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Parti révolutionnaire, syndicats et soviets : quelle politique pour les militants révolutionnaires ?

13 décembre 2013, 08:25

Sous nos yeux, l’État capitaliste tend irrésistiblement à transformer tous les partis, syndicats et associations en ses prolongements ou tentacules. Le totalitarisme politique va de pair avec la concentration économique. Ce mouvement démontre, en outre, que les antagonismes multiples exigent un despotisme croissant du capitalisme qui tend certes à renforcer le système, mais témoigne aussi de difficultés sans cesse multipliées de la classe dirigeante. De fait, l’intégration des organisations ouvrières correspond à un mouvement finalement contradictoire dans lequel les intérêts particuliers de groupes socio-économiques opposés les uns aux autres se fondent en un équilibre hautement instable dans l’état, car les partis et associations s’efforcent de conserver une vie propre, avec leurs intérêts particuliers, leurs connivences troubles et leur byzantinisme vis-à-vis de leurs propres mandants, devenant certes des colosses, mais dont les pieds sont en argile comme il apparaît au moment des crises.

Une double différence sépare le parti révolutionnaire des partis officiels de toute sorte. Le parti révolutionnaire de classe plonge des racines profondes dans l’économie, au pôle où se trouvent concentrées les masses ouvrières, salariées et productives : il se relie donc directement à leurs luttes revendicatives, spécifiques, qui aboutissent, avec la revendication de l’abolition du salariat, au but communiste même du parti politique. La seconde différence est relative à son opposition à l’État bourgeois existant : contrairement aux partis ouvriers conservateurs, le parti révolutionnaire n’aspire pas à gouverner dans le cadre des institutions politiques et de l’économie capitalistes : tous ses efforts convergent vers le but, ouvertement proclamé, de la destruction de l’État bourgeois.

En somme, la différence est simple. Cependant, les choses se brouillent lorsqu’un parti révolutionnaire de classe, au lieu d’être vaincu et détruit par l’adversaire dans un heurt antagonique violent, dégénère progressivement pour passer dans le camp adverse, tout en continuant d’affirmer qu’il est un parti révolutionnaire du prolétariat. Cette question n’était pas du tout inconnue à Marx-Engels : toute leur activité de parti démontre qu’ils ont toujours concentré leurs efforts pour garder ou donner au parti son caractère de classe, en luttant contre tout ce qui le fourvoyait.

L’expérience de l’effondrement matériel — et non simplement subjectif — de l’énorme social-démocratie allemande au moment où elle était mise au pied du mur par la crise violente de 1914, et où elle trahit purement et simplement la classe ouvrière, est devenue l’exemple classique du dévoiement d’un parti de classe. La citation que nous reproduisons est certes de Trotsky, mais les conclusions et les enseignements pratiques et théoriques qu’il tire s’inscrivent directement dans la continuité de Marx-Engels dans leur lutte pour la création d’un véritable parti de classe du prolétariat allemand : mises en garde contre l’opportunisme naissant des dirigeants de la social- démocratie allemande, conseils à ces mêmes dirigeants afin qu’ils sauvegardent le caractère de classe de l’organisation, menaces de rompre tout lien avec une social-démocratie qui « fait commerce de ses principes » : « La social-démocratie allemande n’est pas un accident ;elle n’est pas tombée du ciel, elle est le produit des efforts de la classe ouvrière allemande au cours de décennies de construction ininterrompue et d’adaptation aux conditions qui dominaient sous le régime des capitalistes et des junkers. Le parti et les syndicats qui lui étaient rattachés attirèrent les éléments les plus marquants et les plus énergiques du milieu prolétarien, qui y reçurent leur formation politique et psychologique. Lorsque la guerre éclata, et que vint l’heure de la plus grande épreuve historique, il se révéla que l’organisation officielle de la classe ouvrière agissait et réagissait non pas comme organisation de combat du prolétariat contre l’État bourgeois, mais comme organe auxiliaire de l’État bourgeois destiné à discipliner le prolétariat. La classe ouvrière, ayant à supporter non seulement tout le poids du militarisme capitaliste, mais encore celui de l’appareil de son propre parti, fut paralysée. Certes, les souffrances de la guerre, ses victoires, ses défaites, mirent fin à la paralysie de la classe ouvrière, la libérant de la discipline odieuse du parti officiel. Celui-ci se scinda en deux. Mais le prolétariat allemand resta sans organisation révolutionnaire de combat. L’histoire, une fois de plus, manifesta une de ses contradictions dialectiques : ce fut précisément parce que la classe ouvrière allemande avait dépensé la plus grande partie de son énergie dans la période précédente pour édifier une organisation se suffisant à elle-même, occupant la première place dans la IIe Internationale, aussi bien comme parti que comme appareil syndical — ce fut précisément pour cela que, lorsque s’ouvrit une nouvelle période, une période de transition vers la lutte révolutionnaire ouverte pour le pouvoir, la classe ouvrière se trouva absolument sans défense sur le plan de l’organisation. »

De nos jours, la dégénérescence du mouvement communiste international a produit par dizaines ces partis éléphantesques, vidés de toute énergie révolutionnaire, mais gonflés d’effectifs issus de toutes les catégories et classes sociales intégrées au système capitaliste, et portés par les bulletins de vote des masses embourgeoisées idéologiquement au moins autant, sinon plus, qu’économiquement.

