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Quelques thèses sur la question syndicale en vue d’un large débat

14 novembre 2009, 13:45

Le syndicat est une organisation réformiste

Cette pression à l’adaptation est d’autant plus forte en période de calme social. En ces moments là, les directions syndicales s’adaptent à la passivité de leur base sociale électorale. Plus les syndicats font des bon scores électoraux aux Prud’hommes, plus ils bénéficient de subventions sous la forme d’argent ou d’heures de décharge syndicale. La nouvelle loi sur la représentativité syndicale (juillet 2008) changera et a déjà changé beaucoup de choses dans les relations intersyndicales. [12] En effet les cinq organisations syndicales historiques (CGT, FO, CFDT, CFDT et CFE-CGC), doivent, désormais, au même titres que les autres « petites » (SUD, CNT etc.) prouver qu’elles représentent bien les salariés selon sept critères [13] adoptés par la position commune pour se présenter aux élections prud’hommales. La volonté d’institutionnaliser les syndicats sur la base de leurs scores électoraux, accentue la concurrence entre eux et concentre leur activité sur les élections au détriment des luttes.

Le financement public, par exemple ne permet pas aux syndicats de développer une indépendance vis-à-vis des institutions. En effet les syndicats n’étant pas obligés de publier leur compte, il est difficile de savoir quelle est la part des fonds publics que reçoivent les syndicats. La loi qui les y autorise date de 1884, à l’origine il s’agissait de garantir l’anonymat des travailleurs qui cotisaient. De nos jours cela a plutôt comme conséquence d’entretenir la suspicion et de faire naître la méfiance chez ces derniers (affaire UIMM [14]). Mais surtout cela ne permet pas de savoir à quelle hauteur les cotisations syndicales participent de la construction des syndicats.

Le fait de cotiser doit avoir comme résultat que les travailleurs construisent au quotidien un des outils de leur lutte contre les patrons, or un financement opaque et largement subventionné par l’État, ne permet pas cette prise de conscience. De plus la cotisation syndicale est importante pour financer les différentes outils du syndicats : tracts, brochures, formations, journées d’études, congrès, etc. L’argument qui justifie de se servir des fonds publics pour construire les syndicats, n’est donc pas juste car il maintient les travailleurs dans une position d’adhérents et non pas d’acteurs, de constructeurs de leur syndicat. Ceci a pour conséquence de renforcer le substitutisme du syndicat : votez pour les syndicats aux prud’hommes, dans les CE, dans les CA, etc. et les délégués et commissaires paritaires feront le reste. Cette situation n’est pas forcément critiquée par les syndiqués car ils n’ont pas le temps ni la formation pour décortiquer les nouvelles lois et leur retombées sur leurs conditions de travail. Cette face du syndicat montre sa tendance profondément réformiste, c’est-à-dire qu’il est possible de changer les choses, d’améliorer les conditions de travail par l’accumulation des réformes (convention collective, recours aux Prud’hommes, parfois quelques grèves pour maintenir la pression) mais les salariés sont passifs, ils ne développent pas un esprit combatif au quotidien.

Or le rapport entre syndiqués/délégués/bureaucrates s’auto-entretient, car les délégués syndicaux sont confortés dans leur démarche par la passivité des travailleurs, qui se tournent vers eux pour régler des problèmes qui paraissent individuels. Cette position peut être un atout car les salariés ont confiance dans le travail quotidien du délégué, ils peuvent du coup être influencés par le discours du délégué sur la nécessité de l’action collective, mais la réciproque est vraie : si le délégué pense qu’une mobilisation n’est pas utile, les salariés ont tendance à le suivre dans cette démarche. Or les bureaucrates finissent par se convaincre que les luttes sont difficiles à mener car les syndiqués sont la plupart du temps passifs et que les résultats positifs ou négatifs de leurs négociations quotidiennes semblent détachés du rapport de force issus des luttes antérieures.

