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Ce que nous voulons et ... ce dont nous ne voulons plus

5 février 2010, 09:18, par Robert Paris

Darwin dans "La descendance de l’homme et la sélection sexuelle" :

"L’homme est-il le descendant de quelque forme préexistante ? Pour résoudre cette question, il convient d’abord de rechercher si la conformation corporelle et les facultés mentales de l’homme sont sujettes à des variations, si légères qu’elles soient ; et, dans ce cas, si ces variations se transmettent à sa progéniture conformément aux lois qui prévalent chez les animaux inférieurs. Il convient de rechercher, en outre, si ces variations, autant que notre ignorance nous permet d’en juger, sont le résultat des mêmes causes, si elles sont réglées par les mêmes lois générales que chez les autres organismes, – par corrélation, par les effets héréditaires de l’usage et du défaut d’usage, etc. ? L’homme est-il sujet aux mêmes difformités, résultant d’arrêts de développement, de duplication de parties, etc., et fait-il retour, par ses anomalies, à quelque type antérieur et ancien de conformation ? On doit naturellement aussi se demander si, comme tant d’autres animaux, l’homme a donné naissance à des variétés et à des sous-races, différant peu les unes des autres, ou à des races assez distinctes pour qu’on doive les classer comme des espèces douteuses ? Comment ces races sont-elles distribuées à la surface de la terre, et, lorsqu’on les croise, comment réagissent-elles les unes sur les autres, tant dans la première génération que dans les suivantes ? Et de même pour beaucoup d’autres points.

L’enquête aurait ensuite à élucider un problème important : l’homme tend-il à se multiplier assez rapidement pour qu’il en résulte une lutte ardente pour l’existence, et, par suite, la conservation des variations avantageuses du corps ou de l’esprit, et l’élimination de celles qui sont nuisibles ? Les races ou les espèces humaines, quel que soit le terme qu’on préfère, empiètent-elles les unes sur les autres et se remplacent-elles de manière à ce que finalement il en disparaisse quelques-unes ? Nous verrons que toutes ces questions, dont la plupart ne méritent pas la discussion, résolues qu’elles sont déjà, doivent, comme pour les animaux inférieurs, se résoudre par l’affirmative. Nous pouvons, d’ailleurs, laisser de côté pour le moment les considérations qui précèdent, et examiner d’abord jusqu’à quel point la conformation corporelle de l’homme offre des traces plus ou moins évidentes de sa descendance de quelque type inférieur. Nous étudierons, dans les chapitres suivants, les facultés mentales de l’homme, en les comparant à celles des animaux plus bas sur l’échelle.

Conformation corporelle de l’homme. – On sait que l’homme est construit sur le même type général que les autres mammifères. Tous les os de son squelette sont comparables aux os correspondants d’un singe, d’une chauve-souris ou d’un phoque. Il en est de même de ses muscles, de ses nerfs, de ses vaisseaux sanguins et de ses viscères internes. Le cerveau, le plus important de tous les organes, suit la même loi, comme l’ont établi Huxley et d’autres anatomistes. Bischoff , adversaire déclaré de cette doctrine, admet cependant que chaque fissure principale et chaque pli du cerveau humain ont leur analogie dans celui de l’orang-outang ; mais il ajoute que les deux cerveaux ne concordent complètement à aucune période de leur développement : concordance à laquelle on ne doit d’ailleurs pas s’attendre, car autrement leurs facultés mentales seraient les mêmes. Vulpian fait la remarque suivante : « Les différences réelles qui existent entre l’encéphale de l’homme et celui des singes supérieurs sont bien minimes. Il ne faut pas se faire d’illusions à cet égard. L’homme est bien plus près des singes anthropomorphes par les caractères anatomiques de son cerveau que ceux-ci ne le sont non seulement des autres mammifères, mais même de certains quadrumanes, des guenons et des macaques. » Mais il serait superflu d’entrer ici dans plus de détails sur l’analogie qui existe entre la structure du cerveau et toutes les autres parties du corps de l’homme et la confrontation des mammifères supérieurs.

