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Sur la philosophie de Kant

10 septembre 2010, 09:58, par Bergame

Le mouvement "ascendant" de la pensée

A la suite du passage cité précédemment, Hegel propos un second argument contre la réfutation kantienne de la preuve ontologique, un argument qui évoque le mouvement inéluctable de la pensée :
En outre, cette remarque vulgaire de la critique kantienne, que la pensée et l’être sont deux choses distinctes pourra troubler l’esprit, mais elle ne parviendra pas à y arrêter ce mouvement par lequel il va de la pensée de Dieu à l’affirmation de son existence. La doctrine de la science immédiate ou de la foi a, avec raison, rétabli la légitimité de ce passage et l’indivisibilité absolue de l’être de Dieu et de sa pensée.

Notons d’abord que cette nouvelle citation dévoile un autre aspect de la critique de Hegel à l’égard de Kant, et qu’on aura peut-être pu repérer en divers endroits de cet exposé tant elle est récurrente, l’idée selon laquelle la pensée critique est "vulgaire". Par exemple, le criticisme ressort trop aisément de l’opinion commune :
Le concept de la logique repose sur la séparation admise d’avance dans la conscience ordinaire entre le contenu de la connaissance et sa forme, en d’autres termes entre la vérité et la certitude. (G.L., Introduction)

Mais ce qui peut apparaître amusant, c’est qu’il arrive aussi à Hegel de justifier la critique de Kant par le même sens commun. Ainsi, à propos du dualisme :
Avec Kant, on maintient la différence, le dualisme est l’ultime ; chaque aspect pour soi est accepté comme absolu. Ce qui veut être ici l’absolu et l’ultime est le mauvais. Le bon sens humain est contre cela ; chaque conscience ordinaire dépasse ce point de vue, chaque action tend à dépasser une idée (subjective) et la rendre objective. Aucun homme n’est aussi bête que cette philosophie : quand il a faim, il ne se contente pas d’imaginer des nourritures, mais il agit pour se rassasier. (Leçons, III, 585)

Ou encore, lorsque Hegel réfute l’idée selon laquelle les catégories sont vides de contenu. Certes, ce contenu n’est pas sensible, dit-il, mais
ce n’est pas là un manque, c’est plutôt une perfection. C’est ce que reconnaît la conscience ordinaire elle-même lorsque, par exemple, elle dit d’un livre, ou d’un discours que son contenu est d’autant plus riche, qu’il renferme d’autant plus de pensées, de résultats généraux, etc. ; et que par contre, elle n’accorde pas de valeur à un livre, disons à un roman, où l’on a entassé des situations, des évènements individuels, et d’autres traits semblables. Par là, la conscience ordinaire reconnaît elle aussi que la nature du contenu exige quelque chose de plus que la matière sensible. (PL, 2nde)

C’est l’avantage, bien sûr, d’avoir intégré le criticisme comme un moment de l’hégélianisme, on peut le retourner contre lui-même. La conscience ordinaire est donc hégélienne, tout comme l’est sa critique. Admettons donc, même si l’on n’est pas obligé de partager les convictions de Hegel quant à la hiérarchie des valeurs de la "conscience ordinaire".
Toujours est-il qu’on peut se demander ce qui, selon Hegel, peut bien pousser la conscience ordinaire à s’élever ainsi du sens commun vers les idées les plus générales.

Selon Hegel, il existe un besoin à l’origine du mouvement de la pensée, qui fonde d’ailleurs la philosophie :
La philosophie a notamment pour fondement un besoin de l’esprit qui, en tant qu’esprit doué de sensibilité, d’imagination, de volonté, n’a comme objet que des êtres sensibles, des représentations et des fins diverses, et qui, en opposition avec ces formes de son existence et de ces objets, éprouve le besoin de satisfaire ce qu’il y a de plus intime en lui –c’est-à-dire à sa pensée- et de l’élever à ce degré où il n’a qu’elle pour objet. (E, §XI)

Le principe de la contradiction trouve donc ici son origine : De la confrontation entre le mouvement « naturel » de l’esprit qui n’aspire qu’à se « saisir lui-même » et la présence –au sens de ce qui est là, devant soi- d’êtres sensibles, tout aussi « naturellement » insatisfaisants pour ce même esprit. A partir de là, il me semble qu’on comprend mieux ce que signifie la résolution de la contradiction : La progression de l’esprit vers son essence en tant qu’absolu nécessite l’anéantissement du monde sensible.
La pensée trouve, d’une part, sa satisfaction dans l’idée de l’essence universelle du monde phénoménal (l’absolu, Dieu), idée qui peut être plus ou moins complète. D’autre part, la connaissance empirique elle-même est naturellement stimulée à effacer cette forme, où la richesse de son contenu se présente comme une existence immédiate et extérieure, comme un assemblage d’éléments qui se succèdent sans ordre, et d’une manière fortuite, et à élever ainsi ce contenu à la forme nécessaire de la pensée. C’est ce désir qu’éprouve la pensée d’atteindre à l’essence universelle, et la satisfaction qu’elle en tire, qui est le point de départ et le mobile de ses développements. (E. § XII)

Encore qu’ici, on parle de « nécessité » et de « nature », bref on parle d’être. Mais pour faire bonne mesure, je livre l’autre version de ce discours, où il s’agira plutôt de « foi » et de devoir-être :
Le courage de la vérité, la foi en la puissance de l’Esprit sont la première condition de la philosophie. L’homme, puisqu’il est Esprit, a le droit et le devoir de se considérer comme digne des choses les plus hautes ; il ne peut surestimer la grandeur et la puissance de son Esprit […] La nature d’abord cachée et fermée de l’univers n’a pas la force qui puisse résister au courage de la connaissance ; elle doit s’ouvrir devant lui, offrir à ses yeux et à sa jouissance sa richesse et sa profondeur. (Leçons, 6)

Et enfin, la version anthropologique :
S’il est juste de dire que l’homme se distingue des animaux par la pensée, tout l’humain n’est tel que parce qu’il est l’œuvre de la pensée. (E, §II)

Evidemment, à mes yeux, c’est la meilleure conclusion possible.
Pas vous ?

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