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Révolutions dans l’Inde antique

20 juillet 2010, 15:29, par Jérémy

À Harappa, Mohenjo-daro et sur le site récemment découvert de Rakhigarhi, les plus connues et probablement les plus peuplées des villes de cette civilisation, la planification urbaine incluait le premier système au monde de traitement des eaux usées. À l’intérieur des villes, l’eau était tirée de puits. Dans les maisons, une pièce était destinée aux ablutions, les eaux usées étaient dirigées vers des égouts couverts qui longeaient les rues principales. Les maisons ouvraient seulement vers des cours intérieures ou sur des petites ruelles, se tenant ainsi éloignées des éventuelles mauvaises odeurs.

Le rôle de la citadelle est encore sujet à débat. Contrairement aux civilisations contemporaines de la Mésopotamie et de l’Égypte, aucune structure de grande taille n’était ici construite, aucune ne semble avoir été un temple ou un palais donc pas de trace matérielle prouvant l’existence de roi, d’armées ou de prêtres. Certaines structures sont cependant identifiées comme des greniers qui signifierait l’existence de surplus agricoles, une raison de cette floraison urbaine.

À Mohenjo-Daro, la cité la mieux conservée, on a découvert dans la citadelle le « grand bain », une piscine rectangulaire entourée de galeries qui pourrait avoir été un bain public. Deux escaliers symétriques donnent accès à un bassin dont l’étanchéité est assurée par des joints de bitume entre les briques. Bien que la citadelle ait été entourée de murs, il ne semble pas qu’elle ait eu un rôle défensif mais plutôt de protection contre les crues. La ville basse est formée de rues régulières orientées nord-sud et est-ouest. Les maisons sont d’une superficie de 50 à 120 m2. Elles possèdent un étage auquel on accède par un escalier intérieur. Certaines sont dotées d’un puits privé, les autres sont approvisionnées en eau par des puits publics. Les maisons sont équipées de salles de bain dont les eaux usées sont évacuées par une rigole en plan incliné qui conduit au caniveau de la rue.

Les différents quartiers de Mohenjo-Daro ont été reconstruit à plusieurs reprises suivant le même plan. À chaque fois, le système de canalisation et d’égout a été réaménagé, ce qui suppose l’existence d’une autorité publique. Pourtant, aucun des bâtiments de Mohenjo-Daro et de Harappa ne peut être considéré comme un temple ou un palais. Aucune trace n’indique avec certitude la prédominance d’une classe de rois ou de prêtres.

La plupart des habitants des villes semblent avoir été des commerçants ou des artisans, vivant ensemble dans des zones bien définies déterminées suivant leur activité. Des matériaux, provenant de régions lointaines, étaient utilisés dans la confection de sceaux, de perles et d’autres objets. Les sceaux comportent des représentations animales, divines et des inscriptions. Quelques-uns d’entre eux étaient utilisés pour faire des sceaux dans l’argile mais ils avaient probablement d’autres emplois. La découverte de sceaux jusqu’en Mésopotamie atteste de l’existence d’un commerce lointain.

Bien que certaines maisons soient plus grandes que d’autres, il ressort de l’observation de ces villes, une impression d’égalitarisme, de vaste société de classe moyenne, toutes les maisons ayant accès à l’eau et au traitement des eaux usées.

Une des caractéristiques de cette civilisation est son apparente non-violence. Contrairement aux autres civilisations de l’Antiquité, les recherches archéologiques ne mettent pas en évidence ici la présence de dirigeants puissants, de vastes armées, d’esclaves, de conflits sociaux, de prisons et d’autres aspects classiquement associés aux premières civilisations. Cependant ces manques peuvent aussi provenir de notre connaissance très parcellaire de cette civilisation.

L’économie de l’Indus semble avoir été largement dépendante du commerce, ce qui avait été facilité par des avancées majeures dans la technologie des transports : le char tiré par des bœufs, semblable à celui que l’on trouve aujourd’hui dans l’ensemble de l’Asie du Sud, et le bateau. La plupart de ces derniers devaient probablement être de petite taille, à fond plat, peut-être à voile, assez similaires à ceux que l’on trouve toujours aujourd’hui sur l’Indus. Il y a cependant des indices d’une navigation maritime. Les archéologues ont ainsi découvert à Lothal un canal relié à la mer et un bassin artificiel d’accostage.

À la lumière de la dispersion des objets manufacturés de la civilisation de l’Indus, son réseau commercial intégrait une immense zone, incluant des parties de l’actuel Afghanistan, du Nord et du centre de l’actuelle Inde et s’étendant des régions côtières de la Perse à la Mésopotamie.

