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Sur la philosophie de Kant

10 septembre 2010, 10:00, par Thianournar

Salut Bergame, merci de nous avoir gratifier de cette analyse que moi je juge excellente et dont toi seul connaît les secrets. Pour qui cherche à situer le niveau critique de Hegel face à Kant, je crois qu’il ne peut être mieux servi. Encore une fois, merci !

J’ai pris mon temps pour vous lire et je crois que tout ce que je pourrais ajouter ne serait qu’une confirmation du moins une contribution. A mon avis, et tu le souligne bien, on ne trouver prétexte pour valider la critique hégélienne sur le simple fait de se limiter a Hegel. Un retour à Kant s’impose pour comprendre comment le criticisme aborde le problème de la connaissance. L’entreprise philosophique de Kant est essentiellement centrée sur le problème du fondement de la connaissance. Son projet critique devait alors l’amener à s’interroger sur les conditions de possibilité de la connaissance, c’est-à-dire, sur l’examen critique des limites de la raison dans son pouvoir de connaître afin d’édifier un espace à l’intérieur duquel elle peut s’exercer légitimement. Et on peut sans doute affirmer que c’est dans le soucis, entre autre, de restaurer l’unité métaphysique dans les limites naturelles de la raison, de redonner à la métaphysique une nouvelle démarche, que Kant sent la nécessité de formuler une critique de la raison pure, critique qui, alors définira un nouveau champ, à la fois pratique et théorique, pouvant désormais garantir les pouvoirs de la raison. On peut voir, il me semble, que si on comprend ainsi l’intention du criticisme l’objectif est bien précis. Mais la question est de savoir comment fonder cette connaissance dans et par les facultés humaines en considérant à la fois leur limite sensible et leur finalité rationnelle. La manière dont la question de la connaissance est abordée chez Kant laisse penser qu’il s’agit d’un problème de la raison avec elle-même. Dans ce sens le criticisme peut être lu comme une critique de l’usage dogmatique et empiriste de la raison. La critique se voit ainsi comme le souligne Kant, « opposée au dogmatisme, c’est-à-dire à la prétention d’aller de l’avant avec une connaissance pure (la connaissance philosophique) tirés de concepts d’après des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis longtemps sans se demander comment ni de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la marche dogmatique que suit la raison pure sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir propre »(CRP, p. 26) Ainsi pour éliminer cette prétention il faut mener des recherches pour établir des connaissances a priori, afin d’infléchir l’objet et pour mettre en place une métaphysique rationnelle pour l’avenir. A travers cette tâche comme le note A. Philonenko, « Kant a ouvert de nouvelles voies à la raison humaine par et dans la fondation de l’idéalisme transcendantal. » (L’œuvre de Kant)On reviendra peut être sur cette expression. En même temps, il s’oppose à l’empirisme anti-métaphysique qui se réduit à la fameuse formule : « il n y a rien dans l’entendement qui n’est d’abord été dans les sens ». Mais je retiens par cette lecture l’idée d’un dépassement de l’expérience c’est-à-dire des limites sensibles de ces mêmes facultés humaines. Ainsi chez Kant la distinction entre l’entendement et la raison conduit à faire du sujet humain le point de départ d’une réalisation antidogmatique de la science et le principe d’une intentionnalité morale objectivement universelle. A la suite de ce constat, Kant cherchant toujours ce qui pourrait rendre possible la connaissance, en arrive à comprendre que le domaine de la connaissance proprement dite, par laquelle nous saisissons des objets à partir des impressions sensibles, est organisé dans le cadre des formes a priori que sont les conditions de possibilité de toute connaissance. Ce cadre reste pour sa part, l’œuvre de d’un sujet transcendantal, qui ne se situe pas lui-même en tant que tel dans le cercle phénoménal, et ne peut non plus être assimilé à un autre transcendant. Nous comprenons donc que la philosophie kantienne est profondément rationaliste en ce sens qu’elle se propose de déterminer exactement les limites d’exercice de la pensée ainsi que les conditions dans lesquelles elle produit des notions idéales ou des règles de notre liberté.

