propres intérêts ! Lorsqu’ on voit, en effet, ce qui s’est passé l’année dernière en Mauritanie, au Niger, en Guinée, par exemple, avec les dictateurs Mohamed Abdelaziz, Mamadou Tandja, Dadis Camara, ou qu’on se souvient des événements qui ont eu lieu, il n’y a pas longtemps , au Togo, au Zaïre, au Congo Brazzaville, en Haïti, où les Eyadéma, les Mobutu, les Sassou et autres Cédras se moquaient éperdument des résolutions des conférences nationales, aussi souveraines qu’elles aient été, et des résultats des urnes, il ne suffirait pas d’avoir des accords, des lois et quelques intentions généreuses pour « démocratiser » les chefs de guerre tchadiens et les amener à respecter les aspirations populaires aux libertés essentielles et à de meilleurs conditions de vie !
De ces choses-là et même de leur propre parole, ils n’ont cure ! A leurs yeux, elles ne valent rien : ce ne sont que des papiers qu’ils piétinent quand il en ont besoin, comme l’a fait Déby lorsqu’il a décidé unilatéralement de changer la constitution afin de rester au pouvoir, se fondant uniquement sur le rapport des forces en sa faveur, tout en rendant combien actuels de nos jours ces propos d’Auguste Blanqui, un révolutionnaire français du 19e siècle, qui disait : « Qui a du fer a du pain ! », vérité essentielle que les sbires et autres combattants au service de la dictature de N’Djaména, qui l’ont bien comprise et assimilée, expriment à leur manière, souvent de façon brutale, quand, crachant sur les lois et autres mesures constitutionnelles, ils traitent les décisions et les décrets gouvernementaux de « Katkat sakit », « rien que du papier », et à juste raison !
Par conséquent, si, dans les circonstances actuelles, un dialogue inclusif se tenait, il y aurait des chances que, fort de l’avantage qu’il a sur ses adversaires, mais aussi à cause du fait que parmi ceux-ci il n’y a personne qui veuille lui contester réellement le pouvoir en s’appuyant sur les luttes des masses opprimées, rien ne puisse empêcher le dictateur Déby de faire comme il voudrait. Aucune loi, aucune constitution, aucun accord, aucun discours vaguement généreux ne seraient suffisants pour l’obliger à respecter les aspirations populaires ! Par contre, il se servirait aisément des assises pour en tirer les principaux bénéfices politiques, pour les capitaliser pour son propre compte, en apparaissant comme l’homme incontournable, le pacificateur du pays, le restaurateur de « la démocratie » et de la paix, et redorer ainsi le blason de sa dictature souillé du sang de tant de victimes depuis bientôt vingt ans ! Il serait largement aidé en cela par les moyens énormes dont dispose aujourd’hui l’Etat grâce à l’argent du pétrole. Il pourrait s’en servir pour soudoyer ses opposants, corrompre certains ou satisfaire les ambitions d’autres, en les associant à la gestion des affaires publiques, en leur offrant des strapontins ministériels à côté de son trône ou en les casant dans des postes juteux où ils boufferaient jusqu’à satiété.
Ainsi ne serait-il pas exclu que ce beau monde de politiciens s’entende, mais, par ailleurs, il serait même possible que toute l’opposition, avec ses diverses composantes, s’incline devant Déby, le maintienne à son poste et le reconnaisse comme son chef, exactement comme ce qui s’est passé en 1993, lors de la conférence nationale ! Mais, - et c’est là l’essentiel -, quels que soient les changement que déciderait un dialogue inclusif dans la situation actuelle, ils ne seraient que formels : oui, le pouvoir qui en sortirait serait inévitablement une nouvelle dictature. Les masses populaires n’y gagneraient rien, ni démocratie, ni amélioration de leurs conditions de vie. Pour elles, ce sera toujours l’exploitation, la misère, les maladies et, au-dessus de tout cela, la dictature !
