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Où va le Mali ?

30 octobre 2009, 18:38, par Robert Paris

Le point de vue d’Oumar Mariko :

Le Républicain : Depuis quelques mois, les maliens vivent une crise exceptionnelle. On a l’impression que l’argent a fuit le pays. Quelle analyse faite vous de la situation économique actuelle du pays ?

Le Dr Oumar Mariko : Ça va être la énième analyse, mais ça va être les mêmes analyses, parce que nous sommes dirigés par le même système qui nous maintient dans la même situation socio économique difficile. Il ya une aggravation de la misère. A la rentrée parlementaire le Président de l’Assemblée nationale m’a fait tressaillir quand il a dit que les inégalités sociales au Mali se réduisent. Moi, je ne le constate pas. De plus en plus les maliens ont mal en leur justice. La justice au Mali est une justice qui laisse à désirer. On voit tout le système judiciaire se nourrir de cette justice, par des décisions de justices qui de plus en plus cultivent l’injustice et l’enrichissement des gens dans ce corps là.

Au niveau de la santé, tout le monde sait ce qui se passe. Aujourd’hui, dans les hôpitaux, dans les centres de santés, pour ceux qui ont des structures à leur portée, la santé est difficilement accessible du point de vue financier. Je ne parle même pas des dizaines de milliers qui n’arrivent pas a avoir accès aux soins de santé, parce que ça n’existe simplement pas. Même si des structures existent dans les coins les plus reculés du Mali, force est de reconnaitre qu’elles sont animées par des agents socio-sanitaires de base qui ne peuvent pas répondre aux sollicitations des maliens.

Faites un tour dans nos hôpitaux, vous allez vous rendre compte que des médecins mal logés, mal payés, sont dans des situations telles qu’ils n’ont aucune motivation. Il y a aussi le manque de matériels de travail conséquents. J’ai eu l’honneur de visiter le service de cardiologie du point G. C’est simplement révoltant. Dans la salle de réanimation, le simple tensiomètre, avec lequel un médecin généraliste pourrait travailler, n’existe pas chez les spécialistes. Il y a beaucoup d’appareillages qui ont été achetés, mais de façon pas totales. Il y a des accessoires qui manquent et les appareils ne sont pas fonctionnels. C’est valable pour presque tous les services de santé.

Et ce qui couronne l’exclusion de la plupart des maliens dans la distribution correcte de la santé, l’Assemblée nationale du Mali vient de voter la loi instituant la caisse nationale d’assurance maladie qui ne couvre que 16 % des maliens représentés par les salariés du public et du privé. Dans ces conditions, 84% des maliens n’ont pas accès à cette couverture sanitaire. Et comme on sait que 80% des maliens sont des ruraux qui ont un revenu inférieur à 500 FCFA par jour. Du point de vue santé, vous conviendrez avec moi que la situation s’aggrave.

Quelques éclaircis dans certains domaines, n’enlèvent rien à la paupérisation généralisée. Les rétroviraux auxquels les maliens ont accès actuellement, font partie de ces éclaircis assez positifs, mais n’enlèvent absolument rien à l’état de déliquescence de la santé dans notre pays. Au point de vue alimentation, c’est franchement difficile. Les denrées de première nécessité coûtent de plus en plus chères. Les exonérations n’ont pas permis la baisse significative des prix des denrées de première nécessité.

Aujourd’hui, les prix du mil, du riz et tant d’autres céréales, sont de telle sorte qu’elles ne sont pas accessibles aux maliens moyens. De l’autre côté, la situation de l’Ecole n’est pas des plus reluisants. Après le DEF, c’étaient les 16 et 17 ans qui n’étaient pas orientés. Mais, cette année, se sont les 13 et 14 ans qui n’ont pas été orientés, pour la simple raison qu’on a estimé que leur passage était suspect. Et, je pense que ce ne sont pas les enfants qui doivent faire les frais d’un mauvais comportement du système éducatif. L’Ecole va de plus en plus mal et il y a une difficile accessibilité des jeunes qui passent au DEF.

