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Le stalinisme s’allie avec l’impérialisme pour combattre la révolution prolétarienne

31 octobre 2013, 11:16

Après le débarquement des alliés au Maghreb, le 8 novembre 1942, et la publication du Manifeste de la liberté en février 1943, les communistes français et algériens dénoncèrent les revendications portées par l’ensemble du mouvement national algérien. Selon eux, il s’agissait de « faux nationalistes » et de « fils rejetons de féodaux ou de gros bourgeois rétrogrades ». Ces « faux nationalistes » étaient accusés « d’avoir abandonné le bourricot nazi pour monter le bateau de la Charte de l’Atlantique ». Dans L’Humanité du 25 octobre 1944, Dumois dénonçait ceux qui réclamaient l’indépendance de l’Algérie et « la bande d’apaches et de malfaiteurs qui, à la solde du fascisme et sous couvert de religion, suscitait des incidents anti-alcooliques[7] ». Par ces termes racistes et insultants, l’auteur visait les militants nationalistes du PPA et de l’Association des oulémas qui menaient une campagne contre la consommation d’alcool auprès de la population algérienne.

Plus grave encore, à partir du printemps 1945, l’accusation de collusion avec le fascisme ne servit plus uniquement à justifier la répression menée contre les dirigeants nationalistes, mais aussi à légitimer des crimes de masse contre l’ensemble de la population algérienne. Le très colonial principe de responsabilité collective permettait le glissement d’une répression « ciblée » contre des militants politiques organisés, à un vaste châtiment collectif contre la masse informe des colonisés.

Suite à la répression des manifestions du 1ier mai 1945 à Alger, Oran et Blida, qui avait fait plusieurs morts, la CGT et le Parti communiste accusèrent le PPA d’avoir fomenté « une provocation ». Dans un tract diffusé le 3 mai 1945, le Parti communiste rappelait que le 1ier mai 1945 avait été une « grandiose journée » de « lutte républicaine et anti-fasciste » perturbée par « des hommes à la solde de l’ennemi » qui « ont fait couler le sang innocent ». Le tract ajoutait que la « provocation » venait « du PPA qui prend ses mots d’ordre à Berlin chez Hitler ». Selon les communistes, le Parti du peuple algérien était « le parti qui applique en Algérie les mots d’ordre que donnent les hitlériens à la radio nazie[8] ».

La justification de la répression sanglante des manifestations du 1ier mai 1945 par l’administration coloniale, et l’association des militants nationalistes révolutionnaires algériens au nazisme, ouvraient la porte à la légitimation d’un crime de masse d’une toute autre ampleur : les massacres du nord-constantinois survenus après les manifestations du 8 mai 1945. Durant près de deux mois, des milliers d’Algériennes et d’Algériens de tous âges furent victimes de la politique éradicatrice menée par un gouvernement français, qui comportait en son sein toutes les tendances politiques ayant participé à la résistance à l’occupation nazie. En effet, ces terribles massacres furent l’œuvre du Gouvernement provisoire de la République française. En raison de cette configuration politique, la répression ne pouvait se faire qu’au nom de la lutte contre des « agitateurs hitlériens » et autres « suppôtsdu fascisme », contre qui l’emploi de la force devenait totalement légitime.

Ainsi, l’organe de la SFIO, Le Populaire, daté du 12 mai 1945, écrivait :

« Des troubles se sont produits, des villages ont été occupés avec la complicité du parti populaire arabe [pour le Parti du peuple algérien], des agents hitlériens encore très nombreux et enfin de sectes religieuses qui cherchent leur mot d’ordre auprès des agitateurs panarabes du Caire[9] ».

Dans les colonnes de Fraternité, du 17 mai 1945, les socialistes blâmèrent ceux qui « avaient sali la grande heure de la Victoire des démocraties » et estimèrent que « la grande masse des populations musulmanes n’avait pas encore atteint le degré d’évolution minimum nécessaire pour justifier les revendications du Manifeste ; le fait que les élites dirigeantes aient organisé et déclenché ce mouvement n’indique pas non plus que celles-ci ont une maturité politique[10] ».

