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Des structures émergentes au lieu d’objets fixes

24 août 2010, 20:32, par Robert Paris

Bernard D’Espagnat et Etienne Klein dans « Regards sur la matière » :

« Le grand public prend conscience que les lois de l’atome ont mordu sur les notions classiques ; les visions simplifiantes sont lentement abandonnées (…) Bref, on prend conscience qu’à cause des physiciens, il s’est passé des choses graves autour de l’idée même de « chose ». (…) Chaque collision devrait être, pour les atomes qui y participent, un grand chambardement. C’est du moins ce qu’on pressent si les lois de la physique classique restent exactes à cette extrémité du réel, c’est-à-dire au niveau atomique. Or, ce n’est pas ce qu’on constate ! Après chaque choc, les atomes émergent tels qu’ils étaient avant leur rencontre, rétablis dans leur forme première. De même, quand on chauffe les atomes, ou quand on les bombarde avec des projectiles dont l’énergie n’est pas trop forte, ils ne subissent aucune modification. Les atomes ne s’usent ni ne s’abîment. (…) Comment expliquer aussi l’identité des atomes d’une matière donnée ? (…) Tous les événements auxquels chaque atome a pris part devraient avoir laissé des traces sur sa structure. Du coup, la probabilité de trouver deux atomes strictement identiques, c’est-à-dire avec les mêmes dimensions et la même forme, devrait être ridiculement faible. Tous ces faits restent sans explication dans le cadre de la physique traditionnelle. (…) Avant l’irruption de la constante de Planck, la majorité des physiciens, tout comme l’homme de la rue, considérant une particule de matière supposée isolée des autres, n’hésitaient pas à lui attribuer des caractéristiques individuelles bien définies telles que position, vitesse ou tout autre propriété interne. Que ces caractéristiques fussent connues ou inconnues, peu leur importait. Ils étaient convaincus que ces propriétés étaient bien celles de la particule (…) La particule, avec toutes ses propriétés était donc une « chose » en soi. (…) Comme on a commencé à le voir, la mécanique quantique ne s’accorde pas bien à cette vision des choses. (…) Prenons la biologie moléculaire, par exemple. Son concept fondamental est, comme son nom l’indique, celui de molécule. Et les molécules, elle nous les décrit comme des espèces d’objets solides qui ont des formes, qui s’accrochent les uns aux autres, et dont certains servent de moule pour en fabriquer d’autres, comme dans les phénomènes de réplication de l’ADN. Elle nous fait savoir que ces molécules que ces molécules sont elles-mêmes constitués d’objets plus petits, les atomes, qui, en elle, sont chacun bien localisés en raison des forces qui les lient. (…) Notre homme ayant également entendu dire que les atomes eux-mêmes sont à leur tour composés d’objets plus petits (noyaux, électrons, etc), il pensera que la réalité ultime c’est cela. Entendons : un monde de petits objets localisés, liés par des forces, et dont l’assemblage rappelle le principe d’un jeu de meccano. Il pensera que, même si elle est un peu décevante, cette conception mécaniste (ou « mécaniciste ») du monde est celle qui, en fin de compte, s’est imposée. (…) Bien au contraire, la physique contemporaine, et plus précisément la physique quantique, jette à bas le mécanicisme. (…) Si, maintenant, nous nous tournons du côté de la théorie des particules dites élémentaires, nous y trouvons quelque chose d’encore plus frappant : c’est le phénomène de création et d’annihilation. (…) Dans ce phénomène, l mouvement se trouve transformé en objet. Nous prenons deux protons. Ils ont chacun un certain mouvement, une certaine vitesse, donc une certaine énergie. Nous les faisons se rencontrer, puis ils se séparent de nouveau. Nous avons toujours les deux protons, mais le mouvement de ces protons a été en partie transformé. On a vu apparaître d’autres particules qui ont été « créées » par ce mouvement. Or, un mouvement, c’est une propriété des objets, et il y a là par conséquent transformation d’une propriété d’objet en objet. Cela, c’est quelque chose qui dépasse tout à fait nos concepts familiers. En effet, dans l’attirail de nos concepts familiers, il y a d’une part les objets, d’autre part les propriétés de ces objets, comme la position, le mouvement, etc ; et, normalement, ce sont là deux catégories qui ne se transforment pas l’une dans l’autre. (…) La deuxième idée de base de la physique mécaniciste (idée que la physique classique avait reprise) peut être appelée l’idée de divisibilité par la pensée. C’est l’idée selon laquelle, à supposer que l’on connaisse les lois physiques, les forces liant les différents objets les uns aux autres, etc, si de plus on connaît de façon exacte l’ensemble des parties d’un système, on connaît de ce fait le système tout entier. (…) Dans la pensée mécaniciste, et plus généralement en physique classique, le tout n’est finalement pas plus que la somme de ses parties. (…) E = mc² : aucun formule de physique n’a certainement jamais atteint le cent millième de la notoriété de celle-là. (…) La formule implique cette surprenante possibilité d’une transformation de matière en « propriétés de matière » à laquelle nous avons déjà fait allusion. (…) Et c’est bien effectivement une telle « alchimie » qui se produit lors des transmutations d’atomes qui, dans les réacteurs, servent à produire de l’électricité. Là, les noyaux d’uranium se scindent en deux gros morceaux et plusieurs petits, et la somme des masses des produits de cette « fission » est moindre que la masse du noyau initial. La différence se retrouve sous forme d’énergie, mais « quantité de matière », au sens habituel du mot, apparaît comme non conservée. (…) La physique prérelativiste s’inspirait largement d’une vision « chosiste » du monde. Deux notions, matière et champs (champs électrique, champs de forces, …) la dominaient. (…) Une telle vision exalte le statique relativement au dynamique. Dans cette conception, en effet, même le mouvement n’est qu’une qualité – après tout secondaire et transitoire, - d’une « chose » localisée, douée, elle, de permanence. L’avènement de la relativité et des quanta devait modifier cette hiérarchie. Ainsi, en relativité, le mot-clef n’est plus le mot « chose ». le mot clé est le terme, dynamique par excellence, d’ « événement ». (…) L’apparition de la physique quantique devait rendre obsolète l’idée même de chose. (…) Il entre dans notre idée même de chose non seulement qu’une « chose » a à tout moment une position, une vitesse, une forme déterminées, mais aussi qu’une « partie de chose » est elle-même une chose, et, ainsi de suite, jusqu’aux extrêmes de petitesse. Il faudrait par conséquent qu’un atome, un électron, un quark soient de telles choses, soient donc pensables eux aussi comme ayant de tels attributs, autrement dit soient eux-mêmes des objets classiques, ce que nie la thèse de départ et contredit les faits eux-mêmes. (…) Qu’il soit caillou, neurone, atome ou quark, l’objet » n’est certainement pas l’être, comme Ferdinand Alquié l’a si bien dit. »

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