Ainsi, ce sont les catégories comme l’espace et le temps qui nous permettent d’appréhender les objets. L’espace et le temps comme le considère Kant, n’étant pas des intuitions empiriques, sont plutôt les concepts purs de l’entendement, autrement dit, ils sont présents dans notre esprit antérieurement à toute expérience. Kant justifie cette idée dans l’Esthétique transcendantale quand il considère que nullement nous ne pouvons avoir d’expérience sans que celle-ci apparaisse dans l’espace et le temps. C’est ainsi qu’il affirme : « en effet nous ne connaîtrons, en tout cas, parfaitement que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité toujours soumise aux conditions du temps et de l’espace originairement inhérentes au sujet ; ce que les objets peuvent être en eux-mêmes, nous ne le connaîtrons jamais, même par la connaissance la plus claire du phénomène de ces objets, seule connaissance qui nous est donnée ». L’idée d’une limitation du savoir consiste à se demander jusqu’où on peut aller dans l’usage spéculatif de la raison. Considérer sous un autre angle, cela amène à se demander dans quelle sphère la raison peut se déployer pour pouvoir appréhender correctement la réalité. Mais au lieu d’entendre cette critique comme une simple réaction contre le dogmatisme Kant affirme qu’elle « est plutôt la préparation nécessaire au développement d’une métaphysique établie en tant que science (…) ». Nous voyons bien à travers cette idée que l’ambition de Kant, loin de consister à l’abandon de la métaphysique, demeure plutôt de lui donner sens, lui trouver une autre nouvelle voie. Cette idée se justifie à travers cette affirmation de Kant : « Peut-être jusqu’ici ne s’est-on que trompé de route : quels indices pouvons-nous utiliser pour espérer qu’en renouvelant nos recherches nous serons plus heureux qu’on ne l’a été avant nous ? »

Pour ne pas servir un long développement je dirai qu’ en ce qui concerne le domaine général de la connaissance, le criticisme nous montre que l’expérience est insuffisante pour fonder toute connaissance mais aussi pour se suffire à expliquer l’entendue du savoir que demande la pensée. En clair, « la raison ne s’aurait être pleinement satisfaite d’un emploi des règles de l’entendement limité à l’expérience » Proleg p, 109. Du même coup, il faut rapporter cette expérience à des conditions aprioriques. La découverte des idées transcendantales n’est pas une issue métaphysique rendue possible par l’expérience, mais une activité hors du cercle de cette expérience pour lui servir de fondement théorique et de limite rationnelle destinée à assurer la connaissance.

Mais alors qu’en est-il lorsque la raison, pour des raisons de droit, achoppe aux difficultés de saisir le noumène et, de ce fait, recule devant le problème de l’absolu et préfère se ravaler vers un domaine qu’elle considère comme plus sure et plus légitime pour son application, mais domaine pourtant qui révèle son inaptitude parce qu’incapable de maîtriser le réel dans son essence ? C’est alors cette même raison qui préfère faire demi-tour devant le problème de l’absolu, qui prend la direction opposée sans être incapable de rendre compte du réel en lui-même et dans son essence. Or l’interrogation métaphysique a toujours cherché à justifier cet intelligible, à fonder le principe absolu qui est le centre de l’activité philosophique. Dès lors on serait en droit de se demande si cette double limites assignée à la raison peut la libérer des contraintes à la fois métaphysiques et empiriques, d’autant plus que ni dans un champ ni dans l’autre la raison ne se trouve dans le pouvoir résoudre entièrement le problème de la connaissance. Cette insatisfaction que suscite l’intelligibilité kantienne constitue le point de départ des critiques qui se sont formulées en son encontre et dont les figures les plus marquantes se retrouvent dans le terrain de l’idéalisme allemand.

Autant dire que Kant, malgré son ambition de supprimer « toutes les erreurs qui, jusqu’ici avaient divisé la raison avec elle-même dans son usage en dehors de l’expérience » (L’œuvre de Kant p. 6), laisse le champ métaphysique inexploré. L’idéalisme transcendantal sera ainsi mis en jeu dans la formulation des critiques dont la pensée de Kant fera l’objet.

C’est a mon avis et a peu près dans ce contexte qu’on peut situer la critique hégélienne. On ne peut ignorer le rôle que Fichte et Schelling occupe dans cette tradition qui sépare Kant et Hegel. Il y a une phrase de Lénine dans ses Cahiers philosophiques que j’aime bien. Lénine dit : On dit que la raison a ses limites. Dans cette affirmation réside l’inconscience de ce que, par cela même qu’on détermine quelque chose comme borne, on opère déjà son dépassement. Je comprends cela encore suivant la critique que Hegel adresse à Kant.