La nature contradictoire des syndicats, met ainsi les dirigeants syndicaux face à des choix antagonistes lorsque des luttes éclatent. Tout d’abord, ils ne sont pas sûrs que les luttes soient victorieuses et perdent confiance dans la capacité des travailleurs à s’auto-organiser et à se radicaliser dans une lutte où ils ne sont pas directement impliqués. Surtout ils craignent davantage que les défaites n’accentuent la désyndicalisation et du coup ne leur fassent perdre leur légitimité vis-à-vis du patron/gouvernement. Mais également de voir leur influence diminuée auprès des syndiqués, ce qui se traduirait en une perte de voix et donc en nombre de décharges syndicales dont ils disposent, voire leur propre poste. Et quel permanent syndical aurait envie de retourner travailler après cinq à quinze ans d’arrêt de travail ?

Par ailleurs en cas de mouvement de grève, il est fort possible que les dirigeants se fassent déborder par leur base, active dans les cadres d’auto-organisation (AG, comité de mobilisation, piquet de grève, etc) et donc plus proche des travailleurs (comme c’est le cas des délégués-séquestrateurs). Une lutte trop radicale a tendance à se politiser rapidement et à mettre en doute la légitimité du pouvoir en place. La perte de contrôle de ces luttes peut s’opposer à la stratégie réformiste des syndicats. Ils doivent sans cesse alterner mobilisations importantes pour maintenir ou améliorer leur position et en freiner la montée pour la conserver. Ils suivent alors le mouvement pour tenter de le récupérer ou d’en prendre la direction car ils tentent de conserver une légitimité à double face : auprès des patrons et du gouvernement d’une part et auprès des travailleurs d’autre part. On touche ici au cœur de la contradiction syndicale. Les permanents syndicaux ne sont plus des travailleurs car ils n’interviennent plus directement ou indirectement dans le processus de production mais ils ne sont pas non plus des patrons car il ne bénéficient pas de l’exploitation des travailleurs.

Les syndicats comme cadres de front unique

Dans les parties précédentes nous avons pu constater à quel point les syndicats sont des organisations contradictoires. Tout à la fois cadres de masse et organisations minoritaires, elles ont également un potentiel de radicalisation fort, tout en étant profondément réformistes. À cause de cette nature contradictoire, qui n’est finalement que le reflet accentué des contradictions de la classe ouvrière et des pressions de la classe dirigeante, le syndicat doit donc être vu comme une forme de front unique pour les anticapitalistes. Un front unique particulier car il n’y a pas à proprement parler de directions réformistes, le syndicat étant lui-même réformiste par nature.

La tactique du front unique repose en effet sur l’idée que les travailleurs seuls ont le pouvoir de s’émanciper et de faire changer les choses quand ils prendront le contrôle de la production, mais également que ces mêmes travailleurs sont le plus souvent passifs et soumis à la pression des idées dominantes qui ne cessent de les diviser. Or le sentiment qui domine l’ensemble des travailleurs est que l’on doit changer les choses mais que cela doit se faire en « douceur » par des réformes et donc des lois qui régissent le monde du travail. Cet état d’esprit, qui est également valable pour la plupart des syndiqués, a pour conséquence de les pousser plus volontiers vers une démarche consistant à accumuler les petites réformes progressives dans un contexte favorable ou à se contenter d’essayer de limiter la casse lorsque la situation est plus difficile. Cette politique réformiste tend en retour à surestimer le poids du cadre institutionnel dans le rapport de forces que détient le syndicat et donc à privilégier ce dernier par rapport au développement des luttes.

Les anticapitalistes doivent donc intervenir de façon active dans les syndicats pour convaincre que la perspective d’un changement de système économique et social n’est pas seulement une possibilité historique mais également une nécessité stratégique. Cette position, qui peut être résumée par la formule « les révolutionnaires sont les meilleurs réformistes » a été fortement appuyée par l’histoire du mouvement politique et syndical. L’exemple en négatif le plus connu étant certainement celui des dirigeants réformistes du PCF et de la CGT en 1936, demandant aux travailleurs français de stopper une grève qui remportait victoire sur victoire. [15] L’intervention dans les syndicats en tant qu‘anticapitalistes et pas seulement comme syndicalistes est donc nécessaire car elle implique de combattre l’ensemble des causes qui alimentent cette tendance réformiste et les conséquences pratiques qui en découlent.

