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La philosophie des mathématiques et celle des sciences

23 septembre 2017, 08:47

Richard Feynman :

Toute idée simple est approchée ; comme illustration considérons un objet. Mais un objet, qu’est-ce que c’est ? Les philosophes disent toujours, « Bon, prenez simplement une chaise par exemple. » Au moment où ils disent cela, vous savez qu’ils ne savent plus de quoi ils parlent. « Qu’est-ce » qu’une chaise ? Bon une chaise a une certaine masse… Certaine ? combien certaine ? Ses atomes s’évaporent de temps en temps – pas beaucoup d’atomes mais un tout petit peu – de la poussière tombe sur elle et se dissout dans la peinture, ainsi il est impossible de définir précisément une chaise, de dire exactement quels atomes sont chaise, et quels atomes sont air, ou quels atomes sont poussière, ou quels atomes sont peinture de la chaise ; la masse d’une chaise ne peut être définir qu’approximativement. De la même manière, il est impossible de définir la masse d’un objet unique, puisqu’il n’y a pas d’objet unique livré à lui-même dans l’univers – tout objet est un mélange de beaucoup de choses, nous ne pouvons ainsi le traiter que comme une suite d’approximations et d’idéalisations.

L’astuce, c’est d’idéaliser. A une excellente approximation, peut-être à une fraction de un divisé par dix puissance dix près, le nombre des atomes de la chaise ne change-t-il pas en une minute, et si nous ne sommes pas trop précis, nous pouvons idéaliser sa masse comme étant constante ; de la même manière, si nous ne sommes pas trop précis, nous idéaliserons l’étude des caractéristiques des forces.

On peut ne pas être satisfait avec la vue approchée de la nature que les physiciens essayent d’obtenir (on essaie toujours d’augmenter la précision de l’approximation), et préférer une définition mathématique ; mais les définitions mathématiques ne peuvent jamais marcher dans le monde réel. Une définition mathématique sera bonne pour les mathématiques dans lesquels la logique peut être suivie jusqu’au bout, mais le monde physique est complexe, comme nous l’avons indiqué dans un grand nombre d’exemples, tels que ceux des vagues de l’océan et d’un verre de vin. Lorsque nous essayons d’en isoler les parties, de parler d’une masse, le vin et le verre, comment pouvons nous savoir qui est quoi, lorsque l’un se dissout dans l’autre ? Les forces sur un seul objet comportent toujours des approximations et si nous voulons discourir sur le monde réel, alors ce que nous disons doit contenir certaines approximations, du moins pour le moment.

Une telle méthode est tout à fait différente du cas des mathématiques, dans lequel tout peut être défini sans que nous puissions « connaître » ce dont nous parlons. En fait, la gloire de mathématiques, c’est « que nous n’ayons pas besoin de dire ce dont nous parlons ». La gloire, c’est que les lois, les raisonnements et la logique, sont indépendants de ce que « cela » est.

Si n’importe quel ensemble d’objets obéit au même système d’axiomes que ceux de la géométrie d’Euclide, alors si nous fabriquons de nouvelles définitions et que nous les suivions jusqu’au bout avec une logique correcte, toutes les conséquences seront correctes, et la nature du sujet n’a aucune importance.

Dans la nature, cependant, lorsque nous traçons une droite ou lorsque nous établissons une droite en utilisant un rayon de lumière et un théodolite, comme dans l’arpentage, mesurons-nous une droite au sens d’Euclide ? Non, nous faisons une approximation ; le fil du réticule a une certaine largeur. Par contre, une ligne géométrique n’a pas d’épaisseur. Et c’est une question d’ordre physique et non d’ordre mathématique, que l’on puisse utiliser ou non la géométrie d’Euclide pour faire de l’arpentage. Cependant, d’un point de vue expérimental, et non d’un point de vue mathématique, nous devons savoir si les lois d’Euclide s’appliquent au type de géométrie que nous utilisons en mesurant les terrains ; ainsi nous faisons l’hypothèse que cela marche, et cela marche très bien ; mais ce n’est pas précis, parce que nos droites d’arpentage ne sont pas réellement des droites géométriques. C’est une question d’ordre expérimental que ces droites d’Euclide, qui sont abstraites, se comportent comme les droites expérimentales ; ce n’est pas une question à laquelle on peut répondre à l’aide de la simple raison.

De la même manière, nous ne pouvons pas simplement dire que F=ma est une définition, en déduire tout de façon purement mathématique, et faire de la mécanique une théorie mathématique, alors que la mécanique est une description de la nature.

En établissant des postulats convenables, nous pouvons toujours, comme Euclide, forger un système mathématique, mais nous ne pouvons pas faire une mathématique du monde, parce que tôt ou tard nous devons vérifier si les axiomes sont valables pour les objets de la nature. Nous avons à faire alors immédiatement à ces objets de la nature compliqués et « sales », mais avec des approximations augmentant toujours en précision.

Les considérations précédentes montrent qu’une véritable compréhension des lois de Newton nécessite une discussion des forces, et c’est le but de ce chapitre d’introduire une telle discussion pour compléter en quelque sorte l’étude des lois de Newton. Nous avons déjà étudié les définitions de l’accélération et les notions qui lui sont reliées, à présent nous devons étudier les propriétés des forces, et ce chapitre, à la différence des chapitres précédents, ne sera pas très précis, car les forces sont assez compliquées.

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