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Sur la philosophie de Kant

10 septembre 2010, 09:56, par Bergame

Hegel, critique de Kant

Pour comprendre comment un auteur construit l’articulation de sa pensée, une bonne méthode peut consister à essayer d’identifier ce qu’il critique et ce qu’il retient chez ses prédécesseurs. Je me suis donc amusé à essayer de lister les critiques que Hegel adresse à Kant, et à essayer de les organiser.

1. Une connaissance limitée et subjective

Evidemment, une première série de critiques porte sur la conception bornée de la connaissance selon Kant. Selon Hegel, il faut en chercher l’origine dans les fondements empiristes du criticisme.
La philosophie critique a cela de commun avec l’empirisme qu’elle considère l’expérience comme l’unique fondement de la connaissance. Mais pour elle la connaissance s’arrête au phénomène et n’atteint pas à la réalité. (Encyclopédie, §XLI)

Par ailleurs, les catégories de l’entendement sont un concept vide de sens (sic) :
Enseigner que les catégories sont en elles-mêmes des éléments vides, c’est enseigner une doctrine qui n’est pas fondée en raison, en ce que de toutes façons, par là qu’elles sont déterminées, les catégories ont leur contenu. (Petite Logique, 2nde édition)

En effet, selon Hegel, Kant conçoit les catégories de l’entendement comme les éléments subjectifs de la conscience. Elles donnent une valeur objective à la pure intuition sensible, mais une objectivité conçue comme exprimant l’universel et le nécessaire, et non au sens d’une existence en soi de ce qui est posé devant nous. Or : Si les catégories (l’unité, la cause, l’effet, etc.) sont du ressort de la pensée comme telle, il ne suit nullement de là qu’elles ne sont que nos déterminations et qu’elles ne sont pas aussi les déterminations des objets.
Car en réunissant l’élément subjectif et l’élément objectif des déterminations de la pensée dans le sujet, la philosophie critique ne laisse plus en face du sujet que la chose-en-soi (E, §XLI) qu’elle conçoit comme un "abîme infranchissable." (PL, 2nde)

De ce point de vue, la solution de Hegel est donc de conserver le principe selon lequel toutes les catégories ne sont pas contenues dans la sensation immédiate :
Un morceau de sucre, par exemple, est dur, blanc, doux, etc. Nous disons que ces qualités se trouvent réunies dans un objet, et cette unité n’est pas dans la sensation.
Mais de réfuter l’idée selon laquelle ces pensées ne seraient que subjectives (selon la définition hégélienne, toujours) :
Ce qui fait, au contraire, la vraie objectivité de la pensée, c’est que les pensées ne sont pas simplement nos pensées mais qu’elles constituent aussi l’en soi des choses et du monde objectif en général." (PL, 2nde)

L’objectivité, au sens de Hegel, c’est donc "l’en soi pensé", c’est-à-dire tout à la fois la détermination de l’objet et la connaissance objective.

2. La valeur du criticisme

A parir de là, la notion de vérité risque évidemment d’être bien différente chez Kant et chez Hegel. En fait, selon Hegel, Kant ne parvient jamais à la connaissance vraie, et il en est incapable, du simple fait de l’origine sensible de cette connaissance. En effet, le criticisme prétend que tout ce qui peut être connu n’est que "l’être contingent et périssable", par conséquent il prétend "que ce qui peut être connu n’est pas le vrai, mais le faux." (Discours de 1816 à l’Université de Berlin).

Mais le criticisme ne se contente pas d’affirmer que l’origine de la connaissance est sensible, il pose cette connaissance comme une connaissance absolue
en disant que l’intelligence ne peut aller au-delà, et que c’est la limite naturelle et absolue de la science humaine. Mais il n’y a que les choses de la nature qui soient limitées, et elles ne sont des choses de la nature que parce qu’elles ignorent leur limite ; car leur déterminabilité est une limite pour nous et non pour elles. (E, §LX)
Or, que les formes de l’entendement n’aient aucune application à la chose en soi "ne peut avoir qu’un seul sens : ces formes en elles-mêmes sont fausses." (Grande Logique, Introduction)

Ailleurs, Hegel préfère dire que le criticisme, plutôt que de produire une connaissance fausse, produit une connaissance "superflue". En effet, dit-il, la doctrine de Kant n’a fait faire aucun progrès à la science :
Montrer que les déterminations de l’universalité et de la nécessité sont les éléments de la connaissance, ce n’est qu’indiquer un fait qui ne réfute pas le scepticisme de Hume. La philosophie de Kant constate seulement un fait, et l’on peut dire en se servant du langage ordinaire de la science qu’elle s’est bornée à donner une nouvelle explication de ce fait. (E, § XLI)
En fait, elle n’est tout simplement qu’une "description psychologique".

Au fond, tout se passe un peu comme si Kant, selon Hegel, ne voulait pas connaître le vrai. Alors que l’esprit éprouve naturellement "le désir de connaître cette identité ou cette chose-en-soi" (E, § XLIV), avec Kant, il est
une recherche inquiète qui dans le processus de chercher déclare qu’il est absolument impossible d’avoir la satisfaction de trouver. (Phénoménologie de l’Esprit)

Finalement, la philosophie critique est pusillanime. En faisant porter la recherche sur l’usage légitime des catégories de l’entendement, elle interroge avec profit les formes de la pensée elle-même, et les élève au rang d’objet de connaissance. Mais dans cette saisie de la pensée par elle-même se glisse une confusion :
C’est de vouloir connaître avant de connaître, c’est de ne pas vouloir entrer dans l’eau avant d’avoir appris à nager. (P.L., 2nde)
Or, cette crainte d’un mauvais usage possible des formes de l’entendement présuppose beaucoup de choses :
Elle présuppose notamment une représentation de la connaissance comme instrument et milieu, et aussi une distinction entre nous et cette connaissance ; mais surtout elle présuppose que l’Absolu se trouve d’un côté, et que la connaissance qui se trouve d’un autre côté, pour soi, séparée de l’Absolu, est pourtant quelque chose de réel ; en d’autres termes, elle présuppose que la connaissance (qui est certainement en-dehors de la vérité, puisqu’elle est en-dehors de l’absolu) est pourtant vraie -position qui fait découvrir en ce qui se proclame crainte de l’erreur, la simple crainte de la vérité. (Ph.)

En bref, Kant a reculé devant la difficulté et n’a pas su aller au bout de sa découverte. Du coup, "la critique de la raison pure n’est qu’un idéalisme timide et subjectif." [E., §XLIV)

Mais quel est précisément cet obstacle devant lequel le courage de Kant aurait fléchi ?

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