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Comment je vois la lutte contre le fascisme

7 janvier 2018, 08:51

Bordiga, Histoire de la gauche communiste, Tome I :

« (Il y a eu) la victoire de l’anti-fascisme mille fois maudit sur le fascisme, maudit lui aussi dans la mesure où il engendra le premier, comme nous l’avions vu dès 1922… Un premier schéma de ce que sera l’après-guerre, l’illégalisme bourgeois du fascisme, l’erreur fatale de la classe ouvrière de répondre avec la formule stupide : nous sommes là pour défendre la légalité, au lieu de relever le défi, qui est toujours la meilleure des solutions historiques… La contre-offensive patronale, dont nous avons observé les premiers symptômes au cours du mois de mars, se développa les mois suivants selon deux axes, l’attaque patronale dans les usines et la répression organisée par les forces de l’ordre dans les centres ouvriers, mais aussi paysans, les plus combatifs, si nécessaire avec l’aide des premières escouades fascistes. Confédération générale du travail et Parti socialiste – l’un sous direction réformiste, l’autre sous direction maximaliste – ont déjà donné des preuves évidentes de passivité cachée sous le voile d’une phraséologie belliqueuse ; ils se sont montrés rétifs à canaliser les agitations, rendues ainsi impuissantes, vers des objectifs politiques que cependant les ouvriers exprimaient confusément en occupant les usines et en revendiquant le contrôle de la production (objectifs naïfs et erronés mais significatifs d’une poussée menant à dépasser les limites de luttes purement économiques) ; ils ont dénoncé avec insistance « l’immaturité des conditions objectives » et renoncé à en favoriser la maturation ; ils ont pleurniché sur la force de l’adversaire et sur leur propre faiblesse – le tout après avoir claironné, pour l’un, sur les succès sur les plans syndicaux et parlementaires, et pour l’autre sur l’imminence du règlement des comptes entre les classes - ; ils ont indiqué avec clarté, non pas tant à travers le langage qu’à travers les faits, que les succès électoraux prévalaient mille fois sur l’organisation des prolétaires (si jamais ils y pensèrent) en un front unique de bataille, se gardant bien, dans cette perspective, de créer des embarras au gouvernement, et même lui donnant, par l’intermédiaire des omnipotents cercles parlementaires ou par celui de la droite de Turati, une aide sérieuse pour normaliser la situation ; en somme, les sphères soi-disant dirigeantes de la combative classe ouvrière se sont placées sur une ligne si manifestement défensive que son adversaire a eu beau jeu de passer d’une position d’attente angoissée à celle de l’attaque sans scrupule. Dès que le premier moment d’équilibre instable fut passé, la classe dominante pût retenir à juste raison – contre le diagnostic trop optimiste de l’Internationale – que la vague révolutionnaire (de manière objective sinon subjective) donnait des signes de reflux : ce n’est que lorsqu’elle en sera sûre qu’elle déchaînera lâchement ses escouades noires pour leurs expéditions punitives. Pour le moment, les forces de l’ordre remises en état, dont l’action se traduisait en une suite de massacres perpétrés grâce à l’inertie confédérale et socialiste, lui suffisaient, renforcées par l’aide d’une résistance patronale toujours plus aguerrie face aux « prétentions » des ouvriers... Le développement du fascisme montra que, de même que le vote parlementaire n’était pas un facteur déterminant, une éventuelle action de l’Etat contre les fascistes votée à la Chambre ne pouvait pas l’être non plus. Étant donné que le fascisme voulait tenter la conquête du pouvoir de manière extra-légale (il l’obtint - on le sait - par des voies légales et parlementaires, et les actions de rue ne prévalurent que grâce à l’appui de l’État bourgeois, sous les auspices de Nitti, Giolitti et Bonomi, futurs champions de l’antifascisme, qui intervint pour étouffer les énergies prolétariennes), c’était de la folie de penser, comme les réformistes et les maximalistes, pouvoir arrêter leur marche en exigeant d’une majorité parlementaire que les forces de l’État en repoussent l’assaut ; celui qui l’espérait avait dès lors renié le marxisme et sa vision de la nature et des buts de l’État. Et celui-ci devait également être prêt (et en entrant à la Chambre il y aurait été, avec ou sans sa volonté, contraint) à voter pour un illusoire gouvernement de répression. Nous avions donc raison de dire que dans une telle situation, opter pour le parlementarisme voulait dire avoir une vision légaliste allant jusqu’à l’appui d’un ministère bourgeois de gauche, c’est-à-dire réaliser à l’avance au sein de la Chambre ce qui se passera les années suivantes avec l’épisode de l’Aventin puis de la Libération nationale, seules issues de la pratique parlementaire : la collaboration de classe qui, reprochée aux maximalistes de 1919, les aurait fait s’insurger, comme piqués au vif… A ceux qui jacassent sur le fait que des révolutionnaires communistes se seraient éloignés à cause de notre « sectarisme » obstiné, nous répondons que la pierre de touche du sérieux de leur adhésion au communisme était (et ne fut pas) la capacité de reconnaître l’urgence d’un guide politique homogène – car reposant sur des bases théoriques et programmatiques rigoureusement définies – dont la présence active aurait seule permis aux généreuses batailles du prolétariat de ne pas se disperser dans la vaine recherche de solutions partielles, ni de devenir la proie de l’expérimentalisme volontariste d’une « intelligentsia » à la recherche de formules thaumaturgiques de dénouement du drame social, vu comme un aspect d’une « crise de la culture », et qui lui aurait fourni les moyens et la manière de se défendre – dans l’attente de pouvoir contre-attaquer, et, si possible, de contre-attaquer déjà pendant la défense – contre les forces de la contre-révolution montante, sans se précipiter (comme ce fut le cas quatre ans plus tard) dans le marais fatal d’un anti-fascisme imbécilement interclassiste et peureusement démocratique. Si travailler pour la constitution du parti – et non d’un parti quelconque, mais du parti s’appuyant sur la complète unité d’action et de théorie exigée par le marxisme – avait été, par absurdité, « de la passivité, du fatalisme, du mécanicisme », eh bien nous voterions pour cette divinité ignorée, contre « l’activisme des réalisateurs » à la recherche des « embryons » de la nouvelle société dans l’ancienne, soi-disant construits par le prolétariat dans sa lutte non pas pour soi mais pour le capital ! »

Source dans Histoire de la gauche communiste

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