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Editorial 17-01-2010 - Les grandes puissances s’inquiètent pour Haïti !!!

15 janvier 2010, 10:01, par Robert Paris

Par José Antonio Gutiérrez D.
28 Février 2009
Bay kou, bliye. Pote mak, sonje.
(« Celui qui frappe oublie, celui qui porte la cicatrice se souvient » Proverbe haïtien).

5 années se sont écoulées depuis qu’Ayiti, paradoxalement la première République latino américaine à s’être émancipé du joug colonial, se trouve sous occupation militaire étrangère. Au sens propre du terme, c’est l’unique pays Latino-américain actuellement sous occupation militaire. Enclavée au milieu des Caraïbes, partageant son territoire avec la République Dominicaine, face à la Floride et à Cuba, cette petite nation est depuis trop longtemps occupée par 7036 soldats et 2053 policiers de l’ONU (qui font partie d’une mission humanitaire, la MINUSTAH). Ce n’est pas la première fois qu’Ayiti est envahi militairement et un profond traumatisme demeure depuis l’occupation américaine (1915-1934) qui endeuilla tous les foyers de la campagne ayisien. Dès lors, l’intervention politique impérialiste, principalement nord-américaine, mais aussi canadienne et française a été constante.

Cependant, cette occupation qui a commencé le 29 Février 2004 est différente : tout d’abord parce qu’elle est à la charge de l’ONU, fournissant un faux-semblant de « légitimité », à la violation de la dignité du peuple ayisien. Mais aussi, cette occupation est radicalement différente des précédentes, car pour la première fois ce sont des pays latino-américains qui envahissent et occupent un autre territoire latino-américain.

En février 2004, après un mois d’insurrection armée, financée et préparée par la CIA contre le gouvernement populiste de Jean-Bertrand Aristide, des troupes des Etats-Unis, de France, du Canada et du Chili, débarquèrent en Ayiti et séquestrèrent le président Aristide. Celui-ci s’était gagné la méfiance de Washington et de Paris, et depuis toujours s’opposait a l’influente oligarchie makoute, réticente a céder un soupçon de son pouvoir, accumulé en deux siècles de vie républicaine. L’excuse de ce débarquement repose sur la soi-disant volonté altruiste de restaurer l’ordre et de protéger la sécurité des aysien (reste que ces sentiments altruistes brillèrent par leur absence durant les années de sanctions économiques de la part des Américains et Français). Le président déchu fut envoyé en République Centrafricaine par avion, et les ‘rebelles’ au service au service de la CIA accumulèrent d’innombrables massacres de milliers de partisans du président Aristide dans les quartiers populaires, les bidonvilles, et établirent un régime de terreur dans les Zones Franches, où opèrent d’importantes entreprises transnationales comme Levis et Walt Disney. Ceci, sans que les défenseurs autoproclamés du peuple ayisien ne s’émeuvent le moindre du monde ! Puis, on installa au pouvoir une marionnette de l’oligarchie haïtienne et de la maison blanche : Gérard Latortue. Et tous ces agissements ne furent finalement rien d’autre qu’un coup d’Etat sui generis dans un pays sans armée, avec la participation de bandes armées au service de la CIA et des armées étrangères.

Ayiti, un protectorat gardé par les casques bleus

A la mi 2004, prétendant donner un sens légitime à l’occupation, mais aussi du fait des difficultés militaires croissantes rencontré par les Etats-Unis en Irak, on fit appel à l’ONU pour qu’elle se charge de la situation chaotique du pays. Ainsi, les Etats-Unis se retirèrent de la scène principale et la présence de l’ONU procura un ‘certificat "humanitaire" à l’occupation. Tel est l’origine de la MINUSTAH : la reprise des activités de forces militaires, putschistes et d’occupation, qui s’imposèrent à sang et à feu et qui perdurèrent encore pendant une longue période après le coup d’Etat de 2004 [1]. Mais, pour que la "soi-disant" action humanitaire et démocratique fût encore plus crédible, et pour que personne ne pût penser qu’Ayiti soit à nouveau victime d’impérialisme, on s’assura que le commandement et le gros des troupes de la MINUSTAH fussent latino-américains. Le Brésil, comme on pouvait se l’imaginer, obtint le rôle principal au sein de la MINUSTAH, aidé par le Chili et l’Argentine. Cependant, pratiquement tous les pays latino-américains ont des troupes en Ayiti, y compris des pays progressistes comme la Bolivie ou l’Equateur [2].

Si cette occupation prouve clairement combien certains cherchent a gagner les faveurs de Washington [3], elle reflète aussi les changements des rapports de forces dans la région et le poids plus important des acteurs locaux pour maintenir la "sécurité régionale", démontrant ainsi que d’autres sont potentiellement intéressés pour établirent, après tout, eux aussi, leur "pré carré" dans la région.