Il ne serait même pas sûr que soient dissipées les menaces de guerres ethniques qui planent sur le pays ou qu’il soit mis fin au règne et à la loi des bandes armées, des chefs de guerre et de gangs ! Car, les violences de toutes sortes, dans lesquelles le pays s’enfonce des années durant, dont les principales victimes sont les opprimés, ne viennent pas d’un caractère quelconque particulièrement belliqueux des masses populaires, mais des conditions de vie imposées à celles-ci : la source profonde de la crise sociale, qui étrangle le continent et crée les conditions d’une décomposition générale s’exprimant de façon violente, n’épargnant personne, ni les peuples, ni les Etats, est le système capitaliste lui-même, en faillite !
Dans ces conditions, quels que soient les réaménagements formels issus d’un dialogue entre Déby et ses opposants, tant que l’ordre social actuel existera, par millions, les masses opprimées continueront à être condamnées à la famine, aux maladies, à la dictature, et, inévitablement, il y aura toujours des femmes, des hommes et leurs enfants qui, exaspérés, refuseront de s’agenouiller, se mettront debout pour chercher une issue à leur situation, par tous les moyens, y compris les armes. Mais, si, comme aujourd’hui, ils ne trouvent pas les idées dont ils ont besoin pour s’émanciper du capitalisme, de sa cohorte de misère, de maladies et de dictatures, eh bien, ce seront malheureusement d’autres démagogues, d’autres chefs de guerre, d’autres Habré, d’autres Déby, d’autres Nouri, d’autres Kamougué ou d’autres Kassiré qui, profitant de leur mécontentement né des frustrations sociales, exploiteront leur colère pour leur propre compte : ils se serviront d’eux comme forces de manoeuvres électorales ou comme de la chair à canon, dans leurs partis, leurs bandes armées bâtis sur des bases ethniques, et le opposeront les uns aux autres dans des affrontements fratricides.
Prétendre ou dire qu’on pourrait changer une situation comme celle du Tchad par des discussions entre les politiciens locaux, principaux responsables de l’impasse actuelle, ou, encore, comme le font certains, en appelant à la bonne volonté du dictateur au nom de dieu et autres conneries est donc un leurre, surtout un piège pour les masses opprimées ! Mieux, laisser croire que ce serait de façon pacifique, en douceur, en négociant avec le pouvoir qu’on pourrait accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration des conditions de vie de la majorité pauvre du pays, comme le font les politiciens de l’opposition agglutinés au sein de la CDCP, c’est non seulement mensonger, politiquement stérile, irresponsable, mais surtout criminel ! Car, c’est de cette manière-là que, d’une part, on désarme les masses opprimées et, d’autre part, on prépare les drames et les barbaries dont celles-ci sont coutumièrement victimes, tel qu’on vient de le voir récemment en Guinée ou, il n’y a pas longtemps, au Rwanda. Les dictateurs africains, les Déby, les Sassou, les Biya et autres, n’accepteront jamais que les aspirations fondamentales des masses laborieuses, tant démocratiques que sociales, se réalisent, s’ils n’y sont pas contraints ! Ils n’ignorent pas les conditions désastreuses à tout point de vue dans lesquelles vivent les couches populaires africaines, condamnées, pour certaines, à mourir tout simplement de manque d’eau potable, alors que jamais nos sociétés n’ont été aussi riches qu’aujourd’hui. La plupart d’entre eux viennent même des milieux populaires défavorisés si ce n’est de la paysannerie pauvre. Mais, au lieu de s’attaquer aux causes des maux dont souffrent les masses opprimées, ils font consciemment un autre choix, celui d’être les serviteurs du capitalisme, ce système monstrueux, principal responsable du sous-développement qui étrangle le continent africain. Par conséquent, discuter avec eux pour chercher à les convaincre de prendre en considération les aspirations populaires et de les réaliser est aussi vain que de vouloir faire pousser du mil au sommet du Tibesti !
