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D’où vient l’intelligence humaine ?

7 mars 2010, 19:34, par Robert Paris

Nancy Huston écrit dans « L’espèce fabulatrice » :

« Dans son état normal, notre cerveau se livre (à notre insu) à des activités tout à fait étranges et étonnantes.

Dans ce domaine comme dans bien d’autres, c’est l’anormal qui nous éclaire sur le normal.

Chez certains patients atteints d’épilepsie grave, avant le développement de médicaments pour empêcher la transmission des crises d’une moitié du cerveau à l’autre, l’on intervenait chirurgicalement pour sectionner le corpus calleum qui les reliait ; du coup, les deux hémisphères ne pouvaient plus communiquer entre eux. Or l’on sait que, chez les droitiers (et nombre de gauchers aussi), seul l’hémisphère gauche peut constituer les informations en savoir verbal.

Dans les années 1980, le psychologue Michael Gazzaniga a réalisé des expériences fascinantes avec ces patients dits « calleux » ou « callotomisés ». En voici un exemple : on montre au patient un écran et on lui demande d’en fixer le centre. Ensuite, sur la partie gauche de l’écran apparaît fugitivement le mot « Marchez ». Seul l’œil gauche capte ce message ; il le transmet à l’hémisphère droit, qui en comprend le sens mais ne peut l’enregistrer consciemment. Aussitôt, le patient se lève et se dirige vers la porte. « Où allez-vous ? » demande le médecin. « J’ai soif, répond le patient sans la moindre hésitation, je vais chercher quelque chose à boire. »

Puisqu’il s’est dirigé vers la porte, il devait bien avoir une motivation pour le faire ; la soif est une motivation plausible ; le cerveau gauche lui a fourni spontanément cette réponse, qu’il a reçue et traitée comme une vérité.

Il ne mentait pas, car il croyait fermement à ce qu’il venait de dire. Il fabulait.

Tous, nous fabulons ainsi, en toute bonne foi, sans le savoir.

Si l’on y prête attention, on peut pour ainsi dire « surprendre » notre cerveau en train de nous raconter des bobards. (…) Je vois une femme accroupie (…) Elle a eu besoin de s’accroupir, me dis-je, pour fouiller dans son sac à la recherche d’une clef. L’important ici, c’est que mon cerveau n’a pas d’abord constaté la posture inhabituelle de ma voisine pour spéculer ensuite quant aux raisons pouvant l’expliquer. (…) Nous sommes incapables, nous autres humains, de ne pas chercher du Sens. C’est plus fort que nous. (…)

Un exemple flagrant : les saccades. Plusieurs fois par seconde, nos yeux « sautent », interrompant brièvement leur captage du monde pour que notre cerveau puisse en recevoir une image continue. Quand nous marchons dans la rue, par exemple, notre tête change constamment de hauteur ; sans saccades, nous verrions ce qu’on voit à l’écran pendant les scènes de « caméra à l’épaule » !

Mais les bobards du cerveau normal n’attirent pas l’attention, car ils sont précisément conçus pour donner le change et passer inaperçus. (…)

C’est ainsi que nous, humains, voyons le monde : en l’interprétant, c’est-à-dire en l’inventant, car nous sommes fragiles, nettement plus fragiles que les autres grands primates. Notre imagination supplée à notre fragilité. Sans elle – sans l’imagination qui confère au réel un Sens qu’il ne possède pas en lui-même – nous aurions déjà disparu, comme ont disparu les dinosaures. »

Nancy Huston, auteur de « l’espèce fabulatrice », n’est pas scientifique mais romancière et essayiste. Elle part de connaissances tirées notamment du travail de Naccache. Elle affirme que l’homme vit de ses propres fables. Il ne se contente pas de vivre dans l’univers réel et produit un véritable monde de pensées dans lequel il s’oriente.

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