À partir de la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C., des échanges entre la vallée de l’Indus et le golfe Arabique sont attestées par les tablettes sumériennes qui font référence à un commerce oriental important avec la lointaine contrée de Meluhha – à rapprocher du mot sanskrit mleccha, non-aryen – qui semble se référer aux Indusiens, le seul indice qui nous permet de penser que son peuple utilisait ce mot pour se nommer. De nombreux objets de type Indus (jarres, cachets, poids de pierre) ont été découvert sur les sites du Golfe, région identifiée avec Dilmun qui, dans les textes mésopotamiens, sert d’intermédiaire avec Meluhha. Des sites harappéens apparaissent à des distances considérables de la vallée de l’Indus, notamment à Shortugaï (sur l’Oxus au Nord-Est de l’Afghanistan), à Sutkagan-dor (frontière entre le Pakistan et l’Iran) ou à Lothal (au Gujarat). De vastes agglomérations se développent également en Turkménie méridionale (Altyn-depe, Namazga-depe) où les contacts avec le Baloutchistan sont attestés depuis le Ve millénaire av. J.-C.

La nature du système agricole de la civilisation de l’Indus est toujours largement sujet à conjectures du fait de la pauvreté des informations qui ont pu nous parvenir. Quelques spéculations sont envisageables néanmoins.

La civilisation de l’Indus devait être fortement productive. En effet, son agriculture devait engendrer des surplus permettant de nourrir les dizaines de milliers d’urbains qui n’étaient pas impliqués dans la production agricole, au moins de façon primaire. Elle devait s’appuyer sur les importants progrès techniques de la culture pré-harappéenne dont la charrue. Cependant, bien peu de choses sont connues sur ces agriculteurs et sur leurs méthodes. Certains d’entre eux devaient probablement exploiter les sols alluviaux fertiles laissés par les cours d’eau après les crues saisonnières mais cette méthode n’est pas considérée comme suffisamment productive pour combler les besoins des villes. On ne trouve cependant pas de traces de systèmes d’irrigation bien que ceux-ci aient pu être détruits par des crues fréquentes et catastrophiques.

L’hypothèse du despotisme hydraulique, concernant l’apparition de la civilisation urbaine et de l’État, semble donc être infirmée dans le cas de cette civilisation particulière. Celle-ci affirme, en effet, que les cités ne peuvent apparaître que lorsque des systèmes d’irrigation permettent de dégager des surplus agricoles importants. L’élaboration de ces systèmes implique l’émergence d’un pouvoir centralisé et despotique capable de supprimer tout statut social à des milliers de personnes et de les utiliser comme esclaves en exploitant leur force de travail. Il semble difficile de faire cadrer cette hypothèse avec ce que nous savons de la civilisation de l’Indus qui n’offre à ce jour aucune évidence de pouvoir royal, de présence d’esclaves, de mobilisation du travail par la force.

On considère souvent qu’une agriculture intensive requiert barrages, retenues et canaux. Cette supposition est aisément réfutée. Dans toute l’Asie, les riziculteurs produisent des surplus significatifs au moyen de rizières en terrasses à flanc de collines, en privilégiant un travail accumulé sur plusieurs générations, sans que cela implique quelque forme d’esclavage que ce soit. C’est peut-être ce type de stratégie qui avait été mis en œuvre ici.

La production céramique a principalement un caractère utilitaire, le style des récipients étant stéréotypé. Néanmoins, les figurines de terre sont plus diversifiées : femmes en train d’accoucher ou d’accomplir des tâches domestiques, taureaux attelés à des chariots. Ells sont conservées au musée national de New Delhi, au musée national de Karachi, ainsi qu’au British Museum de Londres et au Musée Barbier-Mueller de Genève. Environ 80 figures humaines ont été retrouvées, principalement dans des dépôts de remplissage. Les plus anciennes, traits shématiques, sont parfois ocrée. Puis apparaîssent des modelés de poitrines plus marqués et des types assis. Certains éléments appliqués aux figurines féminines évoquent des chevelures, ornements et ceintures, avec parfois des motifs en forme de serpent sur le corps. Un filon plus populaire semble être l’auteur de réalisations parfois assez sommaires, souvent des sujets féminins, hauts d’une quainzaine de centimètres, aux hanches larges, possèdant des bijoux (boucles d’oreilles, colliers, ceintures), parfois accompagnées d’un enfant (au sein ou aux hanches) ou avec un ventre poréminent, ce qui indiquerait des représentations de déesses mères, ou des évocations de la procréation et de la fertilité.

