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La révolution sociale, c’est complètement surréaliste ?

20 décembre 2018, 06:21

Tract surréaliste : Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté.

Libre à vous !

« Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté. » Robespierre

La liberté... après mille péripéties, de grands désordres, et l’échec de ses plus simples démarches vers elle, l’homme découragé se prend à hausser les épaules. Ce mot irrite comme le feu. Tu n’as pas deux paupières pour regarder la liberté en face. Sa dépendance, l’individu d’abord ne la soupçonne pas. Il sait évidemment qu’il peut étendre le bras s’il le veut. Tout lui est objet de volonté. Affaire de quelques siècles, le doute apparaît, se précise et la personne alors naît à l’absolu déterminisme où la voici enfin tombée. C’est ici que nous nous tenons, c’est à ce moment de la méditation humaine, et pourtant comment se pourrait-il que l’esprit ait en un seul endroit trouvé son terme, et là comme ailleurs se borne, mais paraît-il à bon droit, à un vague sentiment, élevé à la dignité d’idée ? Comment se pourrait-il qu’une croyance enraye le mouvement de l’esprit ? Du dogme déterministe ne va-t-il pas sortir une affirmation nouvelle de la liberté ? La liberté transfigurée par son contraire, au bord de cette eau troublée j’attends que ses traits divins transparaissent sous les rides élargies de l’inévitable, sous les chaînes relâchées qui dissimulaient son visage.

La liberté aux grands yeux, comme une fille des rues qu’elle revienne. Ce ne sera plus la liberté d’autrefois maintenant : qu’elle a connu Saint.-Lazare. Ses poignets meurtris... comment avez-vous pu croire qu’un seul acte mental pouvait anéantir une idée ? Le mot, même déshonoré à vos frontons publics, est resté dans votre bouche alors que vous le disiez follement banni de votre coeur. Et ainsi niée, la liberté enfin existe. Elle sort : de la nuit où la causalité sans cesse la rejette, enrichie de la notion du déterminé et toute enveloppée d’elle. Qu’est-ce alors qui résout les contradictions de la liberté ? Qu’est-ce qui est parfaitement libre, et dans le même temps, déterminé, nécessaire ? Qu’est-ce qui tire de sa nécessité le principe de sa liberté ? Un tel être qui n’a de volonté que son devenir, qui est soumis au développement de l’idée, et ne saurait imaginer que fui, s’identifie à l’idée, dépasse la personne, il est l’être moral, que je conçois à sa limite, qui ne veut rien que ce qui doit être, et qui libre dans son être devient nécessairement le développement de cet être libre. Ainsi la liberté apparaît comme le fondement véritable de la morale, et sa définition implique la nécessité même de la liberté. Il ne saurait y avoir de liberté dans aucun acte qui se retourne contre l’idée de liberté. On n’est pas libre d’agir contre elle, c’est-à-dire immoralement. Tout ce qui précède implique la condamnation des considérations métaphysiques dans le domaine de la sociologie. Cette égalité d’humeur devant les notions contraires qui passe en politique pour la largeur d’esprit, qui permet cette continuelle conciliation des inconciliables par quoi la vie sociale abusivement se perpétue, n’est due qu’à une erreur primaire sur la portée et la signification de la dialectique transcendantale. Que la liberté de chacun se définisse par cette frontière la liberté de tous, voilà une formule qui a fait son chemin sans que l’on songe à en discuter les absurdes termes. C’est à cette fausse liberté qu’en réfèrent nos philosophes de gouvernement. Elle est à la base de tous les modérantismes. O modérés de toutes sortes, comment pouvez-vous vous tenir dans ce vague moral, dans ce flou où vous vous plaisez ? Je ne sais laquelle admirer le plus, de votre impartialité ou de votre sottise. La moralité, la liberté, sont de votre vocabulaire. Mais vainement on chercherait à vous en tirer les définitions. .C’est : qu’il n’y a de moralité que la moralité de la Terreur, de liberté que l’implacable liberté dominatrice : le monde est comme une femme dans mes bras. Il y aura des fers pour les ennemis de la liberté. L’homme est libre, mais non pas les hommes. Il n’y a pas de limites à la liberté de l’un, il n’y a pas de liberté de tous. Tous est une notion vide, une maladroite abstraction, que l’un retrouve enfin son indépendance perdue. Ici finit l’histoire sociale de l’humanité. Pêcheurs en eau trouble, vos sophismes ne prévaudront pas : le mouvement de l’esprit n’est pas indifférent, n’est pas indifféremment dirigé. Il y a une droite et une gauche dans l’esprit. Et c’est la liberté qui entraîne l’aiguille de la boussole vers ce nord magnétique, qui est du côté du coeur. Rien, ni les catastrophes, ni la considération dérisoire des personnes, ne saurait entraver l’accomplissement du devenir. L’esprit balaye tout. Au centre de cette grande plaine où l’homme habite, où dans les mares asséchées se sont éteints plusieurs soleils, l’un après l’autre, que ce grand vent : du ciel sévisse, que l’idée au-dessus des champs se lève et renverse tout. Il y a tout à gagner de la plus grande perte. L’esprit vit du désastre et de la mort. Ceux qui modérément meurent pour la patrie... ceux qui modérément donnent le long du jour... ceux qui modérément, et voilà pourtant bien votre cas, radicaux, ramènent les écarts de pensée à de simples délits sans force, ces maîtres de maison courtois, et tolérants, ces dilettantes de la morale, ces farceurs, ces badins sceptiques, seront-ils longtemps nos maîtres, pratiqueront-ils toujours l’oppression par le sourire ? Il est inconcevable qu’on exalte en l’homme ses facultés mineures, par exemple la sociabilité, aux dépens de ses facultés majeures, comme la faculté de tuer. Il suffira d’un sursaut de la conscience de ce tigre auquel on a fait prendre pour une prison les rayures annelées de sa robe pour qu’il s’élève à la notion morale de sa liberté, et qu’il reconnaisse alors les ennemis de la morale. Alors, ô modérés, il n’y aura plus pour vous de refuge dans les rues, dans les maisons, dans les édifices du culte, dans les bordels, dans l’innocence des enfants, ni dans les larmes bleues des femmes, alors la liberté tyrannique vous clouera tout à coup à vos portes, alors elle jettera son nom à l’univers avec un grand éclat de rire, et l’univers ira disant que la liberté maintenant se nomme la Révolution perpétuelle.

Louis Aragon, 1925 (Quand Aragon était révolutionnaire… avant de devenir contre-révolutionnaire stalinien !!!)

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