Tout cela parce qu’on a développé des écoles privées et ont veut que les maliens aillent renflouer les caisses de ces privés. Ces derniers temps, j’ai été très surpris de voir le gouvernement malien s’agiter dans tous les sens, avec le Premier ministre qui court entre le trésor, les impôts et la douane. Je suis surpris parce que ce beau monde a défilé à l’Assemblée nationale pour dire que la crise va épargner le Mali. A la limite, on a même cru entendre que c’était une opportunité pour le Mali. Trop de mensonges et voilà que la réalité est en train de rattraper le gouvernement de Modibo Sidibé.

De toute façon, il faut comprendre que le système politique choisi par le pouvoir actuel n’est pas fait pour assurer le minimum pour le maximum de maliens. Le PDES est dans son beau rôle, celui de faire la promotion du privé et de pouvoir donner le maximum de chômeurs, le maximum d’exclus, mais de faire un ilot de prospérité dans un désert de misères.

Député malien, vous étiez absent du pays lorsque l’Assemblée nationale a voté le code des personnes et de la famille. Après plusieurs contestations, le Président de la République a envoyé la loi à au parlement pour une seconde lecture. Pour vous, quel est l’avenir de ce texte ?

L’Assemblée Nationale était habituée à voter des textes et les citoyens étaient indifférents à ce qui se passe. Mais, cette fois-ci, les députés n’ont pas mesuré que les maliens font de plus en plus attention à leur vie, parce qu’elle est de plus en plus dure et difficile pour les maliens. Ce Code a été voté dans la panoplie des textes qui préoccupent très sérieusement les partenaires techniques et financiers. Comme le texte qui a liquidé la CMDT, ce texte a été voté en session extraordinaire. Le texte a été présenté par le gouvernement, l’Assemblée nationale l’a instruit en rencontrant les religieux, les partis politiques, les techniciens, la société civile… pour pouvoir le peaufiner pour le mettre au goût des maliens.

Quand ont le prend dans son ensemble, le code regroupe bien d’articles assez intéressants et très positif pour notre pays, mais il y a aussi des éléments qui prêtent à interrogations. Ces interrogations étaient le clou des divergences entre ceux qui n’étaient pas d’accord avec le texte et ceux qui le voulaient. Alors de ce point de vue quel sera l’avenir de ce texte ? C’est très simple. Les exceptions soulevées par ceux qui sont contre le code, touchent à des fondements d’une constitution républicaine bourgeoise.

En ce sens qu’il y a un certain nombre de dispositifs qui rentreraient même en contradiction avec la constitution. Ceux qui mettent en cause le code dénoncent un certain nombre de dispositifs et cela n’est pas du goût de ceux qui l’ont initié. De ce point de vue on va forcement à un blocage. Et le gouvernement concepteur du code doit trouver la formule pour faire passer un texte qui soit du goût des maliens. Mais, ça m’étonnerait que ce code soit voté pendant cette législature. Et si ça devait être le cas, cela voudrait dire que les deux parties ont mis de l’eau dans leur vin.

Aux cours des mouvements de contestation du code des personnes et de la famille, de nombreux maliens ont accusé la commission de l’Union Européenne d’avoir conditionné une bonne partie de son aide au Mali, dans le cadre du 10ème FED, à l’adoption de ce code. De son côté, la délégation de la commission à Bamako, dans un communiqué, s’en défend et précise que l’adoption du code des personnes et de la famille fait partie d’un lot de 70 engagements de l’Etat malien ? Dans ce contexte est-ce que l’on peut dire que le code a été réellement voulu par les autorités maliennes ?

L’Union Européenne s’est démasquée et c’est aux maliens de faire la bonne lecture de cela. Tout le monde a suivi en 2007, l’immixtion de l’Union Européenne, des USA et de plusieurs autres Etats occidentaux, dans les élections présidentielles au Mali. Ils sont tous intervenus pour soutenir le candidat Amadou Toumani Touré. Le texte fait partie du programme politique du candidat Amadou Toumani Touré aux élections présidentielles de 2007. Dans le cadre de ces élections, la société civile a rencontré les différents candidats et pendant ces rencontres, elle a touché à des questions comme le code de la famille, la peine de mort, l’agriculture, les langues…

La société civile s’est agitée autour de ces questions et cela n’est pas gratuit. Comme le gouvernement, la société civile et le monde des ONG sont tous tributaires des fonds des partenaires techniques et financiers. En tant que candidat, ATT a fait un programme dénommé PDES qui n’est rien d’autre que la reprise du cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté. Dans cette reprise, vous constatez que le programme de l’Union Européenne était celui du candidat ATT. A cette époque, nous avions dit que si nous étions élus, nous allions soumettre le code à l’appréciation de tout le peuple malien pour son adoption ou son rejet. Je ne vois pas le Mali s’approprier un document de cette nature.

