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Des objets mathématiques continus ou discontinus ?

20 décembre 2009, 10:00, par Robert Paris

Le mathématicien et physicien Henri Poincaré dans "La science et l’hypothèse" :

"Si l’on veut savoir ce que les mathématiciens entendent par un continu, ce n’est pas à la géométrie qu’il faut le demander. Le géomètre cherche toujours plus ou moins à se représenter les figures qu’il étudie, mais ses représentations ne sont pour lui que des instruments ; il fait de la géométrie avec de l’étendue comme il en fait avec de la craie ; aussi doit-on prendre garde d’attacher trop d’importance à des accidents qui n’en ont souvent pas plus que la blancheur de la craie.

(...) Qu’est-ce au juste que ce continu sur lequel les mathématiciens raisonnent ? (...) Partons de l’échelle des nombres entiers ; entre deux échelons consécutifs, intercalons un ou plusieurs échelons intermédiaires, puis entre ces échelons nouveaux d’autres encore, et ainsi de suite indéfiniment. Nous aurons ainsi un nombre illimité de termes, ce seront les nombres qu’on appelle fractionnaires, rationnels ou commensurables. Mais ce n’est pas assez encore ; entre ces termes qui sont pourtant déjà en nombre infini, il faut encore en intercaler d’autres, que l’on appelle irrationnels ou incommensurables.

Avant d’aller plus loin, faisons une première remarque. le continu ainsi conçu n’est plus qu’une collection d’individus rangés dans un certain ordre, en nombre infini, il est vrai, mais extérieurs les uns aux autres. Ce n’est pas là la conception ordinaire, où l’on suppose entre les éléments du continu une sorte de lien intime qui en fait un tout, où le point ne préexiste pas à la ligne, mais la ligne au point. (...) En résumé, l’esprit a la faculté de créer des symboles, et c’est ainsi qu’il a construit le continu mathématique, qui n’est qu’un système particulier de symboles. (...) Une fois en possession du concept de continu en mathématique, est-on à l’abri des contradictions analogues à celles qui lui ont donné naissance ? Non. (...) Considérons d’abord une impression purement visuelle, due à une image qui se forme sur le fond de la rétine. Une analyse sommaire nous montre cette image comme continue (...) Une analyse plus approfondie nous montrerait sans doute que cette continuité de l’espace visuel et ses deux dimensions ne sont qu’une illusion. (...) L’espace tactile est plus compliqué encore que l’espace visuel et s’éloigne davantage encore de l’espace géométrique. (...) Ainsi, l’espace représentatif, sous sa triple forme, visuelle, tactile et motrice, est essentiellement différent de l’espace géométrique. Il n’est ni homogène, ni isotrope ; on ne peut même pas dire qu’il ait trois dimensions. (...) Aucune de nos sensations, isolée, n’aurait pu nous conduire à l’idée d’espace, nous y sommes arrivés seulement en étudiant les lois suivant lesquelles les sensations se succèdent. (...) S’il s’agit par exemple de la vue et si un objet se déplace devant notre oeil, nous pouvons le "suivre de l’oeil" et maintenir son image en un même point de la rétine par des mouvements appropriés du globe oculaire. (...) Il résulte de là que la vue et le toucher ne nous auraient pu donner la notion d’espace (continu) sans le secours du "sens musculaire". (...) Et alors quand nous disons que l’espace a trois dimensions, nous voulons dire (...) qu’il s’agit d’un continu physique à trois dimensions. On pourrait être tenté de conclure que c’est l’expérience qui nous a appris combien l’espace a de dimensions. mais en réalité ici encore nos expériences ont porté non sur l’espace, mais sur notre corps et ses rapports avec les objets voisins."

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