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Les origines de la guerre civile au Soudan et au Tchad

jeudi 19 mars 2009, par Robert Paris

Le Soudan est aujourd’hui aux mains d’une dictature qui se dit islamiste mais qui est d’abord une dictature de la classe bourgeoise et de l’armée. Elle est connue dans le monde entier parce qu’elle est désignée du doigt par les grandes puissances, USA en tête, comme responsable d’exactions contre les populations du Darfour. Un mandat d’arrêt international vient d’être lancé contre son chef, Omar el Béchir. Cette dictature a été soutenue longtemps par la France puis par la Chine. Tant que les Usa ne pouvaient pas profiter du pétrole du sud soudan, ils soutenaient une guerre du sud menée par l’armée de John Garang qui employait des moyens non moins barbares que la dictature du nord. Ensuite ils se sont réconciliés, ont partagé le pouvoir et le pétrole. Mais les USA, estimant sans doute que la dictature de Khartoum faisait trop profiter la Chine, plus que les USA, exercent une pression sur le régime qui vient d’être dénoncé par l’ONU.

Si le pouvoir est aux mains des islamistes, ce n’est pas faute que le pays ait connu des luttes de classe où la classe ouvrière a pu jouer une rôle important. Mais ces luttes ont été dirigées par un parti stalinien dont la politique a toujours été de ne pas déborder le cadre bourgeois. La classe ouvrière a été ainsi détournée de ses intérêts et de son rôle.

Le PC soudanais a été créé en Egypte[2] en mars 1947 sous le nom de Mouvement soudanais de libération nationale. Il fut alors soutenu et appuyé notamment par une organisation communiste égyptienne dirigée par Henri Curiel[3]. Il prit alors racine dans la société soudanaise. Ses dirigeants - Abd El Khaleg Mahjoub (futur secrétaire général), Al Tajini al Tayeb Babikir, Izz al-Din Amer - et ses militants choisirent et mirent en œuvre une ligne politique reliant les revendications nationales aux revendications socio-économiques de la même manière que le parti stalinien d’Egypte. Ils suivaient ainsi les conceptions de Staline consistant à chercher des leaders bourgeois modérés et nationalistes parmi les dirigeants de la petite bourgeoisie ou de l’armée. ils allaient le trouver en Egypte avec Nasser et les "officiers libres". Mais cette politique était bien sûr à l’inverse d’une politique communiste visant à une intervention indépendante du prolétariat en vue sa propre prise du pouvoir. La politique stalienienne peut être qualifiée politiquement de "menchevik". C’est tout lm’opposé de la conception dite de la "révolution permanente" de Trotsky et qui a été aussi celle menée par Lénine en Russie en 1917 : celle visant à mettre le prolétariat à la tête de toutes les aspirations des opprimés, y compris les revendications démocratiques bourgeoises.

A l’indépendance, le 1er janvier 1956, le programme politique et social du MSLN - qui se transforma en Parti communiste soudanais (SCP) – était relativement classique parmi les pays débarrassés du colonialisme. C’est-à-dire qu’il restait dans le cadre des revendications bourgeoises, du nationalisme et de la démocratie au sens bourgeois et non au sens prolétarien. Il revendiquait une démocratie pluraliste, appelant à l’« unité des forces vives de la nation », l’« union de la classe ouvrière, de la paysannerie, de la bourgeoisie nationale, des intellectuels progressistes », et réclamant des investissements dans l’industrie, alors quasi inexistante, et dans les secteurs délaissés par le pouvoir colonial.

Le SCP s’appuyait sur une puissante base syndicale (surtout chez les cheminots et les métayers) organisée dans l’Union des travailleurs soudanais[4]. Mais ce parti stalinien considérait que la classe ouvrière devait être la dernière roue du carrosse d’une alliance avec la bourgeoisie. La force de la classe ouvrière était ainsi transformée en un moyen pour les forces bourgeoises dites nationales ou démocratiques. Les ouvriers étaient les mains liées et ne devaient qu’attendre que les forces armées les écrasent, ce qu’elles firent. Le putsch militaire de 1958, dirigé par le général Abbud, et téléguidé par les Etats Unis et la Grande-Bretagne, contraignit le SCP à la clandestinité. La ligne d’unité contre la dictature, qui sous des appellations diverses, constitue jusqu’à nos jours, la stratégie permanente du SCP, déboucha alors sur la formation du Front national unifié, animé pour l’essentiel par ses militants. Sous la pression d’un mouvement de masses, ce régime, lié à la haute bourgeoisie soudanaise et à l’impérialisme, tomba en octobre 1964.

La dictature Nimeiry

Après quatre années de régime « démocratique » marquées par l’instabilité politique et la volonté de mettre le Parti communiste hors-la-loi, les militaires reprirent le pouvoir le 25 mai 1969. Le Parti communiste (stalinien) s’impliqua militairement aux côtés des “ Officiers Libres ”. Il participa aux manifestations populaires qui les accueillirent au début. Les militaires, pour leur part, cherchèrent à déborder le SCP. Ils instaurèrent une politique de nationalisations qui se révéla très vite inefficace. De plus, Nimeiry entendit fondre toutes les organisations en un parti unique, l’Union socialiste soudanaise, ce que la majorité des communistes refusa[5]. Dès lors, la tension alla croissant : arrestation du secrétaire général (qui put néanmoins s’enfuir de son lieu d’internement, le 29 juin 1971), appel du SCP à la lutte contre la dictature le 30 mai 1971, rébellion d’une partie de l’armée, le 19 juillet, laquelle fut rapidement défaite. La répression du pouvoir se voulut exemplaire : le secrétaire général du Parti, celui des syndicats, le ministre représentant le Sud et 11 militaires furent pendus, sans autre forme de procès. Le pouvoir chercha à accréditer la thèse d’une "tentative de coup d’Etat communiste". En réalité, la tactique de Nimeiry, animé d’un anticommunisme violent (largement partagé par les Frères musulmans et les autres confréries) et qui bénéficiait du soutien de l’Egypte, de la Libye, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, consista à multiplier les provocations pour pousser le SCP et ses alliés militaires à la faute politique majeure afin de se débarrasser de la seule force progressiste réellement existant au Soudan.

La question du Sud[6]

Au début des années 80, le Soudan était miné par une corruption endémique, le délabrement de son économie et la famine dans le sud du pays (famine nettement moins médiatisée que celle de l’Ethiopie, à la même époque). A ces maux, il fallut ajouter la reprise de la guerre dans le Sud, à partir de 1983, qui greva lourdement un budget déjà exsangue. Le coût de la guerre est d’un million de dollars par jour dans un pays où l’on vit avec 1 dollar par jour et par personne.

Le SCP, dans son appel du 9 juin 1969, justifiait le soutien à Nimeiry, posant les principes suivants pour la question du sud :

1°) un gouvernement autonome

2°) le respect de la diversité culturelle et religieuse

3°) la correction des inégalités économiques

Ces propositions du SCP, parce qu’elles étaient verbalement reprises par Nimeiry, servirent de justification au soutien du SCP à Nimeiry Elles ne furent jamais appliquées : les années 79-83 marquèrent un retour en arrière[11].

Fidèle à sa stratégie d’"unité contre la dictature", le PC a soutenu le combat mené par l’Armée Populaire de Libération du Soudan (SPLA), fondée par John Garang. Forte d’environ 13 à 15000 hommes, la SPLA, si elle a depuis longtemps abandonné son credo socialisant, et est soutenue par les Etats-Unis et leur relais régional, l’Ouganda, compte de nombreux cadres communistes ou de formation communiste. En Juin 1995, le SCP a reconstitué, de son côté, en liaison avec la SPLA, une force de plusieurs centaines d’hommes armés. Des divergences subsistent cependant sur des questions politiques et stratégiques entre les deux organisations.

