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L’Afrique n’est pas située en dehors de la lutte des classes

27 juin 2017, 12:37

C’est, je crois, en examinant ces luttes pour l’indépendance que l’analyse de Trotsky se révèle être la plus perspicace. Sa mise à nu de la trahison de la révolution chinoise dans les années 1920 par les dirigeants staliniens contient une des plus importantes leçons stratégiques de notre mouvement. En opposition totale à l’analyse de Trotsky, Staline avait soutenu que le mouvement nationaliste en Chine, le Guomindang, mènerait une révolution démocratique contre les propriétaires terriens féodaux et la domination impérialiste. Une énorme campagne avait également été menée pour dénigrer les idées de Trotsky et de ses partisans.

Staline a ordonné au parti communiste chinois d’entrer dans le Guomindang et de se soumettre à sa discipline. Le résultat a été un désastre complet, finissant avec la défaite de la révolution et l’assassinat de milliers de communistes chinois par les nationalistes en 1927.

Le genre de nationalisme bourgeois qui s’était développé en Chine est devenu l’inspiration politique des futurs dirigeants panafricains qui allaient établir plus tard leurs régimes en Afrique après la Seconde Guerre mondiale. Il y a, en fait, un lien très direct. Si vous lisez l’autobiographie d’Azikiwe, le premier président du Nigeria, vous verrez que durant ses études menées à l’Université de Howard aux Etats-Unis au début des années 1930, soit après le massacre des communistes chinois, il a expliqué combien il a été impressionné par Sun Yatsen et Tchang Kaï-chek, les dirigeants du Guomindang.

Azikiwe a étudié à Howard où les intellectuels noirs comme Tubman (le futur Président du Liberia), et Kwame Nkrumah (le futur Président du Ghana) ont développé les idées panafricanistes. L’influence de l’Antillais George Padmore est indubitable, il est peut-être l’un des dirigeants intellectuels du panafricanisme le plus connu et qui, après l’indépendance, s’est établi au Ghana comme conseiller de Nkrumah.

Padmore était un dirigeant international du Parti communiste et un partisan dévoué de Staline. Son travail à Moscou au début des années 1930 était de servir dans un comité spécial qui enquêtait sur le Parti communiste chinois pour trouver des « trotskistes » et opposants à la ligne stalinienne. Ceux qui soutenaient que le parti devrait se baser sur la classe ouvrière en furent chassés. Padmore a entièrement accepté la « théorie des deux étapes », qui est devenue la politique stalinienne officielle dans les pays sous-développés. Selon cette théorie il y aurait, dans ces pays, d’abord une révolution nationale démocratique, ce qui signifiait que les communistes devaient soutenir toute une série de mouvements paysans et nationaux bourgeois, le socialisme ne venant qu’à une date non spécifiée (et d’habitude lointaine). Padmore n’a rompu avec le parti communiste qu’à la fin des années 1930, lorsqu’il est devenu évident que Staline n’avait aucun intérêt véritable dans la croissance des mouvements nationalistes en Afrique ou ailleurs, sauf en tant que pions dans les accords qu’il essayait de conclure avec l’impérialisme. Mais les idées de Padmore sur le nationalisme, qui dérivaient du stalinisme, sont demeurées essentiellement inchangées.

Padmore a influencé la plupart des futurs dirigeants africains à la fin de la Seconde Guerre mondiale, y compris Nkrumah, Kenyatta et Nyerere qui devaient devenir les dirigeants des anciennes colonies britanniques. Nombre d’entre eux étaient présents à la conférence panafricaine tenue à Manchester en 1945. Des développements analogues ont eu lieu en France où des dirigeants formés par les staliniens, comme Sekou Touré en Guinée, commençaient à être connus.

L’idée fondamentale de Padmore était que la lutte nationale pour l’indépendance servirait à contenir dans d’étroites limites le mouvement de la classe ouvrière qui se développait rapidement en Afrique au lendemain de la guerre. Une petite élite d’Africains noirs, qui aspirait à devenir une bourgeoisie noire, serait appelée sur cette base à prendre le pouvoir politique. A cette époque, il existait déjà d’énormes agglomérations de travailleurs en Afrique, spécialement dans l’industrie minière, et l’on comptait déjà nombre de grandes grèves. Des milliers de mineurs en Afrique du Sud s’étaient organisés contre les propriétaires des mines britanniques. Au Congo, jusqu’à un million de mineurs travaillaient dans les mines de cuivre et de diamants, et c’est aussi là que l’uranium pour la bombe atomique était extrait. Ce mouvement faisait partie d’une vague révolutionnaire internationale qui a déferlé tout de suite après la guerre et s’est étendue à l’Inde, à la Chine et à des parties entières de l’Europe.
Comme le disait Padmore : « La seule force capable de retenir le communisme en Asie et en Afrique est le nationalisme dynamique se basant sur un programme socialiste d’industrialisation... » [1]. C’est sur cette base qu’il a appelé les pouvoirs impérialistes à accorder l’indépendance.

Le socialisme dont il parlait, ainsi que Nkrumah, Nyerere et d’autres, signifiait une espèce d’interventionnisme et d’Etat-providence, idées qui étaient considérées d’un il favorable par les capitalistes dans les conditions de la crise d’après-guerre, et qui ont été reprises, par exemple, par le Parti travailliste en Grande-Bretagne. Cela n’avait rien à voir avec le socialisme, dans la tradition du marxisme pour lequel Trotsky s’était battu. Trotsky avait toujours insisté sur le fait que le socialisme signifiait la construction d’un mouvement ouvrier indépendant et politiquement conscient pour renverser l’impérialisme. Les panafricanistes y étaient opposés et, quand ils sont parvenus au pouvoir dans les années 1960 partout en Afrique, ils ont étouffé les grèves et réprimé l’opposition ouvrière.

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