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Le socialisme en Russie ou l’échec de l’"homme nouveau" ?

17 juin 2015, 10:17

« Bien des idéologues socialistes (idéologues dans le pire sens du terme : celui d’hommes qui mettent toute chose la tête en bas) parlent de préparer le prolétariat pour le socialisme dans le sens de le régénérer moralement. Le prolétariat, et même "l’humanité" en général devraient tout d’abord se dépouiller de leur vieille nature égoïste, l’altruisme devrait dominer la vie sociale, etc. Comme nous sommes encore très loin d’un tel état de choses, et que la "nature humaine" change très lentement, voilà le socialisme différé de plusieurs siècles. Un tel point de vue semble probablement très réaliste et évolutionniste, etc., mais il n’est, en réalité, que le fruit de plates considérations moralisantes. On admet qu’une psychologie socialiste doit se développer avant l’avènement du socialisme ; en d’autres termes, qu’il est possible, pour les masses, d’acquérir une psychologie socialiste sur la base des rapports capitalistes. Il ne faut pas ici confondre l’effort conscient vers le socialisme avec une psychologie socialiste. Cette dernière suppose l’absence de motivations égoïstes dans la vie économique ; cependant que, si le prolétariat aspire au socialisme et lutte pour le socialisme, cela résulte de sa psychologie de classe. Quel que soit le nombre de points communs qu’il puisse y avoir entre la psychologie de classe du prolétariat et la psychologie socialiste sans classe, un gouffre profond ne les en sépare pas moins.

La lutte menée en commun contre l’exploitation engendre de magnifiques traits d’idéalisme, de solidarité et de sacrifice de soi mais, en même temps, la lutte individuelle pour l’existence, l’abîme toujours béant de la pauvreté, la différenciation dans les rangs des travailleurs eux-mêmes, la pression exercée d’en bas par les masses ignorantes et l’influence corruptrice des partis bourgeois ne permettent pas à ces traits magnifiques de se développer pleinement. Néanmoins, bien qu’il reste égoïste et philistin, et sans qu’il dépasse en "valeur humaine" le représentant moyen des classes bourgeoises, l’ouvrier moyen sait par expérience que ses besoins et ses désirs naturels les plus simples ne peuvent être satisfaits que sur les ruines du système capitaliste.

Les idéalistes dépeignent la lointaine génération à venir qui sera devenue digne du socialisme exactement comme les chrétiens dépeignent les premières communautés chrétiennes.

Quelle qu’ait pu être la psychologie des premiers prosélytes du christianisme (et les Actes des apôtres relatent des cas de détournement de la propriété commune), en tout cas, lorsqu’il a commencé à se répandre, le christianisme n’a pas seulement échoué dans ses efforts pour régénérer les âmes de la population tout entière, mais a lui-même dégénéré, devenant matérialiste et bureaucratique ; la pratique de l’instruction fraternelle d’un chrétien par un autre chrétien a cédé la place au papisme, la mendicité errante au parasitisme monacal ; bref, la chrétienté, bien loin de se soumettre les conditions sociales du milieu dans lequel elle se développait, s’y est elle-même soumise. Ce ne fut pas là le fruit de la maladresse ou de l’avidité des Pères de l’Église, mais bien des lois inexorables qui font dépendre la psychologie humaine des conditions de la vie sociale et du travail social ; les Pères de l’Église n’ont fait que démontrer cette dépendance en leur personne.

Si le socialisme voulait créer une nouvelle nature humaine dans les limites de l’ancienne société, il ne serait rien d’autre qu’une nouvelle édition des vieilles utopies moralisantes. Le socialisme n’a pas pour but de créer une psychologie socialiste comme prémisse du socialisme, mais de créer des conditions de vie socialiste comme prémisses d’une psychologie socialiste. »

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