dimanche 12 août 2018
Voici une partie de l’analyse de LO de ce mouvement, partie que nous discutons en dessous de cet extrait :
« Quelle qu’ait été la surprise de nombreux militants, y compris de la CGT, à l’annonce de cette forme de grève intermittente, il est vite apparu que nulle part les cheminots n’étaient prêts à la déborder. Si une assemblée comme celle de la gare du Nord a, par exemple, voté le 22 mars le principe d’une grève reconductible à partir du 3 avril, celle-ci ne fut réellement suivie que par quelques dizaines de grévistes au-delà des jours du calendrier. Il en a été de même dans d’autres secteurs où des cheminots choisissaient de rester en grève reconductible entre deux périodes, mais de façon très minoritaire. D’autre part, si une fraction des travailleurs, majoritaire en particulier chez les agents de conduite et les contrôleurs, est restée en grève chaque jour du calendrier jusqu’à aujourd’hui, ce ne fut pas le cas dans tous les secteurs, bon nombre de cheminots faisant leur propre calendrier de grève… à l’intérieur du calendrier de l’intersyndicale.
La question n’est pas d’opposer telle tactique en soi, comme la grève reconductible, au « 2 sur 5 », comme étant la recette miracle valable en tout temps et en tout lieu et surtout indépendamment de ce que les travailleurs sont prêts à faire. Un mouvement peut commencer par une simple journée d’action comme le 13 mai 1968 et déborder vers une grève générale sans même d’appel syndical. Et même des journées d’action suffisamment rapprochées comme en 1995 ont pu permettre aux militants de s’appuyer sur des secteurs déjà mobilisés pour entraîner les autres.
Loin de vouloir créer une dynamique, la CGT cheminots précisait dès le 16 mars, au lendemain de la parution du « calendrier », son objectif dans un rapport interne destiné aux secrétaires de syndicats : « Avoir une mobilisation stable dans la durée pour passer les étapes de la stratégie gouvernementale et leur faire comprendre qu’ils ne gagneront pas en attendant le pourrissement. » L’objectif était donc d’atteindre une mobilisation stable, en fait d’accompagner le calendrier législatif et celui des négociations. Il ne s’agissait pas de donner l’initiative aux cheminots mais de cantonner leur lutte à soutenir les négociateurs syndicaux.
Plutôt que de tenter de convaincre qu’il faudrait à un moment ou à un autre jeter ses forces dans la bataille, toujours dans le même rapport, la fédération CGT flattait la grève à l’économie : « Tous les cheminots, que ce soient ceux qui veulent s’économiser, ou ceux qui veulent perturber la production, pourront s’y retrouver. »
Et elle tenait à verrouiller d’avance toute initiative de la base, y compris la sienne propre, en concluant : « Il va nous falloir être clairs avec le moins de voix dissonantes possible. Nous ne pouvons pas refaire la stratégie en fonction de l’humeur, des tergiversations environnantes sur les sites. Il n’y en a qu’une seule. »
Derrière « l’humeur, les tergiversations », il s’agit en fait, dans le langage suffisant de bureaucrates, de l’opinion des travailleurs. Pour eux, ceux-ci doivent être capables de supporter plus d’un mois de retenues sur salaire mais pas de décider de leur grève !
