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La révolution française a commencé

17 décembre 2009, 14:55, par Robert Paris

Extraits de Léon Trotsky dans « La France à un tournant » (28 mars 1936) :

« Comprendre clairement la nature sociale de la société moderne, de son Etat, de son droit, de son idéologie constitue le fondement théorique de la politique révolutionnaire. La bourgeoisie opère par abstraction (« nation », « patrie », « démocratie ») pour camoufler l’exploitation qui est à la base de sa domination. (…) Le premier acte de la politique révolutionnaire consiste à démasquer les fictions bourgeoises qui intoxiquent les masses populaires. Ces fictions deviennent particulièrement malfaisantes quand elles s’amalgament avec les idées de « socialisme » et de « révolution ». Aujourd’hui plus qu’à n’importe quel moment, ce sont les fabricants de ce genre d’amalgames qui donnent le ton dans les organisations ouvrières françaises. (…) Aussi invraisemblable que cela paraisse, quelques cyniques (staliniens) essaient de justifier la politique de front populaire en se référant à Lénine qui, paraît-il, a démontré qu’on ne pouvait pas se passer de compromis et notamment d’accords avec d’autres partis. (…) Les bolcheviks ont passé des accords d’ordre pratique avec les organisations révolutionnaires petites-bourgeoises pour le transport clandestin en commun des écrits révolutionnaires, parfois pour l’organisation en commun d’un manifestation dans la rue ou pour riposter aux bandes de pogromistes. Lors des élections à la Douma, ils ont eu recours, dans certaines circonstances et au deuxième degré, à des blocs électoraux avec les menchéviks ou avec les socialistes révolutionnaires. C’est tout. Ni « programmes » communs ni organismes permanents, ni renoncement à critiquer les alliés du moment. Ce genre d’accords et de compromis épisodiques, strictement limités à des buts précis – Lénine n’avait en vue que ceux-là – n’avait rien de commun avec le Front populaire, qui représente un conglomérat d’organisations hétérogènes, une alliance durable de classes différentes liées pour toute une période – et quelle période ! – par une politique et un programme communs. (…) La politique su Front populaire est une politique de trahison. (…) Seule une infime partie des cadres de l’Internationale communiste avaient commencé leur éducation révolutionnaire au début de la guerre, avant la révolution d’Octobre. Ceux-là, presque sans exception, se trouvent actuellement en dehors de la troisième internationale (stalinisée). (…) La majeure partie des cadres actuelle de l’Internationale communiste a adhéré non pas au programme bolchevique, non pas au drapeau révolutionnaire, mais à la bureaucratie soviétique. Ce ne sont pas des lutteurs, mais des fonctionnaires dociles, des aides de camp, des grooms. De là vient que la troisième internationale se conduit d’une manière si peu glorieuse dans une situation riche de grandioses possibilités révolutionnaires. »

Extraits de Léon Trotsky dans « L’étape décisive » (5 juin 1936) :

« Le nouveau gendarme du capital, Salengro, a déclaré avant même d’avoir pris le pouvoir (au nom du Front populaire), absolument comme ses prédécesseurs, qu’il défendrait « l’ordre contre l’anarchie ». Cet individu appelle « ordre » l’anarchie capitaliste et « anarchie » la lutte pour l’ordre socialiste. L’occupation, bien qu’encore pacifique, des fabriques et des usines par les ouvriers, a, en tant que symptôme, une énorme importance. Les travailleurs disent : « Nous voulons être les maîtres dans les établissements où nous n’avons été jusque là que des esclaves. »

Lui-même mortellement effrayé, Léon Blum veut faire peur aux ouvriers et leur dit : « Je ne suis pas Kérenski » (…) Il est impossible, pourtant, de ne pas reconnaître que, dans la mesure où l’affaire dépend de Blum, c’est au fascisme qu’il fraie la voie, non au prolétariat.

Plus criminelle et plus infâme que tout est, dans cette situation, la conduite des communistes : ils ont promis de soutenir à fond le gouvernement Blum sans y entrer. (…) Mais, après la grande vague de grèves, les événements ne peuvent que se développer que vers la révolution ou vers le fascisme. (…)

Les staliniens français ont baptisé les comités d’action « comités de Front populaire », s’imaginant qu’ils conciliaient ainsi la lutte révolutionnaire avec la défense de la démocratie bourgeoise. Les grèves actuelles sont en train de mettre en pièce cette pitoyable illusion. (…)

Le mot d’ordre de comités ne peut être abordé que par une véritable organisation révolutionnaire, absolument dévouée aux masses, à leur cause, à leur lutte. Les ouvriers français viennent de montrer de nouveau qu’ils sont dignes de leur réputation historique. Il faut leur faire confiance. Les soviets sont toujours nés des grèves. La grève de masse est l’élément naturel de la révolution prolétarienne. D’atelier en atelier, d’usine en usine, de quartier en quartier, de ville en ville, les comités d’action doivent établir entre eux une liaison étroite, se réunir en conférences par villes, par branches de production, par arrondissements, afin de couronner le tout par un congrès de tous les comités d’action de France. »

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NOTE

Le 8 juin, à l’usine Hotchkiss de Levallois, se tint une assemblée convoquée par le comité de grève de l’usine, à laquelle participèrent les délégués de trente-trois usines des environs. L’assemblée votera une résolution demandant l’élection sur les mêmes bases d’un comité central de grève. Le 10 juin, à Paris, 587 délégués représentant 243 usines de la région parisienne se sont réunis pour décider de la conduite à suivre.

Extraits de Léon Trotsky dans « La révolution française a commencé » (9 juin 1936) :

« Les mots de « révolution française » peuvent paraître exagérés. Mais non ! Ce n’est pas une exagération. C’est précisément ainsi que naît la révolution. En général même, elle ne peut pas naître autrement. La révolution française a commencé.

