Accueil > ... > Forum 42780

En quoi le fondement, réel et imaginaire, des anciennes religions a irrémédiablement disparu ?

7 septembre 2018, 11:23, par Robert Paris

La parisienne (comme elle se définit elle-même)Alexandra David Neel a été un grand témoin du bouddhisme des lamas du Tibet au début des années 1900 et a laissé de nombreux ouvrages sur ce thèmes, étant elle-même devenue bouddhiste, formée par le lama Ngawang Rinchen du monastère de Lachen et même reconnue comme telle par le Dalaï-Lama de l’époque, appelé thamstched mkyénpas ou l’omniscient, à la fois chef religieux bouddhiste et roi du Thibet et Alexandra David-Neel fut même la première femme occidentale à le rencontrer. Au passage, notons que le Thibet n’est pas le nom reconnu par les habitants qui l’appellent Sod Yul, prononcé Peu Youl, et se dénomment eux-mêmes Peu Pa et pas thibétains ni tibétains, ou encore Khang Yul ou pays des neiges éternelles.

Elle rapporte ainsi dans « Mystiques et magiciens du Thibet » combien le bouddhisme est un combat permanent contre les craintes des morts développées, exploitées ou combattues par les magiciens-sorciers qui ont précédé le bouddhisme dans toute l’Asie :

« Je revenais, ce jour-là, d’une excursion à travers la forêt, lorsque j’entendis un cri aigu et bref, ne ressemblant à celui d’aucun des animaux que je connaissais. Quelques minutes plus tard, le même cri se répéta encore deux fois. Je m’avançai doucement dans la direction d’où il partait… Deux moines étaient là, assis par terre, sous les arbres, les yeux baissés dans l’attitude de la méditation. « Hik ! » exclamait l’un d’eux, d’une singulière voix de tête. « Hik ! » répétait l’autre quelques instants après. Et ils continuaient ainsi sans parler ni bouger, espaçant leurs cris par de longs intervalles de silence. Je remarquai qu’ils semblaient émettre ce cri avec effort, comme s’ils l’avaient fait monter du fond de leurs entrailles. Après les avoir observés pendant un certain temps, je vis l’un des deux hommes porter la main à sa gorge avec une expression de souffrance sur son visage. Il tourna la tête et cracha un filet de sang… Dès que je pus le voir, j’interrogeai Dawa Sandup. Que faisaient ces hommes ? Pourquoi poussaient-ils ce cri bizarre ?

« Ce cri, m’expliqua mon interprète, est l’exclamation rituelle que le lama officiant profère près de celui qui vient de mourir, afin de dégager son esprit et de le faire sortir de son corps par une ouverture que cette syllabe magique produit au sommet du crâne. Seule le lama qui a reçu d’un maître compétent le pouvoir d’articuler ce « hik ! » avec l’intonation et la force psychique requises est capable d’opérer avec succès. Lorsqu’il officie près d’un cadavre, il ajoute « phet ! » après le « hik ! » mais il doit bien se garder d’articuler ce « phet » lorsqu’il s’exerce simplement à la pratique de ce rite, comme les moines que vous avez surpris. La combinaison de ces deux sons entraîne inéluctablement la séparation de l’esprit et du corps et, par conséquent, le lama qui les prononcerait correctement mourrait immédiatement. Ce danger n’existe pas quand il officie, parce qu’il agit, alors, par procuration au lieu et place du mort, lui prêtant sa voix, de sorte que l’effet des syllabes magiques est ressenti par le défunt et non par le lama. »

Après que le pouvoir psychique d’attirer l’esprit hors de son enveloppe corporelle leur a été conféré par un maître compétent, il reste, aux disciples, à s’entraîner à émettre le son « hik ! » avec le ton correct. On reconnaît qu’ils ont atteint ce but lorsqu’une paille plantée dans leur crâne y demeure droite sans tomber, pendant aussi longtemps qu’ils le désirent. En effet, la prononciation correcte de « hik ! » produit une petite ouverture au sommet du crâne et la paille est insérée dans celle-ci. Lorsqu’il s’agit d’un mort, l’ouverture est beaucoup plus large. Il arrive que l’on puisse y introduire le petit doigt.

