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Qu’est-ce qui apparaît ?

9 avril 2015, 07:25

Engels dans « L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat :

« Précédant l’agriculture, la culture des jardins, sans doute inconnue aux barbares, asiatiques du stade inférieur, apparut chez eux au plus tard pendant le stade moyen. (…)
A côté de la richesse en marchandises et en esclaves, à côté de la fortune en argent, apparut aussi la richesse en propriété foncière. Le droit de possession des particuliers sur les parcelles de terre, qui leur avaient été cédées à l’origine par la gens ou la tribu, s’était maintenant consolidé à tel point que ces parcelles leur -appartenaient comme bien héréditaire. Dans les derniers temps, ils s’étaient efforcés surtout de se libérer du droit que la communauté gentilice avait sur la parcelle et qui leur était une entrave. Ils furent débarrassés de l’entrave - mais bientôt après, ils le furent aussi de la nouvelle propriété foncière. L’entière et libre propriété du sol, cela ne signifiait pas seulement la faculté de posséder le sol sans restriction ni limite, cela signifiait aussi la faculté de l’aliéner. Tant que le sol était propriété gentilice, cette faculté n’existait pas. Mais quand le nouveau propriétaire foncier rejeta définitivement les entraves de la propriété éminente de la gens et de la tribu, il déchira aussi le lien qui l’avait jusqu’alors rattaché indissolublement au sol. Ce que cela signifiait, il l’apprit par l’invention de la monnaie, contemporaine de la propriété foncière privée. Désormais, le sol pouvait devenir une marchandise qu’on vend et qu’on met en gage. A peine la propriété foncière était-elle instaurée que l’hypothèque était inventée, elle aussi (voyez Athènes). Tout comme l’hétaïrisme et la prostitution se cramponnent à la monogamie, l’hypothèque, désormais, marche sur les talons de la propriété foncière. Vous avez voulu la propriété du sol complète, libre, aliénable : fort bien, vous l’avez ... « Tu l’as voulu, Georges Dandin ! » (…)
Il est vrai qu’au stade de développement dont nous nous occupons, la classe toute neuve des commerçants ne soupçonne pas encore les hauts destins qui lui sont réservés. Mais elle se constitue et se rend indispensable, cela suffit. Avec elle apparaît aussi la monnaie métallique, la monnaie frappée, et, avec elle, un nouveau moyen de domination du non-producteur sur le producteur et sa production. La marchandise des marchandises était trouvée, celle qui renferme secrètement toutes les autres, le talisman qui peut à volonté se transformer en tout objet convoitable et convoité. Quiconque le possédait dominait le monde de la production, et qui donc l’avait plus que tout autre ? Le marchand. Dans sa main, le culte de l’argent était bien gardé. Il se chargea de rendre manifeste à quel point toutes les marchandises, et aussi tous leurs producteurs, devaient se prosterner dans la poussière pour adorer l’argent. (…)
Nous avons vu plus haut comment, à un degré assez primitif du développement de la production, la force de travail humaine devient capable de fournir un produit bien plus considérable que ce qui est nécessaire à la subsistance des producteurs, et comment ce degré de développement est, pour l’essentiel, le même que celui où apparaissent la division du travail et l’échange entre individus. Il ne fallut plus bien longtemps pour découvrir cette grande « vérité » : que l’homme aussi peut être une marchandise, que la force humaine est matière échangeable et exploitable, si l’on transforme l’homme en esclave. A peine les hommes avaient-ils commencé à pratiquer l’échange que déjà, eux-mêmes, furent échangés.
Avec l’esclavage, qui prit sous la civilisation son développement le plus ample, s’opéra la première grande scission de la société en une classe exploitante et une classe exploitée. Cette scission se maintint pendant toute la période civilisée. L’esclavage est la première forme de l’exploitation, la forme propre au monde antique ; le servage lui succède au Moyen Age, le salariat dans les temps modernes. Ce sont là les trois grandes formes de la servitude qui caractérisent les trois grandes époques de la civilisation ; l’esclavage, d’abord avoué, et depuis peu déguisé, subsiste toujours à côté d’elles.
Le stade de la production marchande avec lequel commence la civilisation est caractérisé, au point de vue économique, par l’introduction : 1. de la monnaie métallique et, avec elle, du capital-argent, de l’intérêt et de l’usure ; 2. des marchands, en tant que classe médiatrice entre les producteurs ; 3. de la propriété foncière privée et de l’hypothèque et 4. du travail des esclaves comme forme dominante de la production. La forme de famille correspondant à la civilisation et qui s’instaure définitivement avec elle est la monogamie, la suprématie de l’homme sur la femme et la famille conjugale comme unité économique de la société. Le compendium de la société civilisée est l’État qui, dans toutes les périodes typiques, est exclusivement l’État de la classe dominante et qui reste essentiellement, dans tous les cas, une machine destinée à maintenir dans la sujétion la classe opprimée, exploitée. Sont également caractéristiques pour la civilisation : d’une part, la consolidation de l’opposition entre la ville et la campagne, comme base de toute la division sociale du travail ; d’autre part, l’introduction des testaments, en vertu desquels le propriétaire peut disposer de ses biens, même au-delà de la mort. Cette institution, qui est contraire à l’antique organisation gentilice, était inconnue à Athènes jusqu’à l’époque de Solon ; elle fut introduite à Rome de bonne heure, mais nous ne savons pas à quelle époque ; chez les Allemands, ce sont les prêtres qui l’ont introduite, afin que le brave Allemand puisse aisément léguer à l’Église son héritage.
(…)
Comme le fondement de la civilisation est l’exploitation d’une classe par une autre classe, tout son développement se meut dans une contradiction permanente. Chaque progrès de la production marque en même temps un recul dans la situation de la classe opprimée, c’est-à-dire de la grande majorité. Ce qui est pour les uns un bienfait est nécessairement un mal pour les autres, chaque libération nouvelle de l’une des classes est une oppression nouvelle pour une autre classe. L’apparition du machinisme, dont les effets sont universellement connus aujourd’hui, en fournit la preuve la plus frappante. Et si, comme nous l’avons vu, la différence pouvait encore à peine être établie chez les Barbares entre les droits et les devoirs, la civilisation montre clairement, même au plus inepte, la différence et le contraste qui existe entre les deux, en accordant à l’une des classes à peu près tous les droits, et à l’autre, par contre, à peu près tous les devoirs.

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