Accueil > ... > Forum 38522

Marx et Engels ont-ils enfanté la social-démocratie, celle qui a basculé en 1914 dans le camp de la bourgeoisie, dans le camp de la contre-révolution et de la boucherie guerrière ?

2 mai 2017, 07:59

Voilà la réaction d’Engels lors de la création de la social-démocratie allemande envoyée à un dirigeant de celle-ci :

Londres, 18-28 mars 1875.

Mon cher Bebel,

J’ai reçu votre lettre du 23 février, et je me réjouis de savoir que vous êtes en si bonne santé.

Vous me demandez ce que nous pensons de toute cette histoire de fusion. Malheureusement, il en est de nous absolument comme de vous. Ni Liebknecht, ni qui que ce soit ne nous a fait parvenir la moindre communication, et nous ne savons donc, nous aussi, que ce que nous apprennent les journaux. Or, ces journaux ne contenaient rien à ce sujet jusqu’à la semaine dernière, où ils publièrent le projet de programme. Vous pensez si ce projet nous a étonnés.

Notre parti avait si souvent tendu la main aux lassalliens pour faire la paix ou tout au moins pour former un cartel, il avait été repoussé si souvent et de façon si cassante par les Hasenclever [1], les Hasselmann [2] et les Tölke [3] que même un enfant aurait pu en conclure que si ces messieurs viennent aujourd’hui eux-mêmes nous offrir la réconciliation, c’est qu’ils sont dans une sacrée impasse. Étant donné le caractère bien connu de ces gens, c’est notre devoir de tirer profit de l’impasse où ils se trouvent, pour exiger toutes les garanties possibles, afin que ce ne soit pas aux dépens de notre Parti qu’ils raffermissent leur position ébranlée dans l’opinion des masses ouvrières. Il fallait les accueillir de la façon la plus froide, leur témoigner la plus grande méfiance, et faire dépendre la fusion des dispositions qu’ils montreront à abandonner leurs mots d’ordre sectaires ainsi que leur aide demandée à l’État et à accepter, dans ses points essentiels, le programme d’Eisenach de 1869 ou une nouvelle édition de celui-ci améliorée et conforme aux circonstances présentes. Du point de vue théorique, c’est-à-dire ce qu’il y a de décisif pour le programme, notre Parti n’a absolument rien à apprendre des lassalliens, alors que c’est l’inverse pour les lassalliens. La première condition de la fusion serait qu’ils cessassent d’être des sectaires, c’est-à-dire des lassalliens ; en d’autres termes, que leur panacée, à savoir l’aide de l’État, fût sinon abandonnée tout à fait par eux, du moins reconnue comme mesure transitoire et secondaire, comme une possibilité parmi beaucoup d’autres. Le projet de programme prouve que si nos gens sont théoriquement très supérieurs aux leaders lassalliens, ils leur sont bien inférieurs en fait de roublardise politique. Les « honnêtes » (Ehrlichen [4]) ont de nouveau réussi à se faire cruellement rouler par les « malhonnêtes [5] ». On commence, dans ce programme, par accepter la phrase suivante de Lassalle qui, bien que ronflante, est historiquement fausse : « Vis-à-vis de la classe ouvrière, toutes les autres classes ne forment qu’une seule masse réactionnaire ». Cette phrase n’est vraie que dans quelques cas exceptionnels, par exemple dans une révolution du prolétariat comme la Commune, ou dans un pays où ce n’est pas la bourgeoisie seule qui a modelé l’État et la société à son image, mais où, après elle, la petite bourgeoisie démocratique a achevé cette transformation jusque dans ses dernières conséquences [6]. Si en Allemagne, par exemple, la petite bourgeoisie démocratique appartenait à cette masse réactionnaire, comment le Parti ouvrier social-démocrate aurait-il pu pendant des années marcher la main dans la main avec elle, avec le Parti populaire (Volkspartei) ? Comment le Volksstaat aurait-il pu tirer toute la substance de son programme politique de l’organe de la petite bourgeoisie démocratique, la Frankfurter Zeitung [7] ? Et comment se fait-il qu’au moins sept des revendications de ce même programme se retrouvent absolument mot à mot dans les programmes du Parti populaire et de la démocratie petite-bourgeoise ? J’entends les sept revendications politiques numérotées de 1 à 5 et de 1 à 2, dont il n’est pas une qui ne soit bourgeoise-démocrate.

