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ça va pêter en Arabie saoudite

mercredi 9 mars 2011

Révolte en Arabie saoudite

A bas la royauté

L’Arabie saoudite est mûre pour le changement. On dit le royaume fabuleusement riche et hôte d’une population passive et apolitique, mais il connaît la même situation économique, démographique, sociale et politique que ses voisins. Il n’y a donc aucune raison de penser que les Saoudiens ne seront pas gagnés par la fièvre protestataire qui se répand dans la région.

Si l’Arabie saoudite est effectivement riche, une grande part de sa jeunesse peine à trouver du travail, que ce soit dans le secteur public ou privé. La croissance de l’économie, qui pèse 430 milliards de dollars (environ 306 milliards d’euros), a largement profité à l’élite des affaires —en particulier à tous ceux qui sont liés à la famille régnante— mais ne fournit pas d’emplois aux milliers de diplômés qui sortent chaque année de l’université. Ladite élite rechigne à embaucher des Saoudiens, trop chers, et contribue à l’augmentation du chômage des locaux en recourant à la main-d’œuvre étrangère. Or, la hausse du prix du pétrole depuis 2003, ainsi que la multiplication des investissements publics dans l’éducation, les infrastructures et les programmes sociaux, a dans le même temps créé une économie du désir explosive.

Comme leurs voisins, les Saoudiens demandent du travail, des logements, de l’éducation, mais ils désirent aussi autre chose. Depuis le renversement de Saddam Hussein en Irak, en 2003, ils réclament un changement politique à leur manière, par des pétitions signées par des centaines de militants et de représentants du monde professionnel, hommes, femmes, sunnites, chiites et ismaéliens confondus. Les partisans de la réforme ont ainsi demandé au roi Abdallah l’établissement d’une assemblée consultative élue, en lieu et place du Conseil consultatif composé de 120 membres nommés, hérité du roi Fahd. Résultat, des activistes politiques ont été emprisonnés et d’autres n’ont pas le droit de quitter le pays. Le « printemps de Riyad » que beaucoup pensaient voir venir avec l’accession au trône du roi Abdallah, en 2005, n’a pas eu lieu, tandis que dans les grandes villes, des pluies torrentielles se sont abattues sur les infrastructures surannées et les habitants [en 2009]. Avec la montée du chômage, la violence des jeunes s’est accrue, les ménages se sont brisés, le nombre de célibataires a explosé, et celui des personnes vivant sous le seuil de pauvreté s’est mis à grimper dans l’un des États arabes les plus prospères du monde. Aujourd’hui, près des 40 % des Saoudiens de 20 à 24 ans sont sans emploi.
Des scandales bâillonnés

Pendant ce temps, une succession de scandales a révélé le degré de corruption et de népotisme des institutions étatiques. Et si les princes ont promis des commissions d’enquête, les coupables n’ont jamais été punis. La critique du roi et des princes les plus influents reste taboue, et peu se sont risqués à franchir le cercle rouge qui entoure la sacro-sainte clique détentrice de tous les postes exécutifs, de la Défense au Sport. Saisissant le prétexte de la guerre contre le terrorisme, le régime a rempli les geôles saoudiennes de prisonniers politiques et de prisonniers de conscience. Le ministre de l’Intérieur, le prince Nayef, aidé de son fils et vice-ministre, le prince Mohammed, ont fait rechercher et emprisonner pour de longues périodes des activistes, des blogueurs, des juristes et des universitaires pacifistes. Les Saoudiens ont observé tout cela en silence, tandis que le reste du monde semblait ne pas voir ces diverses atteintes aux droits de l’homme, ou choisissait de fermer les yeux pour ne pas fâcher les intérêts du pétrole, des armes ou des investissements.

« Nous ne sommes pas la Tunisie », « Nous ne sommes pas l’Égypte », « Nous ne sommes pas la Libye », (et peut-être, bientôt, « Nous ne sommes pas le monde arabe ») constituent ces dernières semaines les refrains bien appris de la rhétorique politique officielle. Ce n’est pas tout à fait faux : la carotte est souvent la monnaie de la loyauté dans les pays pétroliers, et son plus riche représentant sait en jouer. Cependant, la famille royale saoudienne n’hésite pas non plus à manier le bâton. Des agences de communication installées à Riyad, à Washington ou à Londres ont pour tâche de bien faire circuler les actualités de la carotte, afin de masquer la réalité moins riante de l’un des régimes les plus opaques et les plus autoritaires du golfe Persique. Mais aujourd’hui, il n’est plus possible de cacher les problèmes politiques, économiques et sociaux que le pétrole a échoué à résoudre.
Le pétrole n’est plus le moyen de contrôle de la situation