Mais, vous verrez que dans le langage des ONG et dans celui du gouvernement, un accent particulier est mis sur l’appropriation de telle ou telle initiative par le pays et par les masses. Et cette forme d’appropriation est une forme d’imposition et de diktat. Mais, qu’on me dise franchement quelles sont les lois qui sont votées par l’assemblée Nationale qui sont d’inspiration purement malienne. Je suis à l’Assemblée Nationale et je pense que la situation est extrêmement grave. La perte de la souveraineté est visible à l’Assemblée nationale. C’est perceptible et les maliens doivent prendre conscience de cela. Députés à l’Assemblée nationale, nous ne faisons qu’examiner que des lois inspirées de l’extérieur. C’est comme la loi d’orientation agricole.

Comment vous pouvez comprendre que du jour au lendemain le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Côte d’Ivoire, …, se lèvent tous pour dire votons des lois d’orientation agricole, comme si tous les chefs d’Etat dormaient dans la même chambre. Il suffit seulement qu’un partenaire sorte quelque chose pour que cela devienne la mode dans tout nos pays. Député à l’Assemblée Nationale, je peux dire que ce n’est pas seulement le code qui soit d’inspiration extérieure, c’est la quasi-totalité des textes que nous votons qui sont d’inspiration étrangère, parce que justement nous avons une économie qui n’est tournée que vers la satisfaction des besoins de l’étranger, donc qui reçoit des diktats et des lois de l’étranger.

Ce sont des lois prédatrices. Je fais allusion à la loi sur les OGM et la loi de la liquidation de la CMDT. En ce qui concerne la CMDT, les députés avaient convenu de ne pas toucher la loi sur la CMDT et d’attendre le mois d’octobre, mais le FMI et la Banque mondiale nous a sommé de venir, 5 jours après que l’Assemblée nationale soit allée en congé, pour voter la loi conformément à leurs besoins. C’est clair que le candidat qui répondait mieux aux intérêts des bailleurs était ATT. Voilà pourquoi, il a été fortement soutenu financièrement, matériellement et d’un point de vue médiatique pour être le Président du Mali. Et, c’est la même chose qu’on nous sert chaque fois pour que le peuple n’ait pas à s’exprimer. C’est comme ça le code et c’est comme ça les autres lois.

Bien que le code soit une émanation du gouvernement du Mali, l’Assemblée nationale en le votant, s’est mis une bonne partie des citoyens sur le dos. Votre commentaire ?

L’Assemblée Nationale dans cette histoire, n’est que la partie visible de l’iceberg. Le fonds, c’est que c’est une loi du gouvernement qui a été inspirée par le PDES du Président Amadou Toumani Touré. C’est une loi que le gouvernement a prise, analysée et envoyée par décret à l’Assemblée Nationale. Donc, c’est une loi du gouvernement. L’Assemblée siège sur deux types de lois : les projets de lois et les propositions de lois. Si c’était la loi de l’Assemblée Nationale, se serait une proposition de loi. Le Code de la famille est un projet de loi, donc, c’est une loi du gouvernement. L’Assemblée a subi des pressions énormes pour voter rapidement cette loi qui faisait partie des conditionnalités de l’Union Européenne, mais aussi du Canada.

Quand, j’étais Président de la commission des affaires étrangères, j’ai eu la chance d’assister à des audiences de diplomates étrangers à l’Assemblée nationale. Ils ne rataient jamais l’occasion de nous interpeller sur le vote du code des personnes et de la famille, l’égalité entre l’homme et la femme, la peine de mort, les droits de l’Homme et l’implication des femmes. Tous les diplomates revenaient régulièrement sur ces quatre éléments. Et nous étions parfois obligés de les interpeler aussi sur le traitement réservé à nos citoyens dans leur pays quant à l’immigration. Cette loi est une exigence de ces institutions qui n’ont que ça sur les lèvres.

