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Trotsky et la France

28 août 2019, 07:54, par W.

Alfred ROSMER :

« Le 16 avril 1934, les journaux annonçaient, sous de grands titres, que la police venait de « découvrir » que Trotsky vivait à Barbizon. Aussitôt des journalistes, nombreux, et flanqués de photographes, vinrent prendre possession des alentours de la villa, y demeurant jour et nuit, tandis que dans leurs feuilles, l’affaire était exploitée avec une extrême violence ; l’Action française, royaliste, était rejointe par des organes soi-disant indépendants, comme le Matin et le Journal. Ils affectaient de se scandaliser, simulant l’indignation : comment « le bolchévik a-t-il pu être autorisé à résider en France » ! Le ministre de l’Intérieur –c’est un radical, Albert Sarraut –décide d’annuler l’autorisation de séjour accordée par Daladier et d’expulser Trotsky –pour la seconde fois. Seul, de tous les journaux, le Populaire a une attitude décente. Il dénonce
10l’hypocrisie du gouvernement et la comédie de l’indignation jouée par la grande presse ; c’est, écrit-il, beaucoup de bruit pour rien car la police n’a pas eu à découvrir Trotsky à Barbizon puisqu’elle l’y surveillait, et il rappelle opportunément que, même sous le tsarisme, la France accordaitle droit d’asile aux révolutionnaires russes. La Ligue des droits de l’homme proteste à son tour ; un meeting est organisé sous la présidence de Langevin, Malraux y prend la parole au nom des intellectuels antifascistes.Mais les protestations restèrent vaines. Le gouvernement maintint son décret ; c’est que, au fond, il ne s’agissait pas d’une décision accidentelle motivée par un incident particulier ; tout au contraire, elle s’inscrit dans sa ligne politique ; ce ministère d’union n’est au pouvoir que pour servir les intérêts de la réaction nationaliste ; une de ses premières mesures a été la révocation de vingt et un agents des P.T.T. Dans le domaine international, l’accord avec Staline sera conclu dans un mois, et c’est l’organe du syndicalisme réformiste de Jouhaux, le Peuple, qui indique qu’il faut voir dans l’expulsion de Trotsky une intervention de la diplomatie russe (l’histoire se répétera plus tard en Norvège), ce que confirme l’attitude de l’Humanité. Car elle fait sa partie dans la campagne, nullement gênée par le voisinage de l’Action française royaliste, et de journaux qu’elle qualifie ordinairement de valets de l’impérialisme, ni par les attaques courantes de la presse hitlérienne contre Trotsky, par l’Angriff entre autres, qui « montre les efforts du « maudit » pour la formation en Europe d’un front unique des rouges », ainsi que le cite en l’approuvant, le Matin : la coalition contre l’exilé est complète.Mais cette unanimité est embarrassante pour le gouvernement français ; résolu à expulser Trotsky au plus vite du territoire français, il se trouve empêché de le faire car aucun gouvernement ne consent à accueillir le proscrit pour qui la planète est encore une fois sans visa. La Suisse, l’Italie, la Belgique, l’Irlande, pressenties, répondent négativement, imitant les grandes puissances démocratiques, l’Angleterre et l’Allemagne, qui ont refusé le visa, même quand travaillistes et social-démocrates étaient au pouvoir. Il en est réduit à entreprendre des négociations avec le gouvernement turc, revenant au point de départ de l’exil ; elles n’aboutiront pas. Trotsky sera, par force, toléré, situation singulière qui ne prendra fin que lorsque le gouvernement travailliste de Norvège consentira à le recevoir, le 9 juin 1935, plus d’une année après l’affaire de Barbizon. »

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