L’après Nimeiry

A la chute de Nimeiry, en 1985, à laquelle les communistes ont puissamment contribué, le PC est sorti de la clandestinité. Pourtant, malgré une réelle popularité due à leur opposition constante à Nimeiry et aux diktats du FMI et de la BM, il n’obtint, aux élections de 1986, que des résultats modestes avec six élus (3 membres officiels du SCP et 3 soutenus)[12]. Une nouvelle fois, en 1989, l’armée mit fin à cette expérience démocratique, souvent tumultueuse. En réalité, le Front national islamique, avec son principal idéologue, Hassan El Tourabi, tirait les ficelles et imposait sa dictature. Dans les premiers temps, les Etats-Unis ne virent pas d’un trop mauvais œil l’arrivée de ce régime anticommuniste. Mais la rivalité entre Khartoum et Kampala et la tactique de Washington dans la région mena à la rupture entre le Soudan et les Etats-Unis.
En juin 1995 se tint en Erythrée la principale réunion de l’Alliance nationale démocratique (NDA), regroupant les grands partis d’opposition. Cette stratégie d’union reprenait celle du SCP dans la lutte contre les dictatures précédentes. La deuxième conférence de la NDA, à laquelle participa la SPLA, approfondit les thèmes suivants : actions armées en coordination avec la SPLA et préparation du soulèvement populaire, profitant de l’isolement du régime et de la situation sociale et économique désastreuse.
La nouvelle stratégie de la dictature islamiste
Progressivement des signes de fragilité apparurent au sein du régime islamiste installé à Khartoum. D’une part, dans le Sud, l’impasse politique et militaire était totale. La population, frappée par la famine, était, de plus, terrorisée par les milices du pouvoir (dites Forces de défense populaire). Le pouvoir central comme la SPLA ont intégré cyniquement dans leurs calculs tactiques l’arme politique de la faim mais le besoin d’une solution politique négociée est devenue incontournable.
D’autre part, pour briser son isolement (aidé en cela semble-t-il, par une certaine diplomatie française), et se débarrasser de l’encombrante étiquette d’intégriste, le régime a dû concéder une ouverture politique. Dans un premier temps celle-ci est restée relativement timide. Ainsi fin février 1999, un grand nombre de "partis" ont été légalisés à l’exception des principaux partis d’opposition. Le but était encore de briser la NDA et d’isoler les partis qui en sont membres (représentant 80 % du corps électoral avant la dictature).
Fin 1999, le régime a donné d’évidents signes de changement. Ceux-ci vont de pair avec l’accentuation de divisions internes entre d’une part l’appareil d’Etat et l’armée emmenés par le général Omar Al Beshir et d’autre part l’appareil politique du Front islamiste (NIF), dirigé par Hassan al-Thourabi. Le premier réussit, le 12 décembre, à éloigner du pouvoir son concurrent.
Du point de vue diplomatique les Etats de la région, préoccupés par la guerre et la sécheresse, ainsi qu’une partie de la diplomatie des Etats-Unis[13] appuient le général et l’ouverture des négociations avec la SPLA. Ces négociations se déroulent à l’heure actuelle dans deux cadres différents. Les unes sont menées sous l’égide des gouvernements de la région regroupés dans l’IGAD[14] et l’autre sous celle du binôme Egypte/Libye, représentant plutôt un point de vue arabe, préoccupé de l’ancrage d’un Soudan unifié dans le monde arabe. La SPLA, pour sa part, cherche à élargir le contenu des négociations, au delà de la seule question du Sud. Pour négocier une issue démocratique au régime soudanais elle cherche à insérer la NDA dans ce processus.
C’est dans ce cadre qu’une ouverture politique a été initiée avec, en février 2000, l’autorisation de 11 journaux dont un quotidien de gauche, Al Ayam, et l’annonce le 12 mars de la légalisation de quelques partis politiques marginaux. Le Parti communiste affronte une nouvelle phase de clandestinité, qu’il aborde en poursuivant ses luttes sans négliger ses débats internes[15].
Dominique MAZIRE et Rashid SAEED
Notes :
[1] C’est l’entreprise Chevron qui découvrit les gisements dont l’exploration coûta environ 200 millions de dollars américains. Placés à la frontière entre les zones nord et sud du Soudan, ces gisements ont conduit Nimeiry à re-découper en 1981 les frontières pour les placer en zone nord. C’est l’une des causes, deux ans plus tard, en 1983, de la rébellion sudiste conduite par Garang. Par ailleurs, la localisation géographique frontalière (et non nordiste) de ces gisements plaide, de fait, plutôt en faveur de l’unité du Soudan et fait reculer dans le Sud la revendication proprement séparatiste.
[2] Les liens entre l’Egypte et le Soudan sont profonds et anciens. Pour ne remonter qu’au XIX° siècle, entre 1821 et 1884, le Soudan est occupé par l’Egypte, représentante de l’Empire ottoman. Après l’intermède d’un Etat indépendant et islamiste, conduit par le Mahdi, les Egyptiens alliés aux Britanniques revinrent au pouvoir de 1898 à 1956.
[3] En 1943 Curiel avait fondé le Mouvement égyptien de libération nationale. La spécificité de ces liens originels devait expliquer que le PC soudanais conservât des relations avec les réseaux Curiel formés à l’échelle internationale dans les années cinquante alors mêmes que ceux-ci étaient, au contraire, violemment rejetés par le Mouvement communiste international, notamment dans les pays arabes.
[4] En 1964, 45 des 60 dirigeants de la Confédération syndicale étaient membres du SCP.
[5] Les communistes furent profondément divisés entre deux attitudes. Certains, emmenés par 12 des 30 membres du Comité central, soutinrent l’initiative de Nimeiry, qui avait également les faveurs de Moscou. Cette position a conduit en 1971 à une scission du parti.
[6] Un tiers du pays, environ 5 millions d’habitants.
[7] La région est clairement identifiée parce que séparée du Nord par une chaîne montagneuse.
[8] Alors que le Nord est majoritairement musulman, le Sud est animiste et chrétien de différentes obédiences (protestants, catholiques, coptes …).
[9] Au Nord la population est arabophone et musulmane. Le Sud est constitué d’ethnies différentes mais toutes noir-africaines.
[10] Au Sud on parle environ 70 langues ou dialectes ainsi que l’anglais, langue officielle qui sert de langue commune. Au Nord, c’est l’arabe qui est la langue officielle.
[11] Ce retour en arrière s’est traduit, notamment, par trois décisions de Nimeiry : en 1981 le re-découpage entre Nord et Sud pour placer au Nord les gisements pétroliers, la séparation du Sud en trois provinces pour exploiter les différences locales et en 1983 l’imposition de la Charia musulmane dans cette région chrétienne et animiste.
[12] Compte tenu de la complexité du scrutin ces élus ont été obtenus de manières différentes. Les deux premiers responsables du PCS ont été élus dans deux circonscriptions de Khartoum. Un troisième a été élu dans le collège des « diplômés » où le PC fait ses meilleurs résultats au niveau national (19,2%). Sur les dix sièges réservés à ce collège, il en emporte un, celui du Sud. Les trois autres communistes ont remporté des circonscriptions au nord sans être présentés officiellement par le parti. Leurs rôles dans leurs tribus respectives en faisaient des représentants légitimes.
[13] La position US est divisée entre une hostilité frontale avec le régime islamiste et un appui à Beshir.
[14] Intergovernmental Authority Against Drought
[15] Le SCP n’a pas pu tenir de congrès depuis 1967. Son Comité central (28 membres) y a été formé et depuis renouvelé par cooptation. Malgré la clandestinité, le SCP mène depuis 1990 un débat politique et idéologique portant non seulement sur sa stratégie mais également sur son identité (cf. extraits de déclarations).

Origines de la guerre civile au Soudan

Chronologie

Histoire du Soudan

Le ministre de la défense, Hervé Morin, rend visite aux militaires français au Tchad, le 6 février 2008, à N’Djamena.

Rappel historique : près de vingt ans de conflit au Sud-Soudan (1983-2002)

KHARTOUM (AFP), le 20 juillet 2002
Le gouvernement soudanais et la rébellion de l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA) sont parvenus samedi à un accord à Nairobi sur des questions-clés visant à mettre fin à près de vingt ans d’un conflit meurtrier, mais sans cessez-le-feu immédiat, a annoncé un communiqué officiel publié par le gouvernement kenyan. La rébellion du SPLA a confirmé l’accord.

 1983 : La décision du président Gaafar el-Nimeiry de mettre fin au statut d’autonomie du sud (accord d’Addis Abeba de 1972) et d’appliquer la charia relance le conflit dans le sud après onze années d’accalmie. John Garang, colonel dissident, prend le maquis et fonde l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA).

 1986 : Après la chute du régime Nimeiry (avril 1985), John Garang refuse de participer au gouvernement civil du Premier ministre Sadek el-Mahdi, démocratiquement élu.

 1987 : L’ONU lance l’opération humanitaire "Lifeline Sudan" pour coordonner ses missions et celles des ONG dans le sud.

 1989 : Arrivée au pouvoir d’un régime militaro-islamiste à l’issue d’un coup d’Etat, présidé par le général Omar el-Béchir.

 1990 : La SPLA rejoint l’Alliance nationale démocratique (AND) qui regroupe ainsi les principales forces d’opposition du nord et du sud.

 1991 : Début de scissions et de conflits ethniques au sein de la SPLA.

 1992 : Les troupes gouvernementales reprennent de nombreuses villes du sud (dont Torit, quartier général de la guérilla) après une offensive de plusieurs mois.

 1994 : Echec de pourparlers de paix entre Khartoum et la SPLA parrainés depuis 1993 par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD, organisation régionale qui regroupe sept pays d’Afrique de l’est).

 1995 : L’opposition du nord arabo-musulman et la guérilla du sud s’accordent pour renverser le régime et sur les modalités de la fin du conflit dans le sud.

 1997 : En janvier, l’opposition ouvre un nouveau front dans l’est du pays, parallèlement au conflit dans le sud.

En avril, accord entre Khartoum et six factions sudistes minoritaires avant la création d’un Conseil de coordination du Sud du Soudan (CCSS).

En novembre, échec des premiers pourparlers de paix depuis trois ans.

 1999 : En août, l’Egypte et la Libye lancent une initiative de paix, parallèle à celle de l’IGAD, en vue d’inclure l’opposition nordiste.

 16 mars 2000 : Le parti Oumma de Sadek el Mahdi se retire de l’AND, se déclarant favorable à une solution politique.

 27 sept : Première rencontre entre le président Béchir et le chef de l’AND Mohamed Osmane al-Mirghani. Khartoum accepte d’ouvrir des négociations directes avec l’AND.

— 2001—

 19 fév : La SPLA et le Congrès national du peuple (CNP) de l’opposant islamiste Hassan al-Tourabi, signent un "mémorandum d’entente". M. Tourabi, accusé de vouloir renverser le régime, est arrêté le 21.

 5 juin : Le général Béchir assure qu’il n’abandonnera pas les puits de pétrole à la rébellion après des déclarations de John Garang conditionnant un cessez-le-feu général à la suspension de l’exploitation du pétrole dans le sud. Le 17, Garang menace les compagnies pétrolières étrangères qu’il considère comme des "cibles légitimes".

 28 juin : L’AND approuve un plan de paix égypto-libyen qui prévoit notamment un cessez-le-feu et un gouvernement d’union nationale et plaide pour l’unité du pays. Toutefois, l’AND souhaite y inclure les principes de la séparation de la religion et de l’Etat et du droit à l’autodétermination pour le sud.

 21 juil : Le président Béchir rejette à nouveau une "séparation entre la religion et l’Etat et l’éclatement du pays".

 6 sept : Le président américain George W. Bush annonce une initiative de paix "majeure" au Soudan et nomme le pasteur John Danforth comme envoyé spécial.

— 2002 —

 19 jan : Signature d’un accord de cessez-le-feu pour six mois renouvelables dans les monts Nouba (centre), à l’issue de négociations entre Khartoum et la SPLA sous l’égide des Etats-Unis et de la Suisse. Une mission internationale sera chargée de surveiller l’application de l’accord.

 21 mars : Le président Béchir prolonge jusqu’en mars 2004 la période de transition au sud-Soudan, reportant un référendum prévu dans un accord signé en 1997.

 13 mai : John Danforth, recommande que les Etats-Unis agissent comme un "catalyseur" de la paix au Soudan, estimant "qu’il est temps de pousser fort pour un accord".

 8 juin : Le président Béchir déclare s’engager à rétablir la paix cette année au Soudan "que ce soit à travers les négociations ou à travers l’option militaire".

 9 juin - La rébellion s’empare de Kapoeta (sud) contrôlée par les forces gouvernementales, depuis 1993.

 17 juin : Début de nouveaux pourparlers entre le gouvernement de Khartoum et la rébellion de la SPLA au Kenya. Ce nouveau round de négociations sous l’égide de l’IGAD doit durer cinq semaines.

 30 juin : Le président al-Béchir appelle à "une paix dans le cadre d’un Soudan unifié", s’engageant à "des droits égaux et une répartition équitable des richesses" entre le nord et le sud, à l’occasion du 13ème anniversaire de son arrivée au pouvoir.

 5 juil - Khartoum et SPLA conviennent de renouveler pour six mois l’accord sur le cessez-le-feu dans les Monts Nouba.

A bas l’impérialisme « humanitaire » de la France en Afrique !

Texte du 26 août 2004

A la fin du mois de juillet, le président Chirac annonçait une intervention militaire française, au Darfour, la région ouest du Soudan qui subit une guerre civile meurtrière. Les massacres du Soudan datent de 1983 au sud-Soudan, de décembre 2002 au Darfour et viennent de toucher le Nil bleu. Selon l’ONU, il y aurait déjà au Darfour 30.000 morts et plus d’un million de personnes déplacées ! L’ONU dénonce le caractère criminel du régime soudanais qui arme massivement des milices terrorisant les populations. Au Darfour, les bandes armées font des milliers de victimes (assassinats de familles entières, destructions des villages, enlèvements et viols systématiques), contraignant des populations entières à fuire, à passer au Tchad et à vivre sous la menace de la famine et des épidémies.