Léon Jouhaux, à la suite de Léon Blum, assure à la bourgeoisie qu’il s’agit d’un mouvement purement économique, dans les cadres stricts de la loi. Sans doute les ouvriers sont-ils pendant la grève les maîtres des usines et établissent-ils leur contrôle sur la propriété et son administration. Mais on peut fermer les yeux sur ce regrettable « détail ». Dans l’ensemble, ce sont « des grèves économiques » et non politiques », affirment messieurs les chefs. C’est pourtant sous l’effet de ces grèves « non politiques » que toute la situation du pays est en train de changer radicalement. Le gouvernement décide d’agir avec une promptitude à laquelle il ne songeait pas la veille, puisque selon Léon Blum la force véritable sait être patiente ! Les capitalistes font preuve d’un esprit d’accommodement parfaitement inattendu. Toute la contre-révolution en attente se cache derrière le dos de Blum et de Jouhaux. (…) S’arrachant aux cadres corporatifs et locaux, le mouvement gréviste est devenu redoutable non seulement pour la société bourgeoise, mais aussi pour ses propres représentants parlementaires ou syndicaux, qui sont actuellement avant tout préoccupés de ne pas voir la réalité. (…) En rassurant les capitalistes, Blum et Jouhaux se rassurent eux-mêmes. (…)

La principale conquête de la première vague de grève réside dans le fait que des chefs ouvriers sont apparus dans les ateliers et les usines. (…) La grève a secoué, ranimé, renouvelé dans son ensemble le gigantesque organisme de la classe. (…) L’organisation de combat ne coïnciderait pas avec le parti, même s’il existait en France un parti révolutionnaire de masse, car le mouvement est incomparablement plus large qu’un parti. L’organisation de combat ne peut pas non plus coïncider avec les syndicats, qui n’embrassent qu’une partie insignifiante de la classe et sont soumis à une bureaucratie archi-réactionnaire. La nouvelle organisation doit répondre à la nature du mouvement lui-même, refléter la masse en lutte, exprimer sa volonté la plus arrêtée. Il s’agit d’un gouvernement direct de la classe révolutionnaire. Il n’est pas besoin ici d’inventer des formes nouvelles : il y a des précédents historiques. Les ateliers et les usines élisent leurs députés, qui se réunissent pour élaborer en commun les plans de la lutte et pour la diriger. Il n’y a même pas à inventer de nom pour une telle organisation : ce sont les « soviets de députés ouvriers ». « 

Extrait de Léon Trotsky dans « Devant la seconde étape » (9 juillet 1936) :

« (…) Les ouvriers ont exercé en juin une grandiose pression sur les classes dirigeantes, mais ne l’ont pas conduite jusqu’au bout. Ils ont montré leur puissance révolutionnaire, mais aussi leur faiblesse : l’absence de programme et de direction. (…) Dans toutes les périodes révolutionnaires de l’histoire, on trouve deux étapes successives, étroitement liées l’une à l’autre : d’abord un mouvement « spontané » des masses, qui prend l’adversaire à l’improviste et lui arrache de sérieuses concessions ou au moins des promesses ; après quoi la classe dominante, sentant menacées les bases de sa domination, prépare sa revanche. (…) On ne saurait, dans l’histoire des révolutions, trouver à cette règle aucune exception. La différence pourtant – et elle n’est pas mince – réside dans le fait que la défaite a quelquefois revêtu le caractère d’un écrasement : telles furent, par exemple, les journées de juin 1848, en France, qui marquèrent la fin de la révolution ; alors que, dans d’autres cas, la demi-défaite constitua simplement une étape vers la victoire : c’est par exemple le rôle que joua en juillet 1917, la défaite des ouvriers et des soldats de Pétersbourg. (…) Tirer à temps de la situation objective la perspective de la seconde étape, c’est aider les ouvriers avancés à ne pas être pris à l’improviste et à apporter dans la conscience des masses en lutte la plus grande clarté possible. »

Extrait de Léon Trotsky dans « L’heure de la décision approche… Sur la situation en France » (18 décembre 1938) :

« Chaque jour, que nous le voulions ou non, nous nous persuadons que la terre continue à tourner autour de son axe. De même, les lois de la lutte des classes agissent indépendamment du fait que nous les reconnaissions ou non. Elles continuent à agir en dépit de la politique du Front populaire. La lutte des classes fait des Front populaire son instrument. Après l’expérience de la Tchécoslovaquie, c’est maintenant le tour de la France : les plus bornés et les plus arriérés ont une nouvelle occasion de s’instruire. (…)

Pour justifier la politique de Front populaire, on invoqua la nécessité de l’alliance du prolétariat et de la petite bourgeoisie. Il est impossible d’imaginer mensonge plus grossier ! Le parti radical exprime les intérêts de la grande bourgeoisie et non de la petite. Par son essence même, il représente l’appareil politique de l’exploitation de la petite bourgeoisie par l’impérialisme. L’alliance avec le parti radical est par conséquent une alliance, non avec la petite bourgeoisie, mais avec ses exploiteurs. Réaliser la véritable alliance des ouvriers et des paysans n’est possible qu’en enseignant à la petite bourgeoisie comment s’affranchir du parti radical et rejeter une fois pour toutes son joug de sa nuque. Cependant le Front populaire agit en sens exactement opposé (…) En 1936, socialistes, communistes et anarcho-syndicalistes aidèrent le parti radical à freiner et à émietter le puissant mouvement révolutionnaire. Le grand capital réussit dans les deux dernières années et demie à se remettre quelque peu de son effroi. Le Front populaire, ayant rempli son rôle de frein, ne représente dès lors pour la bourgeoisie qu’une gène inutile. »

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