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La science mise au service... du racisme

26 septembre 2016, 13:04

Linné est, lui, polygéniste : les humains ne descendraient pas d’un seul, mais de plusieurs couples ancestraux, et leurs caractéristiques ne résulteraient pas de l’exposition aux éléments naturels : « Les qualités des différentes races sont ancrées pour lui dans la biologie. » Pour l’un comme pour l’autre, « la hiérarchisation existe pratiquement d’entrée de jeu », poursuit Nicolas Bancel. « Linné est un fixiste : pour lui, le mélange des races serait désastreux, parce qu’il se ferait au détriment de la race la mieux dotée – la blanche, évidemment. » Selon Buffon, « la zone propice au développement des qualités les plus éminentes est l’Europe » ; la diversité humaine produite par l’environnement dans les autres régions est qualifiée de « dégénération ».

Deuxième étape : « A la fin du XVIIIe siècle, des savants entreprennent d’objectiver les races par des techniques de mesures. Ils créent ainsi une nouvelle science qui s’appellera bientôt « anthropologie physique. » L’Allemand Johann Friedrich Blumenbach invente la craniométrie, le Néerlandais Petrus Camper forge la notion d’un « angle facial » déterminé par la position plus ou moins avancée des mâchoires par rapport au front. Fait notable : « Ni l’un ni l’autre ne sont véritablement racistes – ils n’établissent pas une échelle claire. Mais en expliquant que les races dont l’angle est plus fermé sont orientées vers l’instinctif, le digestif, la pulsion sexuelle et finalement l’animalité, Camper offre à ses successeurs un système d’interprétation qui fondera une hiérarchisation. » Des vulgarisateurs, tels que le prolixe Julien-Joseph Virey, pharmacien militaire de son état, boucleront le travail. « Ils n’hésiteront pas, eux, à affirmer que le Noir est condamné à une éternelle infériorité par ses caractéristiques physiologiques. A ce moment-là, tout est possible. On explique le passé et on justifie le présent – l’esclavage en particulier. »

La notion de race et le racisme s’associent dans un paquet ficelé. La science dresse un catalogue des différences, invente des méthodes pour les mesurer, essaie de les expliquer. « De tout cela, la plupart de savants vont tirer des conclusions qui n’ont strictement rien à voir avec leurs découvertes proprement physiologiques. Leurs affirmations hiérarchisantes sont, au contraire, directement liées aux archétypes qu’ils ont incorporés dans une société esclavagiste et inégalitaire. Le biologique va devenir l’explication d’une supériorité qui apparaît comme une évidence jamais questionnée. »

Au début du XXe siècle, le discours scientifique sur la race est bien implanté, fortement internationalisé, largement popularisé. Il a servi à légitimer l’esclavage, la colonisation et la fabrication des identités nationales : « On voit par exemple une japonéité se construire en utilisant la minorité aïnoue comme repoussoir. On observe la même chose au Danemark avec les Esquimaux », remarque Thomas David. La race est désormais prête à l’emploi pour de nouveaux usages – génocides, régimes d’apartheid ou autres ségrégations. « Le nazisme reprend la théorie raciale en y ajoutant des éléments de darwinisme, pour en arriver à l’idée selon laquelle l’histoire est gouvernée par la confrontation des races. Si les nazis sont persuadés qu’ils vont l’emporter, c’est parce qu’ils ont une croyance absolue dans la vitalité de la race aryenne, qui ne peut que triompher. » Des historiens des sciences tels que Patrick Tort ont montré à quel point Darwin formulait en réalité un antiracisme radical. Mais dans la théorie de l’évolution comme ailleurs, la science nazie aura fait son tri.

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