D’où vient la guerre civile au Darfour ?

L’explosion de violence que la province subit n’a rien de spontané même si les oppositions entre populations africaines et arabes, entre nomades et paysans sédentaires, entre la province (la plus pauvre du pays) et le pouvoir central. existent de longue date. Ce sont les deux grandes bandes armées à l’époque en guerre au Soudan, celle de la dictature militaire et islamiste du nord-Soudan du général-président Omar El Béchir et celle de l’ALS de John Garang, la guérilla chrétienne occupant le sud-Soudan, qui les ont sciemment attisées. Le gouvernement soudanais, ne pouvant utiliser son armée dont les soldats sont souvent originaires du Darfour, a massivement armé une contre-guérilla de cavaliers arabes recrutés dans les populations nomades, les Janjawids, qui sont sans pitié pour les populations noires africaines et paysannes.

Que fait la France au Soudan ?

Officiellement, l’armée française, accueillie favorablement par les deux gouvernements, tchadien et soudanais, intervient au nom de la communauté internationale dans un but humanitaire, pour séparer et faire pression sur les combattants. La réalité est bien différente. Face à l’ONU qui proclamait un ultimatum expirant le 30 août lancé contre le gouvernement soudanais et lui intimant l’ordre de faire cesser les massacres - résolution obtenue sous la pression des USA, le sénat américain ayant lui-même voté pour une intervention américaine -, la France, n’a pu que modérer la résolution (enlever la menace d’intervention et le terme de génocide). Puis elle s’est présentée comme responsable de la bonne application de la résolution en prenant l’initiative de l’intervention. Le gouvernement soudanais a accueilli avec félicitations l’intervention militaire française alors qu’il a fait descendre dans la rue des milliers de manifestants dans la capitale Khartoum contre la menace d’intervention anglo-américaine. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, interviewé par Le Monde du 9 août 2004 explique : « Misons sur la volonté et la capacité des autorités de Khartoum de respecter leur parole. » Libération du 23 juillet 2004 écrit : « Heureusement que la France existe ! Sinon où iraient les dirigeants soudanais qui se font tous les jours remonter les bretelles par la communauté internationale au sujet des exactions au Darfour. » Même Le Figaro, dans son article du 30 juillet 2004, plaçait entre guillemets les « visées humanitaires » de l’intervention française !

« Notre ami » Omar El Béchir

C’est depuis le début des années 90 que, les USA rompant avec le Soudan, la France a proposé ses services au régime soudanais. Par la suite, les USA ont soutenu la guérilla chrétienne du sud, celle de John Garang et la France a appuyé le régime islamiste soudanais. Le 25 août 1994, l’Evènement du jeudi détaillait les fournitures d’armes françaises au Soudan en guerre. Afrique-Asie de septembre 1994 écrivait : « grâce à l’intervention de Paris, le gouvernement s’apprête à lancer une grande offensive contre les rebelles du sud Soudan depuis le Zaïre voisin. » A l’époque où le Soudan hébergeait un Ben Laden en rupture avec les USA, la France cultivait des relations multiples avec ce pays : investissements pétroliers de Total, constructions de l’entreprise du BTP Grands Travaux du Midi, ventes d’avions Airbus, etc…Libération du 12 janvier 1995 titrait : « La France est aux petits soins pour la junte islamiste de Soudan » En janvier 1996, la France donnait sa caution pour que le FMI reprenne sa coopération avec le Soudan. En février 2004, De Villepin, à l’époque ministre des affaires étrangères était reçu en grande pompe à Khartoum et déclarait : « des relations d’estime et d’amitié profonde unissent le président Chirac et le président El Béchir. » et parlait de « coopération en augmentation constante. » et de « relations excellentes ». Omar El Béchir vient de faire officiellement la demande d’adhésion à la Francophonie, ce club des dictateurs alliés de l’impérialisme français. Mais cela fait longtemps qu’il appartient à la Françafrique, ce club d’affairistes, de barbouzes, d’espions et de militaires français et africains.

Le jeu des puissances impérialistes se moque de l’humanitaire !

Pour les USA, qui ont déjà réussi à imposer au régime de Khartoum de négocier le partage du pouvoir (et des revenus du pétrole) avec la guérilla du sud, cette situation est une bonne occasion de pénétrer dans le « pré carré colonial français », en opposant les régimes tchadien et soudanais, tous deux alliés de la France. Les USA ont une visée évidente sur le pétrole tchadien qui commence seulement d’être exploité. L’intervention française a consisté à occuper la frontière pour éviter que les milices la traversent et contrer ainsi la manœuvre américaine. Se positionner sur la frontière n’est nullement un moyen de sauver les populations de la guerre civile, de la famine et de l’épidémie d’hépatite E la population d’un territoire grand comme la France ! Les interventions militaires de l’impérialisme français, de l’opération d’appui aux génocidaires du Rwanda de 1994 (qui a encore des conséquences meurtrières au Congo et au Burundi) aux multiples interventions actuelles en Afrique (Côte d’Ivoire septembre 2002, Centrafrique mars 2003, Libéria mai 2003, République du Congo juin 2003 et maintenant au Tchad et au Soudan), sont aussi humanitaires que l’incendiaire qui joue les pompiers !

Robert PARIS

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Le chef du gouvernement soudanais, Omar Al-Bachir, fait peser sur la population un pouvoir dictatorial depuis son coup d’État, appuyé sur les islamistes, en 1989. Depuis 2003, il affronte une rébellion au Darfour. Officiellement, dans cette région s’opposeraient des milices arabes dites « janjawids » et des rebelles noirs. Mais les « janjawids » ne sont que des bandes de mercenaires qui font régner la terreur sur le terrain, après que l’aviation gouvernementale a bombardé les populations, tandis que la propagande du pouvoir cherche à jouer sur les divisions ethniques entre les populations arabes du Nord et les populations de l’Ouest, noires mais aussi en partie arabes.

Pour le gouvernement américain, la clique au pouvoir à Khartoum est passée de la catégorie « terroriste », soumise à un embargo en 1997, à celle « d’alliés », après le 11 septembre 2001 : un miracle dû à la collaboration soudanaise « dans la guerre contre le terrorisme » et, sans aucun doute, à l’attrait des puits de pétrole du Sud-Soudan. Ils sont d’autant plus attirants que tout le monde les convoite, y compris la Chine, qui achète 65 % de la production pétrolière et dispose de nombreuses concessions au Darfour du Sud. Quant à la vieille rivalité entre les intérêts anglo-américains et les intérêts français, elle se poursuit, mais plutôt au détriment des seconds : Total, dont les permis pétroliers au Sud-Soudan sont bloqués, en fait les frais. Khartoum, cherchant aussi à saper l’influence française dans les pays voisins, Tchad et Centrafrique, le gouvernement français, qui y maintient des troupes pour soutenir des gouvernements aussi dictatoriaux que celui du Soudan, les utilise contre des rebelles appuyés par le gouvernement soudanais.

Ainsi les soucis humanitaires que montre parfois le gouvernement français pour le sort de la population du Darfour semblent surtout proportionnels à ses intérêts pétroliers. C’est une attitude à peu près symétrique de celle qu’il a adoptée au Rwanda, en 1994, en couvrant les massacres quand ils étaient le fait de ses protégés.

Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a fait sensation en déclarant vouloir faire du Darfour sa priorité et en proposant de sécuriser un « corridor humanitaire » à partir du Tchad afin, prétend-il, de venir en aide aux populations qui sont dans une situation très difficile. Il a été aussitôt critiqué par un ancien collègue, responsable de Médecins sans frontières, le docteur Denis Lemasson, très opposé à une telle proposition.

Selon lui, « la proposition de M. Kouchner, qui fait l’amalgame entre militaire et humanitaire, est dangereuse, les humanitaires risquent d’être assimilés à une partie du conflit et de devenir une cible. On l’a vu maintes fois, mélanger action humanitaire et intervention armée s’avère le plus souvent inefficace car, pour atteindre les populations, les secours doivent rester neutres et indépendants de tout pouvoir politique et être perçus comme tels. Or les corridors humanitaires sécurisés proposés par M. Kouchner ne seraient plus des espaces de travail neutres. Au lieu de renforcer l’assistance humanitaire, c’est l’effet inverse qui risque de se produire. » Les représentants de Médecins du monde ou d’Actions contre la faim ont défendu un point de vue voisin.

Actuellement, deux millions de personnes sont déplacées au Darfour et leur survie dépend essentiellement de l’aide humanitaire internationale apportée par quelque 10 000 travailleurs des organisations humanitaires, selon Médecins sans frontières, qui y acheminent eau, nourriture et soins médicaux. Sur le plan politique, malgré les accords d’Abuja signés en mai 2006, rien n’est réglé, les groupes armés, rebelles ou forces gouvernementales, sont éclatés en dizaines de groupes qui s’affrontent, entretenant violence et insécurité, frappant les populations déplacées mais aussi les humanitaires.

Kouchner et le gouvernement français prétendent, avec l’appui de l’Union européenne, créer un couloir dit sécurisé avec plusieurs milliers de militaires pour venir en aide aux 400 000 personnes réfugiées au Tchad, le long de sa frontière commune avec le Soudan. Mais depuis quelque temps le groupe Total, qui ne laisse pas Kouchner indifférent, se heurte à des difficultés dans cette région, riche en pétrole. Cela, depuis que les dirigeants de Khartoum ont obtenu le soutien de Washington en 2001, et que depuis lors ils font tout pour contrecarrer la présence de Total, au Sud-Soudan comme au Tchad.

Le gouvernement Sarkozy-Kouchner se retrouverait alors dans un rôle qu’il affectionne : aider, comme tous les gouvernements avant lui, le groupe pétrolier Total à préserver ses précieux profits. Peu importerait alors si l’action militaire compromettait l’action des organisations humanitaires. A côté des intérêts en jeu, le sort des réfugiés soudanais ne pèserait pas lourd.

LO

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La dictature militaro-islamique mise en place à Khartoum par le coup d’Etat de 1989 n’est pas seulement ce régime de " purs " qui revendique à la fois la pureté de la foi et de la race - terrorisant ou massacrant la majorité des Soudanais qui ne sont pas Arabes, ou pas musulmans, ou ni l’un ni l’autre (ou musulmans arabes non fanatiques). C’est aussi un régime affairiste, où certaines organisations de " purs " se comportent en mafias internationales. Tout cela ne pouvait que vivement attirer les ténors de la Françafrique.