À l’époque où les Saoudiens étaient pauvres et à la traîne en matière d’éducation, d’aspirations et d’infrastructures, le pétrole guérissait toutes les plaies sociales. La vague de coups d’État qui déferla sur le monde arabe dans les années 1950 et 1960 ne fit pas grande impression dans le pays, qui n’enregistra alors que de rares foyers d’agitation. Peu furent sensibles à l’effervescence des mouvements arabes révolutionnaires ou de libération. La plupart des Saoudiens manquaient encore de la culture ou de l’élan nécessaires pour remettre en cause le gouvernement, si ce n’est une poignée d’activistes ou d’agitateurs comptant parmi eux des princes de la famille royale. La décennie 1970 fut celle de l’opulence pétrolière et de l’avènement de l’économie de consommation, avec voitures, avions, eau courante, climatisation et lunettes de soleil. L’engagement politique ne faisait pas partie du lot.

Aujourd’hui, le pétrole coule toujours à flots, mais les Saoudiens ont changé. Leur pouvoir d’achat est supérieur à d’autres pays arabes, mais inférieur au Qatar, au Koweït et aux Émirats arabes unis. Aujourd’hui, les Saoudiens veulent autre chose. Ils sont jeunes –les moins de 30 ans représentent les deux tiers de la population– instruits, connectés et ils savent s’exprimer. Surtout, ils sont au fait des revendications de démocratie, de liberté, de légalité, de légitimité, de transparence, de responsabilité et de droits de l’homme qui, depuis janvier, secouent les régimes autoritaires du monde arabe. Spectateurs de chaînes du satellite comme Al-Jazira, ils sont avides des dernières nouvelles sur les soulèvements dans la région.
Révolte virtuelle pour représailles réelles

Jusqu’à présent, la « place de la libération » des jeunes Saoudiens se situe sur la mappemonde virtuelle. Dans les années 1990, l’opposition islamiste en exil avait utilisé le fax pour bombarder le pays de messages qui dénonçaient le pouvoir en place et réclamaient le retour à l’islam des puristes. Puis un cercle élargi de jeunes plus ou moins politisés a investi Internet et les forums de discussion, les chat rooms, les blogs et, plus récemment, Facebook et Twitter, pour s’exprimer, se mobiliser et partager les doléances. Ces espaces virtuels sont du reste devenus le foyer d’expression naturel de l’opposition comme de la propagande gouvernementale. Ainsi, le secrétaire particulier du roi et chef de la cour royale, Khaled al-Tuwaijri, a dernièrement créé sa propre page Facebook.

Les Saoudiens se croyaient à l’abri dans leur monde virtuel, mais le régime s’est montré déterminé à traquer chacun des mots et murmures qui défient sa version de la réalité. De jeunes blogueurs, écrivains et essayistes se sont retrouvés en prison pour avoir posé de simples questions comme : qui succédera au roi Abdallah ? Où va l’argent du pétrole ? Qui trempe dans les scandales de corruption liés aux ventes d’armes ? Pourquoi le roi et le prince héritier quittent-ils tour à tour le pays ? Pourquoi les soi-disant réformes d’Abdallah sont-elles contrecarrées par son frère, le prince Nayef ? Qui dirige vraiment l’Arabie saoudite ? Autant de questions qu’il est interdit de poser.
Des tentatives d’apaisement qui ne suffisent plus

Le 23 février dernier, le roi Abdallah, 87 ans et d’une santé fragile, a été ramené à Riyad après trois mois passés à l’étranger, d’abord à New York pour deux opérations chirurgicales, puis au Maroc pour sa convalescence, et il a été annoncé que 36 milliards de dollars (environ 25 milliards d’euros) seraient dépensés en faveur de mesures sociales. C’est là une tentative assez claire d’apaiser la jeunesse et de la détourner des tentations de la révolution, à coups d’augmentations de salaire dans le secteur public, d’allocations chômage et d’aides au logement, à l’éducation et à la culture.

Jusqu’ici, ce type de subsides avaient été bien accueillies par une population accoutumée aux largesses royales. Mais à présent, l’économie des désirs inassouvis a fait monter les enchères. Le roi, trop vieux et trop fatigué, a peut-être mal apprécié le degré de mécontentement de ces nombreux Saoudiens qui relaient leurs griefs sur Internet et qui, quelle que soit leur appartenance politique, exigent de véritables réformes. Car tout porte à croire que la population entend saisir cette occasion unique pour provoquer le changement. Sur les pages saoudiennes de Facebook (en arabe), en réponse aux cadeaux royaux, on lit souvent que « l’homme ne se nourrit pas que de pain ».
Une volonté de réforme qui s’étend à d’autres franges de la population

