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L’émergence de l’homme, parmi les hominidés, une conséquence… du communisme des chasseurs-cueilleurs !

2 septembre 2016, 13:15, par Robert Paris

Jean Malaurie raconte dans « Les derniers rois de Thulé » :

« En cette communauté, le partage est de règle ; c’est la base même de ces sociétés collectivistes. Il n’est jamais question de manger « en suisse » le moindre morceau e graisse de phoque. Tout surplus doit être partagé, l’accumulation individuelle étant résolument contraire à la « loi ». Le Groenland est un des rares pays au monde où il n’y ait pas encore de prison. Si les fous sont redoutés – il était d’usage jadis, de s’en défaire en les laissant mourir de froid dans les iglous de neige – les infirmes et les vieillards sont désormais pris en charge par la tribu… Traditionnelle est leur généreuse hospitalité : l’hôte vous accueille la main tendue sur le pas de la porte : « Nouanîngouyou ! comme ta visite nous fait plaisir ! » Une fois entré, on met devant moi, désormais intégré au groupe, ce que l’on possède – et tout ce dont disposent les voisins – en matériel de couchage, couvertures, viandes… On pourrait penser que c’est là une forme de la « générosité coutumière des pauvres envers les riches », si je l’étais et s’ils ne montraient autant de joie sincère à agir même entre eux. Mais ce qui justifie le plus l’appellation orgueilleuse d’Inouk, « l’homme par excellence », qu’ils se sont donnée, c’est leur extraordinaire goût de l’aventure… L’Esquimau ne se sent bien et n’a le sentiment de s’accomplir que dans une nuit polaire déchaînée…, la neige, l’obscurité, les chiens qui hurlent comme des loups, la tente qui se déchire, la banquise qui se disloque, l’expédition en péril… Pendant les veillées d’hiver, cependant que le vent souffle et traîne autour de l’igloo, les vieux évoquent ces sortes d’histoires, les jeunes leurs aventures de chasse… Voyez cet homme ! à l’instant, il paraissait prostré ; le voilà qui bientôt se révèle un malicieux conteur, puis, insensiblement, un narrateur inspiré, un voyant qui fait surgir sous nos yeux fascinés héros et victimes d’une terrible mythologie… La vie exemplaire de ces trois cents chasseurs, sans bois flotté, sans métaux, et pour lesquels une aiguille, un clou, une planche représentaient un trésor, témoignera peut-être pour des siècles obscurs qui sont aux sources même de la pensée. Qui sait ? Elle peut jeter une lueur révolutionnaire sur notre compréhension de l’évolution des premières sociétés. Comment – et avec quelles règles – de l’état du chasseur paléolithique inférieur, l’homme est-il passé à celui de Néanderthal, chasseur de mammouth et du rhinocéros, puis à celui de chasseur de morse et de baleine ? Comment de tout petits groupes informes est-il passé à l’état de société communiste ? Mais il est plus : il est des problèmes de lecture. On dit qu’un homme d’aujourd’hui ne pourrait comprendre son semblable de la période glaciaire. Or, l’Arctique, c’est Lascaux vivant et il n’est pas vrai qu’il soit impossible de tenter cette compréhension… Une collectivité littéralement contrainte à la sagesse par la dureté des conditions matérielles auxquelles elle est soumise, des traditions qui demeurent vivaces parce qu’elles expriment des impératifs immémoriaux d’organisation dont dépend la survivance, une sociographie infiniment plus articulée et hiérarchisée qu’il n’apparaît dès l’abord, parce qu’il importe, sous la menace directe et permanente du milieu, que la fonction de chacun soit rigoureusement déterminée, tels sont les principaux traits… Cette vie en groupe repose aussi sur des règles sévères d’organisation sociale. Premier principe : le communisme ; le sol, les terrains de chasse, la mer, les grands moyens de production (bateau), les iglous appartiennent au groupe. Seuls, les instruments de chasse individuels sont propriété privée… L’association parentale constitue l’unité économique et démographique de base, seule apte à occuper tous les niveaux… Les chasses collectives – chasses au narval, au morse – impliquaient et impliquent l’entente de ces groupes et appelaient de chacun, par conséquent, le respect des règles traditionnelles qui en découlent à des niveaux divers… Pour capital que soit le rôle de l’individu, ses droits sont, en fait nuls dans la mesure où il lui est impossible de résoudre seul les problèmes de sa propre survivance. Fonctionnellement aristocratique, la collectivité est sociologiquement communautaire. La communauté parentale constitue certes un organisme majeur qui, généalogiquement, vaut principe de groupement, mais en termes suffisamment « ouverts » pour constituer économiquement – et par le moyen d’élargissements qui débordent les liens immédiats du sang – une unité de regroupement et d’organisation… Chez les Esquimaux Caribou de la rivière Kazan, les enfants allaient, à l’après-lever, visiter les iglous voisines, pour demander un surplus de nourriture. La coutume interdisait de refuser et une péréquation des biens s’opérait au profit des plus jeunes… Autre trait communautaire : l’entrée de toute iglou est libre. Une invitation précise n’est pas nécessaire pour rendre visite, bien que l’on doive toussoter pour s’annoncer ou de manifester discrètement de l’extérieur, avant de s’engager dans le corridor. On peut considérer cette liberté d’entrée et de communication comme une des bases même de la vie sociale esquimaude… Des associations volontaires peuvent aider à renforcer ou élargir le réseau de parentés. Le régime de l’adoption, très usité dans l’Arctique canadien oriental permet à une communauté, soit d’introduire en son sein, dans un esprit parental, une famille non alliée par le sang, soit de renforcer des liens sanguins ou parentaux… La parenté de chasse, non moins singulière et déjà signalée par Jenness plus à l’ouest ; chez les Esquimaux du Cuivre, est, à Igloulik, toujours vivante.. Un chasseur qui donne une part du phoque à un autre chasseur établira un lien contractuel assez permanent… Il y a une contradiction souvent dramatique entre le tempérament foncièrement individualiste de l’Esquimau et une conviction consciente que la solitude est synonyme de malheur. Il sait qu’une iglou, jamais ou très rarement visitée, sombre dans le froid de la terre, s’enveloppe dans un linceul de mort. Abandonné de ses semblables, l’Esquimau, même nanti d’une famille, tombe alors dans l’état naturellement dépressif qui le guette… Aussi multiplie-t-il les raisons et les occasions de se fuir en retrouvant les autres… Il n’est pas d’exemple qu’un Esquimau abandonne un compagnon moins heureux que lui à la chasse. Le devoir d’entraide n’admet pas d’exception entre tous ceux qui sont dans la force de l’âge. Chacun est si conscient de ce système de solidarité pour la survie du groupe que l’improductif, le malade incurable qui, par définition, ne peut rendre les services qu’on lui procure, se supprimait jadis, lui-même, de son plein gré, ou se faisait supprimer par un autre. »

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