De son côté, le Parti communiste français dénonçait l’action « d’agents secrets hitlériens et d’autres agents camouflés dans des organisations, qui se prétendent démocratiques, au service de l’impérialisme fasciste[11] ». Dans son édition du 12 mai 1945, L’Humanité appela à « châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de mains qui ont dirigé l’émeute ». Le 31 mai 1945, le journal communiste recommandait de « punir comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé aux évènements de mai 1945, et les chefs pseudo-nationalistes[12] ». Le PCF, pour qui l’aspiration à l’indépendance restait totalement étrangère à la population algérienne, se félicita des sanctions prises contre Messali Hadj, Ferhat Abbas et le cheikh Bachir El Ibrahimi, ainsi que de la dissolution des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML).

Suivant la ligne politique du PCF, le 31 mai 1945, le premier secrétaire du Parti communiste algérien dénonça « la collusion criminelle des faux nationalistes du PPA avec la Haute Administration non épurée et les soutiens du fascisme[13] ». L’organe du PCA, Liberté, évoquait un « complot fasciste », dont les militants du PPA étaient les principaux agents.

Patrouille de colons à Sétif (mai 1945)
Certains cadres du PCA n’hésitèrent pas à se rendre en délégation auprès du gouvernement général pour appuyer la répression. Le numéro du 17 mai 1945 de Liberté donnait un compte-rendu précis d’une rencontre entre une délégation du PCA et le chef du cabinet politique et diplomatique du gouverneur général. Le compte-rendu expliquait que la délégation de cadres communistes s’était « entretenue des provocations des agents hitlériens du PPA, du PPF et d’autres agents camouflés dans des organisations qui se prétendent démocratiques… Cette coalition criminelle, après avoir tenté vainement de faire couler le sang… Elle a souligné que le but recherché par cette coalition criminelle est de provoquer une guerre civile[14] ». Non satisfait de ce type d’appel aux meurtres, à Guelma, au nom de la lutte contre le fascisme, certains communistes participèrent directement à la répression en organisant des milices chargées d’appuyer les forces coloniales[15].

Le Parti communiste algérien, qui restait formellement indépendant mais qui, dans les faits, s’alignait intégralement sur la politique du Parti communiste français, reprenait mot pour mot le vocabulaire antifasciste de ses camarades parisiens. Sa presse reproduisait intégralement les analyses du PCF, qui faisaient office de directives politiques à suivre. Dans le numéro du 17 mai 1945 de Liberté, « Un appel de la délégation du PCF en Afrique du Nord » n’hésitait pas à faire de la surenchère colonialiste et répressive :

« Ce qu’il faut faire tout de suite : châtier rapidement et impitoyablement les organisateurs des troubles. Passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute. Il ne s’agit pas de vengeance ni de répression, il s’agit de mesures de justice. Il s’agit de mesures de sécurité pour le pays[16] ».

Pour le PCA, qui ne faisait finalement que suivre le PCF, les manifestations nationalistes n’étaient que des « complots hitlériens », et toutes les répressions, même les plus sanglantes, devenaient automatiquement légitimes.

[7] Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, Tome II, 1939-1951, Alger, Ed. Paris-Méditerranée, 2003, pages 629-631.

[8] Ibid., page 892.

[9] Yves Benot, Massacres coloniaux, 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, Ed. La Découverte, 2001, page 54. Par « sectes religieuses » prenant ses mots d’ordre « auprès des agitateurs panarabes du Caire », les socialistes français désignaient certainement l’Association des oulémas musulmans algériens, qui était l’une des principales composantes des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) avec le PPA. L’assimilation du panarabisme au nazisme eut une certaine postérité chez les socialistes français puisque, par la suite, ils se plurent à associer Gamal Abdel-Nasser à Adolf Hitler pour justifier leur alliance avec l’entité sioniste, notamment au moment de l’« expédition » de Suez en 1956.

[10] Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, Tome II, 1939-1951, op. cit., pages 667-668.

[11] Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Tome II, Paris, PUF, 1979, page 597.

[12] Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, Tome II, 1939-1951, op. cit., page 668.

[13] Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Tome II, op. cit., page 597.

[14] Ahmed Mahsas, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, De la 1ière guerre mondiale à 1954, Alger, Ed. El Maarifa, 2007, page 206.

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