Les progressistes ne sont pas les seuls à vouloir des réformes. Quelques semaines avant le retour du roi, un groupe d’universitaires et de représentants du monde professionnel a annoncé la création du Parti de l’oumma islamique salafiste et le lancement de son site Web (en arabe). Ces réformistes salafistes demandent l’instauration de la démocratie, la tenue d’élections et le respect des droits de l’homme. Cinq des membres fondateurs ont immédiatement été incarcérés. Par ailleurs, le frère du roi, le prince Talal, homme déçu et politiquement sur la touche, mais à la tête d’une fortune colossale, est passé sur la BBC arabe pour faire l’éloge du roi et critiquer, sans les nommer, les autres acteurs forts du pouvoir regroupés au sein de ce que l’on appelle le clan des sept Soudayri (incluant le prince héritier Sultan, ministre de la Défense ; le prince Nayef, ministre de l’Intérieur ; et le prince Salman, gouverneur de Riyad).

À cette occasion, le prince Talal a renoué avec son plaidoyer des années 1960 pour une monarchie constitutionnelle, que certains activistes réclament maintenant de concert —à ce jour, la pétition pour l’instauration d’une monarchie constitutionnelle a récolté 119 signatures, et d’autres pétitions (en arabe) signées par des personnes représentatives des milieux professionnels, universitaires et médiatiques circulent sur Internet. Un large pan de la société saoudienne attend donc un geste politique fort.

Si les Saoudiens descendent dans la rue, dépassant ainsi le syndrome de l’éternelle pétition, la majorité des manifestants seront des libres penseurs lassés de la polarisation du pays entre les progressistes d’un côté et les islamistes de l’autre, avec la famille Saoud s’élevant au-dessus du fossé qui s’élargit entre les deux. La population veut être représentée dans la vie politique et compter dans la vie économique. Un parlement élu est demandé à l’unanimité.
Dans l’attente d’une coalition, pas d’action

Pour le moment, les chiites sont restés relativement calmes, avec seulement quelques manifestations limitées dans la partie orientale du pays. Après le massacre du 14 février sur la place de la Perle au Bahreïn, on comprend qu’ils hésitent à agir seuls. Car il serait alors très facile pour le régime de mobiliser la majorité sunnite et de réprimer le soulèvement, exactement comme cela s’est produit en 1979. En réalité, les chiites feraient là un beau cadeau au gouvernement, alors que sa légitimité au sein de la majorité sunnite est loin d’être acquise.

Les chiites devraient donc attendre de former une coalition solide avec la population saoudienne majoritaire, afin d’ôter toute dimension communautaire à leurs revendications. Ils trouveraient des alliés naturels dans la région occidentale côtière du Hedjaz, où la déliquescence des infrastructures de la ville principale, Djeddah, pourrait catalyser la demande pour plus de droits politiques et d’autonomie. Dans ce contexte, les progressistes de la région pourraient se montrer plus réceptifs aux appels du pied des chiites de l’Est. Or si Djeddah et Qatif s’unissent, Riyad sera plus isolée que jamais. Le régime est encore largement soutenu dans son bastion historique du Nedjd, mais même là, le vent de liberté semble s’insinuer. Enfin, certains salafistes, qui suivent une doctrine littérale et puritaine de l’islam, réclament une véritable choura, c’est-à-dire la démocratie.
Un gouvernement, face à une jeunesse instruite mais frustrée

Le royaume est à la croisée des chemins. Soit il propose un programme de réformes politiques conséquentes pour apaiser la jeunesse, soit il va au devant de graves troubles dans les mois qui viennent. Et pour répondre aux demandes du peuple, ces réformes devraient en premier lieu donner naissance à une constitution écrite, limiter les multiples cercles royaux du pouvoir, définir les règles de la succession monarchique, instaurer un parlement élu et ouvrir la sphère politique à la société civile. Il n’est plus possible de biaiser au moyen d’une rhétorique islamiste qui proclamerait « Notre constitution, c’est le Coran ». Nombre de Saoudiens sont déçus par l’islam officiel comme par les doctrines dissidentes. Ils veulent un nouveau système politique qui corresponde à leurs aspirations, à leur éducation et à leurs compétences, et qui respecte les droits de l’homme ainsi que leurs droits fondamentaux en matière civique et politique.

Comme les autres régimes arabes moribonds, la famille Saoud cherchera inévitablement à faire peur en brandissant le spectre d’Al-Qaida et de la désintégration tribale, régionale et sectaire. Elle tentera d’étouffer dans l’œuf toute évolution politique. Mais les Saoudiens ne croiront peut-être pas à ces épouvantails. Le centre de commandes des révolutions arabes ne se trouve plus dans les grottes de Tora Bora ou dans la banlieue déshéritée de Riyad, où le journaliste de la BBC Frank Gardner et son caméraman ont été tués par des djihadistes en 2004. Il se trouve dans les ordinateurs portables d’une génération jeune, connectée et instruite, mais frustrée et révoltée par l’autoritarisme de clans familiaux, des sphères publique et privée, qui ont écrasé la population pour mieux servir leurs illusions et leur quête de puissance.

