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Quelques thèses sur la question syndicale en vue d’un large débat

10 avril 2010, 21:46, par marek

La Voix des Travailleurs de chez Renault

PREMIER BILAN
La fin de la grève des cheminots nous permet de faire un premier bilan des luttes ouvrières.

Le mouvement d’ensemble auquel avait fait appel le Comité de grève Renault ne s’est pas réalisé, du fait du sabotage de la bureaucratie syndicale. Ainsi, la première poussée d’ensemble de la classe ouvrière depuis 1938 s’est trouvée freinée ou fractionnée en grèves séparées. Il ne faut pas s’étonner si les résultats matériels immédiats obtenus sont incomplets : ils correspondent au caractère incomplet de la Lutte. La grève de Renault et de quelques autres usines à Paris et en province a arraché pour la métallurgie des augmentations de salaires très variables ; pour l’ensemble de la métallurgie, les ouvriers sont loin du compte, c’est-à-dire des 10 francs. Le patronat qui, lui, est uni parce qu’il forme économiquement un tout monopoleur, a lâché aux ouvriers là où il a été obligé de lâcher, en défavorisant les secteurs ouvriers qui n’ont pas pu se défendre par leurs propres forces.

Or, les ouvriers de partout voulaient un minimum vital, garanti pour toute la classe ouvrière, et non pas des concessions pour les contenter quelques semaines et que les capitalistes et le gouvernement reprennent par la hausse des prix et l’inflation au détriment de toute la population laborieuse.

Ce serait un bien maigre bilan, si c’était le bilan d’une lutte finie. Mais ce n’est là que le bilan provisoire d’une lutte à peine commencée. C’est pourquoi, en regardant non pas les résultats immédiats de ces premières luttes, mais les conditions nouvelles qu’elles ont créées, les avantages retirés jusqu’à présent sont décisifs.

D’un côté, les grèves ont obligé le gouvernement à capituler ; au lieu du ton totalitaire du début de la réquisition, il a dû finalement se montrer en "conciliateur". Le blocage des salaires, c’est-à-dire l’obligation pour les travailleurs d’accepter sans rechigner des salaires de famine, pour le "bien général", c’est-à-dire pour les capitalistes, a été mis en échec.

D’un autre côté, pour faire capituler le gouvernement, les ouvriers se sont montrés capables de passer outre leur propre bureaucratie syndicale (Renault, Gaz et Electricité, Cheminots, etc.). Ils ont commencé, dans une grande mesure, à s’émanciper de sa tutelle, émancipation qui est la première condition de nos luttes ultérieures.

Les arguments cégétistes aussi se sont trouvés démasqués dans la lutte. Ils disaient aux ouvriers de ne pas faire grève, de ne pas entrer en lutte ouverte, parce que ce sera la réaction le gagnant. Mais c’est Ramadier et la réaction qui ont capitulé devant les travailleurs.

Rappelons ce que nous disions dans La Voix, n° 8, le 3 juin, avant la grève des cheminots : "Seule une grève générale peut faire capituler les capitalistes et le gouvernement". Les dirigeants de la C.G.T. proclamaient la grève générale "une idiotie", au profit de la réaction, mais la grève des cheminots a donné raison aux ouvriers contre eux.

Entre les différents moyens de lutte proposés, les travailleurs savent maintenant que c’est la grève générale qui reste le moyen pour obtenir, non pas quelques aumônes ou quelque allègement temporaire que les capitalistes reprennent de l’autre main, mais les revendications fondamentales.

Car, au point de vue des moyens à utiliser, est-ce un hasard que la seule grève qui, par son caractère total et généralisé, a menacé de paralysie le gouvernement bourgeois, ait obtenu presque toutes ses revendications ?

Mais ce bilan, décisif pour de nouvelles luttes, ne sera converti en avantage réel pour la classe ouvrière que dans la mesure où les travailleurs, émancipés de la bureaucratie qui paralyse nos luttes, seront capables de se regrouper DIRECTEMENT ENTRE EUX, c’est-à-dire de s’unir à l’intérieur des usines, et d’usine à usine.

La première forme de ce regroupement, c’est de s’organiser syndicalement en dehors des dirigeants cégétistes, partout où l’appareil a démasqué son caractère de jaune à la masse des ouvriers.

Ce qui n’a pas été obtenu dans une lutte morcelée et séparée sera obtenu demain par l’organisation dans une lutte unie et d’ensemble.

