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Y a-t-il une continuité des organisations révolutionnaires de Marx à Lénine et Trotsky, de la première à la deuxième et à la troisième internationale, ou même de la Ligue des communistes à la quatrième internationale de Trotsky et au trotskysme d’aujourd’hui ? Non !

8 août 2017, 08:00

Au printemps 1847, Moll alla trouver Marx à Bruxelles, puis vint me voir ensuite à Paris, afin de nous inviter une nouvelle fois au nom de ses camarades à entrer dans la Ligue. Ils étaient, nous disait-il, convaincus en général de l’exactitude de notre conception tout autant que de la nécessité de soustraire la Ligue aux anciens usages et procédés conspiratifs. Si nous voulions adhérer, l’occasion nous serait offerte de développer, à un congrès de la Ligue, notre communisme critique dans une proclamation qui serait ensuite publiée comme manifeste de la Ligue ; de la sorte, nous pourrions contribuer avec nos forces à substituer à l’organisation surannée de la Ligue une organisation nouvelle, conforme aux exigences de l’époque aussi bien qu’au but du communisme. II ne faisait pas le moindre doute qu’il fallait une organisation au sein de la classe ouvrière allemande, ne fût-ce que pour la propagande. Cependant, dans la mesure où elle n’était pas purement locale, ce ne pouvait être qu’une association secrète, même si elle existait aussi hors d’Allemagne. Or, la Ligue constituait précisément une organisation de ce genre. Ce que nous avions critiqué jusqu’alors dans la Ligue, les représentants de la Ligue le considéraient eux aussi comme erroné et se disaient prêts à le sacrifier. Et l’on nous invitait à contribuer à cette réorganisation. Pouvions-nous refuser ? Évidemment non. Nous entrâmes donc dans la Ligue. À Bruxelles, Marx créa une commune avec nos sympathisants, tandis que je rendis visite aux trois communes de Paris...

Or donc, la révolution de février éclata. Aussitôt le Conseil central de Londres délégua ses pouvoirs au cercle directeur de Bruxelles. Mais cette décision intervint à un moment où Bruxelles était soumis à un véritable état de siège et où les Allemands en particulier ne pouvaient plus se réunir nulle part. Quoi qu’il en soit, nous étions tous sur le point de nous rendre à Paris. Le nouveau Conseil central résolut donc de se dissoudre, afin de remettre tous ses pouvoirs à Marx, l’habilitant à constituer immédiatement à Paris un nouveau Conseil central. Les cinq camarades qui avaient pris cette résolution (3 mars 1848) venaient à peine de se séparer que la police envahit le logis de Marx pour l’arrêter et le mettre en demeure de partir le lendemain en France, où il avait précisément l’intention de se rendre...

Comme il était facilement prévisible, la Ligue s’avéra comme un levier pratiquement dérisoire face aux masses populaires jetées dans le tourbillon révolutionnaire. Les trois quarts des membres de la Ligue avaient changé de domicile du fait de leur retour en Allemagne, et la plupart des communes auxquelles ils avaient adhéré jusqu’alors se trouvèrent automatiquement dissoutes, de sorte qu’ils perdirent toute liaison avec la Ligue...

À Berlin, enfin, Stephan Born, ancien membre très actif de la Ligue à Bruxelles et à Paris, fonda une Association fraternelle ouvrière qui prit une grande extension et subsista jusqu’en 1850. Hélas, Born, encore jeune et plein de talent, fut trop pressé de devenir une sommité politique et fraternisa avec le tiers et le quart simplement pour rassembler beaucoup de monde. Il n’était pas homme à mettre de l’unité dans les tendances opposées, ni de la clarté dans le chaos. Ainsi, dans les publications officielles de cette association, s’entremêlent en un fouillis inextricable des idées exposées dans le Manifeste communiste, des réminiscences et revendications datant des vieilles corporations, des bribes des constructions de Louis Blanc et de Proudhon, des idées protectionnistes, etc. ; bref, il voulait être de tous les mouvements et n’était que la mouche du coche. On lança des grèves, des coopératives ouvrières, des associations de production, en oubliant qu’il s’agissait, avant tout, de commencer par conquérir, grâce à des victoires politiques, un terrain sur lequel tout cela pouvait être réalisé à long terme. Or, lorsque les victoires de la réaction firent comprendre aux dirigeants de cette Association fraternelle des ouvriers qu’il fallait intervenir directement dans la lutte révolutionnaire, ils furent naturellement lâchés par la masse confuse qu’ils avaient rassemblée autour d’eux. Born participa à l’insurrection de Dresde en mai 1849, et parvint à en sortir sain et sauf. Mais l’Association fraternelle ouvrière était restée à l’écart du grand mouvement politique du prolétariat, comme une organisation particulière, qui n’existait guère que sur le papier. Son rôle fut si effacé que la réaction ne jugea nécessaire de la combattre qu’en 1850, et de liquider ce qui en restait quelques années plus tard seulement. Born Buttermilch de son vrai nom ne devint pas un grand homme politique, mais un petit professeur suisse qui, au lieu de traduire Marx dans le langage des artisans, traduisit le tendre Renan en son propre allemand à l’eau de rose...

Le sort de cette organisation était directement lié aux perspectives d’une reprise révolutionnaire. Or, celles-ci devenaient de plus en plus incertaines, voire contraires au cours de l’année 1850. La crise industrielle de 1847 qui avait préparé la révolution de 1848 était surmontée, et il s’ouvrait une nouvelle période de prospérité industrielle sans pareille jusqu’ici. Quiconque avait des yeux pour voir, et s’en servait, s’apercevait clairement que la tempête révolutionnaire de 1848 s’apaisait progressivement. Dans la revue de mai à octobre 1850, Marx et moi nous écrivions : « Du fait de la prospérité générale, au cours de laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance possible au sein des rapports bourgeois, il ne peut être question d’une véritable révolution. Celle-ci n’est possible qu’aux périodes de conflit ouvert entre ces deux facteurs : les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises. Les différentes querelles auxquelles se livrent actuellement les représentants des diverses factions du parti de l’ordre sur le continent, et dans lesquelles elles se discréditent les unes les autres, bien loin de fournir de nouvelles occasions de révolution, ne sont au contraire possibles que parce que la base des rapports sociaux est en ce moment bien assurée et ce que la réaction ignore solidement bourgeoise. Les multiples tentatives entreprises par la réaction pour endiguer l’essor social de la bourgeoisie viendront s’échouer contre cette base, et ce tout aussi sûrement que toute l’indignation morale et les proclamations enthousiastes de la démocratie. » ...

Le procès de Cologne clôt cette première période du mouvement ouvrier communiste allemand. À peine les condamnations étaient-elles prononcées que nous décidâmes de dissoudre notre Ligue ; quelques mois plus tard, la Ligue séparatiste de Willich-Schapper sombra dans le repos éternel.

Engels

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