Les poteries, datées vers 6000 avant J.C. sont d’une facture très grossière. Aux Vème et IVème millénaires, les cultures du Balouchistant produisent des céramiques d’un remarquable qualité, souvent ornée d’une riche variété de décors peints. Le développement du commerce des céramiques entre -3000 et -2500 montre des variantes régionales dans la fabrication des poteries, mais leur structure et le vocabulaire ornemental reste à peu près identique.

Le métal est utilisé pour la fabrication d’armes et de rasoirs, bien que certains éléments décoratifs, comme des statuettes (dont l’usage exact n’a pas été retrouvé), ont été découvertes.

La plus célèbre statuette en bronze de la civilisation de la vallée de l’Indus représente une danseuse. Cette statuette, réalisée vers 2000 avant notre ère et conservée aujourd’hui au musée national de New Delhi, se présente sous la forme d’une jeune fille au corps élancé et tubulaire. Les grands bracelets qui entourent son bras gauche ainsi que son collier semblent être des accessoires de mode. La profusion d’ornements et la coiffure singulière en font une représentation typiquement indienne. Les traits du visage rappellent ceux des peuples dravidiens, ce qui renforce l’idée selon laquelle ce peuple pourrait être l’une des composante éthnique de la vallée de l’Indus. La nudité du personnage ainsi que le pubis très marqué voire disproportionné pourrait indiquer un phénomène de prostitution sacrée.

Le musée national de New-Delhi conserve d’autres éléments en bronze de la civilisation de la vallée de l’Indus, dont un char au modelé stylisé datant de 2500-2300 avant J.C. Celui-ci, tiré par deux chevaux munis de harnais, est occupé par un conducteur tenant un long fouet. La partie avant du char est ornée d’une petite représentation d’un cheval.

La représentation la plus courante d’une autorité étatique au sein de la civilisation de la vallée de l’Indus est celle d’un personnage barbu, coiffé d’un bandeau et portant un vêtement décoré de motifs de trèfles, souvent considérée, sans raisons véritables, comme celle du roi-prêtre de Mohenjo-Daro. Seule la tête et les épaules du personnages nous sont parvenues. L’hypothèse d’une autorité religieuse est due notamment aux yeux entrouverts du personnage, qui indiqueraient que l’homme est absorbé par la méditation, comme les dieux et ascètes de l’art indien. Néanmoins, les traits physiques et la cohérence dans l’exécution des détails raprochent cette œuvre de la civilisation mésopotamienne. Son costume d’apparat, semé de dessins trifoliés (valeur symbolique ?), n’a pas de comparaison en Inde, mais apparaît dans l’ancienne Mediterranée orientale. Les bijoux ornant la tête et le bras du personnage renforce l’hypothèse d’une figure importante de la société harrapéenne, peut-être un "roi-prêtre".

De nombreux cachets en stéatite ont été découverts (environ 4 200 dont plus de 2 000 à Mohenjo-Daro). Ils portent des inscriptions dans une écriture pictographique composée de plus de 400 signes. Les cachets sont souvent décorés d’un animal unicorne mais aussi de zébus, buffles, tigres, éléphants, crocodiles et autres. D’autres cachets représentent des motifs mythologiques où un homme qui porte une coiffure à corne joue un rôle central. Il apparaît dans un arbre devant lequel se prosterne un autre individu. Parfois il est représenté assis à la façon des yogis et entouré d’animaux, ce qui explique qu’on en fait une représentation d’un proto-Shiva en Pashupati, une forme du dieu dite « maître des animaux ».

Un autre domaine de la civilisation de l’Indus resté mystérieux est celui de l’écriture. Malgré de nombreuses tentatives, les chercheurs n’ont pas été capables, pour l’instant, de déchiffrer celle qui y était utilisée et dont certains pensent qu’elle transcrivait une langue proto-dravidienne. Le matériel disponible pose aussi problème, la plupart du temps il s’agit d’inscriptions sur des sceaux ou des pots de céramique et celles-ci ne dépassent guère quatre à cinq caractères, la plus longue en comprenant vingt-six. Par suite, on ne connaît pas non plus de fragments de littérature.

Du fait de la brièveté des inscriptions, quelques chercheurs ont suggéré que les inscriptions connues n’étaient peut-être pas une véritable écriture mais un système d’identification des transactions économiques, des signatures. Il est cependant possible que des textes plus longs aient existé mais ne nous soient pas parvenus si le support utilisé était périssable.

D’un autre côté, une large inscription a été découverte qui semble avoir été installée sur un panneau au-dessus d’une porte de la cité de Dholavira. On a émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’un panneau informant les voyageurs du nom de la cité, de façon assez semblable à ceux qui souhaitent la bienvenue aux visiteurs dans nos villes actuelles.

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