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Comment Barcia-Hardy, fondateur de l’organisation française Lutte Ouvrière (ne pas confondre avec David Körner alias Barta, fondateur de l’Union Communiste Internationaliste – parfois appelée Union Communiste) a construit le mythe fondateur de son groupe en présentant comme son oeuvre la grève Renault de 1947

22 octobre 2014, 11:17, par Robert Paris

Il convient de signaler que, si Pierre Bois, a fini son travail militant à Lutte Ouvrière, il a également milité auparavant avec nombre de courants politiques qui pourraient à bon droit revendiquer la même paternité de la grève de Renault du fait qu’il était militant chez eux. A commencer par le groupe du Travailleur Emancipé, le groupe Socialisme ou Barbarie, le groupe de la Tribune Ouvrière.

La revendication de filiation doit être politique. Il faudrait encore que Lutte ouvrière soit réellement dans la suite de ce qu’avaient fait les Bois et les Barta de l’époque.

Un nombre de militant politique révolutionnaire réduit au minimum avait suffi à déborder un appareil bureaucratique et anti-ouvrier énorme du PCF et de la direction de la CGT grâce à la formation d’un comité de grève s’appuyant sur des syndiqués et non-syndiqués. Partant d’un secteur, le comité de grève avait entraîné toute l’usine Renault de Billancourt dans la grève contre tous les appareils et été le point de départ d’une vague de protestation ouvrière contraignant le PCF et la CGT à changer de politique et à sortir du gouvernement.

Alors que bien des militants d’extrême gauche ont une croyance bien ancrée dans l’importance et le poids des appareils réformistes qu’ils ne se voient pas déborder et ne voient l’activité qu’en passant par ces appareils, Pierre Bois avait connu, grâce à son dirigeant politique de l’époque, Barta, l’expérience du contraire : un militant ou une poignée de militants d’un groupe révolutionnaire s’appuyant sur une conception stratégique de la situation et une politique juste aux côtés des travailleurs, capables de trouver l’oreille des masses, de les organiser et de déborder ces appareils. Encore fallait-il que ce groupe se fonde uniquement sur la confiance dans les masses ouvrières, capables à certains moments clefs d’être plus révolutionnaires que les militants eux-mêmes, à condition que les militants n’aient jamais commencé à compter sur les petits calculs opportunistes de soi-disant tacticiens...

Pierre Bois était un camarade marquant de LO, un lien prolétarien avec le passé trotskyste et les luttes des années 40 et 50 en France, mais il était bien plus : un lien entre le courant révolutionnaire et socialiste du passé. Il avait une manière de poser les problèmes qui lui était bien particulière par rapport à LO comme à bien d’autres organisations. Tous ceux qui l’ont connu s’en souviennent : il posait toutes les questions en fonction du socialisme. Cela tranchait avec tous les discours militants habituels dans le mouvement ouvrier et dans le courant révolutionnaire. Et tout d’abord, Pierre Bois ne prétendait pas expliquer aux travailleurs ce qu’il devaient faire et penser. On ne tient pas les travailleurs par la main. On n’est pas au service non plus des travailleurs. On n’est pas là pour les encadrer. Nous les militants révolutionnaires, on est plus là pour les faire rêver, les rendre fiers de leur classe que les exciter à la lutte. Les problèmes que posait Pierre Bois partaient toujours des problèmes concrets que se posaient les travailleurs et la manière par laquelle les travailleurs eux-mêmes pouvaient réaliser ce que pensait leur classe. Il y avait déjà des militants souvent au langage très radical, les staliniens, les syndicalistes, qui savaient à la place des travailleurs ce qu’il fallait revendiquer et comment lutter. Nous ne devions pas être d’autres militants sachant à la place de leur classe, lui disant que penser, comment agir, quoi vouloir et comment l’obtenir ! Ce n’est pas de cela que le prolétariat avait besoin. Il lui fallait percevoir sa propre existence de classe, ses aspirations propres, ses capacités, sa force mais surtout sa conscience et son organisation. Sous la houlette des staliniens, l’encadrement policier des travailleurs empêchait toute expression autonome et il était indispensable de reconstruire l’auto-organisation au travers de comités ouvriers, de tracts de travailleurs, de conseils, de coordinations...

Mais poser les problèmes ainsi ne nécessitait pas un grand niveau de luttes ou de révolution. Tout problème, aussi simple soit-il, posé par les travailleurs devait être l’occasion de manifester cette conscience autonome des travailleurs, cette aspiration à s’exprimer, à s’organiser et à mesurer sa force. Les mille et un problèmes de l’exploitation nécessitaient que des travailleurs se parlent, se réunissent, échangent des avis, s’adressent à des camarades d’autres secteurs, se donnent les moyens de faire connaitre leurs revendications, etc... Tout de suite, il fallait poser aux travailleurs eux-mêmes, les concernés, les questions clefs : qu’est-ce qu’on veut, qu’est-ce qu’on n’est pas prêts à accepter, jusqu’où on est prêts à aller, qu’est-ce qu’en pensent les autres travailleurs autour, en quoi seraient-ils eux aussi concernés, etc....

