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Un témoignage sur le nucléaire

mercredi 18 mai 2011

Pas question pour moi d’intervenir sous un pseudo. Je suis Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au Cnrs. Je vois qu’à Fukushima l’opérateur TEPCO et le gouvernement n’ont pas réagi comme ils auraient dû le faire. "A la russe". Il aurait fallu immédiatement faire des travaux de dégagement routiers pour permettre l’acheminement de moyens lourds. Ces sarcophages ne résoudront rien. Un séisme peut fracturer n’importe quelle dalle de béton, quelle que soit son épaisseur. A mon avis le séisme a fissuré celles qui se trouvent sous le réacteur. D’où fuites incontrôlable d’eau radioactive vers la mer. Il aurait fallu donc dégager les sources de radioactivité au plus vite, et au moins celles qui pouvaient être accessibles : les contenus des piscines. Pour ce faire il aurait fallu amener à pied d’oeuvre un pont roulant, capable d’enjamber les réacteurs, en le télécommandant. Le Japon est leader en matière d’industrie lourde et de construction navale. De tels ponts existent déjà, très puissants. Restait à les acheminer, ce qui n’aurait pas été facile. En les démontant partiellement, et par la mer ?
Mais au lieu de ça, 50 pauvres types ont arrosé les réacteurs avec des lances à incendie...
Pathétique !
Des ponts roulant auraient pu dégager les poutrelles légères qui encombraient le dessus, qui sont retombées après l’explosion. De puissants grappins auraient permis de dégager les décombres.
Enfin, les Japonais auraient pu enlever, laborieusement, les assemblages en les extrayant des piscines, pour les replonger au plus vite dans des containers portés par des camions, emplis d’eau. Tout cela aurait pu être télécommandé. La radioactivité est présente à proximité des réacteurs, mais elle reste sans commune mesure avec celle de Tchernobyl, immédiatement après l’explosion du réacteur.
Transportés immergés, par cette noria de camion, ces assemblages auraient pu simplement être réimmergés dans un vaste bassin. Voire même dans un ... port, ou un pièce d’eau. Séparés les un des autres, sous quelques mètres d’eau, leur chaleur aurait pu être dissipée, sans avoir besoin " de les arroser". Après, on aurait construit une piscine pour les immerger de nouveau (comme à la Hague).
C’était la mesure d’urgence. Ouvrir les cuves aurait été une toute autre affaire. Pas sûr que ça soit faisable. Mais pour les piscines, oui.
Ce qui se passe au Japon est l’illustration des dérives du libéralisme qui dit toujours qu’il y a " trop d’Etat ". Le pouvoir politique Nippon est inexistant. Il est "aux ordres" et là, les ordres n’arrivent pas. Il n’y a pas de "cellule de crise". Les spécialistes du nucléaires, sollicités pour se rendre sur les lieux, se sont défilés. Simple état de fait.
Si on se replonge dans ce qui s’est passé à Tchernobyl, on peut voir qu’une crise nucléaire coûte très cher. Tout de suite, il fallait pouvoir se dire "cette crise va coûter des milliards de dollars", et pouvoir les mettre sur la table. Mais qui pouvait faire cela ?
Il est significatif qu’un mois après la catastrophe des journalistes aient pu s’aventurer près du site avec une simple voiture, sans apercevoir le moindre contrôle policier ou militaire. Il aurait fallu boucler la zone très vite. Ces gens sont revenus avec un véhicule possiblement contaminé.
Il aurait fallu, comme l’ont fait les Russes, créer une brigade dont la mission aurait été d’abattre tousles animaux errants, dans la zone, domestique ou sauvags. Les chiens peuvent ramener de la radioactivité dans leurs poils.
Je sais que le Japon était dans le chaos et que réagir face à une telle situation n’était pas facile, avec les conséquences du tsunami. Mais on a entendu personne dire "je prends les choses en main". La pantomime où on a pu voir les responsables de TEPCO se prosterner, face contre terre, était lamentable.
Lamentable aussi ce refus nippon d’aide extérieure. Lamentable le fait d’être leaders en matière de robots domestiques, et de n’en avoir aucun capable d’intervenir en "zone chaude".Et de refuser de recevoir des robots étrangers.
Cette affaire ne fait que commencer. Les sarcophages ne résoudront rien, sinon en cachant au public l’état des réacteurs. En cessant d’être arrosés, les éléments combustibles monteront en température. On ne connait pas l’état du soubassement, sous les réacteurs. Il doit être fracturé et la radioactivité polluera la nappe phréatique, filera dans la mer. Il sera alors techniquement impossible de contrer cette dissémination.
Il est effarant que les Japonais aient évacué 10.000 tonnes d’eau hautement contaminée, simplement dans la mer, quand les cuves ont été pleines, "en s’excusant auprès des riverains". N’importe quel bateau disposant de cuves (un vieux pétrolier prêt à partir à la ferraille) aurait pu siphonner cette eau, en s’ancrant dans le port. Quitte à l’emmener à 2000 bornes de là, quand ses cuves sont pleines, et à le couler, sans ouvrir ses cuves. La rouille aurait lentement fait son oeuvre et cette eau contaminée aurait été relâchée en 30 ou 40 ans. Mais ce pétrolier se remplissant d’eau contaminée, ça aurait fait mauvais effet. Sa photo aurait circulé partout. Les gens de TEPCO ont préféré se débarrasser de cette eau "en douce", comme un chat qui planque ses excréments sous un tapis. Relâcher cette eau en bordure de mer était la pire des choses à faire. Mais les Japonais sont dépassés. Il n’y a personne à la barre.
Les seuls qui ont une réelle expérience de ce genre de crise gravissime, ce sont les Russes. Mais qui imaginerait que les Japonais puissent, ne serait-ce que recevoir la visite d’experts étrangers, d’où qu’ils viennent, et, au-delà, de voir ces gens faire des recommandations ? Non, les affaires japonaises ne regardent que les Japonais. Mais dans ce cas, ces gens n’ont aucune expérience. Ils savent réagir très efficacement à des tremblement de terre. Là, les gens sont formés à tous les niveaux. Mais, côté nucléaire, ça a été 30 années d’anesthésie à tous les niveaux. D’où cette incapacité à réagir.
Chez nous, au passage, ça serait pareil, en cas de grosse crise.
Le Japon a reçu ... le soutien d’AREVA. Mais rien de plus. AREVA n’aurait pas pu s’asseoir sur ce nid de guèpes. De plus AREVA est responsable de la présence de plutonium dans la cuve du réacteur numéro 3, combustible du MOX, vendu par la France aux Japonais.
Les poissons disperseront ces polluants radioactifs en les disséminant dans la chaîne alimentaire. Un jour peut-être on déconseillera au public de ... consommer du poisson. Après peut-être les veaux que nous sommes réagiront-ils.
Fukushima risque de devenir un problème planétaire du fait des emplâtres sur jambe de bois qui ont été mis en oeuvre. Sous cet angle c’est terrible à dire, mais ça sera la seule chance que nous ayions de réagir contre ce danger du nucléaire.
Hier, j’étais le seul scientifique et le seul universitaire à m’être joint aux 200 manifestants réunis devant l’hôtel Aixoix où les 20 députés européens écoutaient les sermons des gens d’ITER, plaidant pour le triplement de leur budget, passant d’un à 3 milliards d’euros. J’ai remis un document à une des parlementaires, Michèle Rivasi. 15 pages en 40 exemplaires, expliquant ma vision des choses, un vision de scientifique et d’ingénieur. Les gens ne le savent pas, mais tel qu’il se présente, ITER n’est pas un démonstrateur, du tout. On envisage avec ce projet déjà pharaonique de ne gérer qu’une seule des deux réactions nucléaires-clés, la fusion deutérium tritium. La seconde, la régénération du tritium par fission du lithium sous l’effet du bombardement neutronique sera seulement "testée" sur ITER, qui ne possède pas de système de dépollution de son plasma.
Oui, si on le construit, ITER fonctionnera 400 secondes en produisant "plus d’énergie qu’on n’en injecte". Mais rien ne sera résolu pour autant. Répondant à ma question, un des responsables m’a dit au téléphone, il y a quelques jours : "Oui, on pourra peut-être un jour avoir un générateur à fusion, si on n’est pas à quelques dizaines de milliards d’euros près, ni à quelques décennies près" (...)
Voilà ....