PILLAGE

Le régime soudanais a apparemment une double tête, militaro-politique (le général Omar el-Bechir) et politico-religieuse (Hassan el-Tourabi, mentor du Front national islamique, le FNI). Comme en Iran, la seconde n’est pas la moins influente. Le Soudan est en pleine crise économique, mais pas seulement à cause du conflit avec le sud-Soudan (coût : plus de 3,5 milliards de FF par an). Il y a aussi :

" L’extravagant pillage des ressources et les détournements de fonds publics sans précédent que connaît le pays. Ce pillage est orchestré par un réseau d’éléments du FNI qui ont noyauté, dès le début, les institutions concernées : ministères des Finances, du Commerce, banques. La fonction de ce réseau est de camoufler le pillage et le détournement des fonds par l’application de mesures et l’adoption de politiques, soutenus au moment opportun par de faux débats et de faux objectifs.

Par exemple, la junte du FNI a prétendu au début qu’elle s’emparait du pouvoir pour sauver l’économie du pays et soulager la population d’un régime corrompu par le régime des partis politiques. Elle a placé si bas les prix des denrées que les marchands ont fermé leurs magasins pour cause de faillite. Puis elle a instauré un décret interdisant l’acquisition ou la détention des devises étrangères. Les contrevenants ont été pendus - un acte délibéré visant à intimider la bourgeoisie d’affaires soudanaise, peu incline à collaborer avec le régime. Neuf mois plus tard, cette politique était abolie et on a toléré le transfert et la détention de devises étrangères parce que, entre-temps, les partisans du FNI avaient accumulé de l’argent et saisi des leviers économiques.

Après avoir contraint producteurs et grossistes à se retirer, ces partisans ont pu consolider l’emprise sur le marché de leurs organisations islamiques, grâce à des privilèges invraisemblables : droit à l’importation et l’exportation, exonérations fiscales et douanières, protection des locaux, immunité juridique, autorisation de faire entrer et séjourner des étrangers, etc. L’Union Islamique Internationale des Organisations Estudiantines peut ainsi opérer sur le marché noir, encaisser des commissions à l’étranger pour des transactions commerciales, monnayer sa franchise de douane,… D’autre part, 28 entreprises et services publics ont fait l’objet d’une privatisation au profit de capitaux du FNI. Les partisans du Front pratiquent encore en franchise, ou clandestinement, l’exportation de matières premières agricoles, telle la gomme arabique (85)".

Tout ceci n’exclut pas les bakchichs sur les contrats avec l’étranger, type ventes d’Airbus… En s’emparant du pouvoir, la junte scandait le slogan " Sauvetage ", évoquant une issue à la crise économique. Après cinq ans de ce " régime " parasitaire, les résultats sont significatifs. La valeur de la livre soudanaise par rapport au dollar a été divisée par 40 ; la dette extérieure est passée de 12 à 20 milliards de $ ; le déficit de la balance des paiements a plus que triplé de 1989 à 1991. Les seules franchises douanières dont bénéficient les organisations islamiques ont fait perdre, en 1993, 14 milliards de livres (quelque 150 millions de FF) au budget de l’Etat (86).

MAFIA VOILEE

" Le régime actuel n’est qu’une variante de ce que l’Europe a connu au Moyen Age sous le nom d’Inquisition, une copie conforme de ce qu’elle a connu dans l’histoire récente des groupes et mouvements fascistes, qui utilisent le christianisme pour promouvoir les intérêts d’une petite bourgeoisie carnassière. C’est la même idée de révolution conservatrice. On protège sa race, sa religion et sa culture, tout en profitant des bouleversements du monde actuel (87)".

Selon Human Rights Watch, le régime a " démantelé tout élément de la société civile qui mette en question sa vision étroite d’un Etat islamique (88)". Les partis politiques sont interdits et les journaux suspendus. Les médias sont entièrement entre les mains du régime et de ses partisans. Magistrature, système pénitentiaire, fonction publique, enseignement, police et armée ont été purgés de tous ceux de leurs éléments soupçonnés de s’opposer à l’idéologie officielle. Le système de répression est assuré par de multiples organismes indépendants les uns des autres, et dotés d’une large autonomie : services de Sûreté de l’Etat, de la Sûreté générale, etc. (89). Le rapporteur spécial de l’ONU Gaspar Biro " conclut sans hésitation que " :

" De graves violations des droits de l’homme ont eu lieu au Soudan, notamment un grand nombre d’exécutions extra-judiciaires et sommaires, de disparitions forcées ou involontaires, de tortures systématiques et d’arrestations arbitraires généralisées de personnes soupçonnées d’être des opposants (90)".

La situation algérienne laisse deviner ce que pourrait donner l’alliance d’une caste militaire aux tendances mafieuses avec un islamisme fanatisé. S’y ajoute au Soudan un racisme de fait à l’égard de la mosaïque ethnique qui constitue la périphérie soudanaise. Pour l’US Comittee for Refugees, au moins 1,3 millions de Soudanais sont morts depuis 1983 des suites immédiates de la guerre et des politiques de génocide du gouvernement de Khartoum (91). Le cinéaste ethnographe Hugo d’Aybaury a filmé et décrit le calvaire des populations des monts Nouba (92) :

" Dans la seule journée du 24 décembre [1992], 6 000 habitants ont été massacrés dans le village d’Heiban. […] La liste que j’avais reçue faisait, quant à elle, état de 90 villages rasés […]. Les villages cités pouvaient abriter entre 700 habitants, comme à Timbera, et 10 000 comme à Omdureen. […] Le modus operandi est toujours le même : les soldats viennent de nuit avec des colonnes mécanisées, encerclent le village, tirent au canon sur les maisons, abattent les survivants, puis rasent les ruines avec leurs blindés. Ils laissent à chaque fois entre 400 et 700 personnes sur le carreau ".

Quant aux réfugiés non-arabophones des bidonvilles de Khartoum, victimes d’un nouvel apartheid, 850 000 d’entre eux ont été déportés - " relocalisés " - depuis deux ans, dans des camps éloignés, dépourvus de tout (93).

LIAISONS

Le général el-Bechir déclarait le 17 juin 1991 :

" Nous tenons à poursuivre le dialogue avec la France et nous utilisons tous les moyens pour améliorer nos relations avec elle. A cet égard, nous avons une nouvelle approche par l’intermédiaire de Jean-Christophe Mitterrand, fils du Président Mitterrand, qui nous visite de temps à autre, et j’ai une relation personnelle avec lui, qui dépasse les relations officielles (94)".

L’" ami " Paul Dijoud, alors directeur du département Afrique au Quai d’Orsay, a été chargé de cultiver cette relation extra-protocolaire. Ayant entrepris " des manoeuvres réitérées […] à l’égard du régime islamiste du Soudan (95)", il allait, en janvier 1992, s’entretenir non seulement avec le général Bechir et le ministre soudanais des Finances, mais aussi avec Hassan el-Tourabi, le chef du FNI :

" Ce voyage un peu particulier, en dehors des circuits officiels, a été organisé par un homme d’affaires franco-tunisien qui accompagne le diplomate français : "Monsieur Meherzi", très proche des islamistes tunisiens et de leur leader Rachid Ghannouchi (96)".

Mais Charles Pasqua allait, deux ans plus tard, faire beaucoup plus fort. Le vote sécuritaire des Français valant d’être chèrement flatté, il choisissait d’échanger le terroriste amorti Carlos contre un appui aux opérations de " nettoyage ethnique " du régime soudanais. De Bangui, le colonel Jean-Claude Mantion (nouvelle recrue du réseau, cf. chapitre 2), avait déjà resserré les liens avec les " services " soudanais, via son ami de longue date El Fatih Irwa, haut conseiller pour la sécurité du régime de Khartoum. Celui-ci deviendra la cheville ouvrière des contacts franco-soudanais, et les deux amis serviront sur un plateau l’affaire Carlos à leurs mandants. Un deal en or : un feu d’artifice pour la popularité de Charles Pasqua, contre la résolution d’une série de " difficultés " du régime soudanais. L’affaire est scellée lors d’une rencontre secrète à Paris, fin juillet, avec le " Guide " Hassan el-Tourabi (97).

Placé sur la liste noire des pays soutenant le terrorisme, le régime soudanais est boycotté par la plupart des investisseurs privés ou institutionnels. Qu’à cela ne tienne. La France, promet-on, se placera à l’avant-garde d’une campagne de réhabilitation, en direction de l’Union européenne et des États-Unis. Elle influencera dans le même sens la Banque Mondiale et le FMI (98). Elle conseillera également à la banque Lazard d’accorder un prêt de plusieurs dizaines de millions de dollars pour permettre au Soudan, menacé d’être exclu du FMI, de payer les intérêts de sa dette internationale (99).

Quant aux échéances de la dette soudanaise envers la France, elles seraient, pour l’essentiel, passées sur le compte Pertes et Profits de l’aide publique au développement (APD). Une autre portion d’APD abonderait des prêts à moyen et court termes. Enfin, la Coface - cette autre vache à lait, dont les pertes en service commandé sont généreusement couvertes par le contribuable - garantira à nouveau des investissements français au Soudan (100).

Deuxième problème, la rébellion sud-soudanaise. Pour la prendre à revers, Charles Pasqua aurait " offert " aux troupes islamistes un droit de passage en Centrafrique, l’ancien fief du colonel Mantion. On a vu plus haut (chapitre 3) qu’un autre passage a été négocié au Zaïre. En gage de bonne volonté, les services secrets français fournissent par ailleurs des photos du satellite Spot identifiant les positions des " rebelles " (101). A Paris, on avoue ingénument : " C’est vrai que nous avons remis ces photos aux Soudanais. Cependant, nous croyions qu’ils n’étaient pas capables de les exploiter, ce qui suppose des connaissances techniques assez poussées. Mais, en fait, ils se sont dépannés avec l’aide de leurs amis irakiens (102)"… Mais l’on agrémentait sans doute ces images lointaines de photographies aériennes (cf. l’épisode du Mirage abattu au Tchad).

Question armes, Jean-Charles Marchiani est l’homme de la situation. Ancien de la division armement de Thomson, le marché et ses filières n’ont guère de secrets pour lui. Il a carte blanche pour répondre aux besoins des Soudanais, à condition de ne pas mouiller la place Beauvau (103). Cela ne ferait d’ailleurs que renforcer un probable appui " de routine " aux campagnes de l’armée islamiste, par la fourniture, à des conditions très avantageuses, de munitions et pièces de rechange pour les armes françaises de l’armée soudanaise (automitrailleuses AML 90, canons de 155, hélicoptères Puma) (104).