Deuxièmement, le principe de l’internationalisme du mouvement ouvrier est, dans la pratique, complètement abandonné pour le présent, et cela par des gens qui, cinq ans durant et dans les circonstances les plus difficiles, ont défendu hautement ce principe de la façon la plus digne d’éloges. Le fait que les ouvriers allemands sont aujourd’hui à la tête du mouvement européen repose avant tout sur l’attitude vraiment internationale qu’ils ont eue pendant la guerre [8] ; il n’y a pas d’autre prolétariat qui se serait aussi bien conduit. Et c’est aujourd’hui, où partout à l’étranger les ouvriers affirment ce principe avec la même vigueur et où les gouvernements font tous leurs efforts pour l’empêcher de se manifester dans une organisation, qu’ils devraient l’abandonner ? Que reste-t-il dans tout cela de l’internationalisme du mouvement ouvrier ? La faible perspective non pas d’une coopération future des ouvriers d’Europe en vue de leur affranchissement, mais d’une future « fraternisation internationale des peuples », des « États-Unis d’Europe » des bourgeois de la Ligue pour la paix !

Il n’était évidemment pas nécessaire de parler de l’internationale comme telle. Mais au moins, ne fallait-il pas marquer un recul sur le programme de 1869, et on pouvait dire par exemple bien que le Parti ouvrier allemand soit obligé d’agir pour l’instant dans les limites des frontières existantes de l’État (le Parti ouvrier allemand n’a pas le droit de parler au nom du prolétariat européen, et encore moins d’avancer des choses fausses), il reste conscient des liens de solidarité qui l’unissent aux ouvriers de tous les pays et sera toujours prêt à remplir, comme par le passé, les devoirs que lui trace cette solidarité. De pareils devoirs existent même si l’on ne se considère ni ne se proclame comme faisant partie de l’internationale : ce sont, par exemple, les secours en cas de besoin, l’opposition à l’envoi de main-d’œuvre étrangère en cas de grèves, les mesures prises pour que les organes du Parti tiennent les ouvriers allemands au courant du mouvement à l’étranger, l’agitation contre les guerres ou menaces de guerre provoquées par les chancelleries, l’attitude à observer, pendant ces guerres, comme celle que les ouvriers allemands surent observer en 1870-71, de façon exemplaire, etc.

En troisième lieu, nos gens se sont laissé octroyer la « loi d’airain des salaires » de Lassalle, qui repose sur une conception tout à fait désuète d’économie politique, à savoir qu’en moyenne l’ouvrier ne reçoit qu’un salaire minimum, et cela parce que, d’après la théorie malthusienne de la population, il y a toujours trop d’ouvriers (c’était là l’argumentation fournie par Lassalle). Or, Marx a abondamment prouvé dans Le Capital que les lois qui régissent les salaires sont très compliquées et que, suivant les circonstances, c’est tantôt tel facteur tantôt tel autre qui domine ; qu’il n’y a donc pas lieu de parler d’une loi d’airain, mais, au contraire, d’une loi fort élastique, et qu’il est impossible, par conséquent, de régler l’affaire en quelques mots comme Lassalle se l’imaginait. Le fondement malthusien de la loi que Lassalle a copiée dans Malthus et dans Ricardo [9] (en falsifiant ce dernier) tel qu’on le voit reproduit à la page 5 du Manuel du travailleur, autre brochure de Lassalle, a été abondamment réfuté par Marx dans son chapitre sur l’ « accumulation du capital [10] ». En adoptant la « loi d’airain » de Lassalle, on fait donc siennes une proposition fausse et une démonstration fallacieuse.

En quatrième lieu, la seule revendication sociale que le programme fasse valoir est l’aide lassallienne de l’État, présentée sous la forme la moins voilée et telle que Lassalle l’a volée à Buchez. Et cela, après que Bracke ait prouvé tout le néant d’une pareille revendication [11] ; après que presque tous, sinon tous les orateurs de notre Parti aient été obligés, dans leur lutte contre les lassalliens, de la combattre ! Notre Parti ne pouvait pas tomber plus bas dans l’humiliation. L’internationalisme descendu au niveau d’Armand Goegg [12], le socialisme à celui du républicain-bourgeois Buchez, qui opposait cette revendication aux socialistes pour les combattre !

Au mieux, I’ « aide de l’État », dans le sens où Lassalle l’entend ne devrait être qu’une mesure entre beaucoup d’autres, pour atteindre le but désigné ici par les paroles boiteuses que voici : « Préparer la voie à une solution de la question sociale ». Comme s’il y avait encore pour nous, sur le terrain théorique, une question sociale qui n’ait pas trouvé sa solution ! Par conséquent, lorsqu’on dit le Parti ouvrier allemand tend à supprimer le travail salarié, et par là même les différences de classes, en organisant la production, dans l’industrie et dans l’agriculture sur une base coopérative et sur une échelle nationale ; il appuiera chaque mesure qui pourra contribuer à atteindre ce but ! - il n’y a pas un lassallien qui puisse avoir quelque chose à y redire.

suite à venir....

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.