L’activité des révolutionnaire, pour Pierre Bois, c’était d’être des militants conscients au sein de leur classe et pas de lui apporter la vérité toute faite. Sans cesse être à l’écoute des changements imperceptibles au sein de cette classe. Sans cesse réinterroger autour de nous les camarades. Sans cesse montrer que chaque problème individuel pouvait avoir une traduction collective qui élève le niveau de conscience et d’organisation de tous et que c’est ainsi qu’on changeait le rapport de forces, et pas en suivant les appareils syndicaux, pourtant à l’époque bien plus influents qu’aujourd’hui...

Pour lui, les révolutionnaires n’avaient rien de pousse à la grève et encore moins de pousse à la journée d’action des centrales syndicales. On ne devait jamais appeler à rien si on n’avait pas d’activité autonome dans cette action. Sans cesse, le révolutionnaire devait se demander comment il allait pouvoir intervenir dans le rassemblement, dans la manifestation avec quelques camarades, par un panneau, par une prise de parole, par un tract des travailleurs s’adressant à leurs camarades de travail.

Pousser les travailleurs à participer aux actions des centrales, ce n’est pas notre rôle disait-il. Les travailleurs lisent les appels des centrales et ils sont assez grands pour savoir ce qu’ils ont à en faire. Ils n’ont pas besoin de nous pour savoir s’ils estiment qu’il faut s’en saisir ou pas. Ce n’est pas à nous de les y pousser. Nous avons bien d’autres choses à dire aux travailleurs. Ce qui fait avancer la classe ouvrière, ce n’est pas d’abord son nombre dans les manifestations et le grèves, c’est sa conscience et son organisation. Nos tâches à nous sont encore différentes. Nous ne nous contentons pas de penser qu’il faudra des luttes. Nous savons que la société pose des tâches à la classe ouvrière en fonction des situations économiques et sociales du moment. Nous ne le déduisons pas de notre seule connaissance des luttes actuelles et de la mentalité actuelle des travailleurs. Nous le tirons d’une connaissance de l’Histoire et même d’une philosophie de l’Histoire et aussi d’un bilan des luttes du passé : les forces et faiblesses des travailleurs dans les dernière luttes de classe...

Nos tâches consistent d’abord à favoriser la formation d’une conscience de classe, conscience qui est sans cesse à reconstruire et à faire en sorte que le maximum de travailleurs soient marqués par ce point de vue. Cette conscience n’est pas venue entièrement de l’extérieur par la connaissance du marxisme révolutionnaire. Elle doit repartir des besoins réels des masses. Les travailleurs ont besoin de militants qui les amènent eux-mêmes à répondre aux questions clefs du moment : que pensons-nous de la situation, que sommes-nous prêts à accepter et à refuser, jusqu’où aller, que pensent les autres autour de nous, viendraient-ils avec nous si on s’y mettait. S’ils commencent à parler, à s’interroger sur des questions qui leur paraissent mériter de se bouger, les travailleurs n’ont à attendre aucune réponse des appareils qui encadrent la classe ouvrière. Ils peuvent commencer à agir, à s’exprimer, à se réunir, à tirer des tracts en leur propre nom, rédigés par eux-mêmes, à mener eux-mêmes des débrayages, des manifestations, de grèves. Tant que la classe ouvrière ne s’exprime pas par elle-même, elle n’a aucun élément pour mesurer ses forces, ses aspirations, pour s’organiser, et elle est un jouet aux mains d’appareils qui ont montré maintes fois qu’ils étaient prêts à la vendre à leurs adversaires.

Les discours du genre "il faudra lutter", "il faut être nombreux", "les syndicats devraient faire ceci", "les dirigeants devraient faire cela" n’ont rien à voir avec les préoccupations de militants révolutionnaires, telles que les voyait Pierre Bois.

Partir des problèmes des travailleurs et pas des initiatives des centrales. Partir de la manière dont les travailleurs autour de nous voyaient la question et pas de ce que d’autres prétendaient connaitre ce que voulaient les travailleurs. Partir des situations objectives telles que les classes dirigeantes et l’Etat les imposaient aux travailleurs et pas des illusions sur ce sujet, y compris parmi les travailleurs.

Ecrire ensemble, avec quelques camarades, un panneau, rédiger un tract qui exprime ce qu’on pense et qui s’adresse aux autres, est l’activité de base du militant. Il n’est pas seulement un militant de son groupe politique, encore moins de son syndicat, mais d’abord un membre conscient de sa classe, et sa conscience se distingue de celle de nombre de ses camarades essentiellement parce qu’il se pose les problèmes en membre d’une classe historique et internationale, point de vue que peu connaissent, en fonction donc du passé mais surtout en fonction de l’avenir socialiste.

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