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La Science peut-elle se tromper lourdement du fait de préjugés sociaux, d’intérêts économiques ou de pressions du pouvoir ?

6 février 2017, 09:21, par Will

« Imaginons une nouvelle théorie qui mette en garde contre une crise imminente et indique les moyens d’y échapper. Cette théorie obtient rapidement à l’échelle planétaire le soutien de scientifiques de premier plan, de politiciens et de célébrités. Les recherches sont financées par des philanthropes distingués et les travaux réalisés dans des universités prestigieuses. Les média se font l’écho de cette crise. La nouvelle science est enseignée dans les lycées et les universités… Il s’agit d’une théorie apparue il y a un siècle. Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson et Winston Churchill comptaient au nombre de ses partisans. Des magistats de la Cour suprême, Oliver Wendell Holmes et Louis Brandeis, se sont prononcés en sa faveur. Parmi les personnalités qui la soutenaient, on trouve les noms d’Alexander Graham Bell, l’inventeur du téléphone, de l’activiste Margaret Sanger, du botaniste Luther Burbank, de Leland Wells, du dramaturge George Bernard Shaw et de centaines d’autres personnalités. Des lauréats du prix Nobel lui ont apporté leur soutien. Les recherches étaient financées par les fondations Carnegie et Rockefeller. L’institut de Cold Springs Harbor a été construit spécialement pour les abriter mais les universités de Harvard, Yale, Princeton, Stanford et John Hopkins menaient également des travaux d’importance. Des lois relatives à cette question ont été votées dans tous les Etats-Unis, de New York à la Californie. Tous ces efforts bénéficiaient de l’appui de l’Académie nationale des sciences, de l’Association médiacle américaine et du Conseil national de la recherche. On disait à l’époque que si Jésus avait été vivant, il aurait prêté sin concours. Les recherches, la législation, le conditionnement de l’opinion publique sur le sujet, tout cela s’est prolongé pendant près d’un demi-siècle. Les opposants étaient conspués, traités de réactionnaires, d’aveugles, voire d’ignorants. Avec le recul, il est étonnant de constater qu’il y ait eu si peu d’opposants. Nous savons aujourd’hui que cette fameuse théorie, qui avait rassemblé de si nombreux partisans, était en réalité pseudo-scientifique. Le danger contre lequel elle mettait en garde n’existait pas. S mesures prises en son nom étaient moralement inacceptables, voire criminelles. Elles ont finalement conduit à la mort plusieurs millions d’individus. La théorie en question est l’eugénisme. Son histoire est tellement horrible, telle embarrassante pour ceux qui l’ont promue qu’elle n’est plus guère débattue de nos jours. Mais cette histoire devrait être connue de tous, ne fût-ce que pour éviter qu’elle ne se reproduise. L’eugénisme posait comme postulat une dégradation du patrimoine héréditaire conduisant à une détérioration de l’espèce humaine – postulat qui reposait sur le constat que les individus les plus aptes de la société ne se reproduisaient pas aussi vite que les autres : étrangers, immigrants, juifs, dégénérés, inaptes et « faibles d’esprit ». Francis Galton, un scientifique anglais, fut le premier à formuler l’hypothèse mais ses idées furent poussées bien au-delà de ce qu’il souhaitait. Elles furent adoptées par des Américains à l’esprit scientifique et aussi par d’autres que la science n’intéressait pas mais qu’inquiétait, en ce début de XXe siècle, l’arrivée d’immigrants de « race inférieure », « dangereuse vermine humaine », « vague d’imbéciles » qui venait polluer ce que l’espèce humaine avait produit de meilleur. Les partisans de l’eugénisme et ceux qui prônaient une restriction de l’immigration firent front commun. Leur idée était d’identifier les faibles d’esprit – catégorie à laquelle appartenaient, de l’avis général, non seulement les juifs et les Noirs mais aussi quantité d’étrangers – puis de les empêcher de se reproduire soit en les isolant dans des institutions spécialisées soit en les stérilisant… Il y avait dans ce mouvement un racisme déclaré, comme en témoignent des ouvrages tels que « La montée de la vague de couleur contre la suprématie du monde blanc », de Lothrop Stoddard, un auteur américain… Les recherches ont été financées par la fondation Carnegie, puis par la fondation Rockefeller. Lorsque les travaux se déplacèrent en Allemagne, où l’on commençait à gazer des hommes et des femmes tirés des hôpitaux psychiatriques, les financements se poursuivirent. Ils étaient encore en place en 1939, quelques mois avant la guerre, détail sur lequel la fondation Rockfeller resterait muette… Ce programme devait par la suite être développé sous la forme de camps de concentration situés près de lignes de chemin de fer, afin de faciliter le transport de millions d’indésirables qui y trouvèrent la mort. Après la seconde guerre mondiale, personne n’était partisan de l’eugénisme, personne ne l’avait jamais été. Les biographies des personnages célèbres impliqués dans le mouvement glissaient sur cet aspect de leur carrière ou n’en faisaient même pas mention… »

Michael Crichton, « Etat d’urgence »

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