L’élection de Préval en février 2006 n’a pas altéré le caractère d’occupation des forces de l’ONU, et celui-ci a toujours démontré n’être qu’un président "pion"de l’occupation, de l’oligarchie haïtienne et de ses patrons étrangers, poursuivant sur le chemin de Latortue et perpétrant la mise à sac de Ayiti par le biais de la mise en place de traité de libre échange comme les APE avec l’Union Européenne et la loi HOPE avec les Etats-Unis [4].

Pour le moment, il n’y a pas le moindre signe de lever de l’occupation. Ou du moins c’est ce qui ressort de la résolution 1840 (2008) du Congrès de Sécurité de l’ONU, approuvée le 14 Octobre 2008, qui ironiquement commence par les phrases suivantes : « réaffirmant sa ferme détermination de préserver la souveraineté, l’indépendance (…) de Haïti », pour ensuite conclure sur la décision d’étendre le mandat de la MINUSTAH jusqu’au 15 Octobre 2009, « avec l’intention de le renouveler à nouveau » [5]. Ainsi, il s’agit d’une occupation de longue durée, sous laquelle nous pouvons supposer que le projet est de maintenir un protectorat plus ou moins permanent au service des transnationales...

La lente mort de Ayiti occupé

Les effets de l’occupation sur le peuple ont été désastreux : de nombreux autres articles diffusés sur notre site ont fourni une analyse détaillée des ces effets [6]. Le principal d’entre eux a été l’approfondissement, à la force, du modèle de faim, de misère et d’exclusion. Au point qu’en Avril 2008, après la diffusion de grotesques informations selon lesquelles les ayisien n’avait plus d’autre choix que de se nourrir aux galettes de boue, une rébellion éclata dans tout le pays car le peuple, littéralement, mourrait de faim [7].

Un article de la revue "The Economist" (12/02) nous révèle les ‘avancés’ de l’occupation qui se réduisent a deux exemples, pour le moins, dérisoires. Il est raconté, sans aucune honte, que « la mission de l’ONU à amélioré la sécurité : les enlèvements déclarés ont chuté de 722 en 2006 à 258 l’année passée (…). Les rues de Port au Prince sont beaucoup plus propres » [8]. On ne sait s’il faut rire ou pleurer de cette tromperie qui prétend faire passer pour un « succès » la présence de plus de 9000 soldats sur l’île pour seulement avoir des rues plus propres ! Et pour qu’il y ait « à peine » 258 enlèvements ! Sans compter ce que dépense la MINUSTAH : pour la période de Juillet 2008 à Juin 2009, un budget de 601 580 000 US$ à été approuvé… La moitié du budget annuel dont dispose le FISC Haïtien.

Résultat cynique qui confirme que pendant l’occupation on dépense l’argent qui pourrait être utilisé à construire des infrastructures, des habitations dignes, des hôpitaux, des écoles, etc. Ainsi, il y a de l’argent pour maintenir cette occupation qui pourrait trouver une meilleure utilisation dans l’annulation de la dette extérieure haïtienne, très élevée et léguée par les dictatures des Duvalier. Ou encore : il y a de l’argent pour fournir des fusils mais pas pour fournir du pain. De plus, il faut bien voir que cette force militaire, capable de massacrer 10 000 ayisien a été complètement incapable d’aider les milliers de sinistrés après le passage des ouragans, qui dévastèrent l’île haïtienne avec une colère apocalyptique en septembre dernier, tuant 793 personnes, succombant plus de leur pauvreté que du climat [9].

Le même article de l’ « Economiste » affirme que l’économie haïtienne se contractera de 0,5% pendant l’année 2009. Difficile à imaginer pour une économie aussi dévastée et atrophiée, qui a été réduite en miette par deux décennies de violentes répressions des alternatives populaires et démocratiques, qui émergèrent dans l’Ayiti post-Duvalier, et par ses consécutifs cycles de dictatures, d’interventions militaires nord-américaines et de sanctions économiques. Cette histoire récente fait qu’Ayiti est aujourd’hui un pays qui survit « grâce » à la charité ; avec un budget national qui dépend à 65% de prêts et d’aide internationale…

De plus, les casques bleus n’ont pas démontrés être plus respectueux de la population civile que n’importe quelle autre force militaire d’occupation. Tolérants envers les raids makoutes, pour mater certains activistes populaires, ils ont aussi participé à certains massacres et ont pratiqués de manière systématique le viol de femmes et de mineurs ayisien [10].