La méfiance allait jusqu’aux rangs même de la CGT, la fédération recommandant de « tenir les assemblées générales régulièrement, avec des AG de syndiqués avant celles de cheminots » afin que ceux-ci ne parlent que d’une seule voix. Après le succès du 22 mars, dans une autre note interne, elle interdisait le lendemain à ses militants et syndiqués « de prendre part à un quelconque vote pour une reconduction le 5 avril ». Tout cela montre la crainte de la CGT de ne pas maîtriser le mouvement. Or, c’est en créant une dynamique, en s’appuyant sur l’enthousiasme et l’énergie des grévistes, sur leur nombre qui multiplie par cent les forces militantes, en les transformant en acteurs de la grève, qu’un mouvement peut prendre le caractère incontrôlable d’une réaction en chaîne. Mais un mouvement incontrôlable, c’est aussi ce que craignent les directions syndicales. Et ce mouvement l’a encore prouvé. Ce n’est que lorsqu’elle a vu que le mouvement avait peu de chances de la déborder, que la direction de la CGT a dans une certaine mesure lâché la bride, autorisant par exemple des assemblées interservices là où elle s’y était opposée. Il est vain de spéculer sur le fait qu’une grève reconductible aurait ou non pu enclencher une autre dynamique. D’une part parce qu’on ne refait pas l’histoire. Mais surtout parce que le rôle de militants ouvriers dévoués à leur classe n’est pas de faire des diagnostics a priori et de les imposer, mais de s’appuyer sur la volonté, le niveau de conscience et de combativité des grévistes au fur et à mesure de la lutte. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » était la formule fondatrice de la Ière Internationale ouvrière. Cela commence par le fait que les travailleurs soient maîtres de leur mouvement et la seule forme de lutte adaptée est celle qui s’appuie sur la conscience et la détermination des grévistes à chaque étape. Cela n’a rien non plus à voir avec la posture de la fédération Sud-Rail dont le seul fait d’armes a été de déposer un préavis de grève reconductible mais sans jamais y appeler par elle-même, ni d’ailleurs chercher à s’en donner les moyens. Elle s’appuyait sur la stratégie de l’intersyndicale dont elle tenait à faire partie d’un côté, tout en la critiquant localement en fonction des circonstances et des opportunités. Fondamentalement, Sud-Rail défendait tout autant que les autres ses intérêts d’appareil : être reconnu comme interlocuteur et négociateur par le gouvernement, tout en gardant un œil rivé sur les prochaines élections professionnelles. Le mouvement n’a pas eu la puissance de dépasser et déborder le cadre fourni par les organisations syndicales. C’est sa principale limite. Mais dans ce cadre, pendant trois mois, les travailleurs du rail ont fait de multiples expériences. Des dizaines de milliers d’entre eux ont participé à de assemblées, à des manifestations, des rassemblements. Ils ont établi des contacts avec des travailleurs d’autres secteurs, à la SNCF et aussi en dehors. Le caractère non corporatiste du mouvement s’est traduit par des diffusions de tracts, des rencontres auprès d’autres travailleurs. C’est ainsi que des cheminots sont venus prêter main forte à des travailleurs de Carrefour par exemple. Des cheminots se sont aussi rassemblés le 19 juin à la gare de l’Est à Paris, pour soutenir les travailleurs de Ford Blanquefort, qui allaient en Allemagne pour défendre leur emploi. Dans des dizaines d’endroits, des contacts ont été noués entre militants et travailleurs de différentes entreprises. Ces liens sont précieux pour l’avenir. »
Fin de l’extrait du texte de Lutte Ouvrière…
Lutte ouvrière nous dit : « Quelle qu’ait été la surprise de nombreux militants, y compris de la CGT, à l’annonce de cette forme de grève intermittente, il est vite apparu que nulle part les cheminots n’étaient prêts à la déborder. »
Pour le vérifier, il aurait fallu… le proposer !
On peut penser que l’organisation Lutte Ouvrière a déclaré partout qu’il fallait déborder le cadre trop étroit de la « grève intermittente ».
Vérifions-le par exemple sur les éditoriaux des entreprises qui sont hebdomadaires et donnent une bonne idée de la politique de l’organisation LO.
19 février 2018 : Le rapport Spinetta commandé par Macron est rendu public et annonce toutes les attaques de celui-ci sur le statut de cheminots, sur le statut de la SNCF et sur la dette de la SNCF notamment.
Vérifions donc les éditoriaux de LO à partir de ce moment-là. Est-ce que cette organisation, étant d’extrême gauche, propose aux travailleurs d’agir de manière autonome, sans rien attendre des bureaucraties syndicales, puis est-ce qu’après la proposition scandaleuse de ne pas faire une vraie grève mais seulement des journées d’action trois jours de suite, et d’appeler les seuls cheminots sans extension, est-ce que LO l’a dénoncée et appelé les cheminots à autre chose. Voyons donc…
Dans la suite, on ne trouve rien de tout cela le 25 avril
Les éditoriaux ne sont peut-être pas le meilleur moyen de le savoir ce que LO a proposé aux cheminots. Vérifions-le alors dans les articles de Lutte Ouvrière.
Voyez-vous une telle proposition dans cet article du 19 février 2018 ?
Qu’aurions-nous pu lire dans LO et que nous n’y lirons pas ?
La démonstration que l’attaque vis dès le départ tout le service public et pas la seule SNCF
L’idée que la revendication de reprise par l’Etat de la dette SNCF est une trahison
Dès le 8 mars, la proposition publique d’une autre politique que celle des bureaucraties
Une chronologie des trahisons syndicales
Une politique proposée publiquement aux militants syndicalistes
Des éditoriaux qui éclairent la voie
Des leçons de luttes passées, par exemple celles des cheminots