Dawa Sandup s’intéressait beaucoup à toutes les questions se rapportant à la mort et à la survie d’un « esprit ». Cinq ou six ans après m’avoir donné ces explications, il traduisit un ouvrage classique tibétain sur les pérégrinations des défunts dans l’au-delà, le Bardo Töd tol…

Le premier soin du lama assistant un mourant est de s’efforcer de l’empêcher de s’endormir, de s’évanouir ou de sombrer dans le coma. Il lui signale le départ successif des différentes « consciences » qui animaient ses sens : conscience de l’œil, conscience du nez, de la langue, du corps, de l’oreille, c’est-à-dire de la perte graduelle de la vue, de l’odeur, du goût, du toucher, de l’ouïe. Dans le corps, maintenant insensible, la pensée doit demeurer active et attentive au phénomène qui s’accomplit. Il s’agit de faire jaillir l’esprit hors de son enveloppe par le sommet du crâne, car s’il s’évadait par une autre voie, son bien-être futur s’en trouverait compromis.

Cette extraction de l’esprit est, comme je l’ai dit, opérée par le cri rituel « hik ! » suivi de « phet ! ». Avant de le proférer, le lama doit se recueillir profondément, s’identifier avec celui qui vient d’expirer et faire l’effort qu’aurait dû faire ce dernier pour provoquer l’ascension de l’esprit au sommet du crâne avec une force telle qu’il s’y produise la fissure nécessaire pour lui livrer passage.

Les initiés capables d’opérer pour leur compte cette ascension de l’esprit au sommet de la tête prononcent eux-mêmes, lorsqu’ils se sentent près de leur fin, le « hik ! » et le « phet ! » libérateurs. Ils peuvent, aussi, se suicider de cette façon et l’on dit que certains le font…

Les Tibétains croient au « double » tout comme y croyaient les anciens Egyptiens. Pendant la vie, à l’état normal, ce double demeure étroitement uni au corps matériel. Cependant, certaines circonstances peuvent l’en éloigner et il lui est alors possible de se montrer ailleurs que dans l’endroit où se trouve le corps matériel ou d’accomplir, invisible, diverses pérégrinations.

Cette séparation du corps et de son double, s’opère involontairement chez certains individus et ceux qui ont pratiqué un entraînement ad hoc peuvent, disent les Tibétains, l’effectuer à volonté. La séparation n’est toutefois pas complète, un lien subsiste qui relie les deux formes et persiste pendant un temps plus ou moins long après la mort. La destruction du cadavre entraîne généralement, mais pas nécessairement, celle du « double », dans certains cas il peut lui survivre…

Lorsqu’un moribond a rendu le dernier soupir, il est habillé avec ses vêtements mis à rebours, puis ficelé dans l’attitude des bouddhas, les jambes croisées, ou bien les genoux pliés et touchant la poitrine. Ensuite, dans les villages, le corps est généralement posé dans un chaudron… Dans les parties boisées du Tibet, les corps sont incinérés. Les habitants des vastes régions nues du centre et du nord, dont le seul combustible est la bouse des troupeaux, les livrent aux bêtes de proie, soit dans des lieux réservés à cet effet, à proximité des villages, soit n’importe où, sur les montagnes, quand il s’agit de nomades ou de gens vivant dans des endroits solitaires. Quant au corps des grands dignitaires religieux, il est parfois desséché par un double procédé : la salaison et la cuisson dans du beurre. Ces momies sont appelées « mardong »…

Le défunt a souhaité – ou, du moins, est supposé avoir souhaité – que son corps serve, comme son dernier don, à nourrir ceux que la faim tourmente. L’ouvrage, intitulé Tse hdas kyi rnamches thog grang ou « Guide de l’esprit des morts dans l’au-delà », s’explique en détails à ce sujet…

Les Tibétains se montrent extrêmement désireux d’éviter tous rapports avec les défunts. Les paysans, surtout, usent d’un langage particulièrement net pour les congédier.

