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Luttes de classe en Chine

18 octobre 2018, 07:57, par Éric Meyer

Ce dimanche après midi à Pékin, l’Assemblée nationale populaire chinoise a procédé à un vote historique en entérinant les 21 amendements à la Constitution qui mettent fin à quarante-deux ans de direction collégiale. Un scrutin digne de l’époque de Mao Zedong. Sur 2964 suffrages exprimés, la proposition du premier secrétaire, Xi Jinping, à la tête du pays depuis la fin de l’année 2012, n’a enregistré que deux voix contre, trois abstentions et un bulletin blanc.

La Chine vient de tourner le dos à une règle imposée par Deng Xiaoping, qui limitait le pouvoir suprême à dix ans. Avec ce vote unanime, Xi Jinping pourra rester aux affaires aussi longtemps qu’il le souhaite. Le vote a ouvert la voie à un mandat à vie. Il inaugure aussi un « superministère » de la sécurité publique, qui pourra détenir durant trois mois tout cadre de l’État – administratif, militaire voire enseignant, journaliste ou artiste – et même confisquer ses biens. Aucun juge n’aura son mot à dire. Pas même le premier ministre. Très peu de citoyens ont osé exprimer leur désaccord. Li Datong, journaliste à la retraite, affirme que l’immense majorité des élus, quoique hostiles à cette prise de pouvoir, ont préféré voter le texte par peur de représailles.

Outre les amendements à la Constitution, Xi Jinping nourrit d’autres projets, qui pourraient voir le jour dès 2020. Il s’agit d’un système de note de moralité individuelle, dite de « crédit social », calculée pour chaque citoyen à partir de son comportement sur Internet, dans la rue, au travail ou en matière d’argent. Si cette note est bonne, elle donnera à l’intéressé des privilèges (comme un accès facilité aux métiers de l’administration). En revanche, si elle est négative, elle lui vaudra des pénalités pouvant aller – c’est déjà le cas aujourd’hui – jusqu’à l’interdiction de prendre le train ou l’avion.

Une nouvelle ère policière s’annonce. En effet, en plus de décupler les forces nationales de police politique et de censure, Xi Jinping a également prévu de renforcer l’enseignement de l’idéologie dans les écoles et à la télévision, tout en intensifiant le culte de sa personnalité, avec par exemple l’édition à des millions d’exemplaires et en 24 langues de sa « pensée ».

Pourquoi Xi Jinping a-t-il réussi à arracher une réforme qui fait de lui un nouvel empereur alors que d’autres avant lui ont échoué ? Sans doute doit-il ce résultat à son génie tactique. Il a su apprendre des erreurs de ses prédécesseurs. Il y a dix ans, Jiang Zemin avait sollicité un troisième quinquennat, mais cela avait été refusé par le Comité central, soucieux de préserver son propre pouvoir. Dès 2012, Xi Jinping s’est employé à vider cet organe de sa substance en remplaçant les « groupes de travail » par des « commissions nationales » tenues par ses lieutenants. En même temps, sous prétexte de lutte contre la corruption et de loyauté politique, il lançait deux campagnes d’élimination de ses adversaires. Cinq ans plus tard, c’est ce qui lui a permis d’obtenir les pleins pouvoirs après un vote à l’unanimité. À l’unanimité, vraiment ? « Pas tout à fait », corrige sous couvert d’anonymat un diplomate européen qui relève que le 25 février, l’agence Chine nouvelle avait publié, en anglais, l’amendement prolongeant le mandat de Xi Jinping, avant de diffuser les vingt autres deux heures plus tard, en chinois. « Suite à cette fuite », dit notre source, « un directeur de l’agence a été limogé ». De même, Yang Jing, conseiller d’État – un des plus hauts cadres du régime –, a perdu sa place à la veille de l’annonce de la série d’amendements, pour « corruption ». Mais pour la presse de Hongkong, cette disgrâce venait surtout sanctionner son refus de soutenir l’initiative du président chinois.

Quoi qu’il en soit, Xi Jinping est désormais seul maître à bord. Dans la rue, l’annonce de cette réforme a eu l’effet d’un tremblement de terre, comme le confie discrètement cette jeune enseignante pékinoise : « Nous sommes tous terrifiés. Désormais, mes amis comme moi-même pensons sérieusement émigrer. » Et d’ajouter : « Hier, nous étions neutres ; à présent, nous allons être obligés de prendre parti contre le régime. »

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