L’Égypte a joué un rôle clé dans les changement en cours. Mais c’est quand l’Arabie saoudite se soulèvera que le monde arabe et ses relations avec l’Occident en seront bouleversés à jamais. Il est temps pour les États-Unis et ses alliés de comprendre que l’avenir n’est plus entre les mains de la vieille clique qu’ils ont tolérée, soutenue et choyée en échange de pétrole, de sécurité et d’investissements. Face aux sables mouvants arabes, l’Amérique et le reste du monde doivent se rallier à l’avenir, pas au passé.

Madawi Al-Rasheed

Messages

  • Les autorités saoudiennes ont annoncé, vendredi 23 janvier, la mort du roi Abdallah, âgé de plus de 90 ans et qui était hospitalisé depuis plusieurs semaines. Ce décès ouvre la voie à une succession familiale qui devra affronter trois questions majeures pour assurer la survie du royaume.

    Les prix du pétrole ont fortement diminué au cours des derniers mois en raison d’une faible demande et d’une offre abondante. Or les ressources – et, avec le temps, les besoins – du royaume dépendent du cours de l’or noir, dont les revenus contribuent pour 90 % au budget saoudien.

    Selon un récent rapport du Fonds monétaire international (FMI), l’Arabie saoudite devrait accuser un déficit en 2015 en raison du repli des cours du pétrole. Ce que Riyad a confirmé en décembre.

    D’autre part, 47 % de la population (28 millions de personnes) a moins de 24 ans. Un tiers des jeunes environ est au chômage.

    Alors que le monde arabe était secoué par les révolutions tunisienne, égyptienne, libyenne... le roi Abdallah avait prélevé l’équivalent de 115 milliards d’euros dans les caisses du pays pour éviter la contagion.

    Une somme astronomique (plus importante que le budget de l’année 2007) qui correspondait à la création de 60 000 postes au ministère de l’intérieur, la construction de 500 000 maisons et la mise en place d’un revenu minimum de 3 000 rials (environ 730 euros) pour les fonctionnaires.

    Un choix risqué alors que chaque année, environ 400 000 personnes entrent sur le marché du travail et que près de la moitié des dépenses du gouvernement (45 %) sont déjà dévolues à payer les salaires des fonctionnaires, selon ce rapport du FMI.

    L’accession au trône de Salman marque le retour au pouvoir d’un clan longtemps puissant au sein du cercle des Saoud, celui des Soudeyris, du nom d’une épouse d’Abdel Aziz, Hassa. Dans son premier discours vendredi, Salman a déclaré qu’il n’y aurait pas de changement dans la politique du royaume après la mort de son prédécesseur et a appelé à l’unité parmi les musulmans divisés par la guerre.

    Les disparitions successives du roi Fahd, en 2005 (victime en 1995 d’un grave accident de santé qui avait débouché sur une régence de fait), de Sultan, inamovible ministre de la défense de 1962 jusqu’à sa mort, en octobre 2011, puis de Nayef, le puissant ministre de l’intérieur, aux commandes de 1975 à juin 2012, ont réduit le pouvoir de cette branche dynastique.

    Cette crise s’ajoute au pourrissement syrien : le maintien au pouvoir de celui qui est devenu un ennemi juré de l’Arabie saoudite, Bachar Al-Assad, parce qu’il a privilégié le soutien financier et militaire de la République islamique d’Iran pour sauver son pouvoir ; et la résurgence d’un puissant mouvement djihadiste, l’Etat islamique, aussi hostile à l’Iran qu’à la monarchie saoudienne, « l’ennemi proche », considérée comme alignée sur les positions des Etats-Unis, « l’ennemi lointain ».

    Le dernier sujet de préoccupation de la dynastie saoudienne concerne les négociations en cours entre les Occidentaux, à commencer par Washington, avec Téhéran. Ces discussions ont pour objectif de stopper le programme nucléaire controversé de l’Iran qui modifierait l’équilibre géostratégique sur les deux rives du Golfe. Mais Riyad redoute qu’elles soient le prélude à un aggiornamento diplomatique américain au Moyen-Orient, qui se traduirait par la prise en compte de l’influence iranienne en Irak depuis le renversement de Saddam Hussein, en 2003, ainsi qu’en Syrie, a fortiori depuis 2011, et au Liban par le truchement de la milice du Hezbollah.

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