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Editorial - Qu’est-ce qui se trame au Niger, en Mauritanie, au Mali et dans tout le Sahel ?

7 mars 2014, 18:22

Le PDG du numéro 1 mondial du nucléaire civil est arrivé à Niamey, ce vendredi, pour négocier les conditions d’exploitation de l’uranium du nord du pays. C’est l’ONG Oxfam qui a vendu la mèche : Luc Oursel, le patron d’Areva, est à Niamey ce vendredi pour tenter d’arracher un compromis avec les autorités nigériennes sur les conditions d’exploitation de l’uranium du nord du Niger. Depuis des semaines, celles-ci négocient d’arrache-pied sans parvenir à un accord. Le gouvernement de Niamey réclame l’application du code minier datant de 2006, qui se traduirait par une augmentation substantielle de la fiscalité à laquelle le mastodonte français du nucléaire civil a échappé jusqu’ici. Le taux de redevance versé par le groupe français passerait alors de 5,5% à 12% de la valeur des ressources extraites. Soit un afflux de 15 à 20 millions d’euros chaque année dans les caisses du Niger, un des Etats les plus pauvres au monde.

Mais le groupe dirigé par Oursel fait de la résistance, arguant que l’alourdissement des coûts de production entamerait gravement la rentabilité des deux mines exploitées depuis plus de quarante ans par Areva à Arlit : Somaïr et Cominak. Il évoque même leur possible fermeture à plus ou moins brève échéance. Bluffe-t-il pour tenter de préserver ses avantages acquis ? Pas si simple. Car dans cette affaire, deux logiques s’opposent : celle du développement et de la justice fiscale pour Niamey, et celle de la rentabilité financière pour Areva. Et chaque camp a des arguments à faire valoir.

Le pouvoir de Mahamadou Issoufou demande la fin du régime d’exception dont bénéficie Areva au Niger, lié à des raisons historiques. Lors des indépendances, au début des années 60, Paris a négocié l’octroi d’un monopole d’exploitation des ressources stratégiques dans plusieurs ex-colonies africaines en échange d’un soutien militaire. Si cette position a été peu à peu remise en question au Niger, avec l’octroi de permis de recherches et d’exploitation à des compagnies étrangères rivales, notamment chinoises, Areva reste en position très favorable dans ce pays sahélien.
« Bluff diplomatique »

Bien que jugées « légitimes » par le ministre délégué au Développement, Pascal Canfin, et par Luc Oursel lui-même, les revendications de Niamey tombent néanmoins mal d’un strict point de vue économique. Le contexte international est défavorable : depuis la catastrophe de Fukushima (Japon), il y a trois ans, le cours de l’uranium a chuté. En deux ans, il est même passé de 150 dollars (108 euros) le kilo à 80 aujourd’hui. Dans le même temps, Areva a fini l’année 2013 avec des pertes approchant les 500 millions d’euros, malgré une croissance de son chiffre d’affaires global.

Muni de ces chiffres, le patron d’Areva explique à ses interlocuteurs du Niger qu’une augmentation sensible de la fiscalité remettrait en cause la rentabilité des mines d’Arlit. Cet argument ne convainc pas l’ONG Oxfam, qui suit de très près les négociations : « Si l’extraction d’uranium est une activité en berne, pourquoi Areva va-t-elle chercher de nouveaux gisements en Mongolie ? Pourquoi la société ouvre-t-elle une usine de dessalement d’eau de mer pour démarrer la production en Namibie ? interroge Anne-Sophie Simpere, d’Oxfam France. Difficile de croire à une filière totalement menacée et à une activité sans avenir pour Areva. Les enjeux financiers pour le groupe liés à la renégociation des contrats du Niger constituent une explication bien plus plausible aux menaces actuelles d’Areva, qui semble pratiquer avec habileté l’arme du bluff diplomatique. »
Niamey partenaire de Paris dans la lutte antiterroriste

En réalité, Areva prépare sans le dire son retrait progressif, quoique partiel, du Niger. Les deux mines historiques d’Arlit sont en fin de vie. « Les meilleurs filons ont été exploités, le reste est moins intéressant », assure un bon connaisseur du dossier. Par ailleurs, leur exploitation a lieu dans un environnement sécuritaire très tendu avec les agissements des groupes islamistes qui, en septembre 2010, avaient enlevé sept employés (tous libérés depuis) et mené un attentat à Arlit en mai 2013. Sur un plan politique, Areva - groupe français, détenu à 87% par l’Etat - fait face à des campagnes récurrentes sur les méfaits de la Françafrique. Autant de raisons qui incitent Areva à réduire sa présence au Niger, grâce à la diversification de ses approvisionnements à travers le monde. La part du Kazakhstan, de la Mongolie, du Canada augmente, tandis que celle du Niger décroît régulièrement. D’après une source proche du dossier, l’uranium en provenance du Niger représente aujourd’hui 20% du total des approvisionnements d’Areva, et le groupe souhaite réduire cette part à 10% dans les prochaines années.

Pour autant, le groupe de Luc Oursel ne peut pas claquer la porte du jour au lendemain. D’abord parce qu’il est le premier employeur privé au Niger. Son départ serait une véritable catastrophe pour le nord du pays, région la plus déshéritée d’un pays pauvre parmi les pauvres. Par ailleurs, Areva a lutté d’arrache-pied pour obtenir l’exploitation d’un gisement extrêmement prometteur, situé non loin d’Arlit : celui d’Imouraren. Dans le contexte économique actuel, sa mise en exploitation n’est pas à l’ordre du jour. Mais l’entreprise française cherche à la garder dans son escarcelle en gagnant du temps. Problème : l’accord signé avec Niamey prévoit le démarrage de l’activité en 2015, autorisant un report de deux ans maximum, au-delà duquel il serait alors fondé à récupérer le titre de propriété.

L’ensemble du dossier est éminemment politique. Le président Issoufou a un besoin urgent de faire rentrer de l’argent dans les caisses pour financer le développement de son pays et présenter un bilan flatteur de son action en prévision de l’élection présidentielle prévue en 2016. Proche du président François Hollande et lui-même ancien cadre d’Areva, Issoufou est un partenaire clé de Paris dans la lutte antiterroriste dans le Sahel. L’armée française dispose d’une base à Niamey, où sont notamment stationnés les drones qui permettent de surveiller la région. L’Elysée, assure un initié, doit donc ménager ce précieux allié, tout en veillant à protéger la rentabilité d’une entreprise stratégique du secteur énergétique français. Un vrai casse-tête, pas encore résolu.

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