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Bergson ou le vide philosophique français

1er juin 2017, 12:24

Bachelard :

En effet, du point de vue psychologique, on est frappé, en lisant l’œuvre bergsonienne, par le petit nombre de remarques où la coercition et l’inhibition pourraient trouver des éléments d’une analyse. La volonté y est toujours positive, le vouloir vivre, comme chez Schopenhauer, y est bien permanent. C’est vraiment un élan. L’être veut créer du mouvement. Il ne veut pas créer du repos.

Sans doute il y a des arrêts, il y a des échecs ; mais la cause de l’échec, d’après M. Bergson, est toujours externe. C’est la matière qui s’oppose à la vie, qui retombe sur la vie élancée et en ralentit ou en courbe le jet. Si jamais la vie pouvait se développer dans quelque milieu subtil, se nourrir de sucs essentiels, elle achèverait d’un trait son apothéose. Ainsi la vie se brise ou se divise sur l’obstacle. Elle est une lutte où il faut toujours ruser, toujours biaiser. Vieille image née avec l’Homo faber écrasé par ses tâches.

Mais cette matière qui nous présente de constants et multiples obstacles, cette matière autour de laquelle nous tournons, que nous assimilons et que nous rejetons dans nos efforts philosophiques pour comprendre le monde, a-t-elle vraiment, dans le bergsonisme, des caractères suffisamment nombreux pour répondre à la diversité souvent contradictoire de ses fonctions ? Il ne le semble pas. On a, tout au contraire, l’impression que la matière est, pour M. Bergson, purement et simplement égale à l’échec qu’elle occasionne. Elle est la substance de nos désillusions, de nos mécomptes, de nos erreurs. On la rencontre après l’échec, jamais avant. Elle substantialise le repos après la fatigue, jamais le repos délicatement construit sur un équilibre réel.

Pourquoi alors ne pas prendre l’échec en soi, dans la contradiction des raisons d’agir, dans le non-fonctionnement d’une fonction qui devrait agir ? On aurait eu ainsi un exemple de désordre fondamental, d’un désordre temporel, d’un désordre spirituel.

Il suffit d’ailleurs de creuser la psychologie de l’hésitation pour mettre à nu le tissu des oui et des non. La vie s’oppose à la vie, le corps se dévore lui-même et l’âme se ronge. Ce n’est pas la matière qui fait obstacle. Les choses ne sont que les occasions de nos tentations ; la tentation est en nous, comme une contradiction et morale et rationnelle. La crainte aussi est en nous, de toute évidence avant le danger. Comment comprendrait-on le danger sans elle ? Et la plus insidieuse des inquiétudes naît de la quiétude même. Quand rien ne m’inquiète, disait Schopenhauer, c’est cela même qui me semble inquiétant. Il suffit de dématérialiser un peu l’affectivité pour la voir onduler.

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