La chasse aux sorcières à la fin du Moyen-Âge : une vraie guerre de type fasciste pour démolir les droits des femmes
Cela peut étonner de parler de fascisme à propos des chasses aux sorcières médiévales et pourtant, ce sont bel et bien les classes dirigeantes, en se servant de l’appareil religieux, juridique et militaire qui ont instrumentalisé ces épisodes sanglants utilisant les milieux populaires les plus misérables et visant les femmes qui étaient jugées trop indépendantes ou qui exerçaient des professions réservées aux hommes. Cela est du domaine du pogrome, de la violence raciste, un racisme contre les femmes traitées de diables….
Si toute l’antiquité connaît l’interdiction de la sorcellerie, cela ne vise pas encore spécifiquement les femmes…
Contrairement au cliché, la « chasse aux sorcières » est loin d’être un fait historique médiéval.
En effet, le haut Moyen-Âge, s’il réprima dans le sang et les flammes l’hérésie, fut clément, en tout cas comparé à la Renaissance et au Grand Siècle, vis à vis de la « sorcellerie ».
Les premières "chasses aux sorcières" débutèrent vers le milieu du 15ème siècle, à la toute fin du moyen-âge. On peut dater plus précisément la première vague de répression, menée par les tribunaux de l’Inquisition, de 1480 à 1520.
Mais la plus intense folie meurtrière eut lieu entre 1580 et 1630, et fut menée par des tribunaux séculiers.
C’est avec le milieu du quinzième siècle, avec la montée de la révolution bourgeoise qui menace l’édifice chrétien-féodal, que la papauté, l’église et le pouvoir politique lancent l’affaire des sorcières afin de détourner les colères populaires contre des femmes trop libres et que l’on va accuser de jeter le mauvais sort en alliance avec le diable. Mais, on va le voir, la bourgeoisie elle-même, est pour faire reculer les femmes dans leur lutte pour leurs droits…
La papauté est opposée aux droits des femmes, aux femmes qui prétendent faire de la religion et même diriger dans ce domaine, par exemple aux béguines religieuses qui réclament une libéralisation du statut de la femme… Les béguines, surtout présentes en Europe du Nord, cristallisent ce courant de subversion des mœurs. Elles vivent au sein de communautés autonomes, mais ne sont pas ordonnées. Elles sont autonomes en vivant d’aumônes, mais aussi de leurs salaires pour leurs soins médicaux ou leurs travaux textiles. Surtout, elles prônent une plus grande liberté sexuelle et récusent l’autorité des hommes. Marguerite Porete, une béguine, pousse la provocation jusqu’à publier à la fin du XIIIe siècle un traité de théologie, le Miroir des âmes simples anéanties. Poursuivie par l’Inquisition, elle est condamnée pour hérésie et est brûlée en 1310.
Vers 1326, le pape Jean XXII rédige la bulle Super Illius Specula, qui définit la sorcellerie comme une hérésie.
Bien que l’imaginaire collectif place la persécution de prétendues sorcières au Moyen Âge, les persécutions ne commencèrent qu’au XVe siècle et connurent leur apogée aux XVI et XVIIe siècles, c’est-à-dire pendant la Renaissance et le Grand siècle.
En 1484, le pape Innocent VIII lance le signal de la chasse aux sorcières en rédigeant une bulle papale, Summis desiderantes affectibus, qui organise la lutte contre la sorcellerie et élargit la mission de l’Inquisition aux « praticiens infernaux ».
La persécution est véritablement lancée à grande échelle après la publication en 1486 du Malleus Maleficarum, par Heinrich Kramer et Jacques Sprenger, deux dominicains. Il s’agit d’une enquête commanditée par l’Inquisition qui décrit les sorcières, leurs pratiques, et les méthodes à suivre pour les reconnaître. Le Malleus Maleficarum, ou Marteau des sorcières en français, est un véritable succès : il connut près de trente éditions latines entre 1486 et 1669.
Ce qui lance toute une campagne en ce sens, c’est la fameuse bulle apostolique Summis desiderantes affectibus en 1484, suivi d’un manuel démonologique, le Malleus Maleficarum, écrit par deux inquisiteurs dominicains, Heinrich Kramer et Jacob Sprenger.
La première partie du livre traite de la nature de la sorcellerie. Une bonne partie de cette section affirme que les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence, seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan. Le titre même du livre présente le mot maleficarum (avec la voyelle de la terminaison au féminin) et les auteurs déclarent (de façon erronée) que le mot femina (femme) dérive de fe + minus (foi mineure). Le manuel soutient que certains des actes confessés par les sorcières, comme le fait de se transformer en animaux ou en monstres, ne sont qu’illusions suscitées par le Diable, tandis que d’autres actions comme, par exemple, celles consistant à voler au sabbat, provoquer des tempêtes ou détruire les récoltes sont réellement possibles. Les auteurs insistent en outre de façon morbide sur l’aspect licencieux des rapports sexuels que les sorcières auraient avec les démons.
