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Bosnie : les émeutes des salariés sans salaire

12 février 2014, 08:03

3,8 millions de personnes dans les rues, 150 blessés, plusieurs bâtiments gouvernementaux brulés… Depuis le 5 février, les manifestants bosniaques ont frappé fort, très fort pour exiger de leurs élus qu’ils ne restent plus les bras ballants face au chômage de masse.

« Je pense que c’est un véritable printemps de Bosnie, affirmait à Reuters Almir Arnaut, économiste au chômage et militant de Tuzla, ville épicentre des émeutes bosniaques. Nous n’avons rien à perdre. Il y aura de plus en plus d’entre nous dans les rues ».

Moins d’une semaine après le début de ses émeutes sociales en Bosnie, des manifestations de soutien ont été organisées ou le seront cette semaine dans les pays voisins, notamment en Serbie, en Croatie et au Monténégro. Aucun pays des Balkans n’a réellement réussi à se développer depuis les guerres ethniques des années 1990. Si bien que certains parlent déjà d’un début de « printemps des Balkans » qui pourrait s’étendre à tous les pays d’ex-Yougoslavie.

« Vive la lutte des peuples des Balkans ! »
Lundi 10 février, après un appel sur les réseaux sociaux, quelque 300 personnes se sont réunies dans le centre de Belgrade, la capitale serbe, sous des drapeaux de mouvements antifascistes et anticapitalistes, ainsi que des pancartes du parti communiste serbe. Les slogans fustigeaient le capitalisme, mais aussi l’OTAN et l’Union européenne. Un des organisateurs a lu le texte publié sur Internet en « soutien à la rébellion nationale en Bosnie-Herzégovine ».

Dans leur ligne de mire : les problèmes sociaux et économiques des Balkans, les forces « impérialistes et capitalistes », mais aussi les mouvements nationalistes. Le mouvement se veut fédérateur, au-delà des traditionnels clivages ethniques. « Vive la lutte des peuples des Balkans ! »

Marko, interrogé à Belgrade par le journal Balkan Insight, n’a pas de mal à s’identifier aux manifestants bosniaques. « Je veux un emploi ! Nous méritons tous d’avoir un emploi ! », s’exclame le jeune architecte au chômage depuis deux ans. « Les Serbes devraient imiter les Bosniaques et descendre dans la rue. C’est la seule façon de sortir de ce désespoir. »

Des manifestations similaires sont également prévues à Zabreb, capitale de la Croatie, jeudi 13 et samedi 15 février. Un groupe Facebook intitulé « Protestation contre le gouvernement de voleurs, la corruption et la pauvreté au Monténégro » donne également rendez-vous devant le bâtiment du Parlement monténégrin le même samedi.

Colère contre le libéralisme économique et la corruption
Tout a commencé à Tuzla le 5 février dernier. La majorité des habitants de cette ville du nord de la Bosnie-Herzégovine travaillaient dans quatre entreprises publiques qui ont été privatisées au début des années 2000. Au lieu d’investir pour rendre ces entreprises rentables, les propriétaires ont vendu les actifs et ont cessé de payer les travailleurs. En déposant le bilan quelques années plus tard, ils ont entrainé le chômage de centaines de personnes, dans un pays qui connaît déjà un taux de chômage record : 28% de la population active, et 63% des jeunes !

La manifestation, d’abord pacifique, est rapidement devenue violente lorsque des centaines de manifestants, principalement d’anciens employés des entreprises privatisées, se sont heurtés aux policiers non loin des locaux du gouvernement local de Tuzla. Après les sittings pour bloquer la circulation et les jets de pierre, 600 manifestants ont tenté une première fois de prendre d’assaut le bâtiment. Le 6 février, des manifestations de soutien, incluant étudiants, activistes et personnes au chômage, ont été organisées à travers le pays, notamment dans la capitale, Sarajevo, où des manifestants ont affronté la police qui leur bloquait la route en direction du centre-ville.

Le collectif des « Citoyens de Sarajevo, sans nom, ni nationalité, ni parti politique » a fait parvenir au gouvernement son cahier de doléance : reconnaître qu’il s’agissait d’une « révolte du peuple », augmenter les retraites minimales de 400 marks (200 euros), dénoncer le prêt souscrit auprès du FMI, mettre un terme à la hausse des prix du service public aux nouvelles taxes. Ils demandent également de revoir les privatisations, de former une commission indépendante pour lutter contre la corruption, mais aussi de rassembler le pays qui, depuis 1995, est divisé en deux entités - la Fédération et la Republika Srpska - elles-mêmes divisées en cantons autonomes.

Les émeutes les plus violentes depuis la fin de la guerre
La violence a atteint son summum le 7 février à Tuzla : 10 000 émeutiers sont passés outre les lignes de sécurité mises en place par la police autour du bâtiment du gouvernement local. Une centaine de jeunes s’y est rendue et, après avoir jeté par les fenêtres meubles et appareils, a mis feu à l’immeuble. Après s’être rendus au tribunal local pour réclamer la libération des quelques dizaines d’émeutiers arrêtés les jours précédents, le même groupe de 10 000 manifestants a pris la direction de la mairie. Vidé avant que cette foule en colère n’arrive, le bâtiment est dévasté avant d’être à son tour brûlé. Le maire de Brčko, une ville voisine, aurait même été pris en otage pendant un temps avant d’être relâché.

En seulement trois jours, 3,8 millions de Bosniaques seraient sortis dans la rue, selon l’analyste de la BBC, Tim Judah. Environs 150 personnes auraient été blessées, dont plusieurs dizaines de policiers.

Valentin Inzko, le Haut Représentant de Bosnie-Herzégovine, en est même venu à affirmer que si l’escalade de violence continuait, il n’excluait pas de demander une aide extérieure pour ramener le calme : « Nous évaluerons la situation mardi 11 février. L’Autriche va dès à présent augmenter le nombre de ses troupes présentes dans le pays. Si la situation du pays s’aggrave, l’Union européenne devrait envisager d’envoyer des troupes en Bosnie. »

Ce sont les émeutes les plus violentes dans le pays depuis la fin de la guerre de Bosnie, en 1995. Et ce sont justement les traumatismes des guerres qui ont eu tendance à rendre les populations balkaniques pacifiques, si ce n’est apathiques et résignées. En vingt ans, les contestations politiques se sont faites extrêmement rares, à la fois parce que ce n’était pas dans les habitudes des citoyens, mais aussi parce qu’elles y sont rarement autorisées. C’est pour cette raison que la colère couvée a débordé aussi soudainement et sans aucune organisation.

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