Accueil > ... > Forum 44574

Luttes de classes en Haïti - Class Struggle in Haïti

4 février 2019, 11:22

En Haïti, les dernières émeutes remontent à avril 2008. Elles ont éclaté à cause de la vie chère à Port-au-Prince. Aux Cayes, ces émeutes de la faim avaient fait 5 morts, une cinquantaine de blessés au cours d’affrontements avec la police appuyée, à cette époque, par les casques bleus. À Port-au-Prince, on avait enregistré une quinzaine de blessés par balles, un véhicule de la Mission des Nations-unies pour la Stabilisation en Haïti (Minustah) incendié et plusieurs commerces pillés (Caroit, 2008). Un policier nigérian de l’Onu a été tué par balles à Port-au-Prince (La Dépêche, 2008). Ces émeutes avaient couté son poste au Premier ministre Jacques Édouard Alexis et à son gouvernement. Le président de la République d’alors, René Préval, a dû ordonner la baisse du prix du riz pour calmer la colère de la population.

Haïti n’était pas le seul pays à connaitre des émeutes à la fin de la première décennie du XXIe siècle : la Mauritanie, le Cameroun, le Burkina Faso, l’Éthiopie, l’Indonésie, l’Égypte, le Maroc, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Madagascar, les Philippines ont été eux aussi le théâtre d’explosions de violence dues à la hausse des prix des denrées alimentaires (La Dépêche, 2008). C’est quand même paradoxal, voire scandaleux, dans un monde regorgeant de richesses, où la science et la technologie sont extrêmement développées, d’enregistrer plus d’une centaine de millions de personnes menacées de mourir de faim. Depuis 2008, la Banque mondiale a tiré la sonnette d’alarme en invitant les gouvernements à intervenir d’urgence afin d’éviter que la crise alimentaire n’affecte 100 millions de personnes dans le monde. Trente-trois États dans le monde dont Haïti sont menacés de connaitre des troubles politique et des désordres sociaux à cause de la montée brutale des prix des produits agricoles et énergétiques (La Dépêche, 2008).

Qu’est-ce qui est à la base de cette situation ? Les INÉGALITÉS sociales. « À eux seuls, les huit hommes les plus riches du palmarès du magazine Forbes, dont Bill Gates, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg, détenaient autant de richesses que la moitié de la population mondiale la plus pauvre. L’année précédente, on titrait que le 1% le plus riche de la planète possédait autant d’avoir nets que les 99% restants » (Sansfaçon, 2018).

Toutes les émeutes n’ont pas nécessairement pour déterminants la faim. En France, octobre 2005, pendant trois semaines consécutives plusieurs quartiers des banlieues françaises ont été en flammes, suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré électrocutés dans un transformateur de l’Électricité de France (EDF) alors qu’ils étaient poursuivis par la police (Taleb : 2015). Le bilan de ces émeutes est très lourd : 10346 véhicules de toutes sortes brûlés ; 233 bâtiments publics détruits ou endommagés, 74 bâtiments relevant du domaine privé détruits ou endommagés, 11700 policiers et gendarmes engagés au plus fort des émeutes, 224 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers blessés ; 6056 interpellations (dont 4728 pendant la crise et 1328 après les évènements, 5643 personnes placées en garde à vue, 1328 personnes écrouées (Nouvel Observateur, 2006). En 2015, à Baltimore dans l’état de Maryland, aux États-Unis, des émeutes éclatèrent suite au décès du Jeune Gray âgé de 25 ans qui a été blessé à la colonne vertébrale et au larynx à l’occasion de son arrestation et sa détention. Des rassemblements spontanés ont eu lieu après les obsèques. Il y eut des affrontements entre les citoyens et les policiers. Le bilan était lourd : 235 arrestations, 144 véhicules et 15 immeubles en feu, 25 policiers battus et blessés. Soit en France, soit aux États-Unis, ces émeutes portent la marque de la discrimination fondée sur les origines ethniques ou la couleur de la peau ancrées dans des rapports sociaux inégalitaires.

En Haïti, les émeutes ont eu jusqu’ici pour déterminants la cherté de la vie, comme ce fut le cas dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. La hausse du cout de la vie comme cause incidente des émeutes peut être interprétée comme une conséquence des rapports sociaux inégalitaires. Plusieurs auteurs le soutiennent, en ce qui concerne Haïti : il existe en Haïti un système d’« apartheid socio-spatial » (Beaulière, 2016) qui constitue une grosse menace pour le vivre-ensemble. En 2010, Robert Paris du Journal Libération, a publié un article intitulé « Classes sociales en Haïti » dans lequel il affirme en introduction : « on aurait tendance, vu de loin, à croire qu’il n’y a que des pauvres en Haïti. Quelle erreur ! Il y a une bourgeoisie et même une grande bourgeoisie… et les inégalités sociales sont plus criantes en Haïti qu’ailleurs entre une bourgeoisie qui vit dans le luxe et des bidonvilles d’une misère record… d’un côté, des piscines et de l’autre, pas d’eau à boire ! Cette bourgeoisie du fait de sa diversité (grandes familles, seigneurs grandons (grands propriétaires terriens) anciennement liés ou pas au duvaliérisme, d’origines nationales diverses) et de sa rapacité, a été incapable de s’unir pour garder directement le pouvoir mais tous les pouvoirs issus de l’armée ou de la petite bourgeoisie ont été globalement à son service » (Paris, 2010). Évidemment, on dirait qu’en plus de dix ans après, on ne peut vraiment parler de cohésion au sein de cette classe, en ce qui a trait au contrôle du pouvoir politique. Des clivages et des tensions subsistent entre eux : groupe syro-libanais, groupe de bourdon, entre autres.

Arnousse Beaulière (2016) parle d’un autre type de clivage : le clivage entre la classe supérieure et la classe inférieure, entre les bourgeois, monopolisant la propriété et les moyens de production, et les ouvriers, les masses populaires et paysannes (Beaulière 2016). Et c’est là qu’il faut rechercher les causes des émeutes en Haïti. Pour être plus précis, Haïti est en train d’appliquer à la lettre le paradigme de la concentration des inégalités socio-économiques producteur de l’extrême pauvreté. Appelé aussi « économie de ruissellement », ce paradigme postule qu’en donnant plus d’argent aux riches, on rend service à tout le monde, parce que cela va stimuler la croissance. Conformément à l’application d’un tel paradigme « 500 000 habitants sur une population d’environ 11 millions accaparent l’appareil de l’État et l’instrumentalisent à leur profit exclusif et au détriment des intérêts supérieurs de la nation, soutient Fritz Jean dont les propos sont relayés par Harrios Clerveaux dans le quotidien Le national. Dans le système bancaire haïtien, 5 % à 6 % de la population seulement bénéficient de 75 % des crédits bancaires (Clerveaux, 2016). Les inégalités socio-économiques sont des plus criantes « seulement 5 % des gens du pays accaparent 50 % de ses revenus, et les 95 % des habitants du pays vivotent, se démènent avec l’autre tranche de 50 %. Ce qui est très différent des cas des pays de l’Amérique latine où 5 % de la population de cette région accaparent 27 % de ses revenus. Dans le cas des autres pays de la Caraïbe, 5 % des gens accaparent 23 % des revenus de cette région ».

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.