Dans un brillant passage de Terrorisme et communisme, Trotski dresse d’abord un schéma, sorte de chaîne de causes à effets où il situe ces sortes de parti qu’il faut bien assimiler à cet énorme parasite qu’est l’État capitaliste sénile qui se gonfle démesurément et suce l’énergie vitale de la société. On notera que ces partis ont la dernière place parmi les superstructures de violence, dont le parasitisme croît en proportion géométrique à mesure qu’elles s’éloignent de la base économique où les forces vives produisent : « Si l’on s’élève de la production, fondement des sociétés, aux superstructures que sont les classes, les États, les institutions juridiques, les partis, etc., on peut établir que la force d’inertie de chaque étage de la superstructure ne s’ajoute pas seulement à l’inertie des étages inférieurs, elle est, dans certains cas, multipliée. En conséquence, la conscience politique de groupes qui, pendant longtemps, se sont imaginés être les plus avancés apparaît dans la période de transition comme un énorme frein au développement historique. Il est absolument hors de doute, actuellement [1919], que les partis de la II° Internationale placés à la tête du prolétariat ont été la force décisive de la contre-révolution, parce qu’ils n’ont pas osé, su et voulu prendre le pouvoir au moment le plus critique de l’histoire de l’humanité et qu’ils ont conduit le prolétariat à l’extermination impérialiste mutuelle [3]. »

Marx avait déjà eu l’occasion de condamner « ce type d’organisation [qui] contredit le développement du mouvement prolétarien, car ces associations, au lieu d’éduquer les ouvriers, les soumettent à des lois autoritaires et mythiques qui entravent leur indépendance et orientent leur conscience et leur action dans une fausse direction [4]. »

Ce sont surtout des critères politiques — son attitude vis-à-vis de l’État existant — qui permettent de reconnaître un parti ouvrier dévoyé. En effet, ne serait-ce que pour garder leur influence sur les masses, ceux-ci continuent de prétendre défendre les intérêts économiques immédiats des masses ouvrières, s’efforçant de les satisfaire dans le cadre de la production existante. La caractéristique des partis ouvriers dévoyés, c’est donc qu’ils prétendent changer les rapports sociaux par de simples moyens politiques, en s’appuyant sur toutes les ressources fournies par l’État existant. Pour ce faire, ils doivent non seulement rejeter la violence du système capitaliste organisé, mais encore condamner celle, toute naturelle et dictée par les contradictions économiques existantes, des masses prolétariennes. Au lieu de s’appuyer sur les luttes spontanées des masses, de les encourager, en les dirigeant sur les objectifs généraux après les avoir organisées et concentrées, les partis ouvriers conservateurs inversent le sens des luttes, en agissant d’en haut vers le bas, ce qui amorce une véritable dictature du parti opportuniste sur les masses révolutionnaires. (Sur ses affiches électorales, l’actuel parti communiste dégénéré écrit tout naturellement qu’il veut agir « dans l’ordre », ce qui est la caractéristique première d’un parti conservateur.)

Comme Marx l’a répété cent fois, la révolution est un phénomène naturel qui part d’en bas, la violence des contradictions amassées déchaînant les masses. C’est alors qu’elles s’arment pour faire valoir leurs intérêts et, se heurtant à la violence concentrée de l’État existant, se forgent, au travers de leur parti de classe révolutionnaire, un nouveau type d’État, au moyen duquel elles luttent pour abattre les vestiges de l’ancienne puissance capitaliste et contre l’ennemi extérieur de la révolution.

Les marxistes révolutionnaires, dont Lénine, distinguent en conséquence entre le parti et l’État, et c’est aussi ce rapport qui fait la différence entre les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires, dont Staline, par exemple. La lutte qui n’est plus nationale, sinon dans sa forme et ses limitations, mais internationale, n’est pas dirigée par l’État de la dictature du prolétariat qui s’identifie au parti pour se le soumettre, mais par l’Internationale qui veille aux intérêts du prolétariat de tous les pays (et pas seulement du pays socialiste »), ainsi qu’aux intérêts futurs du mouvement prolétarien tout entier (et pas seulement à ceux d’une fraction, dite « camp socialiste » ).

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