En revanche, la force organisée des masses populaires, des travailleurs, des chômeurs, des femmes, des jeunes, des paysans pauvres, quels que soient leurs partis, leurs syndicats, leurs associations, en d’autres termes, la mobilisation de l’ensemble des opprimés et leurs luttes, contre la dictature, pour leur droit à la vie, pourraient conduire aux véritables changements tant attendus. En effet, si les masses opprimées veulent accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration de leurs conditions de vie par le biais de la répartition des richesses, fruit de leur travail et de leur sueur, elles ne pourraient pas faire l’économie des luttes populaires, politiques et sociales, nécessaires et indispensables, que leur impose le capitalisme à travers le pouvoir dictatorial qui règne à N’Djaména. Les libertés démocratiques, l’amélioration des conditions de vie et le droit à une existence digne de notre époque ne sauraient être ni discutés, ni négociés, ni marchandés avec les tenants du pouvoir actuel : ils ne pourraient qu’être le fruit des luttes, politiques et sociales, des masses laborieuses elles-mêmes. Pour qu’ils existent, de façon durable, qu’ils soient respectés et vécus comme des mœurs normales, ils doivent être arrachés et imposés par celles-ci, en dehors de la légalité constitutionnelle actuelle, dans la rue. Il ne pourrait en être autrement ! Toutes les expériences des ces trente dernières années, notamment la conférence nationale dont l’échec est plus que patent, le prouvent amplement.
Par conséquent, la seule façon efficace de réaliser les changements nécessaires qu’attendent les couches populaires est de les imposer à Déby par les luttes de tous les opprimés victimes de la politique en vigueur. Car, seule la perspective d’un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière et des autres catégories sociales souffrant des conséquences de la crise économique pourrait, au moyen d’une mobilisation populaire, créer un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et l’obliger à respecter les aspirations politiques et sociales des masses laborieuses.
Dans cette optique-là, la question de la cherté de la vie, ce problème majeur qui préoccupe l’ensemble des masses laborieuses, pourrait être l’élément fédérateur susceptible de permettre la mobilisation du monde du travail et des autres catégories d’opprimés victimes de la crise sociale. En l’absence d’un parti révolutionnaire, s’ils en avaient l’ambition, ce devrait être aux syndicats, comme l’UST ou le SET qui ont déclenché des grèves pour exprimer la colère des masses opprimées contre la dégradation constante de leurs conditions de vie, de prendre l’initiative de cette perspective-là.
Certes, à cause des dictatures qui se sont succédé dans le pays depuis des décennies, avec l’aide de l’impérialisme français, les luttes politiques et sociales des travailleurs entraînant d’autres couches populaires, victimes comme eux des politiques officielles, ne sont pas encore devenues des mœurs et des traditions vécues naturellement. Bien qu’étant souvent à la pointe du combat contre la dictature de Déby, les travailleurs n’en sont encore qu’au début de leur apprentissage quant à la nécessité de leur organisation en vue de la défense de leurs droits sociaux et politiques ainsi que ceux de l’ensemble des masses opprimées. Mais, cela n’efface ni n’enlève rien au fait qu’ils constituent une force colossale, la seule capable de tout bloquer et de tout changer, si elle en a l’ambition : ce sont eux, les travailleurs, qui sont dans les usines, les secteurs économiques et les services sociaux essentiels, comme le pétrole, la Coton Tchad, mais aussi le Bâtiment, le Transport, le Commerce, les Banques, les Assurances, l’Education, la Santé, les Finances, le Trésor, les Impôts, la Communication, les PTT, la Culture, la Justice, l’Energie, les Eaux, les Mairies, etc. Ils occupent une place de choix dans tous les domaines essentiels qui font marcher la société. Sans eux, rien ne pourrait fonctionner dans le pays.