La seconde partie explique comment procéder à la capture, instruire le procès, organiser la détention et l’élimination des sorcières. Cette partie traite aussi de la confiance qu’on peut accorder ou non aux déclarations des témoins, dont les accusations sont souvent proférées par envie ou désir de vengeance ; les auteurs affirment toutefois que les indiscrétions et la rumeur publique sont suffisantes pour conduire une personne devant les tribunaux et qu’une défense trop véhémente d’un avocat prouve que celui-ci est ensorcelé. Le manuel donne des indications sur la manière d’éviter aux autorités d’être sujettes à la sorcellerie et rassurent le lecteur sur le fait que les juges, en tant que représentants de Dieu, sont immunisés contre le pouvoir des sorcières.
Suite à la publication de cet ouvrage commence un mouvement d’arrestations systématiques dans toute l’Europe. Principalement en Allemagne, en Suisse et en France, mais également en Espagne et en Italie. Cette première vague dure environ jusqu’en 1520. Puis une nouvelle vague apparaît de 1560 à 1650. Les tribunaux des régions catholiques mais surtout des régions protestantes envoient les sorcières au bûcher. On estime le nombre de procès à 100 000 et le nombre d’exécutions à environ 50 000. Brian Levack évalue le nombre des exécutions à 60 000. Anne L. Barstow révise ces nombres et les élève à 200 000 procès et 100 000 exécutions en prenant en compte les dossiers perdus.
Au cours de la campagne répressive menée dans les pays germaniques par les deux auteurs du Marteau des sorcières, on procéda a des exécutions massives : en trois mois, 600 dans le petit évêché de Bamberg, 900 a Wiirzburg. Mais la chasse aux sorcières devait prendre une ampleur et une férocité plus grandes encore au XVIe s. et dans la première moitie du XVIIe s., surtout en France, en Allemagne, en Angleterre, alors que l’Italie était beaucoup plus épargnée.
Loin de tempérer les préjugés populaires sur la sorcellerie, la réforme les aggrava plutôt en répandant une conception pessimiste de l’existence humaine sur la terre.
Erasme et Luther croyaient profondément a la présence active du démon dans les âmes. Un grand esprit, comme celui du théoricien politique Jean Bodin, l’auteur de La République, peu suspect cependant de fanatisme religieux, se passionnait pour la démonologie (De magorum doemonomania, 1579), de même que le roi d’Angleterre Jacques 1er. Luther et Calvin réclamèrent des châtiments impitoyables pour toutes les personnes suspectes de sorcellerie, et cette tradition protestante se perpétua longtemps dans le puritanisme anglais et américain.
En France, le siècle classique fut marqué par de célèbres affaires de sorcellerie : procès des ursulines convulsionnaires de la Sainte-Beaume (1611), d’Urbain Grandier et des ursulines de Loudun (1634), du maréchal de Luxembourg (1681), etc.
En Allemagne, dans les années 1625/30, plus de 600 personnes convaincues de sorcellerie furent brûlées dans le seul évêché de Bamberg.
En Angleterre, dans les années 1640, Matthew Hopkins mena de féroces chasses aux sorcières. En 1599, le roi Jacques Ier d’Angleterre montre comment il est possible de prouver la culpabilité d’une sorcière en la piquant, ou bien en la jetant à l’eau : si la piqûre ne saigne pas, la sorcière est reconnue coupable. De même si la femme s’avise de remonter à la surface de l’eau après y avoir été précipitée.
Aux XVIe et XVIIe siècles, les procès en sorcellerie deviennent presque exclusivement à l’encontre des femmes. Le premier procès de sorcières officiel eut lieu à Trèves en 1235, et, en 1275, à Toulouse, fut brûlée la première sorcière dûment condamnée par les tribunaux ecclésiastiques. La sorcellerie était dorénavant assimilée à l’hérésie, et le pape Jean XXII, en 1330, donna une nouvelle impulsion à la chasse aux sorcières. Les « chasses aux sorcières » connaissent deux vagues : la première de 1480 à 1520 environ, puis la seconde de 1560 à 1650. Mais dès les années 1400-1450, le portrait de ce qui deviendra une « image d’Épinal » par la suite se dessine, et les dernières persécutions se terminent vers la fin du XVIIe siècle.
Historiens et chercheurs estiment aujourd’hui le nombre de leurs victimes entre 50 et 100 000 sur les deux siècles où tant les tribunaux de l’Inquisition que ceux de la Réforme les conduisent au bûcher. Un chiffre élevé en proportion de la population européenne de l’époque. Et ce sont, pour 80 % de ces victimes, des femmes.
Ces femmes (et quelques fois leurs enfants, surtout s’il s’agissait de filles), appartenaient le plus souvent aux classes populaires. Une toute petite minorité d’entre elles pouvait être considérée comme étant d’authentiques criminelles.
Un moyen horrible de savoir si une femme était une sorcière consistait à la jeter nue à l’eau, les mains et pieds attachés ensemble pour l’empêcher de surnager. Une sorcière étant — en théorie — plus légère que l’eau, si elle flottait, elle était aussitôt repêchée et brûlée vive. Si elle se noyait, c’est qu’elle était morte innocente.