Question " ressources humaines ", les autorités françaises accepteraient d’accueillir un important groupe d’officiers, de militaires et de policiers soudanais, pour les entraîner à la lutte anti-guérilla (105). Un accueil sans doute déjà largement amorcé, puisque, de passage à Paris fin janvier, le " Monsieur Afrique " américain George Moose s’en serait inquiété auprès de ses interlocuteurs français (106). La France pourrait même envoyer ses propres " techniciens " à Khartoum (107) : certains, en standby depuis l’interruption (provisoire ?) de l’aventure rwandaise, pourraient continuer au Soudan le combat contre ce Tutsiland, centré sur l’Ouganda, dont la carte orne le bureau du chef d’état-major de l’armée française (108)…

Contre la livraison du Sud-Soudan, la France obtient celle de Carlos, plus " trente deniers " : la confirmation de la vente de 3 Airbus - qui a donné lieu à de copieuses commissions parisiennes -, des promesses de pétrole pour Total et de grands travaux pour GTM (le redémarrage de l’énorme chantier du canal de Jonglei) (109). On a cher payé Carlos, mais la Françafrique peut sabler le champagne : le courant d’affaires et d’échange de " services " fouetté par le retour au pouvoir de l’équipe Pasqua devenait une alliance stratégique (110).

Mentionnons au passage le rôle joué par Paul Fontbonne, le " cornac " DGSE qui a " conduit " Idriss Déby au pouvoir, en excellents termes avec le Front National Islamique (111), et celui de l’ambassadeur de France au Soudan, Claude Losguardi, qui considère le régime de Khartoum comme le " représentant des masses musulmanes déshéritées " (mais sûrement pas des Dinkas ou des Noubas) (112).

85. Témoignage de Huda Abdal Raouf, in L’Afrique à Biarritz, op. cit.. Le premier producteur de gomme arabique au Soudan est une société française, Iranex (selon Géraldine Faes, Le prix de Carlos, in Jeune Afrique du 25/08/94).

86. D’après Huda Abdal Raouf, ibidem.

87. Témoignage de Yahia Ahmed, ibidem. Le bulletin mensuel Vigilance Soudan, édité par le Comité de vigilance pour les droits de l’Homme et les libertés au Soudan, fournit une information régulière sur les pratiques de ce régime.

88. Au nom de Dieu : la répression se poursuit dans le nord du Soudan, rapport de Human Rights Watch/Africa du 03/11/94.

89. D’après Huda Abdal Raouf, in L’Afrique à Biarritz, op. cit..

90. Rapport présenté à la Commission des Droits de l’Homme de Genève, 02/94.

91. Quantifying Genocide in the Southern Sudan : 1983-1993, USCR, Washington DC 20036, USA.

92. Interviewé par Alain Frilet (Le calvaire oublié du peuple nouba, Libération, 19/06/93).

93. D’après S. Smith, Quand Pasqua prend la voie soudanaise, Libération, 16/08/94.

94. Cf. Simon Malley, Les entretiens secrets Tourabi-Pasqua à Paris, in Le Nouvel Afrique Asie, Septembre 1994.

95. Stephen Smith, Paris accusé de contacts avec le FIS, in Libération du 17/01/92.

96. Idem.

97. Cf. Simon Malley, Les entretiens secrets Tourabi-Pasqua à Paris, in Le Nouvel Afrique Asie, septembre 1994.

98. D’après Simon Malley, article cité.

99. D’après Jacques Julliard, Soudan : le marché de la honte, in Le Nouvel Observateur du 01/09/94. Le FMI a accepté début décembre un rééchelonnement de 1,6 milliard de $ de dettes soudanaises.

100. D’après Simon Malley, article cité.

101. D’après les deux articles précédents.

102. Propos recueillis par Stephen Smith, Quand Pasqua prend la voie soudanaise, in Libération du 16/08/94.

103. D’après Patrice Piquard, Les hommes de Monsieur Charles, in L’Evénement du Jeudi du 25/08/94.

104. D’après Jacques Julliard, article cité.

105. D’après Simon Malley, article cité. Yahia Ahmed précise, in L’Afrique à Biarritz, op. cit. : " La France participe activement à l’entraînement des services de la sécurité du régime. Une visite des dignitaires de la Gestapo soudanaise - c’est l’expression qui convient - a eu lieu récemment. Ils ont été reçus officiellement et entraînés dans le sud de la France. Je citerai les noms de Nafeh Ibrahim Nafeh, le chef de la Sécurité intérieure, d’El Fatih Mohamed Ahmed Irwa, conseiller du Président soudanais pour les questions de sécurité, d’Hashim Abou Saïd, responsable des services d’espionnage, du conseiller à la présidence Hanafi Baha el Dine, et du sinistre Ibrahim Shams Eldin. Plusieurs d’entre eux ont torturé de leurs mains les prisonniers d’opinion dans les maisons-fantômes ".

106. D’après La Lettre du Continent du 03/02/94 et Nord-Sud Export du 18/02/94.

107. D’après Simon Malley, art. cité.

108. D’après Antoine Glaser et Stephen Smith, L’Afrique sans Africains, Stock, 1994, p.184-185.

109. D’après La Lettre du Continent des 03/02/94 et 19/05/94, citée par Stephen Smith, Le ministre de l’Intérieur nie tout marchandage avec Khartoum, in Libération du 17/08/94. Ces avantages économiques apparents restent assez maigres (cf. Géraldine Faes, Le prix de Carlos, article cité) : la Françafrique privilégie des deals plus subtils.

110. Ces paragraphes sur les engagements soudanais du réseau Pasqua s’appuient sur le chapitre Rwanda, Zaïre, Soudan… , du livre de François-Xavier Verschave : Complicités de génocide ? La politique de la France au Rwanda, La Découverte, 1994. Cf. aussi l’article de René Backmann, De quel prix la France a xwpayé" Carlos aux Soudanais ?, in Le Nouvel Observateur du 18/08/94. Xavier Raufer, qui prend la défense de Charles Pasqua dans L’Express du 14/10/94, objecte que " le dossier Airbus était bouclé dès la mi-1993 " : mais les contrats n’ont été confirmés qu’en 1994. Dans la négociation tous azimuts avec le régime soudanais, entamée au moins depuis le 22 juin 1993 (cf. Jean Guisnel, Gilles Millet et Patricia Tourancheau, Carlos, la chute d’un terroriste sans abri, in Libération du 05/09/94), la livraison de Carlos a été le cadeau de mariage.

111. D’après France-Soudan : les liaisons dangereuses !, Nord-Sud Export, 18/02/94.

D’après Survie

L’Afrique victime des rivalités impérialistes

Texte du 13 juillet 2002

Pendant de longues années, les USA se sont contentés de laisser les anciennes puissances coloniales, France, Angleterre, Belgique ou Portugal, régler elles-mêmes leurs relations avec les nouveaux Etats. Raison principale : la domination impérialiste sur la région était tout aussi bien défendue par ces puissances secondaires que par la grande. Mais, chacune défendant aussi ses intérêts particuliers, on a vu se former une « Afrique française » et une « Afrique anglaise ».
Vers la confrontation USA-France

La rivalité avec le bloc soviétique fut une raison supplémentaire pour les USA d’accorder leur soutien à la France et à l’Angleterre et n’intervenir que lorsque les anciennes puissances coloniales le demandaient : la Belgique en 1960 au Congo-Zaïre, et dans les années 70 le Portugal en Guinée-Bissau, Cap Vert, Angola et Mozambique. En fait la mobilisation massive et parfois explosive de la classe ouvrière et d’une population révoltées contre le pouvoir raciste d’Afrique du Sud a suscité bien d’autres inquiétudes pour l’impérialisme américain que sa rivalité avec l’URSS pour le contrôle du continent.

La chute de l’URSS n’a pas entraîné un recul de l’intervention américaine en Afrique. Bien au contraire, elle a ravivé l’opposition des impérialistes entre eux. Avec la fin de la guerre froide, les USA constituant un bloc avec la Grande-Bretagne ont considéré que l’obligation de solidarité avec l’impérialisme français tombait d’elle-même. Du coup, on a vu les USA dénoncer le « pré carré français »… au nom du libéralisme.
L’affrontement

Cependant forces françaises et anglo-américaines ne se sont jamais trouvées face à face. Et d’abord parce que le plus souvent elles n’interviennent pas directement. Elles arment, conseillent, financent, forment des armées mais n’ont que rarement leurs troupes directement engagées.

Les USA soutiennent des régimes comme le Ghana de Jerry Rawlings, l’Ouganda de Yoweri Museveni, l’Ethiopie de Meles Zenawi et l’Afrique du Sud depuis Mandela. Le Ghana est voisin de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso liés à la France. La France soutient le Soudan voisin de l’Ethiopie. La France a des relations privilégiées avec le Tchad, Djibouti, le Centrafrique et le Cameroun, tous des pays limitrophes des pays particulièrement liés au couple USA/Angleterre. Il est frappant de constater que la plupart des pays africains considérés par les USA comme terroristes sont des pays amis de l’impérialisme français : Soudan, Lybie et Libéria.

Chacun des deux impérialismes soutient des guérillas qui cherchent à déstabiliser des régimes en place appuyés par l’autre. L’exemple le plus frappant a été le Congo-Zaïre : la guérilla de Kabila fut soutenue ouvertement par les USA quand Mobutu lâché par les USA s’était tourné vers la France. Les Français ont pris leur revanche quand Kabila, lâché par les USA, s’est tourné vers eux. Au Soudan, la France soutient le régime islamiste du général Omar el Béchir malgré ses exactions pendant que les USA soutiennent contre lui la guérilla de John Garang. Au Libéria, où la France soutient Charles Taylor les USA ont appuyé l’intervention des forces nigérianes de l’Ecomog. De même au Sierra Leone avec Fodé Sankoh. Fin 98, Charles Taylor qui avait grâce à l’aide française battu l’Ecomog, déclarait : « les hommes d’affaires français ont pris des risques lorsque je combattais dans le maquis, ce qui explique qu’ils aient aujourd’hui au Libéria une longueur d’avance ». Ce qui se traduisit, entre autres, par le rachat par Bolloré de 150 000 hectares d’hévéas. En Angola, la France soutient maintenant le régime de Dos Santos alors que les USA appuient la guérilla de l’Unita, depuis que la France a changé son fusil d’épaule. On pourrait multiplier les exemples, depuis le Togo du sanguinaire Eyadéma jusqu’au Cameroun du dictateur Biya. Partout les amis de la France sont les ennemis des USA et vice versa.
Au bilan : un génocide !

L’intervention de la France et des anglo-américains au Rwanda a marqué une escalade dans la rivalité. La France aidait directement le dictateur Habyarimana menacé par une opposition armée, le FPR, basé en Ouganda, un pays lié aux anglo-américains. A partir de 1990 la France a d’abord demandé un effort à ses banques, comme le Crédit Lyonnais, qui a financé la dictature déstabilisée par la corruption et des mouvements sociaux autant que par les attaques du FPR. Puis elle a accompagné la dérive ethniste du pouvoir, entraînant et armant les milices interhamwe qui allaient pratiquer en 1994 un véritable génocide d’un million environ de personnes après l’assassinat du président. C’est dans l’ambassade de France que s’est formé l’état-major des bandes assassines. C’est la France qui a protégé leur fuite après leur défaite et c’est Mitterrand qui a accueilli leur responsable, la femme du président Habyarimana. C’est l’armée française qui a monté une opération pour sauver les troupes génocidaires.