La résistance ignorée

Il est déplorable de constater que cette occupation se déroule sous notre nez et devant un silence déshonorant de la plupart des mouvements populaires latino-américains. Excepté certaines déclarations d’appui, comme à Lima durant le Sommet des Peuples (Mai 2007), l’occupation qu’endure l’un de nos "peuple-freres" a été ignorée par les responsables de nos propres gouvernements. Depuis trop longtemps, nous nous supportons les arbitrages du « froid pays du Nord » qui fait qu’aujourd’hui nous croyons nos propres républiques incapables de pratiquer des actes de sous-impérialisme. Il semble que le mouvement populaire latino-américain ne comprend pas la gravité de ce qui se déroule en Ayiti. Désormais, les occupations militaires sur notre continent ne seront plus réalisées directement par l’impérialisme nord-américain, si celui-ci peut compter sur un efficace réseau d’appui local des pays latino-américains qui agissent comme des mercenaires [11].

Mais ce protectorat sans fin, que l’on veut instaurer à Ayiti, est confronté à une persistante résistance de la culture ayisien, culture forgée dans une séculaire opposition à l’invasion étrangère et à l’élite locale si éloignée du peuple, tels ses patrons impérialistes. Culture dans laquelle persiste l’orgueilleuse attitude rebelle de l’esclave qui rompu ses chaînes à la fin du XVIII siècle, donnant pour la première fois un sens au mot « liberté » et délivrant ainsi, dans ce geste libertaire, un puissant tourbillon qui inspira toutes les luttes anti-coloniales des deux derniers siècles.

L’aysien est patient et sa résistance l’est aussi. Ils renouvelleront autant de fois qu’ils voudront le mandat de la MINUSTAH et le peuple ayisien continuera à jouer du manducumán, des tambours radas, congos, des tambours de Boukman, des tambours des Grands Pactos, des tambours todos del Vudu. C’est ainsi que toute manifestation se termine par une protestation de répudiation des occupants : ce qui arriva lors des manifestations contre la faim en avril 2008, qui se convertit rapidement en une protestation contre l’occupation [12], et aussi lors de la commémoration de l’élection de Aristide en 1990, célébrée le 16 décembre par des dizaines de milliers de manifestants [13]. Nous savons qu’aujourd’hui, ayant passé le cinquième anniversaire du funeste coup d’Etat, qui ouvrit les portes à l’occupation, des dizaines de milliers d’ayisien sortiront à nouveau manifester dans les rues qui leur appartiennent. Ces rues ‘propres’ grâce, selon "The Economist", à l’occupation. La résistance a des racines très profondes en Ayiti et perdurera pour des milliers de aysien.

José Antonio Gutiérrez D.
28 Février 2009


[1] Pour plus de références sur le coup d’Etat et l’occupation de Ayiti, consulter l’article précédent « Ayiti, una cicatriz en el rostro de América ». http://www.anarkismo.net/article/1063

[2] Les pays latino-américains suivant ont des troupes en Ayiti : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie (uniquement des policiers), Equateur, Le Salvador (uniquement des policiers), Grenade (uniquement des policiers), Guatemala, Jamaïque (uniquement des policiers), Paraguay, Pérou, Uruguay.

[3] Le Brésil à utiliser l’occupation comme un moyen de pression pour son admission comme membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU.

[4] Pour plus de détails sur la politique de Préval au pouvoir et la stratégie néolibéral de mise a sac de Ayiti, consulter l’article « Ayiti, entre la liberacion y la ocupacion ». http://www.anarkismo.net/article/4651

[5] http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N08/548/99/PDF/N...ement

[6]Voir particulièrement les articles déjà cités précédemment « Ayiti, entre la liberacion y la ocupacion » et « Ayiti, una cicatriz en el rostro de América », mais aussi consulter « Ayiti, hacia un nuevo dechoukaj ? »
http://www.anarkismo.net/article/8633 lequel traite fondamentalement avec le problème de la dénutrition et de la famine.

[7] Consulter l’article « Ayiti, hacia un nuevo dechoukaj ? »

[8] « Rebuilding Haiti – Weighed down by disasters », The Economist, 12 février 2009

[9] Consulter le bref article sur les ouragans et le contexte politique dans lequel ils sont survenus, « Ayiti, mucho circo, pero nada de pan » http://www.anarkismo.net/article/9797

[10] Des informations sur le massacre et la répression, ainsi que la collusion avec les makoutes, peuvent se trouver sur dans les articles précédemment cités. Des informations sur les cas de viols se trouvent dans l’article « La violatcion en (de) Ayiti » http://www.anarkismo.net/article/7616

[11] Pour plus de détails voir l’article « Ayiti y los Anarquistas ». http://www.anarkismo.net/article/4714

[12] Consulter l’article « Ayiti, hacia un nuevo dechoukaj ? »

[13] http://www.haitiaction.net/News/HIP/12_17_8/12_17_8.html

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