Le point d’entrée de la critique hégélienne est celui de l’objectivité. Le criticisme tel que Hegel le voit s’investie dans une formulation tout a fait subjective de la connaissance. Kant n’a fait selon Hegel que conclure le criticisme en renfermant toutes nos connaissances dans les limites de l’expérience et en les faisant procéder des lois de l’entendement. C’est pour cette raison qu’elle n’a pu échapper à un subjectivisme, qui traduit un retour de la raison sur elle-même, préférant renoncer à tout apport extérieur. Il complut au rationalisme certes, mais non sans se convertir en une théorie transcendantale, à un formalisme affirmant l’impossibilité d’une vraie science, d’une science systématique. Et c’est ce même formalisme que Hegel critique dans la pensée de Kant quand, prenant son fondement théorique dans l’application des catégories, il dérive les déterminations du concept en les plaçant sous un schéma modèle, ce qui lui fait perdre la vérité de l’objet. Au lieu de faire du concept sa propre détermination, Kant prend le concept comme un schéma appliqué au savoir. Et ce que Hegel reproche à Kant c’est sa méthode de procéder, « consistant, selon B Bourgeois, au lieu de dériver du concept les déterminations d’un ob-jet, à le placer simplement sous un schéma tout prêt par ailleurs » Le fait pour Kant d’introduire les catégories comme relation ou comme nécessité pour la pensée participe non seulement d’une négation de l’essence, mais impose à la réalité une détermination subjective qui n’est pour cela que l’unité transcendantale subjective, appliquée à l’objet. Ce que la connaissance théorique, par l’application des catégories, produit comme concept, reste une médiation dans le sens où c’est avec et dans l’application des prédicats que s’offre le concept. Celui-ci reste abstrait chez Kant car, dans la synthèse l’isolement de la déterminité par le jugement n’est que le résultat d’une abstraction exercée sur l’objet. Ce que Hegel récuse c’est ce caractère abstrait du concept car selon lui « le concept est ce qui est absolument concret ». La réunion d’un sujet et d’un prédicat dans un corps d’énoncé n’engendre pour cela que l’universalité de leur singularité. Ce qui nous amène au constat que si le prédicat se trouve contenu dans le sujet comme son identité il faut aussi voir que la singularité d’un prédicat ne suffit pas pour formuler l’identité du sujet dont il s’oppose comme une détermination extérieure.

Mais attention, En formulant ces critiques nous nous situerons dans la logique de la pensée hégélienne, logique qui, comme nous le verrons, intègre tout ce qui, dans la pensée de Kant, relevait de contradiction. A la raison subjective Kant accorde le droit d’instituer un monde des phénomènes qui tombe sous l’emprise d’un monde de représentations. Mais si cette subjectivité définie ainsi le sens des choses on serait en droit avec Victor Cousin de se poser cette question non moins subjective mais légitime. « Comment sais-je que ma raison est subjective ? ». C’est parce que qu’elle traduit une réflexion donc un retour sur elle-même que la raison croit débuter et s’accomplir sur la certitude de ses principes. Or, toujours selon V. Cousin « il faut reconnaître que la raison humaine n’est pas frappée primitivement de ce caractère subjectif dont Kant s’est fait une arme contre elle, et qu’elle doit débuter par une affirmation pure, absolue, sans aucun soupçon d’erreur ». C’est principalement cette position absolue d’une vérité non subjective que symbolise le cheminement de la conscience telle que nous pouvons le lire dans la phénoménologie hégélienne. Nous nous apercevons ajoute t-il que c’est « plus tard qu’il y’aura ce replis sur elle-même ».

En effet pour Hegel le savoir est un processus. Et parce qu’il est toujours savoir d’un sujet concret, le savoir absolu est avant tout la certitude que ce savoir réside dans une quête, un progrès. C’est pour cette raison que Hegel considère le savoir non pas simplement comme substance mais comme sujet. Ainsi il y a une objectivité du sujet par rapport a un monde dont il dépend mais aussi un subjectivisme de l’objet défini comme représentation partielle d’un sujet. C’est à travers ce cheminement que peut se comprendre l’intention de Hegel qui consiste à retrouver ce processus dialectique qui anime le travail de l’Esprit dans sa véritable conquête. La raison fondamentale qui habite ce fait réside dans la logique d’une interprétation exégétique qui définie la manière dont la pensée de Hegel s’aborde suivant sa démarche. Si elle s’inscrit dans la logique d’un discours philosophique qui cherche à exprimer un savoir absolu, elle le fait suivant une dynamique qui fait consister ce savoir sur une méthode. Et c’est pour cette même raison que la pensée hégélienne demeure une quête méthodique dont l’enjeu reste lié à l’unité absolue du savoir. Mais autant cette pensée se trouve habité par une nécessité systématique autant elle inscrit cette systématicité dans un devenir. La démarche hégélienne devait avant tout aborder le savoir dans son immédiateté c’est-à-dire, dans un contexte qui révèle une totalité encore naïve d’où commence cette quête. C’est en quelque sorte un retour à l’immédiateté que formule Hegel.

J’espère Bergame que vous n’allez pas me faire payer pour ce long développement. Je m’en excuse mais je crois que je ne suis pas aussi précis et bref que toi. Je reviendrai sur cette critique hégélienne de Kant.

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