En 1994-95, la France de Mitterrand-Chirac les réarme. L’armée des tueurs rwandais peut alors intervenir en juin 1997 au Congo-Brazzaville en soutien à N’Guesso et au Congo-Zaïre en soutien à Kabila. Cette armée a notamment pratiqué un nouveau massacre en 1997, sur le sol du Congo-Zaïre, de dizaines de milliers de Hutus rwandais qu’elle avait pris en otage en quittant le pays. Et tout cela sous le prétexte de ne pas laisser l’Afrique aux Américains !
Les arrangements sur le dos des peuples

L’intervention militaire américaine en Somalie de décembre 1992 à mai 1993 marquait la volonté des USA d’intervenir directement en Afrique, s’il le fallait. Mais ils ont dû quitter piteusement le pays. France et USA préfèrent désormais former des contingents africains pour intervenir.

Ainsi le Congo-Zaïre est aujourd’hui dépecé entre les armées de pays liés à la France (Zimbabwe, Angola, Soudan, Libye, armée des Rwandais hutus) et de pays liés aux anglo-américains (Rwanda, Ouganda, Afrique du sud).

Tous ces affrontements armés, par Africains interposés, n’empêchent pourtant pas les arrangements à l’amiable. Ainsi lors de l’intervention française au Congo-Brazzaville, les USA laissent faire. Le chroniqueur américain Malek l’explique ainsi : « Un deal a été passé entre les Etats-Unis et la France. La France n’interviendra pas au Zaïre tandis que les Etats-Unis laisseraient la France faire ce qu’elle veut au Congo-Brazzaville ». Répondant à des journalistes qui lui reprochaient la passivité de l’ONU dans les massacres du Congo, le dirigeant Koffi Annan répondait : « le problème du Congo, c’est la France ! »

Bien sûr, comme pour la France ou l’Angleterre, l’intérêt de l’impérialisme US pour l’Afrique est d’abord un intérêt pour lui-même. Le secrétaire d’Etat Warren Christopher affirmait en mai 1993 la nouvelle position des USA à l’institut africain-américain parlant de « nouveau partenariat » qu’il justifiait auprès d’un parterre de patrons par des « profits à rendement exceptionnels ». En 1995, les exportations de biens et de services en direction de l’Afrique ont été de l’ordre de 5,4 milliards de dollars avec 100 000 Américains travaillant à ces relations avec l’Afrique. L’administration américaine intervient pour aider des organisations politiques nées en Afrique à raison de 85 millions de dollars. Des lobbies américains sont constitués autour des intérêts pétroliers et miniers américains en Afrique comme la Chambre de Commerce américano-angolaise (AACC).

Les peuples africains n’ont rien à gagner à la mainmise de l’impérialisme américain sur l’Afrique, même si elle avait l’avantage de les débarrasser de la tutelle de la France. C’est des deux qu’ils doivent se débarrasser.

Robert PARIS

Tchad - Grâce au soutien de la France, la dictature se renforce

Dans la foulée du succès militaire obtenu par le président tchadien Idriss Déby, celui-ci fait arrêter et élimine ses opposants politiques.

Plusieurs auraient été exécutés et trois figures marquantes de l’opposition ont été arrêtées par des hommes armés, après la fin des combats. On ignore ce qu’ils sont devenus. Le principal d’entre eux est un ancien chef de l’État en titre, par ailleurs président d’un comité de suivi d’un processus, initié le 13 août 2007, censé aboutir à des élections d’ici à 2009. Le moins qu’on puisse dire, c’est que pour ces futures élections démocratiques c’est mal parti !

Le commissaire européen au Développement a protesté contre l’arrestation des représentants « charismatiques » de l’opposition tchadienne. Quant à l’ineffable Kouchner, il a déclaré : « Maintenant il faut qu’il (le gouvernement Déby) prouve qu’il est vraiment le gouvernement de tous les Tchadiens, et je pense qu’il le fera. » À quoi Déby a répondu de façon lapidaire : « Moi je suis sur le terrain pour sauver le pays, mais je ne m’occupe pas de ces détails. »

Idriss Déby est arrivé au pouvoir en 1990, exactement comme les rebelles qui viennent d’être repoussés ont tenté de le faire, grâce à une colonne militaire en provenance du Soudan. Plus tard, il s’est fait élire président de la République. Encore plus tard, il a fait modifier la Constitution de façon que le nombre des mandats présidentiels ne soit plus limité par la loi.

Enfin, en août dernier, Déby s’est engagé, dans un accord avec l’opposition, a procéder à des élections en 2009. C’est précisément le responsable de la surveillance de la bonne application de cet accord qui vient d’être enlevé.

Le maintien de la dictature doit énormément au rôle de la France dans les affrontements récents contre les rebelles. Selon les déclarations officielles, l’armée française ne serait pas intervenue directement dans les combats. Mais un journal comme La Croix affirme l’inverse : des troupes spéciales françaises auraient pris part aux combats et des officiers auraient coordonné une attaque de l’armée tchadienne. Et il est évident que, de toute façon, le soutien logistique de l’armée française a été déterminant. Ainsi, en « sécurisant » l’aéroport de N’Djaména, sous prétexte de permettre l’évacuation des ressortissants étrangers, les troupes françaises ont permis à l’aviation d’Idriss Déby de disposer d’une base majeure pour ses hélicoptères de combat, qui semblent avoir été décisifs dans les affrontements. Sans compter le ravitaillement en munitions, etc.

Déby peut à bon droit se féliciter que « la France n’a pas failli à ses engagements » et « a tenu ses engagements fortement par rapport à l’agression ». Et rappelons que le ministre français de la Défense, Hervé Morin, a cru bon de se rendre au Tchad le 6 février, pour bien incarner l’alliance française.

Grâce au soutien des Sarkozy, Kouchner, Morin et des militaires français, la dictature d’Idriss Déby, après avoir vacillé, se retrouve peut-être solidement en selle. Idriss Déby pourra, avec son clan, profiter de la manne du pétrole dont l’exploitation a commencé dans le sud du pays.

André VICTOR - LO

Tchad : une dictature qui dure grâce au soutien français

Au Tchad, la guerre civile qui depuis plusieurs années oppose les bandes armées gouvernementales à celles de l’opposition au président Idriss Déby a connu un nouveau développement. Une fois encore, les forces armées gouvernementales semblent avoir sauvé le président tchadien face à l’offensive des rebelles, mais le fait que ces derniers aient pu parvenir en seulement quatre jours de combats jusque dans la capitale N’Djamena souligne la fragilité du régime.

Malgré une sanglante répression visant à étouffer toute forme d’opposition, le régime mafieux et corrompu de Déby montre de plus en plus des signes d’usure. Au pouvoir depuis 1990, après avoir renversé son prédécesseur Hissène Habré avec l’aide de la France, Déby doit aujourd’hui faire face à l’hostilité d’une part croissance de la population. Certains notables, des officiers et même des membres de son propre clan ont fini par rejoindre les rangs de la rébellion. Quant aux dernières élections présidentielles, elles ont été boycottées par les principaux partis d’opposition afin de dénoncer la parodie de démocratie et les fraudes massives.

La récente mise en valeur de gisements pétroliers dans le sud n’a en rien contribué à améliorer la situation du pays, qui reste l’un des plus pauvres du monde. Én revanche, elle a accentué les rivalités au sein des couches dirigeantes, qui supportent difficilement de ne pas être associées par Déby au partage de la manne pétrolière.

Jusque-là divisés, les groupes rebelles semblent avoir réussi à former une fragile coalition, menée par l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), dont le dirigeant n’est autre que l’ancien ministre de la Défense, le général Mahamat Nouri. Une autre composante de la rébellion, le Rassemblement des forces pour le changement, est animée par Timan Érdimi, un neveu d’Idriss Déby qui, avant de prendre le maquis, était membre du cabinet présidentiel.

À l’usure du régime s’ajoutent les répercussions de la guerre au Darfour, région soudanaise située à la frontière nord-est du Tchad. Depuis le début de ce conflit, des centaines de milliers d’habitants du Darfour ont été poussés à l’exil par les exactions de l’armée soudanaise. Ces réfugiés s’entassent dans des camps implantés dans la zone frontalière du Tchad et cela contribue à déstabiliser le pays. Dans le conflit qui les oppose à l’armée soudanaise, les rebelles du Darfour bénéficient du soutien des populations frontalières tchadiennes, qui appartiennent souvent à la même ethnie ; quant au régime soudanais, il apporte son soutien à l’opposition armée tchadienne en lui fournissant des armes, des moyens logistiques et des bases de repli.

Dans ce contexte, le régime de Déby ne survit que grâce au soutien militaire de la France. À plusieurs reprises, notamment en 2006, les troupes et les avions français lui ont déjà sauvé la mise face aux avances des armées rebelles. Cette fois encore, même si les 1 500 parachutistes et les avions du dispositif français Épervier, déployés au Tchad depuis 1986, n’ont pas officiellement participé aux combats, les forces françaises ont empêché les rebelles de s’emparer de l’aéroport de N’Djamena, à partir duquel les avions et les hélicoptères de combat gouvernementaux ont pu bombarder les colonnes rebelles.

On ne sait jusqu’à quand le régime de Déby pourra tenir. Quoi qu’il en soit, malheureusement, il est sûr que les affrontements qui opposent les bandes armées gouvernementales et rebelles n’ont rien à voir avec les intérêts de la population tchadienne, mais c’est elle qui en paie le prix. Quant aux dizaines de milliers de Tchadiens qui ont pris le chemin du Cameroun voisin pour tenter de fuir les combats, ils viendront s’ajouter à la longue liste des exilés et des victimes des conflits qui ensanglantent le continent africain.

Roger MEYNIER - LO

Tchad - Sous prétexte de la guerre la répression s’abat sur les populations
Cet article est extrait du journal Le Pouvoir aux travailleurs, édité par nos camarades de l’Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI - UCI)

Les nouveaux combats qui ont éclaté fin novembre-début décembre, au nord est du Tchad, entre l’armée gouvernementale et les diverses factions armées de la rébellion, étaient, paraît-il, d’une rare violence. On parle de plusieurs centaines de morts parmi les belligérants, de part et d’autre. On sait qu’en pareille circonstance, ce sont toujours les populations des zones où se déroulent les affrontements qui sont les principales victimes, et en général, les plus nombreuses aussi, car les chiffres officiels ne sont pas souvent annoncés.

Si les victimes civiles sont abandonnées à leur sort, les soldats morts ont eu droit à un enterrement officiel tandis que les blessés sont acheminés par voie de terre et par air à Abéché (ville du nord) ou à N’djaména pour y être soignés. Certains militaires blessés, faute de place, et aussi par manque du personnel compétent (chirurgiens surtout) sont acheminés vers le Cameroun voisin, notamment à Kousseri, Garoua ou Yaoundé.