En Angleterre, la loi contre la sorcellerie fut définitivement abolie en 1736, ce qui n’empêcha pas la pendaison de la dernière sorcière anglaise en 1808. Les dernières brûlées le sont dans la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, tel Anna Göldin dans le canton de Glaris de la Suisse protestante en 1782, ou en 1793 en Pologne. En France à Bournel, une femme accusée de sorcellerie fut brûlée par des paysans le 28 juillet 1826, une autre en 1856, fut jetée dans un four à Camalès.
Il ne suffit pas de dire que la société avait basculé dans le crime systématique contre les femmes, il faut expliquer pourquoi…
Une sorcière signifiait une femme qui exerçait des métiers comme pharmacopée, médecine, sage-femme, avorteuse, conseillère psychologique, enseignante, dirigeante politique éventuellement dans les milieux populaires, etc… En tout cas, une femme libre en rupture avec l’ordre patriarcal devenu de plus en plus pesant avec le développement économique de la bourgeoisie… Cette dernière, pas plus que les anciennes classes dominantes, ne voulait que les femmes profitent de la lutte pour la liberté nécessaire au développement économique bourgeois. La bourgeoisie a donc cherché sciemment à aggraver le sort des femmes et non à l’améliorer et on le verra au cours de la révolution française ou la bourgeoisie en pleine conquête de son pouvoir, s’appuyant pourtant sur des mouvements révolutionnaires de femmes contre l’ordre établi, agira violemment pour empêcher les femmes d’acquérir des droits sociaux et politiques…
Le droit bourgeois nécessitait l’héritage et la paternité et cela signifiait qu’il fallait interdire toutes les libertés qui avaient pu exister pour les femmes au Moyen-Age. Contrairement au mythe qui la présente comme un progrès de toutes les libertés, la société bourgeoise a représenté un enfermement des femmes… Si des femmes pouvaient vivre de manière indépendante et exercer des professions libérales, ce n’est plus le cas ensuite ! Toute femme qui refuse de se mettre sous la domination d’un homme doit être dénoncée comme sorcière !
C’est le début de la montée de la bourgeoisie qui coïncide avec la vague de chasse aux sorcières et notamment avec la Renaissance. Il fallait alors accuser les femmes de tous les malheurs de la société menacée de révolution sociale.
Les grands penseurs humanistes ne s’élevèrent pas contre ce mouvement, à l’exception de Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim qui fut attaqué pour soutien à la sorcellerie.
Le pasteur allemand Anton Praetorius de l’Église réformée de Jean Calvin édita en 1602 le livre De l’étude approfondie de la sorcellerie et des sorciers (Von Zauberey und Zauberern Gründlicher Bericht) contre la persécution des sorcières et contre la torture. Le jésuite Friedrich Spee von Langenfeld qui a accompagné de nombreuses prétendues sorcières au bûcher publia sous l’anonymat un livre pour les défendre (cautio criminalis).
Le premier en France à réhabiliter publiquement les femmes libres dites « sorcières » fut l’historien Jules Michelet qui leur consacra un livre en 1862. Il voulut ce livre comme un « hymne à la femme, bienfaisante et victime ». Michelet choisit de faire de la sorcière une révoltée en même temps qu’une victime et il réhabilite la sorcière à une époque où elle avait totalement disparu derrière l’image du diable. Dans ce livre, Michelet accuse l’Église d’avoir organisé cette chasse aux sorcières, pas seulement au Moyen Âge mais aussi au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Le livre eut des difficultés à trouver un éditeur et provoqua un scandale. Michelet se défendit en présentant son livre comme un travail d’historien et non de romancier. Mais il ne leur reconnaît pas véritablement le droit à l’émancipation. Il faut attendre les mouvements féministes des années 1970 pour voir apparaître le thème sous un jour positif. Les représentantes de ces mouvements s’en sont emparé et l’ont revendiqué comme symbole de leur combat. On notera par exemple la revue Sorcières de Xavière Gauthier, qui étudiait les « pratiques subversives des femmes ».
QUELQUES DATES
1326 Bulle du pape Jean XXII contre la magie démoniaque (Super illius specula).
1428-1430 Mise en place du mythe du sabbat.
1459-1461 Procès d’Arras contres les Vaudois, hérétiques assimilés aux sorciers
1484 Bulle du pape Innocent VIII qui lance la chasse aux sorciers en Rhénanie (Summis desiderantes affectibus). Premier essor de la persécution et publication des manuels de procédure.
1487 Le Marteau des sorcières (Malleus maleficarum) de deux inquisiteurs Henry Institoris et Jacques Sprenger. Manuel de démonologie. Succès éditorial.
1580 La Démonomanie des sorciers du juriste Jean Bodin. La persécution s’accroît dans toute l’Europe du Nord.
1612 Le Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons du juriste Pierre de Lancre : récit de la chasse aux sorciers au Pays basque et traité de procédure.
1634-1637 La possession des ursulines de Loudun. Le curé Urbain Grandier, qui est accusé de pacte avec le diable, est brûlé vif.
Extraits de « Un monde sans fin » de Ken Follett :
Quelques autres lectures :