Par conséquent, si les travailleurs prennent l’initiative d’engager contre Déby, son gouvernement et le patronat les luttes nécessaires, dirigées par eux-mêmes, pour l’amélioration des conditions de vie des masses populaires et les libertés essentielles, ils pourraient entraîner et regrouper autour d’eux les autres catégories sociales étranglées par la même crise du capitalisme : ils pourraient ainsi servir de boussole et offrir une politique aux chômeurs, aux femmes, aux jeunes, aux paysans pauvres, aux petits commerçants et, de cette façon, créer, par un mouvement de « tous ensemble », un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et lui imposer les changements nécessaires, tant sur le plan social que politique. Mieux, si la classe ouvrière et l’ensemble des opprimés, qui, régulièrement, se mettent en grève ou manifestent pour exprimer leur colère contre la cherté de la vie, sont mobilisés, décidés à utiliser pour leur propre comptes toutes les failles, s’ils sont conscients que les choses ne changeront pour eux que s’ils se battent pour leurs propres intérêts, la période actuelle pourra alors offrir des possibilités supérieures : ils pourront non seulement obliger le pouvoir à satisfaire les revendications populaires, - comme, par exemple, une augmentation conséquente des salaires, dans le public et dans le privé, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions des retraites, des bourses, l’interdiction des licenciements tant dans le privé que dans le public, une embauche massive dans les secteurs-clés, tels ceux de l’Education et de la Santé, à commencer par celle des contractuels et des précaires, mais aussi dans le privé, une baisse importante des prix des produits de première nécessité, du transport, des impôts, des loyers, la défense et la jouissance des libertés démocratiques essentielles, d’expression, d’organisation, etc -, mais ils pourront même paralyser tout le pays et renverser la dictature actuelle, car, l’armée de Déby, sa police, sa gendarmerie ne seront jamais suffisamment fortes pour endiguer une mise en branle de milliers, si ce n’est de millions, de travailleurs et d’opprimés, décidés à trouver une issue à leur situation au moyen d’une vaste et profonde mobilisation populaire s’exprimant aussi bien par des grèves dans les secteurs économiques vitaux que par des manifestations monstres dans la rue.
Malgré les oripeaux officiels, les forces gouvernementales au service de la dictature ne sont, en réalité, qu’une bande armée comme les autres. Elles ne sont vraiment puissantes et arrogantes que si elles ont en face d’elles une autre bande de même nature, comme celle de l’UFR, moins équipée de surcroît. Mais elles ne pourraient rien face l’ensemble des opprimés de la ville de N’Djaména, debout, entraînant derrière eux ceux de Moundou, de Sarh, de Bongor, d’Abéché, de Mao, de Faya, de Laï, de Fada etc, sous la forme d’une riposte collective de l’ensemble des masses populaires, de toutes les régions, de toutes les ethnies, de toutes les religions, unies autour de la nécessité de défendre consciemment leurs intérêts spécifiques contre la politique du pouvoir et d’imposer à ce dernier les changements auxquels elles aspirent.
Les partisans du dialogue inclusif ou ceux qui prônent un changement en douceur en prenant langue avec la dictature vont certainement pousser des cris d’orfraies face à cette perspective-là. Certains prétendront que cela ne serait pas possible et, pour se donner bonne conscience, ils accuseront les masses d’avoir peur, d’être analphabètes ; ils argueront qu’elles ne seraient pas suffisamment conscientes ; d’autres diront que, face à une dictature surarmée comme celle de Déby, ce serait utopique !
