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Les luttes de classe se développent en Chine

28 mai 2015, 08:40

Ils discutaient de leur grève attablés dans une gargote quand les policiers ont fait irruption et embarqué les meneurs : la vie syndicale chinoise est ainsi, en équilibre précaire entre renaissance et répression par l’État communiste.

Ils étaient plus de 2.000 salariés à s’être croisés les bras à l’usine de chaussures Lide —qui produit des marques comme Coach— pour exiger le paiement des cotisations sociales dues par l’entreprise, dormant dehors devant les locaux, sur des matelas de plastique colorés.

"Ils ont bondi à travers la porte et nous ont crié de ne pas bouger", raconte une ouvrière à l’AFP. Plusieurs de ses camarades disent avoir été tabassés. Une femme a toujours des bandages dans le dos pour couvrir ses hématomes.

Les meneurs ont passé la journée au poste de police, mais la grève, suivie par la quasi-totalité du personnel, a paralysé l’usine, propriété d’un groupe taïwanais. Et au bout de six jours, les salariés ont repris le travail, victorieux.

C’est un exemple parmi des milliers d’autres de l’évolution de "l’atelier du monde", où la main d’œuvre a longtemps été réputée docile et bon marché mais entend désormais vendre à meilleur prix sa force de travail.

"Il y a dix ans, nous n’avions pas la moindre idée de ce qu’étaient la loi et la défense de nos intérêts", témoigne un ouvrier de Lide qui, comme les autres, préfère taire son nom pour sa sécurité.

Les bas salaires ont fourni ces 30 dernières années l’incitation majeure aux investissements qui sont à l’origine du gigantesque boom économique de la Chine. Mais l’augmentation du coût du travail inquiète désormais les autorités, en raison notamment de la concurrence en Asie.
/AFP Face à face entre policiers et grévistes, le 27 avril 2015 aux abords d’une usine de chaussures gérée par la firme taïwanaise Yue Yuen dans la province chinoise de Guangdong

Les bâtiments gris de Lide, dans la ville de Panyu, abritent l’une des dizaines de milliers d’usines de la province méridionale du Guangdong, où tout est fabriqué, du jean au smartphone.

Le ministre chinois des Finances, Lou Jiwei, a prévenu le mois dernier que le pays risquait de tomber dans le "piège des revenus moyens" —faible croissance et coût du travail élevé— si les hausses de salaires entamaient la rentabilité des industries manufacturières avant que la Chine ne réalise sa transformation vers une économie tournée vers la consommation, les services et des industries à plus forte valeur ajoutée.

Et le ministre communiste de qualifier d’"effrayante" la loi promouvant des négociations entre employeurs et employés, tout en critiquant un "pouvoir syndical" excessif responsable selon lui des multiples faillites de l’industrie automobile américaine.

Les débrayages ont plus que triplé en trois ans en Chine pour atteindre 1.379 grèves l’an dernier, selon le China Labour Bulletin (CLB), une ONG basée à Hong Kong.

Le chiffre inclut la plus grande grève en Chine depuis des décennies : celle de la Yue Yuen, où des dizaines de milliers de salariés de cette gigantesque usine de chaussures du Guangdong, travaillant pour Nike et Adidas, avaient obtenu des concessions malgré les arrestations menées dans leurs rangs.

Le Parti communiste chinois (PCC) redoute l’émergence d’un mouvement ouvrier indépendant et n’autorise que le syndicat unique officiel qu’il contrôle, régulièrement mis lui aussi en porte-à-faux dans les conflits.

Mais les salariés chinois sont aujourd’hui en meilleure position du fait du manque de main d’œuvre —lié au vieillissement de la population— et de lois récentes leur accordant plus de droits.

"Ils sont non seulement conscients de leurs droits, mais ils comprennent qu’ils font partie de la classe travailleuse, une classe qui a la force et la capacité de forger son propre destin", estime le CLB.

Quand un activiste tel que Wu Guijun est arrivé dans le pôle industriel de Shenzhen 13 ans plus tôt, les grèves y étaient quasiment inconnues malgré les salaires de quelques centaines de yuans seulement.

"Les ouvriers se battaient individuellement et parlaient rarement de défendre leurs droits", raconte-t-il.

Aujourd’hui, ces ouvriers —des migrants venus des campagnes pour la plupart— perçoivent des salaires mensuels de 2.864 yuans (408 euros) en moyenne, soit 10% de plus qu’en 2013.

Un résultat de la prospérité croissante du pays et de la loi de l’offre et de la demande, qui a aussi galvanisé les salariés, selon Wu Guijun.

"Leur niveau de vie s’améliorant, ils ont commencé à chercher à obtenir le respect et le statut qu’ils méritent dans la société", dit celui qui a lui-même mené un mouvement contre la fermeture soudaine de son usine de meubles en 2013.

La police l’a emprisonné durant plus d’un an, jusqu’à ce que le parquet abandonne l’accusation de "rassemblement pour perturber l’ordre public", lui accordant plus de 70.000 yuans (près de 10.000 euros) d’indemnité. Wu Guijun compte utiliser cet argent pour fonder une organisation de défense du droit du travail, le "Centre des 100 millions de nouveaux travailleurs".

Dans son local encombré de tracts sur les lois du travail, il conseille les jeunes salariés sur les tactiques de grève et le recours aux réseaux sociaux, défiant le harcèlement policier et les menaces de retour à la case prison.

"Le gouvernement est toujours très nerveux à l’égard de l’activisme ouvrier", dit-il.

Le régime chinois est pris en effet entre sa volonté de voir le niveau de vie —et donc la consommation— augmenter, ce qui assoit sa légitimité, et sa phobie de toute agitation sociale, susceptible de le menacer.

En attendant, les ouvriers de Lide n’ont guère de doutes : "Les autorités, ici, elles nous pressurent. Elles parlent pour les patrons", estime l’un d’eux, qui a 10 ans d’ancienneté.

Ni la direction de l’usine, ni la police ou les responsables locaux n’ont accepté de recevoir l’AFP.

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