Depuis le 28 novembre dernier, l’hôpital de référence de N’djaména ouvert au public est fermé : seuls les blessés de guerre y sont soignés, et l’armée monte la garde pour empêcher les civils d’y entrer. Or les autres hôpitaux de la capitale, qui sont privés, coûtent cher ; dans ces conditions, les pauvres n’ont qu’à crever.

Depuis le début de ce nouveau conflit, sous prétexte de traquer des rebelles qui se seraient infiltrés dans la capitale, mais aussi pour saisir les armes détenues par certains habitants, un couvre-feu est instauré dans N’djaména. En pareil cas, des hommes armés, en tenue militaire ou pas, en profitent pour voler tout ce qui a de la valeur : télévisions, radios, téléphones portables, tapis, etc.

En sus du couvre-feu, une censure a frappé la presse, écrite surtout. Avant toute parution, le responsable d’un journal doit envoyer une copie à la présidence pour lecture. Il faut attendre l’aval du comité de censure. Mais on ne sait pas encore pour quel motif le directeur de publication de l’hebdomadaire Notre Temps a été arrêté il y a quelques jours, et tous les exemplaires du dernier journal ont été saisis. Selon les dernières nouvelles, le directeur a été relâché.

Rappelons que cet hebdomadaire est connu dans le milieu petit-bourgeois comme un journal qui critique ouvertement les agissements et les magouilles des dirigeants. Ce qui lui attire parfois les foudres des gouvernants. L’ancien directeur du journal, plusieurs fois menacé par les sbires du régime, a finalement été assassiné par poison. Les dirigeants croyaient ainsi en finir avec toute critique envers eux ou contre leur gouvernement. Mais à leur grande surprise, le petit frère du défunt a pris la relève. Le pouvoir s’acharne à nouveau sur lui.

D’autres journalistes ont été également intimidés. C’est le cas, par exemple, du rédacteur d’un autre hebdomadaire, L’Observateur, ou du bihebdomadaire N’djaména Hebdo.

Les populations tchadiennes en ont marre de cette guerre qui dure depuis plus d’un quart de siècle, et des couvre-feu à répétition qui désorganisent la vie sociale, qui profitent à un ramassis de brigands de tout bord : elles souhaitent vivement la fin de la guerre qui leur est imposée d’en haut, par le gouvernement et les différents seigneurs de guerre.

Au Tchad, le dictateur Idriss Deby est finalement sorti vainqueur des affrontements qui, début février, ont opposé les troupes gouvernementales à celles de l’opposition armée. De justesse, puisqu’après avoir échoué dans plusieurs tentatives faites pour enrayer l’offensive des rebelles venus du Soudan, les forces armées d’Idriss Deby ont dû livrer une violente bataille au coeur même de la capitale N’Djamena. Et grâce au gouvernement français qui, une fois de plus, lui a fourni une aide militaire décisive.

Dans la foulée, Deby a fait arrêter plusieurs opposants politiques et a décrété l’état d’urgence, donnant ainsi le signal de la répression. En fait, malgré une politique visant à étouffer toute forme d’opposition, le régime dictatorial et prédateur de Deby montre de plus en plus des signes d’usure. Au pouvoir depuis 1990, après avoir renversé son prédécesseur Hissène Habré avec la complicité de la France, il se heurte aujourd’hui à une opposition croissante. La récente mise en valeur de gisements pétroliers dans le sud n’a en rien contribué à améliorer la situation de ce pays qui reste l’un des plus pauvres du monde. En revanche, elle a accentué les rivalités au sein des couches dirigeantes, qui supportent difficilement de ne pas être associées par Deby au partage de la manne pétrolière.

Des cadres de l’armée et même des membres de son propre clan ont fini par rejoindre les rangs de l’opposition, voire de la rébellion. Ainsi, parmi ceux qui ont fait vaciller Deby en février, on trouve le numéro un de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), l’ex-général Mahamat Nouri, qui, après avoir été ministre d’Hissène Habré, fut successivement préfet, ministre de la Défense et ambassadeur de Deby. Une autre figure marquante de l’opposition armée, Timane Erdimi, n’est autre que son neveu. Après avoir longtemps été une éminence grise du régime, alternativement directeur de cabinet et secrétaire général de la présidence, celui-ci a rompu avec Deby en 2005 et pris le maquis.

Officiellement, le Tchad est une république démocratique. Dans les faits, Deby et son clan monopolisent le pouvoir depuis près de vingt ans. Deby a même fait modifier la Constitution pour pouvoir prolonger son mandat présidentiel. La presse étant soumise à un sévère contrôle, on ne compte plus les articles censurés, les journaux saisis et les arrestations de journalistes. Pour justifier son soutien à Deby, Sarkozy a mis en avant son caractère « légitime » puisque confirmé par les urnes. La triste plaisanterie ! Arrivé au pouvoir par les armes et solidement installé, Deby a pu organiser des élections à sa convenance. Les représentants des partis d’opposition, qui ont boycotté les dernières élections présidentielles et dénoncé la parodie de démocratie, les violences exercées contre les opposants et les fraudes massives, ont pourtant donné les preuves du contraire. Certes, en août dernier, Deby s’est engagé, après un accord de l’opposition, à procéder à des élections en 2009, mais le responsable de la surveillance de la bonne application de cet accord fait partie des opposants enlevés dans la foulée des derniers combats. Et pour le moment, les arrestations d’opposants se poursuivent, dans le silence complice du gouvernement français et sous la protection de l’armée française.

À l’usure du régime s’ajoutent les répercussions de la guerre au Darfour, région soudanaise située à la frontière est du Tchad. Depuis le début du conflit, des centaines de milliers d’habitants du Darfour ont été poussés à l’exil par les exactions de l’armée soudanaise et s’entassent dans des camps de réfugiés installés au Tchad. Dans le conflit qui les opposent à l’armée soudanaise, les rebelles du Darfour bénéficient du soutien des populations frontalières tchadiennes, qui appartiennent souvent à la même ethnie. Quant au régime soudanais, il apporte son soutien à l’opposition armée tchadienne, lui fournissant des armes, des moyens logistiques et des bases de repli.

Dans ce contexte, le régime de Deby ne survit que grâce au soutien militaire de la France. À plusieurs reprises, notamment en 2006, les troupes et les avions français lui ont déjà sauvé la mise face à des offensives de rebelles. Cette fois encore, même si les déclarations officielles prétendent que l’armée française n’est pas intervenue directement, des témoins affirment que des forces spéciales françaises ont pris part aux combats. De toute façon, le soutien logistique de l’armée française que personne ne nie a été déterminant. En « sécurisant » l’aéroport de N’Djamena, sous prétexte de permettre l’évacuation des ressortissants étrangers, les troupes françaises ont ainsi garanti le ravitaillement en munitions des armées de Deby ; elles ont également permis à ses hélicoptères de combat, dont l’intervention fut décisive, de disposer d’une base vitale.

Deby s’est d’ailleurs félicité de ce que la France « n’a pas failli à ses engagements ».

En fait, ces « engagements » ne datent pas d’aujourd’hui. Le déploiement de troupes françaises prêtes à intervenir a même été quasi continu depuis l’indépendance. C’est que le Tchad revêt pour l’impérialisme français une importance particulière. Non pas tant du point de vue économique que du point de vue politique et stratégique.
Une position stratégique pour le colonialisme français

Lors du partage de l’Afrique entre les puissances colonisatrices européennes, qui fut officialisé par la Conférence de Berlin de 1885, la France se fit attribuer la rive nord du lac Tchad. Il s’agissait pour elle de se constituer un empire africain d’un seul tenant en reliant les territoires de l’Afrique équatoriale française et ceux de l’Afrique occidentale française. En outre, par sa situation au coeur de l’Afrique noire, cette région faisait obstacle à l’extension des zones d’influence des puissances rivales de la France : l’Angleterre marquant sa présence à l’est avec le Soudan, au sud-ouest avec le Nigéria, et l’Allemagne au sud avec le Cameroun.

Encore fallait-il que la France prenne possession de cette région dominée par Rabah, un négociant et puissant chef militaire d’origine soudanaise. Sous le prétexte de mettre fin au trafic d’esclaves auquel il se livrait, la France envoya trois colonnes militaires qui, à marche forcée, convergèrent vers le lac Tchad. Au cours de cette conquête qui dura de 1898 à 1900, l’armée française, dont la tristement célèbre colonne Voulet et Chanoine, s’illustra par ses atrocités : villages pillés et rasés, femmes, enfants et vieillards massacrés par milliers à coups de baïonnette ou pendus, hommes décapités ou enrôlés de force pour le portage. En 1900, le pays fut considéré comme conquis. Pourtant le nord demeura longtemps insoumis et resta sous administration militaire française durant toute la période coloniale, et même plusieurs années après l’indépendance.

En 1920, le Tchad passa du statut de protectorat à celui de colonie autonome. Dans le sud fertile, l’administration coloniale rendit obligatoire la culture intensive du coton, chaque village étant tenu de fournir un certain nombre de « cordes ». Cette culture allait contribuer à la fortune du français Boussac, en lui fournissant une matière première à bas prix pour ses nombreuses usines textiles implantées en métropole. En dehors de cela, le Tchad offrait peu de ressources minières. Il fut donc utilisé par l’administration coloniale comme un réservoir de main-d’oeuvre corvéable à merci. Les populations furent massivement soumises au travail forcé dans les autres colonies françaises, notamment pour la construction de la voie ferrée reliant les mines du Congo à l’océan. Cette politique - et la très forte mortalité qu’elle entraînait - fut à l’origine de nombreuses révoltes.
L’indépendance et le maintien de la domination française

La fin de la Deuxième Guerre mondiale créa une situation nouvelle. Des mouvements anticolonialistes et nationalistes commencèrent à s’exprimer en Inde, en Chine, en Indonésie et en Indochine. Dans un premier temps, la France, comme les autres puissances coloniales, s’accrocha à ses colonies, mais elle fut contrainte de lâcher du lest. Lors de la conférence de Brazzaville qui, en janvier 1944, rassembla des représentants de l’administration coloniale, De Gaulle, après avoir écarté toute idée d’indépendance, avait d’ailleurs envisagé l’évolution vers une autonomie et l’association d’une certaine « élite indigène » à la gestion des affaires locales. La Constitution de 1946 consacra cette évolution, en accordant le droit de vote à une partie seulement des populations et en substituant à l’ancien terme d’Empire français celui d’Union française.

Dans les colonies, des partis politiques apparurent. Au Tchad, Gabriel Lisette, un administrateur français d’origine antillaise, fonda en 1946 le premier parti politique, le Parti progressiste tchadien (PPT), affilié au Rassemblement démocratique africain (RDA) d’Houphouët-Boigny. Après avoir été suspecté de sympathies communistes, Lisette, qui prônait une décolonisation progressive et pacifique, bénéficia finalement de la bienveillance de l’administration coloniale. Quant au PPT, il devint rapidement populaire et, en 1956, il remporta les premières élections au suffrage universel, organisées dans le cadre de la loi renforçant l’autonomie locale.