"Il y a quelques années, on a eu des accidents dans les centrales nucléaires très souvent. Alors le gouvernement a décidé d’envoyer des conseillers de sécurité spécialisés dans chaque centrale nucléaire pour donner l’autorisation du démarrage après la construction ou du redémarrage après les contrôles réguliers. Je savais que ces conseillers ne connaissaient pas grande chose du nucléaire mais je n’imaginais pas à quel point.
Quand j’ai fait une conférence à Mito, il y a un homme du Ministère de la science et la technologie qui s’est présenté en public en disant : « Je me sens tellement mal à l’aise d’avouer ce fait, mais je ne connais rien du nucléaire », et il a continué : « De la peur d’être irradiés, les inspecteurs n’ont pas voulu travailler dans les centrales en marche. Comme on vient de supprimer des places dans le ministère de l’agriculture avec le remaniement gouvernemental, ils ont envoyé des fonctionnaires qui donnaient des conseils aux éleveurs du ver à soie ou de la sériole (poisson), sans aucune formation. Voilà pourquoi les conseillers qui n’y connaissent rien du tout, donnent l’autorisation du démarrage dans toutes les centrales. Le conseiller de la centrale de Mihama, contrôlait la qualité du riz jusqu’à il y a 3 mois ».
Cet homme a raconté une telle histoire en donnant les noms de ces conseillers. Est-ce que vous pouvez avoir confiance en l’autorisation de démarrage accordée par tous ces gens qui n’y connaissent rien ?"

1996 extrait du journal d’un soudeur tuyauteur japonais qui est mort en 1997, à la suite du cancer.

La comparaison avec ce qui se passe dans l’industrie en général est flagrante : privé ou public les décisions ne règlent pas des problèmes techniques, mais des conflits avec les travailleurs dans des intérêts à très courts termes. Ce qui se passe à une échelle mondiale est conduit également par le souci de la lutte des classes et absolument pas par une gestion économique ou sociale des sociétés humaines.