Construire

La force du syndicalisme se trouve dans sa vocation à regrouper l’ensemble des travailleurs pour la défense de leurs droits. Le seul travail de syndicalisation implique donc une élévation du niveau de conscience de classe par la mise en évidence d’intérêts communs, quelles que soient les distinctions de « races », de sexe, de religion, etc. entre des individus soumis au quotidien à la dictature de l’idéologie dominante et donc, à la division. Ce regroupement, quand il est combiné avec des mobilisations victorieuses, implique également le développement de la confiance des travailleurs en leurs propres forces pour changer leur quotidien et à une échelle plus large, la société toute entière.

Or les syndicats ont la capacité de regrouper l’ensemble des travailleurs parce qu’ils prouvent leur utilité au quotidien. Pour cette raison le travail syndical de défense individuel, de bataille sur l’ensemble des éléments qui peuvent améliorer les conditions des travailleurs ne peut être laissé aux bureaucrates syndicaux ou plus largement aux syndiqués qui ne sont pas dans le parti tandis que les anticapitalistes se contenteraient d’une attitude uniquement propagandiste. Au contraire, pour convaincre de leur orientation les anticapitalistes doivent également être « les meilleurs syndicalistes » et permettre aux travailleurs d’être les acteurs des luttes.

Les militants anticapitalistes doivent donc se syndiquer mais aussi faire en sorte que les travailleurs se syndiquent. Un parti, et à plus forte raison, un parti anticapitaliste ne peut pas faire le travail de défense des travailleurs au quotidien car il ne regroupe par définition qu’une frange minoritaire des travailleurs. Plus il y aura de syndiqués convaincus par les anticapitalistes, plus les rapports de force entre la base et la direction se poseront de manière aiguë.
Démocratie

Mais pour cela il faut œuvrer pour plus de démocratie dans les syndicats. Tout d’abord les syndiqués devraient pouvoir délégitimer une direction syndicale (par un vote par exemple) si elle ne respecte pas le mandat pour lequel elle a été élue, et cela sans attendre un congrès mais au lendemain d’une mobilisation. Cela implique également une campagne de syndicalisation qui s’appuie sur l’idée que plus les syndiqués auront le contrôle, y compris financier, de leur outil syndical, plus le syndicat pourra être démocratique et offensif en période de lutte.

Il faut également s’organiser au sein du syndicat pour faire entendre une voix alternative quand les directions syndicales donnent l’impression de trahir. Dire que les directions syndicales trahissent est un truisme. Cette position propagandiste encourage un pessimisme et donc une tentation à la passivité chez les syndiqués qui se diront « à quoi sert de se syndiquer puisque les directions vont nous trahir de toutes façon ? ». Inciter à la syndicalisation, utiliser la tactique du front unique dans les syndicats, ne doit pas se borner à dénoncer à tout prix les directions, mais être une médiation pour organiser les franges les plus radicales des travailleurs. Le syndicat doit être perçu comme un double moyen : se défendre au quotidien et apprendre à se battre collectivement.

Ce rapport au syndicalisme doit donc être combiné. Le Nouveau Parti Anticapitaliste doit compter dans ses rangs des cadres syndicaux intermédiaires, au contact des travailleurs, mais qui construisent aussi leur syndicat. Ces cadres doivent se battre au quotidien pour organiser les syndiqués et les non-syndiqués, les défendre au quotidien mais aussi en faire des acteurs des luttes. Ils doivent favoriser l’auto-organisation des travailleurs en période de lutte sous la forme de conseils des travailleurs, d’AG souveraine, d’AG de ville etc.
Une intervention coordonnée

Le combat pour une orientation syndicale conséquente ou le progrès de la démocratie interne ne peut toutefois être le fait d’individus isolés. Pour que les analyses et les positions quotidiennes des sections syndicales comme des confédérations puissent être contrôlées par l’ensemble des syndiqués, il faudra que les militants anticapitalistes s’organisent afin de proposer le cas échéant une orientation alternative. La situation actuelle, où les militants du NPA interviennent dans des syndicats différents, implique de mettre en place des cadres de discussion et/ou d’intervention au niveau intersyndical. C’est un préalable nécessaire à la convergence des mots d’ordre qui font avancer le mouvement social dans son ensemble et toujours dans son intérêt de classe.