Immédiatement avant que le cadavre soit emporté de la maison, lorsqu’on lui sert son dernier repas, un membre âgé de la famille le harangue :

« - Ecoute, Un Tel, dit-il, tu es mort. Sache-le bien. Tu n’as plus rien à faire ici. Mange copieusement pour la dernière fois, tu as une longue course à fournir, plusieurs cols à traverser, prends des forces et puis ne reviens plus. »

J’ai entendu un discours plus curieux encore.

Après avoir dûment répété au défunt qu’il n’était plus de ce monde et qu’on le priait de ne plus s’y montrer, l’orateur ajouta :

« -Pardzin, je t’informe que ta maison a été détruite par un incendie. Tout ce que tu possédais est brûlé. A cause d’une dette que tu avais oubliée, ton créancier a emmené tes deux fils comme esclaves. Quant à ta femme, elle est partie avec un nouveau mari. Ainsi, comme cela t’affligerait de voir toute cette misère, garde-toi de revenir ici. » (…)

Le stratagème semble passablement naïf de la part des gens qui reconnaissent au « double » la faculté de voir ce qui se passe dans notre monde.

En des termes liturgiques beaucoup plus élégants que ceux employés par les villageois, le lama engage aussi le mort à poursuivre sa route sans regarder en arrière, mais cette recommandation est faite pour son plus grand bien, tandis que le vulgaire ne songe qu’à éviter la présence occulte d’un revenant qu’il croit dangereux…

La majorité des défunts défèrent au désir qui leur a été exprimé de façon catégorique lors des funérailles et ne se rappellent point au souvenir des vivants. ces derniers en concluent que leur sort est définitivement réglé dans l’au-delà et, probablement, réglé d’une manière qui les satisfait.

Certains morts, pourtant, n’observent pas la même discrétion. Ils apparaissent fréquemment, en rêve, à leurs proches ou à leurs amis. Des incidents singuliers se produisent dans leurs anciennes demeures. D’après les Tibétains, ces faits dénotent que le défunt est malheureux et qu’il appelle à son aide.

Il existe des lamas-devins que l’on peut consulter dans les cas de ce genre. Ils indiquent les rites à célébrer, les aumônes à distribuer et les livres saints qu’il convient de lire pour le confort du disparu.

Toutefois, nombre de gens, surtout dans les régions frontières, retournent, en cette circonstance, aux pratiques de l’ancienne religion du pays (la sorcellerie-magie des chamanes).

Le mort, lui-même, pensent-ils, doit être entendu. A cet effet, un médium homme ou femme est indispensable pour prêter son corps à l’esprit du défunt et parler pour lui…

Il arrive, au cours de ces séances, que différents dieux ou esprits s’emparent successivement du médium. Parfois, ce dernier, sous l’impulsion donnée par l’un de ceux-ci, se précipite à l’improviste sur l’un des assistants et le roue de coups. Cette correction inattendue est toujours subie sans opposer de résistance. Les Tibétains s’imaginent qu’elle a pour effet d’expulser, de celui qui la reçoit, un démon qui s’était logé en lui à son insu et que l’esprit qui anime le médium a découvert.

Les morts qui souffrent dans un autre monde se bornent généralement au récit de leurs infortunes… Les familles à qui de telles supplications parviennent ne songent plus qu’à libérer le pauvre défunt. La chose est compliquée. Il s’agit, d’abord, d’entrer en communication avec le démon et de négocier avec lui le rachat de son captif…

Quand le soin de sauver un « esprit » de l’esclavage est confié à un lama, aucun sacrifice n’est offert pour sa rédemption et les rites célébrés n’ont point le caractère de négociations. Le lama, docte en rituel magique, se croit suffisamment puissant pour contraindre le démon à relâcher sa victime.

Sous l’influence du bouddhisme, les habitants du Tibet propre ont renoncé à sacrifier des animaux, mais il est loin d’en être de même parmi les Tibétains établis dans l’Himalaya qui n’ont qu’un très léger vernis de lamaïsme et sont, en fait, de véritables chamanistes. »

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.