Lire tout son texte ici. mise en ligne et traduit du japonais par le Resosol.

Messages

  • Fukushima worker reveals life inside wrecked nuclear power plant in manga comic book

    Lire l’articleici

    1 documentaire aussi, à voir ici des extraits de "au delà du nuage" de Keiko Courdy.

    Un manga sur la centrale de Fukushima

    Il porte un nom d’emprunt, cache presque son visage, mais ses dessins, eux, sont très visibles et remarqués : Kazuto Tatsuta est l’auteur de ichi-efu, un manga sur la centrale accidentée de Fukushima où il a passé six mois.

    « Je voudrais juste laisser un témoignage », dit modestement ce mangaka, sans lâcher le fin pinceau avec lequel il passe en couleur une de ses planches, dessinée sur du « washi », le papier japonais.

    « Après l’université, j’ai fait des tas de boulots, dont dessinateur », raconte-t-il dans son petit atelier-appartement, en banlieue de Tokyo.

    « Le travail de mangaka ne me nourrissait pas, donc je faisais d’autres choses à côté. Finalement, juste avant le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, je ne dessinais quasiment plus, j’étais devenu un banal employé ».

    « Après l’accident de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi, j’ai eu envie d’agir. J’ai quitté ma société, je me suis adressé à l’agence publique de recherche d’emploi, et j’ai été engagé pour travailler à ichi-efu (le surnom du complexe atomique, que l’on prononce « Itchi F » en japonais).

    « Je n’y suis pas allé dans le but d’en faire un manga, mais comme il y avait sur place de la matière intéressante, je me suis dis, pourquoi pas, ça vaut le coup de laisser une trace de ce qu’il s’est passé à l’intérieur. J’ai pensé que cela pouvait avoir une valeur. Pour autant, je ne le fais pas non plus avec l’état d’esprit que pourrait avoir un journaliste. En fait, je veux surtout raconter qui et comment sont les gars à l’intérieur ».

    « Je ne suis pas satisfait des informations dans la presse, qui sont trop souvent subjectives », s’excuse-t-il presque.

    « Comme je le montre dans le manga, les travailleurs de Fukushima sont des gens tout à fait normaux et ordinaires, qui rient beaucoup et blaguent sans arrêt. Ce n’est pas l’enfer permanent, même si le travail est dur. Et les travaux à l’intérieur avancent, contrairement à ce qu’on peut lire ici et là ».

    « Même mes parents ne savaient pas »

    « J’ai passé six mois en 2012 à ichi-efu et n’ai commencé à dessiner qu’ensuite ».

    Contrairement à de nombreux mangaka, Tatsuta travaille seul, sans assistant, et tout à la main : l’esquisse au crayon à papier puis l’encrage au pinceau. « Je n’utilise pas du tout de plume ni d’ordinateur », assure-t-il.

    « Je dessine sur la base de mes souvenirs, de ce que j’ai vu. J’utilise aussi des photos officielles que la compagnie Tepco fournit à la presse. J’en prends parfois quelques unes dans les salles de repos par exemple ».

    Le premier épisode, de 37 pages, a été honoré d’un prix de nouvel auteur par Morning, un illustre hebdomadaire de mangas de la maison d’édition Kodansha, qui a vite décidé de ne pas en rester là.

    ichi-efu est désormais publié en feuilleton de 24 pages à un rythme à peu près mensuel. Le premier recueil compilant les premiers épisodes sortira fin avril au Japon. « Je suis heureux, c’est assez fou », sourit Tatsuta.

    « Ce premier tome n’est pas encore disponible, mais les commandes affluent des librairies, à un rythme dix fois plus élevé que d’habitude pour un premier manga d’un auteur peu connu », explique Kenichiro Shinohara, de la rédaction de Morning.

    Et de préciser : « Parce que le sujet est Fukushima, le public dépasse celui des traditionnels lecteurs de mangas. C’est un document qui s’appuie sur une expérience rare qui n’est pas accessible à tout un chacun ».

    Même l’ex-Premier ministre de droite Junichiro Koizumi, devenu un virulent antinucléaire depuis l’accident de Fukushima, est un lecteur assidu de ichi-efu, selon M. Shinohara.

    Tatsuta dit avoir accumulé de quoi aller jusqu’au deuxième tome. Mais pour pouvoir poursuivre plus loin la série, il n’y a qu’une solution : retourner travailler à la centrale. « Je le veux », confie-t-il.

    « Je ne pense pas que les responsables de Tepco m’aient identifié, j’ai travaillé sous mon vrai nom, mais s’ils veulent vraiment savoir qui est Tatsuta l’auteur de ichi-efu, ils n’auront peut-être pas tant de mal à trouver ».

    « Les gars qui étaient à ichi-efu avec moi en 2012, eux ont deviné », dit-il, même s’il n’a jamais rien esquissé devant eux.

    « Jusqu’à ce que je publie, même mes parents ne savaient pas que j’étais allé à la centrale de Fukushima, ils auraient eu trop peur ».

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