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7-5 Sociologie de Karl Marx

20 novembre 2009, 22:26, par Robert Paris

Lettre d’Engels à Borgius :

1. Par les rapports économiques, que nous considérons comme la base déterminante de l’histoire de la société, nous entendons la façon dont les hommes d’une société donnée produisent leurs moyens d’existence et échangent entre eux les produits (dans la mesure où il y a division du travail). Il faut donc entendre par là l’ensemble de la technique de la production et des moyens de transport. Cette technique détermine aussi, d’après nous, le mode de l’échange, partant de la répartition des produits et aussi, après la dissolution de la société fondée sur la gens, la division en classes, partant les rapports de domination et de sujétion, l’Etat, la politique, le droit, etc. De plus, il faut entendre par rapports économiques la base géographique sur laquelle ceux-ci se passent et les survivances des stades antérieurs du développement économique qui se sont maintenues, souvent uniquement par tradition ou vis inertiæ, naturellement aussi le milieu qui entoure entièrement cette forme de société.

Si la technique, comme vous le dites, dépend en grande partie de l’état de la science, celle-ci dépend plus encore de l’état et des besoins de la technique. La société a-t-elle un besoin technique ? Cela fait plus pour l’avancement de la science que dix universités. Toute l’hydrostatique (Torricelli, etc.) est née de la nécessité du besoin de régler les torrents dans l’Italie du XVIe et du XVIIe siècle. Nous ne savons quelque chose de rationnel en électricité que depuis le jour où on a découvert son emploi technique. Malheureusement on s’est habitué en Allemagne à écrire l’histoire des sciences comme si elles étaient tombées du ciel.

2. Nous considérons les conditions économiques comme conditionnant en dernière instance le développement historique. Mais la race est elle-même un facteur économique. Il y a ici deux points qu’il ne faut pas négliger.

a) Le développement politique, juridique, philosophique, religieux, littéraire, artistique, etc., repose sur le développement économique. Ils réagissent tous les uns sur les autres et sur la base économique. Il n’est pas vrai que la situation économique est la seule cause active et que tout le reste n’est qu’un effet passif. Mais il y a une action réciproque sur la base de la nécessité économique qui finit toujours par l’emporter en dernière instance. L’État, par exemple, agit par la protection douanière, par le libre échange, par de bonnes ou de mauvaises finances, et même l’épuisement et l’impuissance mortelle des petits bourgeois allemands qui ressortait de la situation économique misérable de l’Allemagne de 1648 à 1830, qui se traduisit d’abord par le piétisme, puis par un sentimentalisme et par une servilité rampante devant les princes et la noblesse, ne fut pas sans effet économique. Ce fut un des plus grands obstacles au relèvement et il ne fut ébranlé que le jour où les guerres de la Révolution et de Napoléon eurent rendu aiguë la misère chronique. Il n’y a donc pas, comme on arrive parfois à se le figurer, une action automatique de la situation économique ; les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais dans un milieu donné qui les conditionne, sur la base de rapports réels préexistants, parmi lesquels les rapports économiques, si influencés qu’ils puissent être par les autres rapports politiques et idéologiques sont en dernière instance les rapports décisifs et forment le fil conducteur qui permet seul de la comprendre.

b) Les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais jusqu’ici pas avec une volonté générale suivant un plan d’ensemble, même lorsqu’il s’agit d’une société donnée et tout à fait isolée. Leurs efforts s’entrecroisent et, justement à cause de cela, dans toutes ces sociétés domine la nécessité dont le hasard est le complément et la manifestation. La nécessité qui se fait jour à travers tous les hasards, c’est de nouveau finalement la nécessité économique. Ici il nous faut parler des soi-disant grands hommes. Que tel grand homme et précisément celui-ci apparaît à tel moment, dans tel pays, cela n’est évidemment que pur hasard. Mais supprimons-le, il y a demande pour son remplacement et ce remplacement se fait tant bien que mal, mais il se fait à la longue. Que le Corse Napoléon ait été précisément le dictateur militaire dont la République française épuisée par ses guerres avait besoin, ce fut un hasard ; mais qu’en cas de manque d’un Napoléon un autre eût pris la place, cela est prouvé par ce fait que chaque fois l’homme s’est trouvé, dès qu’il était nécessaire : César, Auguste, Cromwell, etc. Si c’est Marx qui a découvert la conception matérialiste de l’histoire, Thierry, Mignet, Guizot, tous les historiens anglais jusqu’en 1850, prouvent qu’il y avait tendance à ce qu’elle se fasse, et la découverte de cette même conception par Morgan prouve que le temps était mûr pour elle, et qu’elle devait être découverte.

Il en est de même pour tous les autres hasards ou prétendus tels de l’histoire. Plus le domaine que nous considérons s’éloigne du domaine économique et se rapproche du domaine idéologique purement abstrait, plus nous trouvons qu’il y a de hasards dans son développement, plus sa courbe présente de zigzags. Mais si vous tracez l’axe moyen de la courbe, vous trouverez que plus large est la période considérée et plus vaste le domaine étudié, d’autant plus cet axe tend à devenir presque parallèle à l’axe du développement économique.

Le plus grand obstacle à l’exacte intelligence des choses provient en Allemagne de la négligence injustifiable où est laissée l’histoire économique. Il est si difficile non seulement de se débarrasser des idées historiques qui nous ont été inculquées à l’école, mais plus encore de réunir les matériaux nécessaires. Quel est celui, par exemple, qui a lu le vieux G. von Gulich qui, dans sa sèche accumulation de faits, a réuni de si nombreux matériaux qui permettent d’expliquer d’innombrables événements politiques !

Je crois d’ailleurs que le bel exemple donné par Marx dans le 18 Brumaire sera pour vous une réponse suffisante, et cela parce qu’il est un exemple pratique. Je crois, de plus, avoir traité les points les plus important dans mon Antidühring, livre I, chap. ix et xi ; livre II, chap. ii et iv, et livre III, chap. i et dans l’introduction, et aussi dans la dernière partie de Feuerbach.

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