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Serge Essénine

29 décembre 2014, 18:26

La Révolution d’Octobre donne aussitôt, un élan gigantesque à toute la poésie. Dans les cours des usines, dans les rues, chez soi, on récite des vers, ouvriers, paysans et soldats se pressent avec autant d’ardeur aux meetings politiques qu’aux meetings poétiques. Il font la queue devant les théâtres, ces théâtres où ils ne sont encore jamais allés et dont ils découvrent soudain le faste ; ils écoutent les poètes, ceux qui ne font que la propagande, mais aussi les autres, les futuristes Maïakovski, Essénine, Pasternak, Blok.

C’est tout cela que Tania Balachova et ses anciens élèves tentent de nous faire revivre.

Partout, c’est l’immense révolte contre la misère et l’humiliation qui secoue la Russie. Les paysans, héros traditionnels de la littérature russe, sont remplacés par les vagabonds de Gorki, le monde des bas-fonds et des ports.

Cette détresse et cette misère nous sont présentés à travers un récit étonnant de Gorki, Strasti-Mordasti. dans une flaque de boue, ivre morte, une femme, une prostituée remarquablement interprétée par Vera Gregh. Un jeune homme la relève et la raccompagne chez elle. Elle vit dans une chambre sordide, une cave, où un grabats lui sert à accueillir ses hôtes de passage, ses clients. A côté, dans une caisse qui sert de lit, un enfant infirme qui s’invente un monde fantastique en enfermant dans des boîtes des cafards, des punaises, qui symbolisent les gens qu’il aperçoit par la fenêtre ou dans la cour : les fonctionnaires, le propriétaire, les autres hommes. Lorsque le jeune homme les voit, lorsqu’il comprend l’étendue de leur misère, il revient et une étrange amitié se crée entre lui et l’enfant. En les quittant, il a envie de hurler, de frapper, de se prosterner devant cette femme sans nez, laide, repoussante, comme il le ferait devant un dieu.

Puis c’est Essénine, Essénine le Voyou, le dernier poète paysan, qui fait éclater la scène. Il a étudié à l’école de son village, et dès l’école, il rêve de devenir poète, le plus grand poète de la Russie. Dès qu’éclate la Révolution, il comprend, comme Maïakovski – qui pendant longtemps ne l’aime pas – que c’est sa révolution. On le rencontre dans les cafés, les bouges de Moscou, ivre et rarement heureux. Il chante sa campagne, sa campagne ravagée par la pauvreté et la misère nouvelle du capitalisme. Il parle à sa mère, lui demande de ne pas le guetter sur la route, de ne pas s’inquiéter en entendant parler de ses beuveries et de ses rixes.

Il promet de revenir, un jour, au printemps. Mais il ne reviendra pas. Le fils de paysan qui arrive à la ville va succomber à ses maléfices. Il regrette la campagne où il est né, mais chaque nuit, il boit. cette ivresse le ronge. Scandales et orgies se succèdent. Le parti bolchévik ferme les yeux sur ses propos lorsqu’il est ivre et ne se souvient que de ses poèmes. A partir de 1925, Essénine n’est plus qu’une épave humaine. Il n’a plus de voix. Bientôt commenceront les hallucinations et le délire de persécution. Il n’est plus seulement le Voyou.

Nous ne sommes ici que de passage.

Vois le cuivre sur les arbres pleure

Mais je crois en ta fragile image

Fleur de vie, qui t’épanouis, et meurs.

C’est un grand enfant obsédé par la mort et qui, à plusieurs reprises, tente de se suicider. Une nuit de décembre 1925, il s’ouvre les veines et se pend, écrivant avec son sang un dernier poème : » Au revoir l’ami »

Je te quitte, adieu, ami fidèle,

Ami, que je porte dans mon coeur

La séparation n’est pas cruelle

Qui promet une rencontre, ailleurs

Evitons les mains, le mot suprême.

Sans chagrin, sans froncer les sourcils

Quoi, mourir n’est pas un vrai problème

Vivre – hélas – n’est pas nouveau aussi.

Ces dernières paroles, Maïakovski les mettra en exergue au poème qu’il lui dédie, lui qui le comprit si tard et l’aima tant.

 » Vous êtes passé dans l’autre monde, comme on dit. Dans le vide…

Vous piquez vers les étoiles,

Plus question de brasseries,

D’avance ou de crédit.

C’est fini,

Lucidité totale.

Non, Essénine.

Ne croyez pas que je plaisante,

Dans ma gorge,

le chagrin

est comme un sac. »

Maïakovski. Ce nom à lui seul résume le formidable élan poétique des années qui suivent la Révolution.

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