Réclamer la régularisation de tous les sans-papiers, par exemple, est non seulement juste mais nécessaire car cela permet de combattre la division des travailleurs. Chaque anticapitaliste doit pouvoir porter une telle revendication dans son syndicat. Mais arriver à un tel résultat ne sera pas possible sans une réelle coordination des anticapitalistes.

Bien entendu, les formes que prendront de tels cadres de discussion et d’intervention, ne peuvent être déterminés de manière abstraite. Ceci est vrai à l’interieur du NPA, mais l’est encore plus au sein des syndicats. Quel serait alors l’outil le plus pertinent ? L’idée d’un courant « lutte de classe », organisé autour d’une revue diffusée à l’ensemble des syndiqués, a par exemple émergé lors de la première commission nationale public/privé/privés d’emploi du NPA. Cela aurait le mérite de faire progresser l’intervention coordonnée des anticapitalistes et de faire entendre une autre voix que celle des directions réformistes. Mais cela pose également de nombreuses autres questions. S’agirait-il d’un regroupement de tendances ? Devrait-il uniquement regrouper les membres du NPA ? Devrait-il avoir une expression publique ? etc. Nous devons mener le débat dans l’ensemble des cadres du NPA et, à l’échelle nationale, du comité de base jusqu’au comité exécutif en passant par les indispensables commissions.
Notes

[1] D. Andolfatto, D. Labbé, Les syndiqués en France, 1990-2006, Liaisons, 2006.

[2] Cf. « L’appel et la pioche : jeunes, précaires, anticapitalistes », entretien avec Leïla dans le même numéro, p34.

[3] 3. Pour une analyse complète du mouvement de Mai 68 : Chris Harman, Quand la France prit feu, consultable en français sur http://tintinrevolution.free.fr/fr/….

[4] Les études actuelles estiment qu’elle est inférieure à 2 millions aujourd’hui. Sachant que les chiffres d’avant la seconde guerre mondiale sont uniquement ceux déclarés par les organisations elles-mêmes on peut raisonnablement estimer que la syndicalisation en 1937 s’élevait à environ 4 millions de travailleurs.

[5] Pour une analyse plus fine sur la question, lire l’entretien de Jean-Daniel Lévy réalisé par Dominique Mezzi et Francis Sitel dans Critique Communiste n°178, 2005.

[6] Enquête REPONSE 2004 (volet représentant du personnel et volet représentation de la direction) citée dans La lutte continue ?, Éditions du croquant, 2008, sous la direction de Sophie Beroud.

[7] Correspondant dans cette étude à au moins deux diffusions de tracts et/ou tenues de permanence par trimestre.

[8] Selon un sondage BVA du 12 juin, 72 % des français, considéraient la mobilisation comme « justifiée ».

[9] Leila Soula, « La charte d’Amiens, mythe et réalités », revue Que faire ?, n°7, janvier-mars 2008, consultable sur http://quefaire.lautre.net/articles… .

[10] Sondage CSA, septembre 2007-2008.

[11] « Séquestrer son patron, la nouvelle arme sociale », Libération.fr, 9 avril 2009.

[12] Pour une analyse des conséquences de cette réforme sur la stratégie intersyndicale notamment, lire Sophie Béroud et Karel Yon, « Face à la crise, que fait le mouvement syndical ? », Contretemps, nouvelle formule, n°1, consultable sur http://contretemps.eu/interventions….

[13] La position commune propose que la reconnaissance de la représentativité syndicale soit évaluée en fonction de sept critères : les effectifs d’adhérents et les cotisations, la transparence financière (certification des comptes), l’indépendance, le respect des valeurs républicaines, l’influence (activité, implantation, etc.), une ancienneté de deux ans minimum, ainsi que l’audience établie à partir des élections professionnelles (élections aux comités d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel). Pour ce dernier critère, un seuil de 10% des « suffrages valables exprimés » est fixé.

[14] Sur l’affaire de l’UIMM : « La justice ouvre une enquête sur une grande figure du patronat… », Les Échos, 26 septembre 2007.

[15] Sur le sujet lire Sarah Benichou, « 1936 : Tout est possible », Que Faire ?, n°4, juillet-septembre 2006, consultable sur http://quefaire.lautre.net/articles….

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