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Marx et Engels ont-ils enfanté la social-démocratie, celle qui a basculé en 1914 dans le camp de la bourgeoisie, dans le camp de la contre-révolution et de la boucherie guerrière ?

2 mai 2017, 08:09

Marx et Engels écrivent encore aux dirigeants social-démocrates A. Bebel, W. Liebknecht, W. Bracke et autres, le 17 septembre 1879 :

(...) Donc, de l’avis de ces messieurs, le parti social-démocrate ne doit pas être un parti exclusivement ouvrier, mais un parti large, groupant « tous les hommes pénétrés d’un véritable sentiment d’humanité ». Il devrait avant tout le prouver en faisant fi des grossières passions prolétariennes, et en se mettant sous la férule des bourgeois-philanthropes instruits, en vue de « se former un bon goût » et d’apprendre le « bon ton » (p. 85). La « conduite abominable » de certains leaders devra alors, elle aussi, céder le pas à la « conduite bourgeoise » bienséante (comme si la conduite en apparence abominable des personnes auxquelles on fait allusion ici n’était pas la moindre chose qu’on puisse leur reprocher). Alors, de « nombreux adhérents, issus du milieu des classes instruites et possédantes, y entreraient volontiers. Mais ceux-ci ne pourront être acquis à la cause que... quand l’agitation aura donné des résultats sensibles ». Le socialisme allemand « a fait trop de cas de la nécessité de gagner les masses et a, partant, négligé celle de gagner les couches dites supérieures par une propagande énergique (!) ». « Encore manque-t-il au parti des hommes capables de le représenter au Reichstag ». Et cependant « il est désirable et nécessaire de confier les mandats aux gens qui ont eu assez de possibilité et de temps pour se familiariser à fond avec les matières correspondantes. Les simples ouvriers et artisans... n’ont pour cela — sauf quelques rares exceptions — aucun loisir ». Faites donc élire des bourgeois !

Bref : la classe ouvrière est incapable de s’affranchir par ses propres forces. Pour pouvoir le faire, elle doit se mettre sous la férule des bourgeois « instruits et possédants » qui, seuls, « ont la possibilité et le temps » d’apprendre à fond ce qui peut profiter aux ouvriers. Et, en second lieu, la bourgeoisie ne peut aucunement être vaincue, elle peut seulement être gagnée à la cause par une propagande énergique.

Toutefois, si l’on veut gagner à la cause les couches supérieures de la société, ou au moins ses éléments le mieux inspirés, on ne doit à aucun prix les effrayer. Les Trois de Zurich croient avoir fait ainsi une découverte tranquillisante :

Justement de nos jours, sous la pression de la loi contre les socialistes, le parti montre qu’il n’est pas disposé à entrer dans la voie de la révolution sanglante et violente, mais qu’il est décidé... à prendre la voie de la légalité, c’est-à-dire des réformes ».

Donc, si les 5 à 600 000 électeurs social-démocrates, c’est-à-dire le dixième ou le huitième du nombre total des électeurs qui, de plus, sont éparpillés dans tout le vaste pays, sont à tel point sages qu’ils ne veulent pas enfoncer les murs avec leurs têtes en essayant une « révolution sanglante », se trouvant à un contre dix, cela prouve qu’il font vœu de ne jamais profiter d’un événement violent de politique étrangère, d’une subite poussée révolutionnaire consécutive et même de la victoire du peuple gagnée dans la collision ainsi survenue. Si un jour Berlin se montre de nouveau si mal élevé pour faire un 18 mars2, les social-démocrates, au lieu de prendre part à la lutte en qualité de « canailles brûlant de monter sur les barricades » (p. 88), devront alors plutôt « prendre la voie de la légalité », enlever les barricades et, si besoin est, marcher au pas avec les troupes glorieuses contre les masses exclusives, brutales et illettrées. Si ces messieurs viennent affirmer qu’ils entendent par là autre chose, qu’est-ce donc qu’ils entendent alors ?

Mais il y a mieux encore.

Plus le parti mettra de calme, de fond et de raison dans la critique des événements contemporains et dans ses propositions pour y parer, et moins il sera possible de répéter l’opération, réussie actuellement (sous la loi contre les socialistes), par laquelle la réaction consciente a pu plier la bourgeoisie en quatre en jouant sur sa terreur devant le spectre rouge (p. 88).

Pour que dorénavant la bourgeoisie n’ait même pas une ombre de crainte, il faut lui assurer d’une façon claire et probante que le spectre rouge n’est en fait pas autre chose qu’un fantôme, qui n’existe pas dans la réalité. Mais en quoi consiste donc le mystère du spectre rouge sinon dans la frousse de la bourgeoisie devant la lutte inévitable et impitoyable entre elle et le prolétariat ? la frousse devant l’issue inéluctable de la lutte de classe contemporaine ? Qu’on supprime la lutte de classes et alors la bourgeoisie et « tous les hommes indépendants » n’auront pas peur de « marcher la main dans la main avec les prolétaires ». Or, ce sont justement les prolétaires qui seront alors dupés.

Que le parti démontre donc, par sa conduite humble et soumise, qu’il en a fini une fois pour toutes avec « les inconvenances et les extravagances » qui ont servi de prétexte à la promulgation de la loi contre les socialistes. S’il promet de bon gré de ne pas sortir des cadres de cette loi, Bismarck et les bourgeois auront bien la complaisance de l’abroger vu son inutilité dans ces conditions.

« Qu’on nous comprenne bien », nous ne voulons pas « renoncer à notre parti ni à notre programme, mais nous pensons que nous avons assez de travail pour bien des années si nous employons toute notre force, toute notre énergie pour arriver à certains objectifs plus rapprochés de nous, que nous devons atteindre coûte que coûte avant de pouvoir penser à la réalisation des fins plus éloignées ». Alors viendront aussi en masses se joindre à nous les gros et petits bourgeois, ainsi que les ouvriers qui, « à l’heure qu’il est, sont effarouchés par nos revendications extrêmes. »

Le programme ne doit pas être rejeté, mais seulement remis... aux calendes grecques. On l’accepte non pour soi-même et non pour la durée de sa vie, mais comme un programme posthume pour le laisser en héritage à ses enfants et aux enfants de ses enfants. Entre-temps, on applique « toute sa force et toute son énergie » à toutes sortes de bagatelles et au raccommodage du régime capitaliste, pour avoir l’air de faire quelque chose sans effrayer, chemin faisant, la bourgeoisie. Après cela, je commence à estimer le communiste Miquel3 qui, pour démontrer sa conviction inébranlable en ce que la société capitaliste va inévitablement crouler dans quelques centaines d’années d’ici, spécule ferme là-dessus, contribue ainsi de son mieux à la crise de 18734 et fait ainsi effectivement quelque chose pour hâter l’écroulement de l’ordre actuel. (...)

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