Il peut, cependant, être utile de spécifier quelques points, ne se rattachant ni directement ni évidemment à la conformation, mais qui témoignent clairement de cette analogie ou de cette parenté.

L’homme peut recevoir des animaux inférieurs et leur communiquer certaines maladies, comme la rage, la variole, la morve, la syphilis, le choléra, l’herpès, etc. , fait qui prouve bien plus évidemment l’extrême similitude de leurs tissus et de leur sang, tant dans leur composition que dans leur structure élémentaire, que ne le pourrait faire une comparaison faite sous le meilleur microscope, ou l’analyse chimique la plus minutieuse. Les singes sont sujets à un grand nombre de nos maladies non contagieuses ; ainsi Rengger , qui a observé pendant longtemps le Cebus Azaræ dans son pays natal, a démontré qu’il est sujet au catarrhe, avec ses symptômes ordinaires qui amènent la phtisie lorsqu’ils se répètent souvent. Ces singes souffrent aussi d’apoplexie, d’inflammation des entrailles et de la cataracte. La fièvre emporte souvent les jeunes au moment où ils perdent leurs dents de lait. Les remèdes ont sur les singes les mêmes effets que sur nous. Plusieurs espèces de singes ont un goût prononcé pour le thé, le café et les liqueurs spiritueuses ; ils fument aussi le tabac avec plaisir, ainsi que je l’ai observé moi-même . Brehm assure que les habitants des parties nord-ouest de l’Afrique attrapent les mandrills en exposant à leur portée des vases contenant de la bière forte, avec laquelle ils s’énivrent. Il a observé quelques-uns de ces animaux en captivité dans le même état d’ivresse, et fait un récit très divertissant de leur conduite et de leurs bizarres grimaces. Le matin suivant, ils étaient sombres et de mauvaise humeur, se tenaient la tête à deux mains et avaient une piteuse mine ; ils se détournaient avec dégoût lorsqu’on leur offrait de la bière ou du vin, mais paraissaient être très friands du jus de citron . Un singe américain, un Ateles, après s’être énivré d’eau-de-vie, ne voulut plus jamais en boire, se montrant en cela plus sage que bien des hommes. Ces faits peu importants prouvent combien les nerfs du goût sont semblables chez l’homme et chez les singes, et combien leur système nerveux entier est similairement affecté.

L’homme est infesté de parasites internes, dont l’action provoque parfois des effets funestes ; il est tourmenté par des parasites externes, qui appartiennent aux mêmes genres ou aux mêmes familles que ceux qui attaquent d’autres mammifères, et, dans le cas de la gale, à la même espèce . L’homme est, comme d’autres animaux, mammifères, oiseaux, insectes même , soumis à cette loi mystérieuse en vertu de laquelle certains phénomènes normaux, tels que la gestation, ainsi que la maturation et la durée de diverses maladies, suivent les phases de la lune. Les mêmes phénomènes se produisent chez lui et chez les animaux pour la cicatrisation des blessures, et les moignons qui subsistent après l’amputation des membres possèdent parfois, surtout pendant les premières phases de la période embryonnaire, une certaine puissance de régénération, comme chez les animaux inférieurs .

L’ensemble de la marche de l’importante fonction de la reproduction de l’espèce présente les plus grandes ressemblances chez tous les mammifères, depuis les premières assiduités du mâle jusqu’à la naissance et l’allaitement des jeunes. Les singes naissent dans un état presque aussi faible que nos propres enfants, et, dans certains genres, les jeunes diffèrent aussi complètement des adultes, par leur aspect, que le font nos enfants de leurs parents . Quelques savants ont présenté, comme une distinction importante, le fait que, chez l’homme, le jeune individu n’atteint la maturité qu’à un âge beaucoup plus avancé que chez tous les autres animaux ; mais, si nous considérons les races humaines habitant les contrées tropicales, la différence n’est pas bien considérable, car on admet que l’orang ne devient adulte qu’à dix ou quinze ans . L’homme diffère de la femme par sa taille, par sa force corporelle, par sa villosité, etc., ainsi que par son intelligence, dans la même proportion que les deux sexes chez la plupart des mammifères. Bref, il n’est pas possible d’exagérer l’étroite analogie qui existe entre l’homme et les animaux supérieurs, surtout les singes anthropomorphes, tant dans la conformation générale de la structure élémentaire des tissus que dans la composition chimique et la constitution.