La Voix des Travailleurs


Un cheminot s’adresse aux ouvriers de chez Renault

LA GREVE PAIE !..
Sous la pression imposante exercée par notre grève totale, le gouvernement, s’il n’a pas cédé entièrement, a dû nous accorder d’importants avantages. Ces derniers ont suffisamment été publiés par tous les journaux pour ne plus y revenir. Je préciserai, cependant, que ces avantages, arrachés par la force d’un mouvement particulièrement bien réussi, s’échelonnent, pour les bas salaires, entre 1.700 et 3.000 par mois et pour quarante heures, ce qui donne une augmentation horaire de 8,50 à 15 francs de l’heure. De plus, le protocole d’accord du 12-6-1947 précise : "Il a été entendu qu’il n’y aurait aucune sanction, ni retenue sur les salaires pour cette grève".

Ainsi, cinq jours de grève nous ont permis de remporter une victoire, sinon éclatante, du moins satisfaisante. Nous n’avons dû céder que sur deux points ; celui concernant le reclassement dans les échelles, qui est prévu pour le 1° Janvier 1948, et l’étude de la mise en harmonie de nos salaires avec ceux de l’industrie nationalisée (houillères notamment) et pour laquelle aucune date n’a été retenue. Enfin, la Fédération n’a pu obtenir du gouvernement et de la S.N.C.F. l’assurance formelle que les tarifs voyageurs et marchandises ne seraient pas modifiés.

Comment a-t-on obtenu de tels avantages ? Quelles circonstances favorables nous ont permis d’arracher en cinq jours plus que vous en trois semaines ?

Ce n’est certes pas le gouvernement qui, soudain "raisonnable" et paternaliste, trouva nos salaires vraiment dérisoires, nos "revendications modestes et légitimes".

Ce n’est pas non plus notre Fédération qui fut plus combative, moins bureaucratique (C.G.T. ou C.F.T.C.). Dès le début, la C.G.T. tenta même de briser la grève dans l’oeuf et de donner au gouvernement une porte de sortie, en stoppant la grève des "pétroliers". Quant à la Fédération elle-même, elle se dépensa beaucoup avant le conflit total pour essayer d’appeler au calme les futurs grévistes, comme elle le fit à maintes reprises dans les gares parisiennes.

C’est notre unité dans l’action, notre cohésion qui contribua pour beaucoup à ce résultat. C’est surtout parce que, né d’un mécontentement général, le mouvement fut général ; c’est parce que, né dans la masse des syndiqués de base, il poussa les syndicats à entrer en action, ces derniers agissant eux-mêmes sur la fédération. De plus, tous les cheminots étaient décidés à aller jusqu’au bout, à gagner la bataille et à ne pas perdre une seule journée de notre salaire. Nous avions presque un mois devant nous jusqu’à la prochaine paye. Nous savions, notre grève étant totale, que le gouvernement ne saurait tenir aussi longtemps que nous, les mesures qu’il prenait pour nous contrecarrer étant plus spectaculaires qu’efficaces.

La Fédération, aussi bien que le gouvernement, a senti cette ferme volonté. Elle n’osa pas l’attaquer de front. Elle essaya de gagner du temps en "oubliant" de lancer de suite l’ordre de grève à la province, en manoeuvrant les comités de grève pour leur enlever toute initiative et toute puissance, chose qu’elle réussit dans maint endroits. Mais, bientôt, elle fut obligée de prendre position : ou briser froidement la grève en faisant "accepter des promesses" par les cheminots (c’était perdre la confiance de la majorité de ces derniers) ; ou bien heurter de front le gouvernement.

Le gouvernement, de son côté, essaye de lasser les grévistes, de les provoquer par la division ou des appels démagogiques, ou bien même en organisant ses fameux services routiers.

La Fédération, prise entre deux feux, ménagea les deux parties. Mais le temps pressait. Il fallait agir très vite.

Un fait nouveau précipita les événements.

Le conflit du gaz et de l’électricité rebondissait. Tout le monde sait dans quelles conditions. Dès lors, il n’était plus possible de donner aux cheminots, instruits par l’expérience des gaziers et des électriciens, de vagues promesses. Ils réclamaient des résultats concrets.

Désormais, le gouvernement se sait battu. Il fera semblant de résister encore un peu pour la forme, mais il s’attachera surtout à limiter les dégâts tout en donnant assez pour pouvoir classer l’affaire pour longtemps.

Mais demain, si les ouvriers de toutes les usines, à l’instar des cheminots de toutes les gares, déclenchaient la grève générale, il est certain qu’un succès se dessinerait. Et si les métallos de chez Renault n’ont pas obtenu ce qu’ils réclamaient lors de leur dernière grève, c’est parce que le mouvement n’a pas su, ou n’a pas pu s’étendre aux autres usines comme chez nous il s’est étendu aux autres gares.

Confiance et courage, camarades ouvriers de la R.N.U.R. Par notre grève, nous avons démontré aux saboteurs de grève de tout horizon que, lorsqu’elle est complète et générale, la grève paie toujours. Il suffit, par la lutte quotidienne, de lui en donner la possibilité.

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