L’Assemblée Nationale ayant subi des pressions de toutes sortes a fini par voter la loi et la renvoyer au Président de la République. Le Président de la République et son gouvernement ont eu leur loi entre les mains et il leur restait de la promulguer. Et le code allait devenir une loi du Peuple malien parce que voté par L’assemblée nationale, dont les députés sont élus par le peuple et promulgué par le président de la République, lui aussi élu par le même peuple. Mais, en l’état, elle a été, elle est et elle demeure la loi du Président Amadou Toumani Touré.

Nous étions habitués à voir nos compatriotes expulsés des pays européens, notamment de la France. Mais, depuis quelques mois, la Libye est en passe de ravir la vedette à la France. Il y a moins de deux semaines que 153 maliens, après avoir passé quelques mois dans les prisons Libyennes, qu’ils ont qualifié d’horribles, ont été expulsés sur le Mali. Quelle appréciation faites-vous de ces expulsions de maliens de pays, comme la Libye qui est de plus en plus présente dans différents secteurs de l’économie malienne ?

C’est simplement inadmissible et incompréhensible, les expulsions de maliens de la Libye, pour deux raisons : La première raison, le leader libyen, Mouammar El Kadhafi, depuis un certain temps, s’est auréolé de champion de l’Unité Africaine, allant jusqu’à vouloir promulguer un seul gouvernement africain, avec évidement Mouammar El Kadhafi à la tête de ce gouvernement. Supposé qu’on ait accepté que Kadhafi soit le Président de l’Afrique, les maliens qui sont en Lybie, on allait les envoyer où ? Est-ce à dire que les Libyens n’allaient pas venir travailler au Mali. Tout ça c’est franchement inadmissible. La deuxième raison, c’est que ça vient d’un pays africain tout court.

Un pays qui a eu d’énormes difficultés avec l’Europe et qui s’est servi des immigrés comme bouclier pour ramollir la position européenne afin que l’embargo soit sauté. Pour ces deux raisons fondamentales, c’est inadmissible. Les expulsions en Libye se passent également dans deux conditions inacceptables. Le traitement infligé à nos compatriotes en Libye et la sélection sont inadmissibles. En ma qualité de député élu à Kolondiéba, j’ai du mal à accepter la mort du jeune Sangaré dans les geôles libyennes et en tant que député malien, je ne peux pas non plus accepter la mort de Modibo Keita dans les geôles Libyennes.

La sélection qui consiste à faire rentrer les tamasheks blancs en Libye et à expulser tous ceux qui sont noirs et qui passent forcement par la prison, doit être dénoncée avec force. En ce qui concerne les relations économiques fortes entre nos deux pays, me conduisent à constater qu’elles se tissent au sommet des deux Etats. Et la démarche révoltante, c’est que la Libye se comporte aujourd’hui, comme la France : La corruption des élites. Elle corrompt les dirigeants du pays et fait tout ce qu’on veut contre le peuple.

Le silence des dirigeants déjà acquis par la corruption. Si c’est ça la vision de Kadhafi, je pense qu’il a fait un mauvais choix. Parce que de plus en plus Kadhafi qui était aimé au Mali et un peu partout en Afrique, est en passe de perdre cette splendeur pour devenir comme Sarkozy. Je rappelle que lorsque Kadhafi est allé en France, il a été fortement soutenu par la communauté africaine. Je vois encore des maliens dans les foyers avec les tee-shirts de Kadhafi en train de se servir de ses propos contre les français qui expulsaient.

Il aurait suffit simplement que Sarkozy demande à Kadhafi et les 300 maliens que vous avez expulsés, et les 420 maliens que vous avez expulsés, et maintenant les 153 maliens que vous venez d’expulser. Et ces jeunes Sangaré et Modibo Keita qui sont morts dans vos prisons, qu’est ce que vous en dites monsieur le Colonel ? Comment Kadhafi allait réagir à cela ? Je dis que c’est simplement inadmissible. Et le silence des autorités maliennes, je le comprends, mais, je ne l’admets pas.

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