Développement embryonnaire. – L’homme se développe d’un ovule ayant environ 0,02 mm de diamètre ; cet ovule ne diffère en aucun point de celui des autres animaux à une période précoce ; c’est à peine si l’on peut distinguer cet embryon lui-même de celui d’autres membres du règne des vertébrés. A cette période, les artères circulent dans des branches arquées, comme pour porter le sang dans des branchies qui n’existent pas dans les vertébrés supérieurs, bien que les fentes latérales du cou persistent et marquent leur ancienne position (fig. 1, f, g). Un peu plus tard, lorsque les extrémités se développent, ainsi que le remarque le célèbre de Baër, « les pattes des lézards et des mammifères, les ailes et les pattes des oiseaux, de même que les mains et les pieds de l’homme, dérivent de la même forme fondamentale ». C’est, dit le professeur Huxley , « dans les toutes dernières phases du développement, que le jeune être humain présente des différences marquées avec le jeune singe, tandis que ce dernier s’éloigne autant du chien dans ses développements que l’homme lui-même peut s’en éloigner. On peut démontrer la vérité de cette assertion, tout extraordinaire qu’elle puisse paraître. »

Comme plusieurs de mes lecteurs peuvent n’avoir jamais vu le dessin d’un embryon, je donne ceux de l’homme et du chien (fig. 1, Pl. 1), tous deux à peu près à la même phase précoce de leur développement, et je les emprunte à deux ouvrages dont l’exactitude est incontestable .

Après les assertions de ces hautes autorités, il est inutile d’entrer dans de plus amples détails pour prouver la grande ressemblance qu’offre l’embryon humain avec celui des autres mammifères. J’ajouterai, cependant, que certains points de la conformation de l’embryon humain ressemblent aussi à certaines conformations d’animaux inférieurs à l’état adulte. Le cœur, par exemple, n’est d’abord qu’un simple vaisseau pulsateur ; les déjections s’évacuent par un passage cloacal ; l’os coccyx fait saillie comme une véritable queue, qui « s’étend beaucoup au-delà des jambes rudimentaires » . Certaines glandes, désignées sous le nom de corps de Wolff, existant chez les embryons de tous les vertébrés à respiration aérienne, correspondent aux reins des poissons adultes et fonctionnent comme eux . On peut même observer, à une période embryonnaire plus tardive, quelques ressemblances frappantes entre l’homme et les animaux inférieurs. Bischoff assure qu’à la fin du septième mois, les circonvolutions du cerveau d’un embryon humain en sont à peu près au même état de développement que chez le babouin adulte . Le professeur Owen fait remarquer « que le gros orteil, qui fournit le point d’appui dans la marche, aussi bien debout qu’à l’état de repos, constitue peut-être la particularité la plus caractéristique de la structure humaine » ; mais le professeur est a démontré que, chez l’embryon ayant environ un pouce de longueur, « l’orteil est plus court que les autres doigts, et que, au lieu de leur être parallèle, il forme un angle avec le pied, correspond ainsi par sa position avec l’état permanent de l’orteil des quadrumanes ». Je termine par une citation de Huxley , qui se demande : l’homme est-il engendré, se développe-t-il, vient-il au monde d’une façon autre que le chien, l’oiseau, la grenouille, ou le poisson ? Puis il ajoute : « La réponse ne peut pas être douteuse un seul instant ; il est incontestable que le mode d’origine et les premières phases du développement humain sont identiques à ceux des animaux qui occupent les degrés immédiatement au-dessous de lui sur l’échelle, et qu’à ce point de vue il est beaucoup plus voisin des singes que ceux-ci ne le sont du chien. »

La suite

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