Mais, dans un pays où, des décennies durant, des milliers de gens, des travailleurs, des femmes, des jeunes, s’organisent dans des partis, des syndicats, diverses associations, ou, pour certains, vont même jusqu’à prendre des armes pour chercher une solution aux problèmes auxquels ils sont confrontés, leurs propos ne serviront qu’à étaler au grand jour leur fatalisme et leur impuissance. Ils démontreront surtout que ceux qui, doutant de la force et des capacités des masses populaires, proposent de discuter avec la dictature, sont soit des incapables qui prennent leur propre faiblesse pour des réalités objectives, soit des démagogues, des charlatans, qui, craignant la volonté populaire, cherchent à fixer des limites à la révolte des opprimés bien longtemps avant qu’elle n’explose ! Car, ce que l’on sait, ce que l’histoire a permis de vérifier, c’est justement le caractère utopique des changements en douceur, par des négociations, avec nos dictateurs. Toutes les expériences, toutes les tentatives dans ce sens n’ont abouti qu’à des échecs, à des impasses, qui n’ont servi qu’à renforcer les chaînes de l’exploitation, de la misère, de la dictature et autres violences dont les masses populaires sont les principales victimes. Ce qu’on sait aussi, c’est que, quelles qu’en soient les limites objectives, toutes les avancées, sociales et politiques, petites ou grandes, réalisées ces dernières années en Afrique en général, depuis les années 90 notamment, comme l’instauration du multipartisme, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la création des syndicats, des associations, l’éclosion d’une presse privée multiple ou les augmentations des salaires, n’ont été possibles que parce que les travailleurs et les masses opprimés ont lutté, organisé des grèves, sont descendus dans la rue ou parce que, parfois, leur colère était telle que, avant qu’elle n’explose, l’impérialisme et certains de ses valets ont compris qu’il était de leur intérêt d’anticiper et de faire ces réformes nécessaires. Alors oui, l’avenir se situe en dehors de tout dialogue, quel qu’il soit, avec le dictateur Déby. Il est entre les mains des travailleurs et de l’ensemble des masses opprimées, dans leur mobilisation, leur organisation et leurs luttes ! Ce n’est pas la détermination des couches populaires d’en finir avec la misère ou de trouver une autre issue à leur situation en général qui fait défaut. Ce qui manque, c’est la perspective qu’il faudrait pour que leurs luttes soient efficaces et servent réellement à changer leurs conditions de vie, c’est-à-dire un mouvement d’ensemble de tous les travailleurs, secteurs et catégories confondus, du public comme du privé, et de l’ensemble des opprimés, quelles que soient leurs ethnies, leurs régions, leurs religion, sous la forme d’une vaste mobilisation populaire, dirigée par eux-mêmes pour imposer les changements nécessaires.
Par conséquent, au lieu de perdre inutilement du temps en discutant avec le pouvoir de Déby et le patronat, comme le font souvent les directions syndicales, ou de se focaliser sur les chances d’un dialogue inclusif ou sur les prochaines élections alors qu’on sait d’avance qu’elles ne changeront rien, c’est à cette perspective-là que devraient s’atteler tous ceux qui, syndicalistes, militants des partis politiques, de l’opposition armée et des associations, sont réellement révoltés tant par les conditions de vie des populations pauvres que par la dictature et aspirent à de véritables changements. Cela devrait se faire sous la forme d’une action consciente, délibérée, organisée, avec rigueur. Au besoin, si c’est nécessaire, il faudrait aller au-delà de la volonté des directions syndicales et leur imposer cette perspective-là, car, pour que se réalisent les changements nécessaires dignes de leur attentes et aspirations, il est vital que les masses opprimées interviennent, fassent irruption dans la scène politique, dans les lieux, les sphères où se prennent les décisions essentielles les concernant au premier chef, où se décident leur sort et leur vie, et ce, avec leurs propres armes et méthodes.
La perspective d’un mouvement d’ensemble des travailleurs et des masses opprimées est aussi la seule façon efficace pour que tous ceux qui veulent que les choses changent réellement se regroupent, se comptent et jettent ainsi les bases d’un parti révolutionnaire qui leur soit propre, cet organe politique qui fait cruellement défaut aujourd’hui, mais qui est combien indispensable, combien nécessaire, tant pour défendre les intérêts collectifs des couches populaires face à la politique du pouvoir que pour en finir un jour avec l’ordre social injuste en vigueur, le capitalisme !