À la fin des années cinquante, la bourgeoisie française s’apprêta à abandonner la forme coloniale de sa domination sur le Tchad comme sur la plupart de ses colonies d’Afrique. C’est que son armée, malgré un déploiement massif, malgré la répression, les tortures, ne parvenait pas à vaincre la lutte du peuple algérien pour l’indépendance. Cette guerre, impossible à gagner, devenait trop chère. Du coup, la grande bourgeoisie s’est convaincue que cela ne valait pas la peine de s’accrocher à la domination coloniale dans le reste de l’Afrique non plus.

Mettre fin à la guerre d’Algérie et décoloniser l’Afrique coloniale française ne vint pas de la gauche, pourtant au pouvoir depuis 1956 avec Guy Mollet. Au contraire, arrivé à la tête du gouvernement en promettant la paix en Algérie, celui-ci intensifia la guerre. La crise politique ne fut dénouée que par le retour de De Gaulle au pouvoir. Cet homme politique réactionnaire osa faire ce que la gauche n’avait pas osé : donner l’indépendance à l’Algérie et, au-delà, organiser l’indépendance des colonies françaises d’Afrique noire.

Mais renoncer à la forme coloniale de sa domination ne signifiait pas pour la bourgeoisie française renoncer à sa domination. Toute sa politique visa dès lors à conserver sa mainmise sur sa zone d’influence africaine, qui constituait un source privilégiée d’approvisionnement en matières premières, mais aussi un débouché pour les produits de son industrie. Cela passait par un contrôle étroit des appareils d’État autochtones, assuré notamment par des liens humains avec le personnel dirigeant, sous la protection de troupes françaises implantées dans les endroits stratégiques.

En 1958, le Tchad devint une république autonome intégrée dans la Communauté française, avec Lisette comme Premier ministre. De Gaulle, qui venait de revenir au pouvoir, voyait en lui l’un des relais potentiels de sa politique africaine, comme l’étaient l’ivoirien Houphouët-Boigny et le sénégalais Léopold Senghor. Mais en février 1959, l’assemblée tchadienne le démit de ses fonctions. François Tombalbaye, un instituteur originaire du sud, prit la direction du PPT et du gouvernement.
La dictature de Tombalbaye

Le 11 août 1960, le Tchad accéda donc à l’indépendance avec, à sa tête, Tombalbaye. Ce dernier élimina rapidement toute opposition à l’intérieur du PPT comme à l’extérieur et, sous couvert d’unité nationale, il assura à son parti le monopole du pouvoir.

Le Tchad, comme la plupart des pays africains, restait une création artificielle de l’époque coloniale. Il réunissait des régions très dissemblables et plus d’une centaine d’ethnies différentes. Il restait surtout marqué par un clivage historique entre les tribus d’éleveurs nomades islamisés au nord, et des agriculteurs sédentarisés animistes et partiellement christianisés au sud. De plus, le pouvoir colonial avait amplifié les tensions en jouant les ethnies les unes contre les autres, en privilégiant notamment la fraction christianisée des populations du sud.

Or, Tombalbaye poursuivit la politique du colonisateur français. Il favorisa l’accès des chrétiens du sud aux postes dans l’administration et dans l’appareil d’État, alors que les musulmans du nord étaient dans leur grande majorité délaissés et soumis à l’arbitraire des administrateurs venus du sud. Le résultat ne se fit pas attendre : dès 1963, des émeutes éclatèrent dans le nord suivies, un an plus tard, d’émeutes dans le nord-est. La répression féroce, qui fit des centaines de morts, n’éteignit pas la colère de ces populations.

C’est dans ce contexte que naquit, en 1966, le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), mouvement de rébellion s’appuyant sur les populations du Tibesti et bénéficiant du soutien de la Libye, de l’Algérie et du Soudan. Incapable de venir à bout de cette insurrection, Tombalbaye réclama, en 1968, l’aide militaire française, en vertu d’accords de défense signés lors de l’indépendance. La France envoya un important corps expéditionnaire.

Le soutien de la Libye au Frolinat n’était pas désintéressé, le colonel Kadhafi revendiquant des droits sur la bande d’Aouzou, une bande désertique mais riche d’uranium située à la frontière nord du Tchad. Profitant de la guerre civile, il annexa d’ailleurs cette région en 1973.

De leur côté, les rebelles entreprirent des actions spectaculaires, comme les prises d’otages. La plus célèbre fut l’enlèvement de l’ethnologue Françoise Claustre par les combattants toubous d’Hissène Habré, dans le désert du Tibesti en 1974. Elle ne fut libérée qu’en 1977.

Par sa politique despotique, Tombalbaye s’était de plus en plus isolé. Lorsqu’il s’en prit aux cadres de l’armée qu’il suspectait de comploter contre lui, son sort fut scellé. Le 13 avril 1975, un coup d’État mit fin à la dictature de Tombalbaye qui fut tué dans les combats. Les putschistes désignèrent le général Malloum pour lui succéder. Celui-ci joua la carte de la réconciliation nationale en renouant le dialogue avec des représentants de l’opposition armée. Parallèlement, les relations avec la France se dégradèrent. La tutelle de l’ancien colonisateur était dénoncée par les mouvements rebelles comme par les militaires tchadiens. Le nouveau gouvernement réclama donc le départ des troupes françaises, qui se retirèrent en octobre 1975.

Bien que divisé, le Frolinat continua à gagner du terrain. Début 1978, la chute de plusieurs villes du nord, dont la préfecture de région Faya-Largeau, montra l’ampleur de la rébellion qui contrôla bientôt les deux tiers du pays. Finalement, en 1979, le général Malloum dut céder la place à Goukouni Weddeye, devenu le leader du Frolinat. Ce dernier prit la tête d’un gouvernement d’union nationale et son rival Hissène Habré fut nommé ministre de la Défense.

Mais la trêve fut de courte durée. Un an plus tard, les bandes armées des deux anciens maquisards s’affrontèrent dans N’Djamena pour le contrôle du pouvoir. Dans un premier temps, Weddeye l’emporta avec l’aide des troupes libyennes, qui en profitèrent pour occuper une grande partie du pays. Mais en 1982, Habré, ayant obtenu le soutien de la France, reprit le pouvoir à l’issue d’un nouveau coup de force militaire.

Aux termes d’accords signés en 1976, la France s’était engagée à ne plus intervenir dans les affaires tchadiennes. Mais à partir de 1978, elle prit prétexte de l’invasion du pays par les troupes libyennes pour faire un retour en force. À partir de 1983, des centaines de soldats, des blindés et des avions de combat furent déployés dans le cadre de « l’opération Manta ». Les forces libyennes étant repassées à l’offensive en 1986, la France fit bombarder l’aéroport libyen de Ouadi-Doum et déploya de nouvelles troupes dans le cadre du dispositif Épervier. Les Libyens furent finalement repoussés et abandonnèrent leurs prétentions territoriales.

Depuis, le dispositif Épervier est resté en place. Il s’intègre au réseau de bases militaires que la France maintient depuis l’époque des indépendances du Gabon au Sénégal, en passant par la Côte d’Ivoire et Djibouti, réseau qui lui permet d’avoir en permanence plusieurs milliers d’hommes capables d’intervenir partout en Afrique pour défendre les intérêts de l’impérialisme français.
L’ère d’Idriss Deby

Durant toute la période qui s’est écoulée depuis l’indépendance du Tchad, la France s’est à chaque fois accommodée de l’homme fort du moment, fût-il un sanglant dictateur. Ce ne sont donc pas les soupçons pesant sur la disparition de dizaines de milliers d’opposants qui peuvent expliquer le lâchage d’Hissène Habré au profit d’Idriss Deby en 1990. Aux yeux du gouvernement de Mitterrand, son crime était plus odieux : Habré n’avait pas accordé à Elf la place - et les profits - que le trust français attendait dans l’exploitation des gisements pétroliers récemment découverts.

Or, l’effondrement de l’URSS entraînant la fin de la guerre froide, ainsi que la stagnation économique ont changé la donne dans les rapports entre les pays occidentaux. La concurrence entre les grandes puissances pour mettre la main sur les richesses naturelles de l’Afrique s’est accrue. Et la France voit son influence de plus en plus contestée, notamment par les États-Unis, même dans les pays qui lui étaient jusque-là subordonnés. Ainsi, l’exploitation du pétrole tchadien a été confiée à un consortium dirigé par l’américain ExxonMobil.

Pour tenter de résister, l’impérialisme français dispose d’un argument : sa longue tradition d’engagements militaires aux côtés des dirigeants africains soucieux de défendre ses intérêts. Cela explique que, quel qu’ait été le locataire de l’Élysée, l’attitude du gouvernement français vis-à-vis de Deby a peu varié. Et celle de Sarkozy vient de prouver qu’il ne faisait exception ni dans les moyens mis en oeuvre, ni dans l’hypocrisie des déclarations officielles.

Mais jusqu’à quand l’armée française pourra-t-elle garantir la survie d’un régime de plus en plus usé et isolé ?

En tout cas, les intérêts de la population tchadienne n’ont rien à voir avec les choix que font les gouvernements français. Au contraire, depuis des décennies, elle paie un lourd tribut aux affrontements répétés des bandes armées, qu’elles soient gouvernementales, rebelles ou françaises. Elle le paie non seulement par les destructions et les victimes civiles des combats, mais aussi par un appauvrissement croissant. La population est également victime du fait que, dans ce pays qui connaît déjà l’un des plus forts taux de mortalité infantile et l’une des plus faibles espérances de vie, l’équipement des armées gouvernementales passe avant le développement des installations sanitaires, des écoles, de l’accès à l’eau ou à l’électricité.

Ni le peuple tchadien, ni la classe ouvrière française n’ont aucun intérêt à la poursuite de la présence de l’armée française, à l’aventure guerrière en cours, pas plus qu’au soutien systématique du dictateur en place. Il faut le retrait de l’armée française du Tchad comme de toute l’Afrique.

Messages

  • ... S DE BO...je dédie cette lettre ouverte à tous les déplacés de combat dans la capitale somalienne,une population qui n’a pas de choix que de fuïr pour ne pas être victimes de ce combat qui oppose l’armée aux combatants islamistes et que les civils sont privés de leur propre maison,et qui vivent dans la rue avec la peur et la crainte dans une situation précaire et missérable,et ce qui m’a beaucoup touché c’est que les innocents telques,les enfants,les femmes ont entrain de subir les conséquences
     pourquoi ce sont la population opprimée est toujours la premiére victime des guerres ?
     cette injuste envers la classe opprimée est-elle un phenomène naturel ?
     en parlant de classe sociale ou peut-on nous classer ces deux camps qui font souffrir les civils ?...S DE BKO.

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